Lichen cryptique (Nephroma occultum) évaluation et rapport de situation du COSEPAC: chapitre 5

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Le Nephroma occultum est confiné à des régions forestières humides à des altitudes inférieures à 1 200 m (la plupart des populations se trouvent à des altitudes variant entre 400 et 800 m). Au Canada, toutes les populations se trouvent à l’intérieur de la zone côtière de la pruche de l’Ouest et de la zone intérieure à thuya et pruche définies par le système de classification biogéoclimatique des écosystèmes de la Colombie-Britannique (Meidinger et Pojar, 1991). Aucune autre zone n’a été colonisée par l’espèce et les parties maritimes extrêmes (hypermaritimes) de la zone côtière de la pruche de l’Ouest ne semblent pas l’accueillir. Les variables climatiques communes dans l’ensemble de l’aire de répartition du N. occultum sont les suivantes : 1) une humidité élevée assez constante; 2) des températures estivales modérées. L’absence de l’espèce dans la zone hypermaritime est difficile à expliquer, mais pourrait être due à une sensibilité aux embruns salés ou à l’incapacité de survivre à la forte compétition des bryophytes épiphytes.

Au Canada, le Nephroma occultum occupe généralement les peuplements forestiers anciens caractérisés par une humidité élevée, des conditions environnementales stables et des sols riches en nutriments. Ces forêts offrent des conditions stables pour des lichens à dispersion lente, comme leN. occultum, et offrent également une protection contre la sécheresse estivale, l’une des principales contraintes à la répartition de cette espèce. Dans de telles forêts, les arbres de tous âges sont colonisés. En Oregon, cependant, le N. occultum a été parfois relevé dans des peuplements forestiers plus jeunes (McCune et Geiser, 1997). Les jeunes peuplements dans des macroclimats humides, comme on en trouve dans les monts Cascades en Oregon (qui reçoivent de fréquents brouillards en été) accueillent le N. occultum , car les sorédies peuvent s’y disperser à partir de forêts plus anciennes avoisinantes. L’humidité du macroclimat peut également expliquer pourquoi le N. occultum occupe l’étage supérieur du couvert forestier dans les écosystèmes côtiers alors que, dans les emplacements à l’intérieur des terres, l’espèce est confinée à l’étage inférieur du couvert forestier où le taux d’humidité demeure constant en été grâce à l’ombre et à la rétention de l’humidité par les arbres âgés et la végétation associée (Goward, 1995b).

Dans la partie canadienne de son aire de répartition, le Nephroma occultum tend à pousser sur des branches vivantes, généralement près des extrémités, parmi des aiguilles vivantes. Il est moins commun ou absent sur les grandes branches ou le tronc des arbres. En Oregon, cependant, on le trouve souvent sur de grandes branches près du tronc (Wetmore, 1980; Rosso et al., 2000), ce qui pourrait être dû au macroclimat humide et à la compétition des bryophytes.

Le Nephroma occultum est une espèce acidiphile qui colonise une grande variété d’arbres. Les principaux phorophytes, selon Goward (1995a), sont énumérés ici en ordre décroissant d’importance : Abies lasiocarpa, Tsuga heterophylla, Picea sitchensis, Abies amabilis, Picea glauca, Tsuga mertensianaet Betula papyrifera. En Oregon, on trouve également l’espèce sur le Pseudotsuga menziesii et l’Acer macrophyllum (Wetmore, 1980; Rosso et al., 2000) et, dans un emplacement en Colombie-Britannique, parmi une colonie de mousses ombragée (Goward, 1995a).

Tendances en matière d’habitat

L’habitat privilégié du Nephroma occultum, les forêts anciennes et humides de thuyas et de pruches, est menacé par des perturbations naturelles et anthropiques. Ces perturbations provoquent un déclin progressif des vestiges de l’habitat du N. occultum.

La principale origine naturelle de la perte de l’habitat du Nephroma occultum est la défoliation des peuplements forestiers anciens par l’arpenteuse de la pruche (Lambdina fiscellaria lugubrosa). La situation est particulièrement grave dans les forêts de thuyas et de pruches de l’intérieur, dans lesquelles la défoliation du couvert réduit le taux d’humidité du sous-étage, qui occasionne des mortalités parmi les lichens sensibles à l’humidité, comme leN. occultum (Goward, 1995a). Les infestations de l’arpenteuse de la pruche ne se soldent pas toujours par la mortalité de l’ensemble des arbres du couvert forestier; certains peuplements infectés peuvent se rétablir en quelques années et continuer d’accueillir le N. occultum. L’ampleur de la défoliation attribuée à l’arpenteuse de la pruche dans les peuplements de thuyas et de pruches (en Colombie-Britannique) était d’environ 44 277 ha en 2002, 42 542 ha en 2003 et 5 750 ha en 2004 (Westfall, 2002; idem, 2003; idem, 2004); la superficie totale de la zone intérieure à thuya et pruche est de 5 035 476 ha (Marvin Eng, comm. pers.). Ces taux d’infestation varient parallèlement à un cycle vital de quatre ans. À titre comparatif, le feu a détruit 5 179 ha de forêts en 2002, 33 331 ha en 2003 et 210 008 ha en 2004 dans l’ensemble de la province. Certains spécialistes en écologie avancent que les infestations d’arpenteuses de la pruche sont exacerbées par des températures annuelles moyennes anormalement élevées. Si cette hypothèse s’avère, les hausses de température prédites par les modèles climatiques s’accompagneront à l’avenir d’une prévalence accrue des infestations d’arpenteuse de la pruche (Sutherland et al., 2004). Cela représente une menace considérable pour l’habitat des populations intérieures deN. occultum.

Les changements climatiques pourraient affecter considérablement l’habitat du Nephroma occultum dans l’ensemble de son aire de répartition. En Colombie-Britannique, on prévoit que les températures annuelles moyennes augmenteront de 1 à 4 °C au cours de la prochaine décennie (Fraser, 2002). Cela pourrait se traduire par des infestations plus importantes et plus fréquentes d’arpenteuses de la pruche, de même que par une plus grande incidence des feux de forêt. La plupart des populations de N. occultum se trouvent dans des peuplements forestiers anciens où les conditions hygrométriques sont tributaires d’intervalles de 100 ans ou plus entre les feux de forêt. Bien que cela constitue une menace mineure à l’échelle historique, un changement dans le cycle des feux de forêt pourrait avoir une influence déterminante sur la répartition du N. occultum.

Les changements climatiques modifieront les précipitations dans l’ensemble de l’aire de répartition du Nephroma occultum. Les modèles prédisent généralement une hausse des précipitations totales (jusqu’à 40 p. 100), mais également une prolongation de la sécheresse estivale (Fraser, 2002; Sutherland et al., 2004). On estime que l’absence de sécheresse estivale est un facteur déterminant dans la répartition du N. occultum (voir la section ci-après intitulée Conditions de croissance). Il est certain que les conditions climatiques actuelles changeront; on ignore comment le N. occultum y répondra.

L’exploitation forestière est, à l’heure actuelle, la principale source de perturbation pour l’habitat du Nephroma occultum dans l’ensemble de son aire de répartition, de l’Alaska à l’Oregon. Au Canada, l’intensité et l’emplacement du déboisement dépendent des marchés internationaux du bois, de la prévalence des infestations d’insectes et de la proximité des scieries en exploitation. Par exemple, le taux d’abattage dans la vallée de Kispiox (où se trouvent plusieurs populations connues de N. occultum) a diminué considérablement au cours des années 2000 en raison du conflit du bois d’œuvre avec les États-Unis et de la fermeture subséquente de deux scieries dans la région. Cependant, même dans la vallée de Kispiox, de grandes portions d’habitat du N. occultum ont été perdues (Williston, 2001), car les forêts de thuyas et de pruches figurent parmi les types de forêts les plus rentables sur le plan commercial dans la région de Kispiox, même si les conditions du marché sont défavorables (Ken Smith, comm. pers.).

Les plans actuels de gestion de cette région ne répondent pas adéquatement aux besoins de ce lichen en matière d’habitat. Par exemple, dans l’unité de paysage de Kispiox (qui a une superficie de 56 659,1 ha et renferme plusieurs types de forêts), 9 p. 100 (2 923,5 ha) de la forêt humide de thuyas et de pruches (sous-zone ICH-mc2) seront gérés, selon le plan, comme des peuplements forestiers anciens (Roberts et Turney, 2004). De ce territoire, 1 071,4 ha sont situés dans des forêts non commerciales (de faible valeur pour le bois d’œuvre, par exemple des forêts marécageuses). Le reste des peuplements anciens (1 852,1 ha) sera protégé par le recrutement de peuplements qui sont actuellement plus jeunes (en raison de perturbations historiques comme le déboisement ou le feu). Enfin, 6 138,8 ha additionnels de peuplements forestiers anciens demeurent dans la zone d’exploitation forestière et ne sont pas protégés (le couvert total historique des peuplements anciens n’est pas indiqué). Un tel plan de gestion forestière pourrait mener à la disparition du Nephroma occultum dans la région. Des méthodes de planification semblables sont appliquées dans l’ensemble de l’aire de répartition canadienne de l’espèce.

La situation est tout autre dans les États de Washington et de l’Oregon : le N. occultum figure parmi les sept lichens inclus dans les relevés sur les perturbations menés avant toute exploitation forestière sur des terres fédérales (USDA et USDI, 2003). Cette approche s’est traduite par la création d’aires protégées et de méthodes d’exploitation forestière privilégiant les coupes partielles (plutôt que les coupes à blanc). Elle a également contribué à une meilleure connaissance de la répartition et de la disponibilité de l’habitat du N. occultum dans la partie sud de son aire de répartition.

L’exploitation forestière, l’arpenteuse de la pruche et le feu (et les effets cumulatifs de ces trois facteurs) continuent de réduire l’abondance des peuplements forestiers anciens, habitat principal du Nephroma occultum. Cette tendance devrait s’intensifier avec l’accroissement de la demande de ressources naturelles et la hausse des températures annuelles moyennes due au réchauffement planétaire.

Protection et propriété

Au Canada, la plupart des populations connues de Nephroma occultum se trouvent sur des terres de la Couronne provinciale et, en tant que telles, ne sont pas protégées par la législation provinciale ou fédérale. Cinq populations se trouvent à l’intérieur de parcs ou d’aires protégées. Un emplacement (41; voir pages 10 à 13) est situé dans une zone sensible désignée (Williston, 2002) et protégée dans le cadre du plan de développement forestier du bassin du ruisseau McCully (un bassin secondaire partiellement déboisé de la vallée de Kispiox, qui est elle-même plus vaste et plus exploitée). Trois autres emplacements (11, 17 et 18) sont à l’intérieur du parc provincial Wells Gray et une cinquième population (3) est protégée car elle se trouve dans une réserve écologique.

Deux autres populations (36 et 37) sont adjacentes au parc national des Glaciers et situées dans un peuplement forestier très ancien aux conditions environnementales stables et humides et renfermant de l’habitat d’espèces rares qui constitue un candidat prioritaire pour l’expansion du parc national.

Les autres populations se trouvent sur des territoires gérés pour le bénéfice de l’industrie forestière. À moins de créer d’autres parcs et aires protégées, bon nombre d’entre eux seront déboisés. Par exemple, T. Goward a relevé en 1996 14 peuplements forestiers anciens riches en lichens dans le bassin du ruisseau McCully (dont plusieurs abritaient des Nephroma occultum); quatre ans plus tard, huit peuplements (57 p. 100) avaient été coupés ou voués à l’abattage (Williston, 2001). Dans les faits, la protection de la plupart de l’habitat du Nephroma occultum est déterminée par des intérêts économiques (le coût élevé de la construction de routes) et la géographie (la topographie accidentée de la Colombie-Britannique), et non par des mesures de conservation.

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