Grand corégone (Coregonus clupeaformis) au Lac Simcoe évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 3

Information sur l'espèce

Classification

Classe :

Actinoptérygiens

Ordre :

Salmoniformes

Famille :

Salmonidés

Sous-famille :

Corégoninés

Genre :

Coregonus

Nom scientifique :

Coregonus clupeaformis (Mitchell, 1818)

Noms communs :

Français :

grand corégone, population du lac Simcoe

Anglais :

lake whitefish, Lake Simcoe population

Autres noms :

corégone de lac, poisson blanc, poisson blanc des
Grands Lacs

Description

Le grand corégone est un poisson de forme allongée dont le corps est à son plus haut devant la nageoire dorsale (figure 1). La bouche est infère, distinctement surplombée par le museau. Chez les populations des Grands Lacs, la coloration générale est argentée, et les nageoires sont généralement pâles ou légèrement pigmentées. Chez les populations plus septentrionales, les nageoires sont souvent plus foncées et les extrémités sont généralement noires. Les écailles sont grandes et cycloïdes, et on en compte entre 70 et 97 sur la ligne latérale. Les mâles reproducteurs présentent des tubercules nuptiaux sur au moins trois rangées d'écailles au-dessus de la ligne latérale et sur six rangées au-dessous (Scott et Crossman, 1974). Les grands corégones du lac Simcoe présentent d'importantes différences génétiques et phénotypiques par rapport aux grands corégones des lacs Huron, Ontario, Opéongo et Lavieille (Ihssen et al., 1981).

Figure 1. Grand corégone (Coregonus clupeaformis). Illustration tirée de Scott et Crossman [1974 (réédité en anglais en 1998)], avec la permission des auteurs. Le spécimen qui a servi à réaliser le présent croquisest une femelle capturée dans la rivière Koksoak, au Québec, juillet 1957.

Figure 1.  Grand corégone (Coregonus clupeaformis). Illustration tirée de Scott etCrossman [1974 (réédité en anglais en 1998)], avec la permission des auteurs. Le spécimen qui a servi à réaliser le présent croquisest une femelle capturée dans la rivière Koksoak, au Québec, enjuillet 1957.

Taxinomie

Le grand corégone est l'un des poissons d'eau douce les plus répandus au Canada (il est présent dans tout le pays, à l'exception de l'archipel de l'Arctique). L'espèce n'est pas considérée comme en péril, mais sa taxinomie est confuse (voir Scott et Crossman, 1974), et les différents auteurs signalent diverses formes et variétés. Les relations taxinomiques des corégoninés sont difficiles à cerner en raison de la plasticité morphologique, de la convergence des caractères et des effets des glaciations du pléistocène (Reist et al., 1998).

L'électrophorèse a permis d’étudier la variation biochimique au sein des populations allopatriques et sympatriques de grands corégones. Les différences enzymatiques entre les grands corégones du Yukon et de l'Ouest canadien ont été mises en évidence par Lindsey et al. (1970) et Franzin et Clayton (1977). Elles montrent que ces races descendent de poissons qui auraient survécu aux glaciations grâce au refuge béringien et au refuge du Mississippi-Missouri. Foote et al. (1992) ont démontré la présence d'une troisième race, présente en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest, qui aurait survécu dans le refuge glaciaire de la Nahanni. Lindsey et al. (1970) ont également avancé l'hypothèse d'un refuge atlantique, sur la base de la répartition et de la différenciation morphologique actuelle des poissons dans le secteur des Grands Lacs laurentiens et du bassin du Saint-Laurent. À la lumière d'études sur la variation de l'ADNmt, Bernatchez et Dodson (1990; 1991) ont conclu qu'il existe cinq races issues de refuges glaciaires en Amérique du Nord. Une race acadienne présente dans les lacs du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Maine et de la péninsule gaspésienne descendrait de poissons ayant survécu aux glaciations dans le refuge offert par les bancs du nord-est. La race de l'Atlantique, présente dans le Maine et dans le sud du Québec, descendrait quant à elle de poissons abrités par le refuge atlantique. Même s'il y a deux races béringiennes dans l'extrême nord-ouest de l'aire de répartition de l'espèce, la plus importante portion de l'aire de répartition actuelle, laquelle comprend tout l'Ontario, a été colonisée par des poissons issus du refuge mississippien (Bernatchez et Dodson, 1991). L'étude sur les allozymes réalisée par Bodaly et al. (1992) rejoint les conclusions tirées par Bernatchez et Dodson (1991) à partir des résultats sur la variation de l'ADNmt; selon ces chercheurs, il existe au moins quatre races de grands corégones génétiquement et géographiquement définissables : une race issue du refuge glaciaire béringien, dans le centre et le sud du Yukon; une autre, issue du refuge du Mississippi-Missouri, dans la majeure partie du centre du continent; une race issue du refuge de la Nahanni, en Colombie-Britannique et dans le sud-ouest des Territoires du Nord-Ouest; enfin, une race acadienne, dans les Maritimes et la péninsule gaspésienne. Sur la base de leurs travaux antérieurs (Bernatchez et Dodson, 1991) et subséquents, Bernatchez et Dodson (1994) proposent que la race de l'Atlantique soit considérée comme une cinquième race.

Certaines données donnent à croire que les formes sympatriques ont un cycle vital et des traits morphologiques différents : nombre de branchicténies, habitudes alimentaires, croissance, âge de maturité, moment et lieu de fraye, et isolement reproductif (Kennedy, 1943; Fenderson, 1964; Bodaly, 1979; Kirkpatrick et Selander, 1979; Bruce, 1984; Fortin et Gendron, 1990; Bodaly et al., 1991). Bodaly et al. (1992) n'ont relevé aucune donnée suggérant un isolement reproductif aux endroits où les races géographiques se chevauchent, mais ont observé que les obstacles historiques, géographiques et environnementaux ont limité le mélange des allèles entre les races et les paires sympatriques. Cette observation n'est pas surprenante puisque l'étude a été conçue pour examiner les différences entre les races et non à l'intérieur d’une même race. Ces chercheurs ont postulé que les races géographiques s'étaient éloignées génétiquement davantage que les populations sympatriques et que l'ampleur des divergences génétiques, telle que mesurée par la fréquence des allozymes, est un mauvais prédicteur de l'isolement reproductif au sein des races. Bernatchez et Dodson (1990) ont pour leur part formulé l'hypothèse que les données fournies par l'ADNmt pouvaient indiquer des différences de formes au sein des races, du moins chez les formes sympatriques du Maine et du lac Como, en Ontario.

Le grand corégone du lac Simcoe est séparé de la population de la baie Georgienne depuis environ 7 000 à 10 000 ans par des obstacles géographiques et anthropiques (Prest, 1976; Bailey et Smith, 1981). Ihssen et al. (1981) ont étudié les variations morphologiques, écologiques et électrophorétiques de cinq populations allopatriques de grands corégones en Ontario (lacs Huron, Ontario, Simcoe, Opéongo et Lavieille) et ont observé que ces populations présentaient des différences dans l'alimentation, le taux de croissance, le régime de déplacement, la fécondité, la taille des œufs et des larves, les caractères morphologiques (nombre de branchicténies, nombre de cæcums pyloriques, taille) et la fréquence des allèles. Certaines différences, particulièrement celles touchant le cycle vital et les paramètres écologiques, peuvent s'expliquer par des différences dans les facteurs écologiques et environnementaux des habitats des cinq lacs, notamment la température de l'eau, la disponibilité de la nourriture et la nature des substrats, et pourraient être le résultat d'une adaptation locale se traduisant par une différenciation génétique. Des différences de fréquence des allèles ont été observées à six des trente-deux loci examinés, et les distances génétiques standards entre les populations correspondent à peu près à l'ordre dans lequel on croit qu'elles sont devenues isolées après le retrait des glaciers (Ihssen et al., 1981).

Ihssen et al. (1981) précisent que les différences électrophorétiques entre les populations ne témoignent pas nécessairement d’une adaptation locale récente. Cela dit, la spéciation peut se produire même en l’absence d’une nette différenciation électrophorétique, comme cela a été démontré pour les populations sympatriques de grands corégones du bassin de l'Allagash (Kirkpatrick et Selander, 1979). Wilson et al. (1977) et Clayton (1981) estiment que l’évolution biochimique et l’évolution de l’organisme ne sont pas couplées et que la différenciation biologique peut impliquer uniquement des gènes régulateurs plutôt que les gènes structuraux qui ont été étudiés au moyen des techniques électrophorétiques.Au moment où ces études ont été menées, on ne pratiquait pas l’analyse de l’ADNmt, et l’argumentation ici est semblable à celle de Bodaly et al. (1992) sur les différences entre leurs analyses électrophorétiques et les résultats obtenus grâce à l’ADNmt par Bernatchez et Dodson (1990; 1991; 1994).

Unités désignables

Ihssen et al. (1981) concluent que les grands corégones du lac Simcoe ont été isolés géographiquement des populations voisines pendant une période suffisamment longue pour permettre une adaptation locale, et que leurs particularités génétiques sont probablement le résultat de cette adaptation. Conscient de l’importance reconnue de la diversité génétique, et des signes montrant une adaptation locale et un caractère particulier de cette population, selon les données présentées par Ihssen et al. (1981), le COSEPAC a déterminé en 1987 que la population de grands corégones du lac Simcoe était un stock distinct et lui a accordé le statut de population menacée (Evans et al., 1988).

Malgré le peu de données et l’absence de données récentes portant spécifiquement sur le caractère distinct de cette population, les travaux de Bodaly et al. (1992) et de Bernatchez et Dodson (1990; 1991; 1994) permettent de faire un lien entre les analyses électrophorétiques et les études de l'ADNmt et de tirer parti de leur utilité respective pour mettre en évidence les différences génétiques et l'isolement reproductif. Cependant, les conclusions d’Ihssen et al. (1981) pourraient ne pas être valides à cet égard, car elles ne sont probablement pas justifiées par leurs données génétiques. Même si des différences importantes ont été observées entre les cinq populations examinées, l’étude portait au départ sur la population du lac Opéongo, qui est très différente des autres. L'examen des estimations de la distance génétique (tableau 11 de Ihssen et al., 1981) révèle que la population du lac Simcoe se situe à mi-chemin entre les populations des lacs Huron et Ontario, mais qu’elle n'est pas très différente de ces deux groupes. Par conséquent, en l’absence d’autres travaux permettant de clarifier le caractère distinct de cette population, les informations présentement disponibles ne suffisent pas pour considérer cette population comme étant une unité désignable en vertu des lignes directrices actuelles du COSEPAC (COSEPAC, 2004).

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