Ketmie des marais (Hibiscus moscheutos) évaluation et rapport de situation du COSEPAC: chapitre 5

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Dans son aire de répartition principale, l’Hibiscus moscheutos est une espèce dominante dans les portions oligohalines des estuaires, généralement dans des marais de faible salinité et d’eau douce le long de la côte est des États-Unis, mais l’espèce est également dominante dans des marais ayant un régime de marée très restreint et forme souvent des peuplements monospécifiques (Cahoon et Stevenson, 1986).

Au Canada, l’H. moscheutos occupe presque exclusivement la région forestière des feuillus (forêt carolinienne). Cependant, depuis la découverte récente de populations dans les régions du centre et de l’est du lac Ontario, l’aire de répartition de l’espèce inclut désormais une partie de la région forestière des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Toutes les populations sont confinées à des milieux humides aux premiers stades de la succession végétale actuellement associés aux lacs Érié, Ontario ou Sainte-Claire ou qui y étaient récemment associés. L’espèce se trouve le plus fréquemment dans les marais profonds à Typha, où elle pousse à l’interface avec l’eau libre parmi les quenouilles, et dans les prés humides (voir la figure 4). Là où il y a des sites d’H. moscheutos, les marais à Typha sont dominés par une quenouille hybride, la quenouille glauque (Typha ´glauca), et les prés humides par le roseau commun (Phragmites australis), sauf s’il s’agit d’un pré humide périodiquement inondé. On trouve également l’Hibiscus moscheutos dans des boisés ouverts et humides, des fourrés, des amas de déblais et des fossés de drainage. L’espèce ne s’étend jamais à plus de quelques centaines de mètres des Grands Lacs ou de leurs milieux humides connexes sans « assistance »; les populations découvertes à l’intérieur des terres à Kingsville, à St. Thomas et à Welland y ont probablement été introduites par le transport de terre de remplissage.

L’importance des fluctuations du niveau d’eau pour le maintien des milieux palustres est bien documentée (voir par exemple Harris et Marshall, 1963; Van der Valk et Davis, 1978; Keddy et Reznicek, 1982). Le rabattement du niveau d’eau est une technique standard de gestion de ces milieux. Les effets bénéfiques du rabattement sur une population d’H. moscheutos du lac Érié ont été décrits par Farney et Bookout (1982) qui ont observé que les plantes poussaient très bien durant les périodes de baisse du niveau d’eau. De fait, les deux populations les plus prolifiques de l’Ontario, soit celles des localités 8 et 39, prospèrent dans des marais riverains endigués où les rabattements sont fréquents et où la compétition paraît faible. Dans le passé, le maintien des milieux riverains aux premiers stades de succession, condition nécessaire aux populations d’H. moscheutos, aurait été assuré par les incendies naturels, les tempêtes et l’activité des castors. Au cours des 100 dernières années, on a lutté contre les incendies naturels dans le sud de l’Ontario, et on ne pratique le brûlage dirigé dans cette région que depuis les 25 dernières années. Cette dernière pratique se limite toutefois à quelques endroits de haute priorité, et on ne tient à peu près pas compte des marais riverains. Les castors sont disparus du comté d’Essex et de la municipalité de Chatham-Kent depuis des décennies. Diverses formes de perturbations anthropiques contribuent au maintien ou à la création de milieux ouverts propices à l’espèce, comme en témoignent plusieurs populations florissant dans de petits milieux humides le long de chemins de fer. La ketmie des marais tolère donc certaines perturbations ainsi que les substrats instables. Les fluctuations du niveau d’eau, qui exposent puis inondent périodiquement les milieux humides, limitant ainsi les populations de roseau commun, d’arbustes et de petits arbres, sont probablement essentielles à la survie à long terme de l’espèce au Canada.

En plus des marais endigués, l’H. moscheutos semble privilégier les marais riverains protégés par un cordon littoral, comme ceux de la pointe Pelée et de Rondeau, plutôt que les marais exposés aux eaux libres, comme ceux associés à la péninsule de Long Point. Même à Long Point, les deux populations existantes se trouvent à la base de la péninsule, dans des marais protégés par un cordon littoral; les fortes perturbations naturelles qui caractérisent les marais exposés au lac ne semblent pas convenir à l’espèce. Fait intéressant, Reznicek (1985, comm. pers.) a remarqué que la floraison des plantes de Long Point semblait plutôt mauvaise et arrivait plus tard dans la saison comparativement à celle des plantes du comté d’Essex.

Stuckey (1968) estime que l’Hibiscus laevis pourrait être touché par la pollution et, selon toute probabilité, ce serait également le cas pour l’H. moscheutos, dont l’habitat privilégié, situé dans le cœur agro-industriel du sud-ouest de l’Ontario, subit un apport massif de nutriments, d’herbicides, de pesticides et de métaux lourds.

Un impact direct de cette détérioration de l’habitat est la prolifération du roseau commun, qui exploite les milieux artificiellement enrichis en nutriments. Le roseau commun domine vraisemblablement l’H. moscheutos dans cet environnement modifié, à moins que celui-ci soit inondé périodiquement. Une situation similaire existe probablement avec l’espèce Typha ´glauca.

Figure 4. Habitat de l’Hibiscus moscheutos à Willowood Est.

Figure 4. Habitat de l’Hibiscus moscheutos à Willowood Est.

Les sols associés à la présence de l’H. moscheutos sont organiques ou glaiseux, de texture moyenne et généralement humides durant le printemps et l’été. Les sols ont un pH proche de la neutralité et une concentration élevée en calcium, en potassium, en phosphore et en magnésium échangeables. Dans les 10 sites étudiés, la concentration relative des cations échangeables était, en ordre décroissant : Ca > Mg > K > P (voir le tableau 1 du premier rapport). Malgré son abondance dans les marais côtiers de la zone centrale de la côte atlantique des États-Unis, l’H. moscheutos n’est pas une espèce halophyte (plante côtière ou de sols alcalins). Sa vaste répartition dans la région des Grands Lacs exclut que l’espèce ait besoin de sel pour sa croissance.

Les végétaux que l’on rencontre le plus souvent en association avec la ketmie des marais sont des plantes émergentes à feuilles étroites. À part le Typha ´glauca et le Phragmites australis, les graminoïdes le plus souvent associées à l’espèce sont les suivantes : Phalaris arundinacea, Calamagrostis canadensis, Eleocharis erythropoda, Scirpus fluviatilis, Typha latifolia, Sparganium eurycarpum, Carex stricta et Carex lacustris. Parmi les herbacées souvent associées à l’espèce, on compte les suivantes : Polygonum amphibium, Impatiens capensis, Sagittaria latifolia, Calystegia sepium, Scutellaria galericulata, Iris virginica, Eupatorium perfoliatum, Lycopus americanus, Asclepias incarnata, Solidago altissima, Polygonum lapathifolium, Sium suave, Butomus umbellatus, Nuphar advena et Lythrum salicaria. Le Cornus racemosa, des Salix, le Vitis riparia, le Cephalanthus occidentalis et des semis et des gaules de Populus deltoides se trouvent souvent à l’intérieur ou autour de peuplements de ketmies, tout comme le Decodon verticillatus à l’occasion.

Quelques-unes des espèces associées à l’H. moscheutos sont considérées comme rares en Ontario (Oldham, 1999) : Rosa setigera (Ruscom Shores), Agrimonia parviflora (Ruscom Shores), Nelumbo lutea (localités 3, 4, 37 et 39), Platanthera leucophaea (localité 7) et Lythrum alatum (localité 5). Le COSEPAC a attribué le statut d’espèce en voie de disparition au Canada au Platanthera leucophaea et celui d’espèce préoccupante au Canada au Rosa setigera. Bien qu’ils ne soient pas directement associés à l’H. moscheutos, le Vernonia missurica, espèce vulnérable (Vulnerable) (S3) (localités 7 et 21), et le Gaura biennis, espèce en péril (Imperiled) (S2) (localité 7), ont été observés dans les environs.

Tendances en matière d’habitat

Les principaux marais riverains qui abritent l’H. moscheutos sont assez bien protégés du fait qu’ils se trouvent dans des parcs (p. ex. localités 26 et 42), des clubs privés de chasse (p. ex. localité 39) ou des terres des Premières nations louées à bail à prix fort pour la chasse à la sauvagine. Il est donc peu probable que ces marais soient transformés pour d’autres usages, et aucun des principaux marais n’a fait l’objet d’un développement depuis la préparation du premier rapport de situation. Bon nombre de ces marais sont également désignés comme des terres humides d’importance provinciale et sont donc protégés en vertu de la Déclaration de principes provinciale. Par contre, les plus petits milieux humides tendent à disparaître conséquemment à l’aménagement de lotissements. Ceux qui demeurent subissent des impacts liés à la proximité des nouvelles habitations (localités 7, 15 et 25), au développement de la rive sud du lac Sainte-Claire (p. ex. localités 17, 19 et 20) et, dans une moindre mesure, au développement agricole (p. ex. localité 20).

La tendance la plus évidente pour l’H. moscheutos est la perte de milieux convenables causée par l’envahissement du roseau commun et, en second lieu, par la concurrence exercée par la quenouille glauque. Ces deux espèces envahissantes n’ont même pas été notées par Ford comme « menaces à la survie » lors des relevés sur le terrain qu’il a effectués en préparation du rapport initial de 1985, mais elles étaient évidentes dans plusieurs des localités visitées par Allen en 2002. Les marais qui se trouvent sur la rive sud du lac Sainte-Claire renfermant les localités 17, 19, 21 et 23, ceux de la rive du lac Érié se trouvant dans l’aire de conservation du ruisseau Fox (où l’H. moscheutos est aujourd’hui apparemment disparu), ceux des berges de la rivière Detroit et de la rivière aux Canards et ceux du système du ruisseau Big sont aujourd’hui constitués de peuplements très denses de roseau commun, où ne pousse presque rien d’autre, hormis quelques Lythrum salicaria, quelques Typha ´glauca et quelques jeunes plants de peupliers. Le Typha ´glauca a été noté comme codominant avec le Phragmites australis dans le système du ruisseau Big. Il est dominant le long des berges du ruisseau Cedar, à la localité 27 et aux localités des marais du lac Sainte-Claire; il a supplanté l’H. moscheutos à la localité 39 au cours des dernières années (Haggeman, 2002, comm. pers.).

Protection et propriété des terrains

La propriété des terrains abritant les 51 localités d’Hibiscus moscheutos existantes se divise ainsi :

Le gros des populations d’Hibiscus moscheutos se trouve sur des terrains privés et dans des fossés le long d’emprises ferroviaires. Les plus grandes populations de la province occupent de tels endroits (localités 8 et 39), tout comme d’autres grandes populations, comme celles des localités 12 et 20. Cependant, on trouve aussi de grandes populations sur des terrains appartenant au gouvernement fédéral (localités 26, 37 et 49), au gouvernement provincial (localités 31 et 42) et à l’Office de protection de la nature de la région d’Essex (localité 4 et parties des localités 12 et 49). Onze localités se trouvent dans des marais endigués, dont quatre sur des terres de propriété publique (localités 4, 37, 49 et 50). Aucune mesure de protection visant spécifiquement l’H. moscheutos n’a été relevée dans les terrains privés.

Un certain nombre de localités se trouvent dans des terres humides d’importance provinciale, dont plusieurs de celles occupant des terrains privés (localités 3, 8, 12, 15, 38 et 39) et toutes celles du ruisseau Big (localités 27, 30 et 41). Ces terres humides sont protégées du fait qu’elles appartiennent à la catégorie 1 de la Déclaration de principes provinciale de l’Ontario (DPP). La DPP stipule que l’aménagement et les modifications d’emplacement sont interdits dans les terres humides d’importance situées au sud et à l’est du Bouclier canadien (Gouvernement de l’Ontario, 1997). La Loi sur l’aménagement du territoire prévoit que les organisations locales responsables de l’aménagement doivent tenir compte des déclarations de principes édictées en vertu de la Loi. Dans la mesure où les terrains privés abritant des populations d’H. moscheutos ne bénéficient d’aucune approbation d’aménagement antérieure à 1993, ces lieux ne devraient pas être aménagés. Les populations le long des emprises ferroviaires ne seraient probablement pas considérées comme occupant des terres humides d’importance provinciale.

La propriété des terrains des 20 localités considérées comme disparues se divise ainsi : propriété privée – 11; propriété publique – 7; Premières nations –1; propriété inconnue – 1. Sur les sept localités de propriété publique, une se trouve dans un parc provincial (réserve naturelle provinciale de la pointe Lighthouse, sur l’île Pelée), une dans une réserve nationale de faune (Long Point), une sur une propriété d’un office de protection de la nature (ruisseau Fox), une dans un parc urbain (Mitchell’s Bay) et trois appartiennent à une municipalité (bassin de stabilisation des eaux usées de Kingsville, quai ouest à l’île Pelée et emprise, à 5,3 km à l’est d’Oxley, dans la municipalité d’Essex).

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