Martre d’Amérique, population de Terre Neuve (Martes americana) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

Taille et tendances des populations

En raison du peu de données venant d’études sur le terrain et d’une cartographie incorrecte ou désuète de l’habitat convenable, il est difficile d’estimer avec précision la taille de la population de la martre de Terre-Neuve. Que les sous-populations soient de petite taille, réparties sur un vaste territoire et, possiblement, isolées et que la qualité de l’habitat varie sur l’ensemble de l’aire de répartition des populations ajoute encore à cette difficulté. Snyder et Hancock (1985) ont estimé – en se fondant sur des densités dérivées d’études par capture d’animaux vivants, la répartition établie à partir d’un questionnaire destiné aux trappeurs et l’emplacement des observations et des mortalités accidentelles – que la taille de la population était de 630 à 875 individus. Ils ont délimité des zones de « haute densité » et de « basse densité » de martres dans l’ouest de Terre-Neuve, et ont présumé qu’il n’y avait aucune population dans le secteur de Terra Nova malgré les déplacements qui y ont été effectués en 1982-1983 (Slough, 1994). Ils ont présumé que la superficie totale de la zone d’occupation était de 13 354 km², desquels 4 551 km² constituaient une zone de haute densité.

En se fondant sur les superficies des domaines vitaux contenant de l’habitat convenable de 7 martres résidentes (6,64 km² pour les femelles et 9,19 km² pour les mâles) et sur la superficie de l’habitat disponible (561 km² de peuplements conifériens et mixtes matures), Bissonette et al. (1988) ont estimé la présence de 150 martres dans les 790 km² de la zone d’évaluation environnementale.

I. Thompson (comm. pers. citée dans Forsey et al., 1995) a estimé que la population de Terre-Neuve se composait de 300 martres. Cette estimation a été établie d’après des densités estimées par Bissonette et al. (1988), une analyse des habitats disponibles et la distribution connue (600 km² d’habitat de qualité, y compris Terra Nova). Cette estimation est très proche de l’estimation de la taille minimale de la population viable de 237 individus (Thompson et Harestad, 1994).

La réintroduction des martres dans le parc national Terra Nova dans les années 1980 a permis l’établissement d’une population de 25 à 30 individus (Gosse et al., 2005). Les superficies estimées des domaines vitaux, à savoir 29,5 km² pour les mâles et 15,2 km² pour les femelles, sont considérablement plus grandes qu’ailleurs en Amérique du Nord, ce qui témoigne d’une faible diversité et d’une faible abondance des proies (Gosse et al., 2005) et d’un paysage naturellement fragmenté (Hearn et al., 2005). Fuller et al.(2006) font état de domaines vitaux de martres de Terre-Neuve d’une superficie de 30,8 km²pour les mâles et de 12,8 km² pour les femelles. La démographie et l’utilisation de l’habitat de la martre ont été étudiées dans le sud-ouest de Terre-Neuve entre 1995 et 2000 (Hearn et al. 2005). Cent soixante-huit martres, dont 97 adultes, ont été capturées à l’intérieur d’une zone de 2 278 km² en 5 ans, offrant une estimation du nombre minimal d’individus composant la population dans cette région.

I. Schmelzer (comm. pers., 2007) a combiné des données sur la distribution de la martre, des densités régionales et une probabilité d’occupation dans différents types d’habitat en vue d’estimer des tailles de populations. La distribution reposait sur des données d’études par capture d’animaux vivants, de captures accidentelles, de radiotélémétrie, de points d’appât et d’observations anecdotiques vérifiées pour la période 1990 à 2006. Quelques sites éloignés des zones centrales et périphériques ont été exclus puisqu’ils représentaient peut-être des cas de vagabondage. Les sites fréquentés par la martre ont été classifiés dans la catégorie « adulte », « juvénile » ou « inconnu » (figures 2 et figure3). Des zones d’occurrence centrales et périphériques ont été délimitées en se fondant sur les sites dans lesquels des martres ont été confirmées entre 1990 et 2006 – les zones centrales englobaient des régions occupées par des individus confirmés en tant qu’adultes résidents et les zones périphériques englobaient des juvéniles ou des individus d’âge inconnu, sans doute non résidents. Les densités ont été calculées pour les trois plus grandes zones centrales (95 p. 100 de la superficie de la zone centrale) en divisant la zone, où les tentatives de capture sont les plus susceptibles de réussir, de chaque région par la somme du nombre d’individus distincts capturés et du nombre d’individus munis d’un émetteur radio relocalisés dans cette zone. Deux valeurs de densité distinctes ont été calculées pour chacune des zones centrales : la première, une valeur de « haute densité », repose sur une estimation de la taille de la population présente dans la zone de piégeage effectif en 2006; la deuxième, une valeur de « densité moyenne », repose sur la densité moyenne de toutes les années de capture à chacun des sites. Les valeurs de densité moyenne allaient de 0,04 à 0,08 martre/km² et les valeurs de haute densité de 0,09 à 0,14 martre/km². On a présumé que les densités en zones périphériques correspondaient à 20 p. 100 des densités en zones centrales, soit 0,016 martre/km². On a aussi présumé que les densités des zones étudiées étaient représentatives de celles du paysage et qu’elles pouvaient être extrapolées pour chacune des zones centrales.

L’habitat a été modélisé selon la méthode de Fuller et al. (2006) au moyen des classes d’habitat décrites comme « convenables » dans Hearn et al. (2005). Ce modèle repose sur une analyse qui donne à penser que la variable la plus importante pour prédire la présence de la martre est la quantité d’habitat convenable à l’intérieur d’un domaine vital potentiel. Quatre seuils d’occupation allant de 60 p. 100 à 89 p. 100 ont été sélectionnés en tenant compte des proportions d’habitat convenable observées chez les martres étudiées ainsi que de la sensibilité et de la spécificité du modèle, et en tentant d’y inclure une forte proportion (85 p. 100) des domaines vitaux potentiels. Ce modèle supposait qu’il n’y avait pas de différences dans l’utilisation de l’habitat selon les sexes, et qu’une description dichotomique (« utilisé » par rapport à « inutilisé ») de l’habitat était suffisante pour déterminer la probabilité d’occupation.

Comme il y a une relation positive entre la probabilité d’occupation et la quantité d’habitat convenable dans un domaine vital potentiel (Fuller et al., 2006), il serait irréaliste de présumer un taux d’occupation constant pour des régions composées de quantités variables de types d’habitats convenables. Par conséquent, la taille de la population a été estimée en faisant le produit : de la somme des zones (rattachées à chacun des seuils d’occupation de l’habitat); des densités « moyenne » et « haute » de chaque zone centrale et de la zone périphérique; et de la probabilité d’occupation. La probabilité d’occupation a été établie au moyen de deux méthodes.

La première méthode consiste en la probabilité d’occupation rattachée à chacun des seuils d’occupation prédits par le modèle (soit le produit de la superficie d’habitat pour chacun des quatre seuils d’occupation calculés par Fuller et al. (2006), de la densité de martres (valeurs moyenne et haute, respectivement) et de la probabilité d’occupation pour chacun des quatre seuils de probabilité). L’estimation obtenue au moyen de cette méthode est de 561 à 852 martres (tableau 1a, probabilité d’occupation).

Tableau 1a. Estimations de la taille de la population de martres de Terre-Neuve (2007) Note de tableaua basées sur la probabilité d’occupation
Région Superficie (km²) Estimation moyenne de la densité de martres Estimation forte de la densité de martres
Total
23 483
561
852
Rivière Main
2 177
117
190
Terra Nova
2 829
55
102
Lac Little Grand/lac Red Indian
6 232
310
481
St. Georges
590
16
16
Périphérie
11 555
63
63

La deuxième méthode utilise la relation empirique exprimée dans le taux cumulé d’occupation de tous les domaines vitaux en fonction du pourcentage d’habitat convenable compris dans le domaine vital de l’ensemble des martres étudiées (fonction de décroissance cumulative) (on multiple la superficie par la densité comme ci-dessus, mais la probabilité d’occupation est établie en fonction de la proportion de martres qui demeurent dans le domaine vital lorsque la proportion d’habitat convenable atteint chacun des quatre seuils d’occupation). L’estimation résultant de cette méthode de calcul est de 438 à 661 individus (tableau 1b, fonction de décroissance cumulative).

Tableau 1b. Estimations de la taille de la population de martres de Terre-Neuve (2007) Note de tableaub basées sur la fonction de décroissance cumulative
Région Superficie (km²) Estimation moyenne de la densité de martres Estimation forte de la densité de martres
Total
23 483
438
661
Rivière Main
2 177
94
153
Terra Nova
2 829
47
80
Lac Little Grand/lac Red Indian
6 232
237
368
St. Georges
590
14
14
Périphérie
11 555
46
46

Bien que ces estimations ne puissent être directement comparées à celles de Snyder et Hancock (1985) et de I. Thompson (comm. pers. relatée dans Forsey et al., 1995), elles reposent sur de meilleurs données et devraient être plus exactes. L’aire de répartition probable de la martre est définie de façon plus large et est plus étendue qu’en 1985 et 1995. Cela porte à croire qu’il y a eu des gains de distribution (équivalant à 10 000 km²) dans les régions de la rivière Main et de Terra Nova. La taille de la sous-population est particulièrement importante dans la région de la rivière Main et 75 p. 100 de cette zone centrale contient de l’habitat dont la probabilité d’occupation dépasse 78 p. 100. On prévoit effectuer de nouveaux relevés dans les zones périphériques afin de déterminer des densités réelles, et ajouter de nouvelles zones centrales au moyen de multiples activités d’utilisation des terres (J. Brazil, comm. pers., 2007). Les valeurs de haute densité sont probablement surestimées pour ce qui est des aires non protégées où le piégeage du lièvre est encore pratiqué.

Les estimations de la population incluent toutes les classes d’âge. Les juvéniles non reproducteurs (âgés de 12 mois et moins) composent environ 22 p. 100 de la population. En supposant une proportion égale des sexes et un taux de gestation de 60 p. 100 pour les femelles qui sont dans leur deuxième année et de 100 p. 100 pour les femelles plus âgées, l’estimation la plus conservatrice de 438 individus comprendrait 150 femelles reproductrices environ, réparties entre les quatre principales zones centrales. On a estimé qu’il y aurait de 320 à 622 individus « matures » (soit les femelles reproductrices ainsi que tous les mâles âgés de plus de 12 mois).

Les modèles de probabilité de disparition de la martre à Terre-Neuve fondés sur le paradigme des forêts anciennes ne sont plus valides (Thompson, 1991; Schneider et Yodzis, 1994; Schneider 1995, 1997). La mortalité additive résultant du piégeage du lièvre au collet continue toutefois d’empêcher la martre de coloniser des habitats inoccupés.

Fluctuations et tendances 

Un déclin démographique à long terme s’est sans doute amorcé entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle (Bergerud, 1969; Snyder, 1985; J. Brazil, comm. pers., 2006, sommaire de comptes rendus historiques). Des sous-populations de martres ont récemment augmenté leurs effectifs dans les régions de Terra Nova et de la rivière Main à la suite de déplacements effectués dans les années 1980. La protection de l’habitat et les efforts visant à réduire la capture accessoire ont aidé à stabiliser les populations et ouvrent la voie à un accroissement de la population.

Les populations de martres varient généralement en fonction des fluctuations dans les populations de microtinés dont elles se nourrissent; les proies substituts amenuisent les fluctuations. On croyait que les martres de Terre-Neuve étaient fortement tributaires du campagnol des champs, qui privilégie les forêts anciennes (Sturtevant et Bissonette, 1997) et qui est soumis à des fluctuations. Le lièvre d’Amérique occupe des peuplements conifériens plus jeunes et est une importante proie substitut, surtout en hiver (Gosse et Hearn, 2005). Les grands domaines vitaux et la très grande variabilité interannuelle dans la superficie du domaine vital (de 6,37 à 67,24 km² pour les mâles et de 4,35 à 46,5 km² pour les femelles; Gosse et al., 2005) témoignent sans doute de la faible diversité et de la faible abondance des proies ainsi que de la fragmentation élevée de l’habitat (B. Hearn, comm. pers., 2006).

Effet d’une immigration de source externe

Aucune population avoisinante de la sous-espèce Martes americana atrata n’est susceptible d’immigrer à Terre-Neuve. Il n’existe aucune possibilité que la population terre-neuvienne, distincte de par sa génétique et son écologie, ne bénéficie d’une immigration de source externe.

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