Couleuvre à nez plat (Heterodon platirhinos) évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Habitat

 

Besoins en matière d’habitat 

Peu de recherches écologiques se sont penchées sur la couleuvre à nez plat, en particulier au Canada. Toutefois, les études existantes offrent un bon aperçu des besoins en matière d’habitat de l’espèce. Platt (1969) a décrit six caractéristiques définissant l’habitat privilégié duHeterodon platirhinos : un terrain bien drainé; un sol meuble ou sablonneux; un couvert végétal ouvert, comme une forêt claire; un terrain broussailleux ou une lisière de forêt; la proximité d’un plan d’eau; des conditions climatiques typiques de la forêt de feuillus de l’est. Une étude de l’utilisation de l’habitat dans le parc provincial Wasaga Beach, en Ontario, a révélé que l’H. platirhinosprivilégie les zones forestières et les terres humides adjacentes aux plantations de conifères, et que les prés et les terrains actuellement utilisés par l’humain (zones urbaines, agricoles, etc.) conviennent moins à l’espèce (Cunnington, 2004b). Les couleuvres à nez plat se trouvant dans des zones riveraines, comme les parcs provinciaux Rondeau et Long Point, occupent souvent le bois flotté et d’autres abris au sol dans les habitats de plage et de dune riveraine (Seburn 2005), où vit leur proie de prédilection, le Bufo fowleri.

Une étude par télémétrie menée au sud de Parry Sound, en Ontario, suggère que, à l’échelle du paysage, les couleuvres à nez plat de cette région préfèrent les prés, les zones sablonneuses, les terrains modifiés par l’humain (à savoir, les résidences privées, les terrains de camping, les carrières de sable ou de gravier) et les habitats forestiers aux habitats rocheux, humides et aquatiques (Rouse, 2006). Dans l’étude de Parry Sound, les individus localisés par télémétrie étaient uniformément répartis parmi les différents types d’habitat; une telle distribution concorde avec la nature vagile de l’espèce et ses déplacements tortueux (en « zigzag » plutôt que linéaires) (Rouse, 2006). Il existe peu de données sur l’utilisation de l’habitat par les juvéniles dans toute l’aire de répartition de l’espèce, mais, dans le comté de Norfolk, les juvéniles semblent utiliser le même habitat que les adultes, y compris les refuges et les sites de thermorégulation (S. Gillingwater, comm. pers.). De même, les nouveau-nés observés au parc provincial Rondeau utilisent, peu après l’éclosion, les mêmes matériaux pour s’abriter que ceux qu’utilisent les adultes (S. Gillingwater, comm. pers.).

Les adultes sont très mobiles pour des couleuvres et possèdent un domaine vital dont la superficie peut dépasser 100 ha (Cunnington, 2004b). Des déplacements journaliers de 100 m ont été relevés (Cunnington, 2004b), et la distance maximale parcourue en ligne droite durant une saison active est de près de 5 km (Rouse, 2006). Les distances réellement parcourues peuvent cependant être largement supérieures, car l’espèce suit un parcours tortueux à la recherche de proies ou de partenaires (Rouse, 2006).

La couleuvre à nez plat étant un prédateur spécialisé, il est important de tenir compte des besoins en matière d’habitat des crapauds d’Amérique et des crapauds de Fowler dans toute discussion sur la survie de l’espèce. Selon Harding (1997), les déclins locaux de populations de crapauds signalés dans certaines parties de la région des Grands Lacs, s’ils se poursuivaient, constitueraient une menace supplémentaire à la survie de la couleuvre à nez plat qui, ajoutée aux autres menaces, causerait un déclin de la population. Crewe et al. (2005) avancent qu’il existe des déclins chez les populations de crapauds d’Amérique à l’échelle du bassin des Grands Lacs, mais les conséquences de ces présumés déclins sur la couleuvre à nez plat sont inconnues.

Tendances en matière d’habitat 

La majeure partie de l’habitat de la couleuvre à nez plat dans le sud de l’Ontario a été détruit par l’aménagement des terres au profit de l’agriculture et de l’urbanisation (Bakowsky et Riley, 1992; Snell, 1987). Dans la majeure partie de l’aire de répartition de l’espèce, les sols sablonneux bien drainés privilégiés par l’Heterodon platirhinossont également les sols les plus propices à l’agriculture (Armason, 2001; W. Chesworth, comm. pers., 2007), aux activités récréatives de plage et aux sports aquatiques (p. ex. le parc provincial Wasaga Beach). La plupart des alentours du parc provincial Wasaga Beach ont été urbanisés et ne constituent plus un habitat convenable pour la couleuvre. À l’extrémité nord de l’aire de répartition, dans le Bouclier canadien (district de Parry Sound et les environs, près des Muskokas), l’habitat terrestre des hautes terres privilégié par la couleuvre à nez plat est modifié et fragmenté par la construction de chalets et l’expansion concomitante du réseau routier et des voies d’accès (voir les figures 3 et 4.).

Figure 3. Carte de la région de la baie Georgienne montrant les routes, les bâtiments, les parcs provinciaux, les réserves de conservation et les occurrences d’éléments de couleuvres à nez plat. L’expansion du réseau routier et le développement qui y est associé isolent de plus en plus des populations de couleuvres à nez plat partout dans leur aire de répartition ontarienne, mais ce phénomène est plus grave dans la région du sud de la baie Georgienne (voir le texte)

 

Figure 3. Carte de la région de la baie Georgienne montrant les routes, les bâtiments, les parcs provinciaux, les réserves de conservation et les occurrences d’éléments de couleuvres à nez plat. L’expansion du réseau routier et le développement qui y est associé isolent de plus en plus des populations de couleuvres à nez plat partout dans leur aire de répartition ontarienne, mais ce phénomène est plus grave dans la région du sud de la baie Georgienne (voir le texte).

L’habitat naturel en Ontario, dans le sud du Bouclier canadien, est plus fragmenté que dans toute autre région de superficie comparable du bassin des Grands Lacs (Riley et Mohr, 1994; Larson et al., 1999). Cette fragmentation est accentuée par la densité routière par habitant la plus élevée du monde (Forman et al., 2003). La densité routière dans la région du Bouclier canadien occupée par la couleuvre à nez plat ne cesse d’augmenter (Taylor et al., 2001, figure 3), et l’expansion du réseau routier s’est récemment accélérée avec le prolongement de l’autoroute à quatre voies traversant le cœur de la région de la baie Georgienne vers le nord jusqu’à Parry Sound. Ce prolongement se poursuivra dans le reste de l’habitat de la couleuvre à nez plat pour atteindre la limite nord de son aire de répartition (Ontario Government Notice of Study Completion and Filing of Design and Construction Report, le 19 juin 2007). Ce prolongement de l’autoroute attirera beaucoup plus de gens vers la région et stimulera la construction d’autres routes dans des aires récréatives et des territoires d’aménagement forestier. Il a été démontré que l’abondance des couleuvres à moins de 500 m des routes représente moins de la moitié de l’abondance à plus de 850 m de routes-ci (Rudolph et al., 1999).

Figure 4. Carte de la côte sud de la baie Georgienne montrant les routes et les bâtiments (représentés par des points noirs)

Figure 4. Carte de la côte sud de la baie Georgienne montrant les routes et les bâtiments (représentés par des points noirs).

Figure 5. Carte de la zone d’occurrence de la couleuvre à nez plat et des aires protégées qui s’y trouvent.

Figure 5. Carte de la zone d’occurrence de la couleuvre à nez plat et des aires protégées qui s’y trouvent. (Remarque : La couleuvre à nez plat est probablement disparue du parc provincial Algonquin, qui est de loin la plus grande aire protégée dans l’aire de répartition présumée de l’espèce; Brooks et al., 2003). L’absence apparente d’aires protégées, en particulier dans le sud-ouest de l’Ontario, s’explique par le fait que celles-ci sont trop petites pour paraître à l’échelle de cette carte. (Carte préparée par J.F. Crowley).

Protection et propriété 

Certaines des populations connues se trouvent dans des aires protégées, comme les parcs provinciaux Pinery, Komoka, Rondeau et Wasaga Beach (tableau 1). Cependant, les couleuvres vivant dans ces parcs sont encore tuées par des visiteurs et des résidents des environs, que ce soit délibérément ou accidentellement sur les routes. À titre d’exemple, pendant des relevés des couleuvres dans le parc provincial Rondeau menés en 2000-2001, Gillingwater a interviewé plusieurs résidents de chalets à l’intérieur du parc qui ont admis avoir tué des couleuvres à nez plat et d’autres espèces de couleuvres, et deux personnes ont affirmé qu’elles continueraient de le faire (S. Gillingwater, comm. pers., courriel de mai 2007). En 2001, trois couleuvres à nez plat ont été trouvées mortes sur les routes du parc provincial Rondeau. Pendant un échantillonnage irrégulier mené pendant 23 journées en septembre et en octobre 2001, 241 couleuvres ont été trouvées mortes sur un seul tronçon d’une seule route dans le parc provincial Rondeau (Gillingwater et Brooks, 2002). Par ailleurs, seulement deux d’entre elles étaient des couleuvres à nez plat, car l’abondance de l’espèce avait considérablement diminué dans ce parc (Schueler, 1997). Dans le parc provincial Pinery, la couleuvre à nez plat était l’espèce de couleuvre que l’on trouvait le plus fréquemment morte aux abords des routes (Brad Steinberg, comm. pers., 2007), mais, depuis 2003, la population de l’espèce semble avoir subi un déclin important et on ne la rencontre que rarement aujourd’hui (A. MacKenzie, comm. pers., 2007). De même, dans la partie nord de l’aire de répartition de la couleuvre à nez plat, il a été démontré que la mortalité sur les routes est un facteur important chez la couleuvre fauve de l’Est (Elaphe gloydii) du parc provincial Killbear, au point où ces couleuvres ont un taux de mortalité plus élevé à l’intérieur qu’à l’extérieur du parc (A. Lawson, comm. pers., 2007). Une autre étude sur cette espèce révèle que 9 mortalités sur 13 surviennent dans des aires protégées (MacKinnon, 2005). Une modélisation détaillée des facteurs influant sur la mortalité sur les routes à l’intérieur et dans les environs du parc national Pointe-Pelée et du parc provincial Rondeau a démontré que les taux de mortalité des couleuvres par kilomètre par jour sont plus élevés à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces parcs (Farmer, 2006). Il est probable que ce phénomène soit davantage dû au fait qu’il y a plus de couleuvres et d’habitat convenable à l’intérieur des parcs; malgré tout, les routes et l’achalandage des parcs font de ces aires protégées un refuge de piètre qualité pour les couleuvres (Lawson, 2004).

Dans l’ensemble, moins de 3 p. 100 de l’aire de répartition canadienne des couleuvres à nez plat se trouve dans des parcs provinciaux, et seulement 1,7 p. 100, dans des réserves de conservation (Crowley, 2006). Seulement 3 p. 100 des parcs provinciaux de l’Ontario situés dans l’aire de répartition de l’espèce sont dépourvus de routes (Crowley, 2006). Moins de 1 p. 100 du sud de l’Ontario est protégé, et presque toutes les aires protégées y sont de petite taille et isolées (Kerr et Cihlar, 2004; figure 5). Tel que souligné par Rivard et al. (2000) dans une revue exhaustive des parcs nationaux du Canada, il est possible que les parcs ne suffisent pas à protéger des espèces qui ont disparu de la région environnante, car la disparition de ces aires protégées est davantage liée à des phénomènes de disparition régionaux qu’aux caractéristiques du parc. Il semble évident que ce phénomène est fort probablement ressenti dans les plus petits parcs, ceux-ci étant davantage touchés par les activités de développement de la région environnante (Rivardet al., 2000; Crowley, 2006).

Bien que des couleuvres à nez plat aient été observées au nord de la rivière des Français (figure 2), la plupart des enregistrements récents dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent proviennent du tiers sud de la région de la baie Georgienne et à l’est de celle-ci, aux environs de Wasaga, ainsi qu’à Muskoka et à l’est de la région de Peterborough (figure 2). Cette région connaît un développement rapide et a peut-être le taux et la densité d’activités et de développement récréatifs les plus élevés dans le Bouclier canadien (figures 3 et 4). En effet, la région de Wasaga/Port Severn dans le comté de Simcoe (voir les figures 2, 3 et 4) semble un foyer de couleuvres à nez plat; il est donc préoccupant de constater que Wasaga est actuellement l’une des municipalités ayant la croissance la plus rapide de l’Ontario (Watters, 2003). Le parc provincial Wasaga Beach est encerclé par le développement. Malgré l’absence de routes publiques dans ce parc, sa petite taille (il est plus petit que le domaine vital d’un seul individu) et l’utilisation intensive des environs font en sorte que les couleuvres soient tuées sur les routes ou confinées au parc (Cunnington, 2004a). Étant donné que les parcs provinciaux mentionnés ne sont pas contigus, le croisement entre les individus vivant dans ces aires séparées n’est pas possible (c’est-à-dire qu’il y a peu de possibilités de recolonisation et une tendance grandissante vers la consanguinité et la perte de diversité génétique). Bien que les populations dans les parties les plus septentrionales de l’aire de répartition soient parfois plus ou moins contiguës, la majorité de l’habitat n’est pas protégé et est soumis actuellement au développement et à la privatisation des terres. La majeure partie de la côte sud de la baie Georgienne est parsemée de chalets, et les routes d’accès à ceux-ci continuent de se multiplier (C. MacKinnon, comm. pers., 2007; J. Rouse, comm. pers., 2007; figure 4).

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