Guillemot à cou blanc (Synthliboramphus antiquus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC: chapitre 8

Biologie

Généralités

Le Guillemot à cou blanc est un petit oiseau de mer dont la morphologie est assez généraliste pour un Alcidé, avec un bec qui n’est spécialisé ni pour le poisson ni pour le plancton et une morphologie fonctionnelle se trouvant à mi-chemin entre celle des plongeurs spécialisés qui utilisent leurs ailes pour se propulser, comme certains autres guillemots, et celle des stariques, moins spécialisés (Gaston, 1994a). Il a pour caractéristique unique d’être le seul oiseau marin dont les oisillons, pleinement nidifuges, se jettent à la mer sans jamais avoir été nourris au nid (Gaston, 1994b). Il possède en outre un répertoire vocal unique qui lui permet de communiquer efficacement pendant ses visites nocturnes à la colonie (Gaston, 1994a).


Reproduction et taux de survie

Au Canada, le Guillemot à cou blanc se reproduit exclusivement sur les îles de la Reine-Charlotte. Le moment choisi pour la reproduction varie selon l’endroit : il a été observé que pour chaque 1 °C de moins dans la température moyenne de la surface de la mer en avril près des colonies, la ponte a lieu six jours plus tard (Gaston, 1992). En règle générale, les oiseaux atteignent la colonie en mars, les dates médianes d’achèvement des pontes se situant entre la mi-avril et le début de mai (Gaston et Jones, 1998). Le moment de la reproduction varie d’une colonie à l’autre et pourrait dépendre du moment où la pression exercée par les prédateurs sur les adultes est faible et du moment où les aliments pour les oisillons sont disponibles en grandes quantités (Gaston, 1997). La couvée est de deux œufs par couple nicheur par année, pondus à un intervalle de six à dix jours, sans ponte de remplacement (Gaston, 1994a).

Le mâle et la femelle participent à parts égales à la couvaison (Gaston, 1992), mais ils ne nourrissent pas leurs oisillons avant que ceux-ci ne quittent le terrier. Le départ du terrier s’effectue pendant la nuit, de un à quatre jours après l’éclosion (Sealy, 1976; Shibaev, 1978; Jones et al., 1990). Les oisillons sont entièrement élevés en mer (Litvinenko et Shibaev, 1987). Leurs parents les nourrissent pendant environ un mois, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils parviennent à maturité et soient entièrement emplumés (Litvinenko et Shibaev, 1987).

Le Guillemot à cou blanc se reproduit pour la première fois à l’âge de trois ou quatre ans (Gaston et Jones, 1998). Dans les habitats où aucun prédateur n’a été introduit, on a observé un taux de survie moyen des petits jusqu’au départ de la colonie de 1,5 petit par couple nicheur par année (Vermeer et Lemon, 1986; Gaston, 1992). La plupart des groupes familiaux aperçus en mer après le départ de la colonie sont composés de deux adultes et deux oisillons. Ainsi, malgré un départ précoce, le taux de survie des jeunes pendant les premiers jours après avoir quitté le site de nidification semble être élevé (Gaston, 1992). Cependant, l’état corporel et la date de départ des oisillons influent sur le taux de survie. En effet, d’après les taux de recapture, les oisillons ayant quitté la colonie alors qu’ils pesaient 26 grammes ou moins (à n’importe quel moment) ont moins de chances de survivre que les oiseaux d’un poids plus élevé, et les oiseaux qui quittent la colonie après la date médiane de départ ont de meilleures chances de survie (Gaston, 1997). Le taux de survie annuel moyen des Guillemots à cou blanc adultes (77 p. 100) est relativement bas comparativement à celui des autres Alcidés (Gaston, 1990); en revanche, le succès de la reproduction est élevé. D’après les données issues de l’île Reef, les oiseaux adultes se reproduisent en moyenne pendant 4,5 ans (Gaston, 1994a).


Physiologie

L’information dont on dispose sur la physiologie du Guillemot à cou blanc est maigre. Toutefois, certaines caractéristiques propres aux Alcidés peuvent nous éclairer à cet égard. Les Alcidés emmagasinent la graisse sur la majeure partie du corps dans une fine couche sous-cutanée plutôt qu’en poches comme c’est le cas de la plupart des autres oiseaux (Gaston, 1992). De plus, les pattes des Alcidés sont dotées de mécanismes d’échange de chaleur (rete mirabile) qui limitent les pertes thermiques (Gaston, 1992). Compte tenu de leur taille, leur taux métabolique de base est élevé, adaptation qui permet de garder leur corps au chaud dans les climats froids. Les Alcidés peuvent emmagasiner de l’oxygène pendant la plongée grâce à leur volume sanguin élevé et à leurs fortes concentrations de myoglobine (Gaston, 1992).

À la naissance, le poids moyen des oisillons est proportionnellement supérieur à celui des autres Alcidés (15 p. 100 du poids corporel de l’adulte comparativement à 11 p. 100) et la longueur de leurs pattes est pratiquement la même que la longueur des pattes de l’adulte. À l’éclosion, les oisillons possèdent de très importantes réserves de graisse (Duncan et Gaston, 1988) qui leur servent de source énergétique et possiblement d’isolant; le corps des oisillons contient alors 13 grammes de graisse dont une portion de 40 p. 100 sera perdue avant de quitter le terrier (perte de deux grammes par jour environ dans le terrier). Les réserves restantes leur seront essentielles pour pouvoir nager pendant de longues périodes sans s’arrêter. Ce qui aide aussi les oisillons une fois en mer est leur capacité immédiate de thermorégulation (Gaston et Jones, 1998).


Déplacements et dispersion

Au Canada, les Guillemots à cou blanc ne se reproduisent que sur les îles de la Reine-Charlotte, au large de la côte de la Colombie-Britannique, du mois d’avril au mois de juin. Une fois la période de reproduction terminée, ils quittent leurs colonies de nidification. Certains groupes familiaux des colonies du détroit d’Hécate demeurent dans le détroit pendant plusieurs semaines (Duncan et Gaston, 1990), alors qu’à la même période, d’autres individus se trouvent près des îles Goose dans le bassin de la Reine-Charlotte (Guiguet, 1953). En août, il est rare d’apercevoir un Guillemot à cou blanc dans le détroit d’Hécate et, en septembre, ils ont pratiquement disparu des eaux de Colombie-Britannique (Gaston, 1992). On ignore quels sont leurs déplacements pendant cette saison (Campbell et al., 1990; Gaston, 1994). Un grand nombre de Guillemots à cou blanc sont présents dans les eaux côtières de l’île de Vancouver vers la fin octobre et y demeurent jusqu’à la mi-février (Wahl et al., 1981; Campbell et al., 1990). Un petit nombre d’oiseaux passent l’hiver dans la mer de Béring, alors que d’autres restent dans l’aire de reproduction canadienne (Gaston, 1994a). Pendant la même saison, un nombre d’oiseaux encore plus petit est présent à la limite du plateau continental au large des États de Washington, d’Oregon et de Californie (Ainley, 1976; Balz et Morejohn, 1977; Briggs et al., 1987). En mars, de nombreux oiseaux arrivent au détroit d’Hécate et commencent à visiter leurs colonies avant la ponte.

Des Guillemots à cou blanc ont été signalés dans le détroit d’Hécate et le bassin de la Reine-Charlotte en janvier et d’avril à juillet, mais pas en septembre (Morgan, 1997). Ils sont présents à l’entrée Dixon en avril et en mai, et leur présence a également été signalée en juillet, mais, en octobre, ils ont disparu (Morgan, 1997). Bien qu’il semble parfois que la majorité des oiseaux se dispersent au sud des îles de la Reine-Charlotte (Sealy, 1976), certains ne s’éloignent pas beaucoup de leur colonie (Morgan, 1997). Les densités d’oiseaux sont plus élevées pendant la période de reproduction. C’est à la limite du plateau continental, entre les îles Langara et Frederick, qu’on constate les densités les plus élevées pendant l’été. Des oiseaux n’ont été observés en automne qu’à la limite du plateau à l’ouest de la baie Cartwright et en hiver que dans le détroit d’Hécate entre le bras Skidegate et le cap St. James (Morgan, 1997). Des Guillemots à cou blanc sont régulièrement aperçus pendant les recensements des oiseaux de Noël à Masset et la pointe Rose (Morgan, 1997).

Il arrive que les oiseaux visitent des colonies autres que la leur lorsque celles-ci se trouvent à proximité. On a observé ce phénomène entre les îles Reef et Limestone Est, distantes de six kilomètres. Toutefois, aucun signe montrant que les oiseaux auraient niché sur l’île qui n’était par leur île natale n’a été relevé. Il n’a pas été déterminé si des oiseaux visitaient également l’île Lyell, située à 15 km de l’île Reef et à 20 km de l’île Limestone Est, mais cela est possible (Gaston et Adkins, 1998).

Une seule récupération de bague posée au Canada a été effectuée à l’extérieur des îles de la Reine-Charlotte : il s’agissait d’un subadulte ou immature trouvé mort sur une plage de l’État de Washington (Gaston, 1994b). La provenance des oiseaux présents dans les eaux du sud de la Colombie-Britannique en hiver est inconnue, mais le grand nombre d’individus porte à croire qu’ils proviennent de l’archipel de la Reine-Charlotte.

Le Guillemot à cou blanc est un des Alcidés les plus enclins au vagabondage (Gaston et Jones, 1998). Des individus ont été aperçus sur des lacs de la partie continentale de la Colombie-Britannique et huit observations ont été répertoriées dans les provinces des Prairies canadiennes (Sealy et al., 2001). Plusieurs observations de l’espèce ont également été signalées au Mexique (Erickson et al., 1995) et en Grande-Bretagne (Waldon, 1994).


Nutrition et relations interspécifiques

Le Guillemot à cou blanc adulte se nourrit principalement de gros zooplanctons et de poissons. La composition de son régime alimentaire varie en fonction des saisons, de l’âge, de l’endroit et de la disponibilité des aliments (Sealy,1975; Vermeer et al., 1985; Gaston, 1994). Avant la reproduction, à la fin mars et au début avril, les oiseaux se nourrissent d’Euphausia pacifica; après le début de la période de reproduction, le Thysanoessa spinifera occupe une place importante dans leur alimentation (Sealy, 1975). Le poisson (y compris les larves et les juvéniles) compose l’essentiel du régime en juin. Lorsque la saison est plus avancée, le Guillemot à cou blanc consomme aussi du poisson, surtout du lançon gourdeau (Ammodytes hexapterus) et des sébastes (Sebastes spp.), mais également des poissons plats (Pleuronectidés), de la perche-mené (Cymatogaster aggregata) juvénile et des sourcils (Hexagrammos spp.) (Sealy, 1975).

L’information dont on dispose sur l’alimentation hivernale est peu abondante. Gaston et al. (1993) ont observé que, pendant la saison hivernale, les Guillemots à cou blanc se trouvant près de la côte sud-est de l’île de Vancouver se nourrissaient exclusivement d’Euphausia pacifica (Harfenist, 2003). En novembre, ils consommaient surtout du hareng (Clupea harengus) juvénile.

En outre, très peu de renseignements existent sur l’alimentation des oisillons. Les estomacs de huit jeunes récupérés en mer contenaient uniquement du lançon (Gaston, 1992). Une étude antérieure menée à l’île Langara a révélé que les estomacs de subadultes contenaient du lançon et des euphausiacés (Sealy, 1975).


Comportement et adaptabilité

Bien que le Guillemot à cou blanc niche dans n’importe quel type de forêts, la recolonisation suivant la destruction d’une forêt peut prendre beaucoup de temps (Gaston, 1994b). À l’île Limestone, une vaste zone dévastée par un feu n’était toujours pas utilisée par les guillemots vingt ans après, malgré une forte repousse d’aulnes.

La diminution de la superficie occupée les Guillemots à cou blanc aux colonies des îles Langara et Lyell semble s’expliquer par la prédation féroce exercée par les rats (Gaston, 1994b). Pour rétablir l’espèce après de tels déclins, il se peut qu’une densité et un nombre critiques de terriers actifs soient nécessaires afin d’attirer des recrues. Si c’est le cas, le rétablissement des colonies disparues est peu probable, en particulier avec des déclins de population fréquents dans l’ensemble de l’aire de reproduction.

Des préreproducteurs ont été capturés sur des îles autres que leur île natale, ce qui porte à croire que certains oiseaux se reproduisent ailleurs que dans leur colonie d’origine (Gaston, 1990). Par exemple, seulement 3 p. 100 des préreproducteurs qui ont été piégés à l’île Limestone Est y avaient été bagués au stade d’oisillon, alors qu’environ 50 p. 100 des oisillons avaient été bagués avant leur départ (Gaston, 1990; Gaston et Adkins, 1998). Des analyses d’ADN effectuées postérieurement pour les îles George et Limestone Est laissent aussi à penser que des oiseaux changent de colonies (Pearce et al, 2002). Cette capacité de passer d’une colonie à l’autre pourrait servir de mécanisme d’adaptation face à la pression croissante exercée par l’homme et les prédateurs, pourvu qu’un habitat convenable se trouve à proximité.

Enfin, les Guillemots à cou blanc sont très vulnérables aux perturbations sur leur site de nidification et vont jusqu’à abandonner leur terrier et leur couvée (Gaston et al., 1998). Comme les couples ne pondent pas d’œufs de remplacement, l’impact de l’abandon des nids est élevé et constitue la principale cause d’échec de la reproduction chez ces oiseaux (Gaston et Jones, 1998).

 

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