Martre d’Amérique, population de Terre Neuve (Martes americana) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Historiquement, les martres étaient étroitement associées aux forêts conifériennes et mixtes matures et surannées dans l’ensemble de leur aire de répartition nord-américaine (Thompson et Curran, 1995; Payer et Harrison, 2003). Dans ces forêts, les éléments structuraux vitaux pour la martre sont un couvert dense, des débris ligneux grossiers, des branches basses et un sous-étage arbustif. Ces éléments offrent une protection contre les prédateurs, un accès subnival aux aires de chasse, de mise bas et de repos (également important pour la thermorégulation) ainsi qu’un habitat pour ses proies.

De récentes études ont révélé que les martres résidentes adultes peuvent aussi utiliser, dans la mesure où les éléments structuraux horizontaux et verticaux importants sont présents, des peuplements partiellement récoltés, des peuplements défoliés par des insectes, des forêts en début de succession se régénérant après une coupe à blanc (synthèse dans Payer et Harrison, 2000 et 2003; voir aussi Potvin et al., 2000; Poole et al., 2004; Hearn et al., 2005) et des forêts brûlées et partiellement brûlées (Paragi et al., 1996). À Terre-Neuve, les martres se sont muées en généralistes de l’habitat, en partie sous l’effet d’une moindre prédation : cela leur permet d’occuper un paysage naturellement fragmenté. Hearn et al. (2005) ont constaté que les martres du sud-ouest de Terre-Neuve sélectionnaient divers types d’habitats dont des peuplements conifériens de milieu de succession et de début de régénération. Des peuplements coupés moins de 20 ans auparavant et des peuplements en régénération dans lesquels des éclaircies précommerciales avaient été pratiquées étaient aussi fréquentés proportionnellement à leur abondance à proximité de forêts matures et surannées.

Des études antérieures effectuées à Terre-Neuve font état d’une préférence pour les forêts anciennes, en particulier les peuplements matures de sapins baumiers (Abies balsamea) (Snyder et Bissonette, 1987; Bissonette et al., 1989; Thompson et Curran, 1995; Forsey et Baggs, 2001). À cette époque, les martres étaient confinées aux forêts anciennes car le piégeage et la pose de collets empêchaient la colonisation d’autres types d’habitats (Hearn et al., 2005; D. Harrison, comm. pers., 2007). Bien que la plus forte abondance de lièvres d’Amérique ait été relevée dans les peuplements secondaires de 40 ans (Thompson et Curran, 1995), la martre, de même que sa proie primaire, le campagnol des champs, y étaient peu nombreux. L’abondance de campagnols des champs était inversement proportionnelle à la densité des arbres et proportionnelle à l’abondance de débris ligneux grossiers. Les campagnols étaient plus abondants dans les peuplements surannés (Thompson et Curran, 1995; Sturtevant, 1996; Sturtevant et Bissonette, 1997).

Les relations entre la martre et son habitat à Terre-Neuve n’ont pas été étudiées à l’époque où toutes les régions occupées historiquement contenaient des populations de martres. Les études ont plutôt débuté après que les populations aient été confinées à des régions inaccessibles de l’île, où l’exploitation forestière et le piégeage sont limités ou absents. Il s’agissait essentiellement de forêts matures et surannées. Selon Hearn et al. (2005), les martres seraient en mesure d’occuper les jeunes forêts, car on y trouve des lièvres d’Amérique dont elles se nourrissent et qu'il est moins impératif d’y chercher refuge contre les prédateurs, moins communs à Terre-Neuve que sur le continent.

Fuller et al. (2006) ont modélisé le pourcentage d’habitat convenable à l’intérieur des domaines vitaux des martres, et ont découvert que la probabilité d’occupation est de 90 p. 100 lorsque les unités d’habitat de la taille du domaine vital contiennent au moins 60 p. 100 d’habitat convenable. La probabilité d’occupation diminue rapidement lorsque la proportion d’habitat convenable présent dans le paysage est inférieure à 60 p. 100. Le taux de diminution de l’occupation est le plus abrupt entre 30 p. 100 et 40 p. 100 d’habitat convenable dans le domaine vital. La quantité moyenne d’habitat convenable dans les domaines vitaux était de 47 p. 100, et 80 p. 100 des martres étudiées avaient ≥ 38 p. 100 d’habitat convenable dans leur domaine vital alors que seulement 6,5 p. 100 des martres en avaient≤ 30 p. 100. Les modèles auxquels des variables relatives à la fragmentation ont été ajoutées n’ont pas produit de résultats différents, ce qui donne à penser que la fragmentation de l’habitat n’est pas une variable aussi importante pour l’occupation du domaine vital que la quantité d’habitat convenable. Les martres du Maine montrent des diminutions dans l’occupation du domaine vital beaucoup plus précocement lorsque le pourcentage d’habitat convenable diminue. Fuller et al. (2006) proposent que les martres de Terre-Neuve ont évolué dans un paysage naturellement fragmenté, et que leur grande taille corporelle et leur domaine vital plus vaste leur permettent d’inclure dans ce dernier un plus grand nombre d’habitats inappropriés. L’habitat convenable comprend des peuplements tués par des insectes, des peuplements soumis à des éclaircies précommerciales, des peuplements conifériens de moyenne et de grande taille à couvert fermé, des peuplements conifériens de grande taille à couvert clair et des peuplements coupés à blanc en régénération (≤ 6.5 m de hauteur, ≥ 75 p. 100 de fermeture du couvert) (Hearn et al., 1995).

Globalement, les éléments attestant d’une préférence des martres pour les forêts matures sont équivoques. Les hauts peuplements conifériens à couvert clair montrent le plus fort indice positif de sélection à la fois à l’échelle du paysage et à l’échelle du peuplement. Les hauts peuplements conifériens à couvert fermé et les peuplements conifériens de hauteur moyenne à couvert clair montrent des valeurs intermédiaires de sélection et sont utilisés selon leur disponibilité. Les valeurs médianes d’abondance de forêts matures et surannées dans la zone étudiée variaient de 20 p. 100 à 40 p. 100. La quantité médiane de forêts matures et surannées dans les domaines vitaux occupés était de 30 p. 100 (Hearn et al., 2005). En revanche, les martres n’ont pas sélectionné de domaines vitaux dominés par des forêts conifériennes matures et surannées à l’échelle du paysage. Les tourbières, les rochers, les landes, les résineux non commercialisables (≤ 6.5 m de hauteur) et les peuplements conifériens de hauteur moyenne à couvert clair comptaient parmi les types inappropriés d’habitat. Au total, la quantité maximale d’habitats inappropriés tolérés dans le domaine vital des martres se chiffre à 35 p. 100 (Hearn et al., 2005).

Tendances en matière d’habitat

Le nouveau modèle d’habitat pour la martre de Terre-Neuve (Hearn et al., 2005) vient brouiller les tendances passées (lors des précédents examens de statut) et actuelles en matière d’habitat. Les projections antérieures concernant le manque d’habitat et les risques de disparition attribuables à l’exploitation forestière, la mortalité forestière naturelle et le piégeage et la pose de collets sont désormais discutables (Thompson, 1991; Schneider et Yodzis, 1994; Schneider, 1997). De même, pour juger de leur pertinence, les prescriptions antérieures concernant l’aménagement forestier devront être évaluées en fonction des besoins en matière d’habitat de la martre de Terre-Neuve, (voir p. ex. Sturtevant et al., 1996; Sturtevant et al., 1997; Thompson et Curran, 1995; Chapin et al., 1998; Hargis et al., 1999; Potvin et al., 2000; Payer et Harrison, 2003).

L’exploitation forestière sur le territoire de Terre-Neuve réduit la quantité de forêts anciennes (Forsey et al., 1995). On a récolté annuellement environ 73,5 km² de forêts matures et surannées entre 1985 et 1993 (Lemon, 1996). Le taux actuel de récolte est d’environ 200 km²/année (B. English, comm. pers., 2006). Alors que l’âge actuel de récolte est de 100 ans, de nombreuses forêts naturelles secondaires seront à l’avenir récoltées lorsqu’elles n’auront qu’entre 60 et 80 ans (B. English, comm. pers., 2006).

Protection et propriété

La majeure partie de l’aire de répartition de la martre se trouve sur des terres publiques (terres de la Couronne). Environ 14 p. 100 de la zone d’occupation actuelle de la martre d’Amérique se trouve dans des aires protégées (27 p. 100 de la zone centrale de Terra-Nova, 6 p. 100 de la zone centrale de la rivière Main et 20 p. 100 de la zone centrale des lacs Little Grand et Red Indian) (J. Brazil et I. Schmelzer, comm. pers., 2007). Parmi les autres aires protégées, on compte des parcs provinciaux et des réserves naturelles. Dix pour cent de la zone d’occupation sont protégés contre la récolte du bois uniquement, 21 p. 100 sont protégés contre le piégeage et la pose de collets, et 18 p. 100 sont compris dans des zones où seuls les pièges et les collets modifiés sont permis (I. Schmelzer, comm. pers., 2007).

Seize pour cent de l’habitat essentiel sont pleinement protégés, 16 p. 100 sont protégés contre la récolte du bois uniquement, 29 p. 100 le sont contre le piégeage et la pose de collets et 28 p. 100 se trouvent dans des zones où seuls les pièges et les collets modifiés sont permis (I. Schmelzer, comm. pers., 2007). L’habitat essentiel compte pour environ 51 p. 100 de la zone d’occupation.

Parmi les aires protégées, on compte les parcs nationaux Gros-Morne (1 805 km²) et Terra-Nova (392 km²). Une récolte limitée de bois s’effectue toujours dans un de ces parcs et dans les sections de la zone d’étude de la martre d’Amérique situées hors des aires protégées. La réserve écologique provisoire du lac Little Grand a été créée en 2002. Cette même année, deux autres aires protégées ont été créées : la réserve naturelle du lac Little Grand (569 km²) et la réserve publique de l’île Glover (178 km²). Un territoire totalisant 6 160 km² a été proposé comme habitat essentiel à des fins de planification de l’aménagement de l’habitat forestier : aucune récolte de bois n’est effectuée dans l’habitat essentiel (J. Brazil, comm. pers., 2007).

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