Milandre (Galeorhinus galeus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Les connaissances actuelles sur les paramètres du cycle vital des élasmobranches du Pacifique sont résumées dans une base de données créée par le Pacific Shark Research Centre (site disponible en anglais seulement) aux Moss Landing Marine Laboratories. La base comprend des données à jour sur la taxinomie, la répartition géographique, l’âge et la croissance, la longévité, la reproduction, la démographie, les relations trophiques, l’utilisation de l’habitat, la génétique, le recrutement, la mortalité et le comportement de 102 espèces. Le présent document s’appuie sur cette base de données comme résumé faisant autorité de l’état des connaissances sur le milandre dans le nord-est du Pacifique.

Aucune recherche n’a été menée sur le milandre en eaux canadiennes. Les données sur l’espèce en eaux états-uniennes se limitent à des travaux de recherche effectués après l’importante pêche de la fin des années 1930 et du début des années 1940 (Ripley, 1946). Les données biologiques les plus récentes et les plus complètes sur le milandre concernent des populations autour de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande qui sont visées par des pêches commerciales et, dans une moindre mesure, des populations du nord-est de l’Atlantique. Il faut remarquer que les caractéristiques du cycle vital du milandre peuvent varier d’un bassin océanique ou d’un hémisphère à l’autre.

Cycle vital et reproduction 

Dans le nord-est du Pacifique, une seule étude montrant que peu de femelles portent des œufs non fécondés en mai (Ripley, 1946) laisse penser que la fécondation a lieu surtout au printemps. On en sait peu sur le comportement de reproduction du milandre. Son cycle de reproduction serait de 1 an dans le nord-est du Pacifique (Ripley, 1946), de 2 ans autour de l’Australie (Olsen 1954) et irait jusqu’à 3 ans au large du Brésil (Peres et Vooren, 1991). On estime que la période de gestation dure 12 mois (Ripley, 1946; Last et Stevens, 1994). Le milandre est ovovivipare : à la fin de la gestation, les femelles, selon leur taille, portent de 6 à 52 petits (Ripley, 1946; Compagno, 1984; Ebert, 2003). Dans le nord-est du Pacifique, la parturition aurait lieu entre mars et juillet, les petits mesurant en moyenne de 35 à 37 cm de longueur (Ripley,1946).

Les milandres du Brésil, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande affichent une croissance rapide durant leurs 3 premières années de vie, puis une croissance constante jusqu’à l’âge d’environ 10 ans, et ils continuent de croître lentement durant la maturité (Peres et Vooren, 1991; Moulton et al., 1992; Francis et Mulligan, 1998). Dans le nord-est du Pacifique, la longueur maximale est de 195 cm pour les femelles et de 175 cm pour les mâles. La détermination de l’âge et de la longévité est restreinte par la difficulté de lire les coupes de vertèbres (Compagno 1984). La technique de détermination de l’âge aux rayons X employée au Brésil (Peres et Vooren, 1991) est jugée plus fiable que la technique australienne de coloration à l’alizarine du corps entier de la vertèbre (Moulton et al., 1992). Ferreira et Vooren (1991) ont observé chez le milandre brésilien une croissance lente et un âge maximal de 40 ans, tandis que Moulton et al. (1992) ont fait état d’une croissance plus rapide et d’un âge maximal de 20 ans en Australie. On estime toutefois que le milandre australien peut vivre au moins 45 ans, car Moulton et al. (1989) ont observé un individu marqué 35 ans auparavant.

Dans une étude menée en Nouvelle-Zélande, Francis et Mulligan (1998) ont observé que les femelles atteignent la maturité vers 13 à 15 ans et que les mâles l’atteignent vers 12 à 17 ans. Dans l’est du Pacifique, les femelles atteignent la maturité à une longueur totale de 150 cm, et les mâles, à une longueur de 135 cm.

Le temps de génération, soit l’âge moyen des parents de la nouvelle cohorte, est estimé comme l’âge auquel 50 p. 100 des femelles atteignent la maturité + 1/M, où M est le taux instantané de mortalité naturelle. Or, Smith et al. (1998) ont estimé ce taux à 0,113 pour le milandre de l’est du Pacifique, et, selon Francis et Mulligan (1998), 50 p. 100 des femelles atteignent la maturité vers l’âge de 14 ans. Le temps de génération est donc de 14 + 1/0,113 = 23 ans.

Herbivores et prédateurs

Le milandre est la proie d’autres élasmobranches, notamment le requin blanc (Carcharadon carcharias) et le requin plat-nez (Notorynchus cepedianus), et peut-être aussi de mammifères marins (Ebert, 2003). En Nouvelle-Zélande, des pêcheurs commerciaux ont observé des épaulards (Orcinus orca) emporter du milandre pris à des palangres (Visser, 2000).

Déplacements et dispersion

On comprend peu les déplacements du milandre dans le nord-est du Pacifique. Les seules données à cet égard sont les captures signalées dans les pêches commerciales de la Californie de 1941 à 1944 et le petit nombre de recaptures de milandres marqués. Le milandre semble généralement effectuer des migrations verticales et latitudinales qui varient selon le sexe et la saison (Ripley, 1946). Ripley (1946) a déterminé qu’au large de la côte nord de la Californie, les mâles constituaient 97,5 p. 100 des prises (N = 5 724) alors que les femelles représentaient 97,8 p. 100 des captures sur la côte sud (N = 5 020). Sur la côte centrale, les proportions étaient à peu près égales. Dans le sud de la Californie, le milandre est le plus accessible pour la pêche au printemps et à l’été, tandis que dans le nord, il est plus abondant d’octobre à décembre. Quant à la profondeur des captures, 98 p. 100 (N = 5 025) des femelles capturées dans le sud de la Californie ont été prises à moins de 37 m, et 87 p. 100 à moins de 18 m. Par contre, dans le nord de la Californie, 97 p. 100 des mâles capturés l’ont été à plus de 37 m de profondeur, et 40 p. 100, à plus de 90 m. En résumé, les femelles occupent des eaux peu profondes dans le sud de la Californie au printemps, et les males fréquentent les eaux profondes du nord de l’État à l’automne.

Le milandre a fait l’objet de 3 études de marquage dans la région allant du sud de la Californie au détroit d’Hecate (N = 427, 6 recaptures) : une menée par la California Division of Fish and Game en 1943 (N = 80, 1 recapture), une autre menée par des pêcheurs volontaires en Californie en 1949 (N = 38, 3 recaptures), et l’étude de 2 ans réalisée par des pêcheurs commerciaux de l’Oregon en 1948 (N = 18, 0 recapture) et en 1949 (N = 291, 2 recaptures), résumée dans Herald et Ripley (1951). Deux femelles marquées en Californie ont été recapturées en eaux canadiennes, à une distance de quelque 1 600 km, dans le détroit d’Hecate et au large de la côte ouest de l’île de Vancouver au bout d’environ 3 mois et de 26 mois, respectivement (tableau 1). Quatre autres recaptures ont été faites de 121 à 306 km du site de marquage. Un mâle marqué près du cap Scott, à l’île de Vancouver, a été recapturé seulement 2 jours plus tard, environ 121 km plus loin dans le détroit de la Reine-Charlotte. Ces quelques données laissent croire qu’au moins une certaine partie de la population effectue de longues migrations et que le milandre peut parcourir de longues distances en peu de temps.

Tableau 1. Résumé des recaptures de milandres marqués dans le nord-est du Pacifique
Source : Herald et Ripley (1951)
Date de marquage
(jj/mm/aaaa)
Sexe Étude Lieu approx. du marquage Date de recapture (jj/mm/aaaa) Temps / distance Lieu de recapture
18/07/1943
F
California Fish & Game Ventura (Californie)
11/09/1945
26 mois/
1 600 km N
Baie Nootka (Colombie-Britannique)
20/01/1949
M
Pêcheurs de la Californie Baja (Californie)
05/07/1949
5,5 mois/
160 km N
San Diego (Californie)
18/05/1949
F
Pêcheurs de la Californie Pointe Mugu (Californie)
29/08/1949
3,3 mois/
1 760 km N
Détroit d’Hecate (Colombie-Britannique)
23/05/1949
F
Pêcheurs de la Californie Pointe Malibu (Californie)
27/05/1949
4 jours/
150 km S
Encinitas (Californie)
07/05/1949
M
Pêcheurs de l’Oregon Pointe Sur (Californie)
28/08/1949
2,7 mois/
144 km N
Baie Halfmoon (Californie)
05/08/1949
M
Pêcheurs de l’Oregon Cap Scott (Colombie-Britannique)
07/08/1949
2 jours/
120 km E
Détroit de la Reine-Charlotte (Colombie-Britannique)

Ailleurs au monde, les études de marquage ont été bien plus grandes. Ainsi, en Australie, des années 1940 aux années 1990, 9 638 milandres ont été marqués, dont 1 011 ont été recapturés (Walker 1999). Pour les 301 recaptures faites durant les années 1990, 65 p. 100 des grosses femelles (longueur totale, ou LT, supérieure à 104 cm) ont été recapturées à plus de 500 km du lieu de marquage, 20 individus mâles ou femelles avaient parcouru plus de 1 000 km, et la distance moyenne entre les lieux de marquage et recapture s’est chiffrée à 415 km (Walker et al., 1997). Le plus long déplacement observé est la distance de 3 016 km qu’a parcourue une femelle marquée (LT de 156 cm au marquage) dans la Grande Baie australienne et recapturée 1 033 jours plus tard près de la côte sud-est de l’île Sud de la Nouvelle-Zélande. Des études de marquage dans le nord-est de l’Atlantique ont également mis en évidence de longs déplacements : des milandres marqués au large de l’Angleterre et de l’Irlande ont été recapturés jusqu’en Islande (2 416 km), aux Açores et aux îles Canaries.

Les déplacements généraux du milandre observés en Australie et dans le nord-est de l’Atlantique semblent indiquer qu’il effectue une migration verticale saisonnière : il se déplacerait ainsi en eaux relativement profondes durant les mois les plus froids et retournerait près des côtes au printemps pour donner naissance (Walker, 1999).

Relations interspécifiques

Ripley (1946) est le seul à avoir documenté le régime alimentaire du milandre dans le nord-est du Pacifique. Ce requin est un prédateur opportuniste qui se nourrit de plusieurs espèces de poissons en milieux pélagique et benthique (Ebert, 2003). Ses proies comprennent des poissons, clupéidés (Sardinops sagax), poissons plats (pleuronectiformes), pilotin tacheté (Porichthys notatus), scorpènes (scorpaenidés), scombridés (maquereau) et embiotocidés (ditrème), ainsi que des céphalopodes  (teuthoidés) (Ripley, 1946). Récemment, Morato et al. (2003) ont observé que du milandre adulte dans le nord-est de l’Atlantique se nourrissait presque exclusivement de poissons (98,8 p. 100 en poids), alors que Walker (1989) a trouvé qu’il s’alimentait à 47 p. 100 de poissons téléostéens et à 37 p. 100 de céphalopodes en Australie. Son régime alimentaire varie sans doute considérablement selon la saison et la taille de l’individu. 

Adaptabilité

La vaste répartition du milandre dans le monde indique que l’espèce peut survivre dans divers milieux. Le milandre peut vraisemblablement s’adapter aux fluctuations naturelles de l’environnement, comme des changements dans les types de proies et leur disponibilité. Par contre, on ignore dans quelle mesure il peut s’adapter aux modifications anthropiques de l’environnement ou aux modifications brutales de sa structure de population attribuables à la mortalité par pêche. 

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