Chabot de profoundeur (Myoxocephalus thompsonii), diverses populations : évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Rapport de situation du COSEPAC
sur le
chabot de profoundeur
Myoxocephalus thompsonii

populations des Grands Lacs - Ouest du Saint-Laurent
population de l'Ouest

au Canada
2006

Information sur l'espèce

Nom et classification

Règne :
Animal
Phyllum :
Cordés
Classe :
Actynoptérygiens
Ordre :
Scorpæniformes
Famille :
Cottidés
Genre et espèce :
Myoxocephalus thompsonii (Girard, 1851)
Nom usuel français :
chabot de profondeur (Coad et al. , 1995)
Nom usuel anglais :
Deepwater Sculpin (Nelson et al., 2004)
Autre nom usuel :
kanayok (inuktitut; McAllister et al., 1987)


Le chabot de profondeur, Myoxocephalus thompsonii (Girard, 1851), un chabot de lac d’Amérique du Nord, est un proche parent du chaboisseau à quatre cornes de l’Arctique, M. quadricornis (Linnaeus 1758). Il règne à son sujet beaucoup de confusion et d’erreurs, faute de connaissances précises sur les différences entre trois taxons étroitement apparentés : le chabot de profondeur, les formes dulcicoles du chaboisseau à quatre cornes et la forme marine du chaboisseau à quatre cornes. Ce manque de clarté, qui a donné lieu à des identifications erronées, se traduit par une taxinomie embrouillée. Scott et Crossman (1973) ont produit une étude poussée des documents touchant la taxinomie du chabot de profondeur. Girard (1851) a été le premier à illustrer et à décrire les os du chabot de profondeur du lac Ontario, auquel il a donné le nom de Triglopsis thompsonii, nom qu’ont utilisé plusieurs auteurs subséquents, notamment Dymond (1926), puis Hubbs et Lagler (1947). Le genre Triglopsis a été utilisé dans les publications sur le chabot de profondeur jusqu’au milieu des années 1950 (McAllister, 1961).

Plus récemment, Walters (1955) a désigné le chabot de profondeur sous le nom de Myoxocephalus thompsonii. D’après une comparaison des caractéristiques morphologiques, de la répartition et de l’écologie du chabot de profondeur et du chaboisseau à quatre cornes (M. quadricornis), McAllister et ses collègues (McAllister, 1961; McAllister et Aniskowicz, 1976) ont accepté cette nomenclature proposée et considéré le M. thompsonii et le M. quadricornis comme des espèces distinctes, mais étroitement apparentées. McAllister (1961) considérait le M. quadricornis comme l’espèce « ancêtre » du M. thompsonii.

En raison de similitudes morphologiques très nettes, Hubbs et Lagler (1958) ont proposé de considérer le chabot de profondeur comme une sous-espèce (M. quadricornis thompsonii) du chaboisseau à quatre cornes (M. quadricornis). Cette nomenclature a été acceptée dans une certaine mesure (McPhail et Lindsey, 1970). McAllister et Ward (1972) ont accepté à nouveau cette désignation de sous-espèce pour le chabot de profondeur et l’ont utilisée pour désigner l’espèce lors de sa découverte dans le lac Waterton Supérieur, en Alberta. Scott et Crossman (1973) ont désigné la forme tant marine que dulcicole sous le nom de Myoxocephalus quadricornis, tandis que Parker (1988) a fait état de la situation du chabot de profondeur au Canada en l’appelant Myoxocephalus thompsonii. En se fondant sur une analyse des données de la séquence d’ADN mitochondrial (ADNmt) de huit spécimens prélevés dans deux sites nord-américains continentaux (le lac Michigan et le lac Waterton Supérieur), Kontula et Vainola (2003) ont appuyé les désignations comme sous-espèces du chabot de profondeur et du chaboisseau à quatre cornes nord-américains, proposées respectivement par Hubbs et Lagler (1958) et par McPhail et Lindsey (1970). Toutefois, dans une étude récente axée sur la génétique et l’écologie du chabot de profondeur dans toute son aire de répartition nord-américaine, on attribue le rang d’espèce à part entière au chabot de profondeur, sous le nom de M. thompsonii (T. Sheldon, données inédites). Qui plus est, les populations dulcicoles de chaboisseau à quatre cornes repérées dans toute la zone septentrionale du Canada appartiennent, au sens phylogénétique, à la forme marine du chaboisseau à quatre cornes, et ces deux formes sont faciles à distinguer du chabot de profondeur (T. Sheldon, données inédites).


Description morphologique

Le chabot de profondeur (figure 1), poisson au corps allongé, atteint une longueur moyenne de 51 à 76 mm et une longueur maximale de 235 mm (Scott et Crossman, 1973). Il est tout à la fois aplati dorsoventralement et trapu dans sa partie antérieure; la largeur est maximale à l’origine de l’épine préoperculaire supérieure; la largeur et la hauteur sont égales au niveau; le pédoncule caudal est mince (Scott et Crossman, 1973). Le chabot de profondeur a une grande bouche parsemée de petites dents sur les mâchoires supérieure et inférieure, les palatins, le prévomer et la langue (Scott et Crossman, 1973; McPhail et Lindsey 1970). Les yeux se trouvent sur le dessus de la tête. Ce chabot est dépourvu de pores préoperculomandibulaires, mais doté de quatre épines préoperculaires. Les deux épines supérieures sont grandes et orientées vers le haut et l’arrière, tandis que les deux épines inférieures sont plus petites et dirigées vers le bas (Scott et Crossman, 1973). Les épines frontales et pariétales présentes chez le chaboisseau à quatre cornes sont absentes chez le chabot de profondeur. Ce poisson possède deux nageoires dorsales; la première, qui est petite, compte de 7 à 10 épines et la deuxième, plus grande, a une base longue et de 11 à 16 rayons mous. La deuxième nageoire dorsale est parfois élargie chez les mâles (Scott et Crossman, 1973). Les nageoires pectorales sont grandes et comptent de 15 à 18 rayons mous, tandis que les nageoires pelviennes sont réduites et ne comptent qu’une épine et 3 rayons (4 dans de rares cas); la nageoire anale a une base longue et de 11 à 16 rayons, et la nageoire caudale est carrée ou tronquée. La coloration générale du chabot de profondeur va du gris sombre au brun et la teinte gris brun du dos pâlit graduellement le long des flancs et encore davantage sur le ventre. Le dos porte plusieurs bandes sombres en forme de selle; les flancs sont légèrement mouchetés. Trois bandes sombres peu marquées apparaissent sur les nageoires pectorales. Les nageoires pelviennes sont parsemées de points clairs tandis que les nageoires dorsales et la nageoire anale portent de grandes taches peu marquées (Scott et Crossman, 1973; McPhail et Lindsey, 1970).


Figure 1 : Chabot de profondeur, Myoxocephalus thompsonii

Figure 1 : Chabot de profondeur, Myoxocephalus thompsonii.

Dessin tiré de l’ouvrage de 1973 de Scott et Crossman, utilisé avec la permission des auteurs.

Le chabot de profondeur est dépourvu de vraies écailles; les tubercules (normalement moins de 30) ne sont présents qu’au-dessus de la ligne latérale, qui est ordinairement complète. On compte normalement 40 vertèbres (Scott et Crossman, 1973).

Le chabot de profondeur se distingue des espèces du genre Cottus par la présence de tubercules en forme de disques sur le haut des flancs, tout le long du corps, et par une séparation distincte entre les deux nageoires dorsales. Il est également doté d’une membrane branchiale non rattachée à l’isthme (McPhail et Lindsey, 1970). Le chabot de profondeur et le chaboisseau à quatre cornes sont, au sens morphologique, très ressemblants, à l’exception des quatre cornes céphaliques présentes seulement sur le dessus de la tête du chaboisseau à quatre cornes (Stewart et Watkinson, 2004).


Description génétique

Kontula (2003), qui a étudié les données de la séquence d’ADNmt du cytochrome b et de l’adénosine triphosphatase (ATPase 6,8) de huit spécimens pris dans le lac Waterton Supérieur et dans le lac Michigan, juge qu’un seul écart phylogéographique distingue le chabot de profondeur du chaboisseau à quatre cornes. Il n’a proposé qu’une désignation de sous-espèce pour le chabot de profondeur (M. q. thompsonii), en raison de la faible divergence de séquence (0,9 p. 100) observée entre le chabot de profondeur et le chaboisseau à quatre cornes. Il signale une très faible diversité haplotypique, avec seulement une à trois différences de nucléotides sur 1 976 paires de bases (pb) (0,05 - 0,15 p. 100) chez le chabot de profondeur. La taille de l’échantillon (n = 8), toutefois, ne suffisait pas à mettre en évidence des détails d’ordre phylogéographique (Kontula et Vainola, 2003).

Sheldon (données inédites) a aussi analysé les populations de chabots de profondeur et de chaboisseaux à quatre cornes (y compris le chaboisseau à quatre cornes des eaux douces arctiques) sur l’ensemble de leur aire de répartition. Pour mieux comprendre le lien entre le chaboisseau à quatre cornes et le chabot de profondeur et pour décrire la diversité régionale propre au chabot de profondeur, il a étudié les données des séquences de la région de régulation de l’ADNmt et les gènes de l’ATPase 6,8 d’un échantillon plus vaste (quelque 300 exemplaires) prélevé à environ 25 emplacements sur l’ensemble du Canada. Tout comme Kontula et Vainola (2003), il a relevé un net écart entre le chabot de profondeur et le chaboisseau à quatre cornes (tant marin que dulcicole). Cependant, son ensemble de données étant plus vaste, ce chercheur a obtenu des divergences de séquences de 1,30 p. 100 et 2,48 p. 100 entre le chaboisseau à quatre cornes et le chabot de profondeur en ce qui concerne l’ATPase 6,8 et la région de régulation respectivement. Ces données moléculaires permettent de penser que l’entrée dans les eaux intérieures et la formation subséquente de l’espèce se sont produites au début du Pléistocène. La diversité régionale du chabot de profondeur est aussi mise en évidence et correspond fort probablement au fait que l’origine des différentes lignées est liée aux refuges (tableau 1, figure 2). Trois clades distincts étaient présents, dont l’un était commun à toute l’aire de répartition de l’espèce. Les clades restants avaient une répartition locale, au lac Fairbank, près de Sudbury, et au lac Waterton Supérieur, dans la partie sud-ouest de l’Alberta (figure 3). La population du lac Waterton Supérieur est particulièrement intéressante, puisqu’elle semble indiquer que le chabot de profondeur peut avoir envahi la région à au moins deux occasions différentes, l’une entre le début et le milieu du Pléistocène et l’autre, après la glaciation wisconsinienne, via les lacs glaciaires. S’appuyant sur ces données génétiques (combinées aux données écologiques), Sheldon et al. (données inédites) proposent la désignation comme espèce à part entière du chabot de profondeur continental d’Amérique du Nord, de sorte que le M. thompsonii devient un taxon de niveau spécifique.

 

Tableau 1 : Divergence des séquences (en %) entre les clades du chabot de profondeur pour l’ATPase 6,8 (sous la diagonale) et la région de régulation (au-dessus de la diagonale)
  Clade (Mississippi) Clade (sud-ouest) Clade (Fairbank)
Clade (Mississippi)   1,85 1,57
Clade (sud-ouest) 0,62   1,35
Clade (Fairbank) 0,53 0,6  

Modifié d’après Sheldon et al., données inédites.


Figure 2 : Structure phylogéographique du chabot de profondeur dans toute son aire de répartition d’après l’ATPase 6,8 et la région de régulation

Figure 2 : Structure phylogéographique du chabot de profondeur dans toute son aire de répartition d’après l’ATPase 6,8 et la région de régulation.


Figure 3 : Lignées mitochondriales du chabot de profondeur dans toute son aire de répartition

Figure 3 : Lignées mitochondriales du chabot de profondeur dans toute son aire de répartition.

Cercles noirs – clade de Fairbank; cercles gris – clade du Mississippi; cercles vides – clade du sud-ouest).


Unités désignables

Les données indiquent que la plupart des populations de chabots de profondeur relèvent de la même lignée d’ADNmt (T. Sheldon, données inédites, figures 2 et 4). Les populations du lac Waterton Supérieur et du lac Fairbank, cependant, semblent appartenir à des lignées mitochondriales distinctes; l’unité du lac Waterton est intéressante en présence de deux clades (figure 3), mais en raison de la petite taille de l’échantillon, il est recommandé qu’ils ne soient pas considérés comme des unités désignables.

La répartition du chabot de profondeur est quelque peu disjointe, et ses populations semblent restreintes à 4 des 14 Aires écologiques d'eau douce (AEED) du Canada (voir COSEPAC, 2004, figure 2). Les emplacements du Québec et de l’est de l’Ontario (figure 4) font partie de l’AEED 10 – Grands Lacs et Ouest du Saint-Laurent; ceux de l’ouest de l’Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan centrale ainsi que la population disjointe du lac Waterton, de l’AEED 4 – Saskatchewan-Nelson; les populations du nord-est de la Saskatchewan, de l’AEED 15 – Ouest de la baie d’Hudson et les emplacements du nord de la Saskatchewan et des Territoires du Nord-Ouest, de l’AEED 13 – Arctique de l’Ouest. Chacune de ces populations pourrait être considérée comme une unité désignable (COSEPAC, 2004) mais, à l’exception des populations des Grands Lacs et du haut Saint-Laurent, il n’existe pas assez d’information sur leur abondance et/ou sur la taille et les tendances de ces populations pour en évaluer individuellement le statut; elles semblent répandues et peu sujettes à une menace immédiate. Nous recommandons, par conséquent, que les populations des AEED 4 (Saskatchewan-Nelson) et 13 (Arctique de l’Ouest) soient évaluées comme une seule unité, celle des populations de l’ouest, et les populations des Grands Lacs et de l’ouest du Saint-Laurent constituent une seconde unité comme étant la plus représentative des considérations biologiques de cette espèce.


Figure 4 : Répartition du chabot de profondeur dans tout le Canada et couverture généralisée des anciens lacs glaciaires à l’échelle de 1 cm:300 km

Figure 4 : Répartition du chabot de profondeur dans tout le Canada et couverture généralisée des anciens lacs glaciaires à l’échelle de 1 cm:300 km.

 

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