Grand corégone (Coregonus clupeaformis) au Lac Simcoe évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Reproduction

La population de grands corégones du lac Simcoe a connu un grave déclin dans les années 1970, principalement en raison de l’échec du recrutement. On a commencé en 1982 à ensemencer chaque année le lac avec la souche locale, et les poissons ensemencés représentent aujourd'hui la majorité de la population du lac Simcoe. Toutefois, trente ans après le début des problèmes de recrutement, on trouve encore des grands corégones sauvages dans le lac. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette présence : il y a encore une certaine reproduction naturelle, certains poissons d'élevage sont pris à tort pour des poissons sauvages, ou ces poissons vivent très longtemps.

L'âge des grands corégones sauvages est un facteur clé pour déterminer s'il y a eu reproduction naturelle au cours des trente dernières années. Malheureusement, l’exactitude de l’évaluation de l'âge par scalimétrie peut être très faible, plus particulièrement pour les vieux poissons. La fiabilité de cette technique d’âgeage des poissons d'élevage de moins de sept ans est élevée lorsqu’on a recours au marquage par ablation complète ou partielle des nageoires, ce qui aide à déterminer l’âge des poissons. Tous les grands corégones introduits dans le lac Simcoe depuis 1982 ont été marqués de cette manière, qui donne neuf possibilités d’identification selon qu’on coupe une ou plusieurs nageoires. La proportion de poissons sauvages de moins de sept ans capturés sur les frayères et pendant la pêche hivernale est généralement très faible. On a noté plusieurs pics pouvant témoigner d'un succès occasionnel des classes d'âge des poissons sauvages (1976 et 1999, dans les captures de la pêche indicatrice à la trappe de l'automne, et 1982, 1987, 1990 et 1992, dans la pêche d’hiver). Cependant, aucun de ces pics n'a été observé à la fois sur les frayères et dans les prises de la pêche hivernale, ni deux années consécutives, ce qui permet de penser qu’ils ne sont pas le résultat d'une réussite sporadique du recrutement des classes de corégones sauvages.

D'autres données indiquent que les grands corégones du lac Simcoe se seraient reproduits naturellement, même lorsque l'espèce connaissait des problèmes de recrutement. Des larves de grands corégones ont été capturées en surface dans les traits effectués entre 1975 et 1981, ce qui montre que des gamètes viables ont été pondues et sont parvenues à l'incubation et à l'éclosion. Malheureusement, il n'existe pas de données sur les pêches des larves du lac Simcoe préalables au déclin de la population, ce qui rend la comparaison impossible.

Les relevés menés en 2002 par l'unité d'évaluation des pêches du lac Simcoe ont révélé que les grands corégones continuaient de se reproduire naturellement dans le lac Simcoe. Toutefois, l’envergure et l'importance de cette reproduction naturelle demeure inconnue. De grands corégones à l'état larvaire ont été capturés en mai 2002 lors de tests d'équipement menés par l'UEPLS. En juillet 2002, treize poissons d'un an et un poisson de trois ans ont été capturés dans des petits filets maillants. Il est improbable que les treize poissons d'un an non marqués aient été des poissons d'élevage, vu la faible incidence (0,9 p. 100) des défaillances du marquage dans la classe 2001 de poissons d'élevage.

L'éperlan arc-en-ciel, espèce exotique introduite dans le lac Simcoe en 1961, aurait également contribué aux problèmes de recrutement des grands corégones. Evans et Waring (1987) estiment que le déclin du recrutement est probablement attribuable à la concurrence que se livrent les jeunes de l’éperlan arc-en-ciel et du grand corégone ainsi qu'au fait que les jeunes grands corégones sont la proie d’éperlans arc-en-ciel adultes, quoique la prédation soit un facteur de moindre importance. Le rôle de l'éperlan arc-en-ciel dans les problèmes de recrutement du grand corégone du lac Simcoe demeure incertain.

Depuis 1989, les prises d'éperlans arc-en-ciel de la pêche hivernale du lac Simcoe diminuent. En 1999, elles étaient tombées au niveau observé au milieu des années 1960; elles demeurent faibles depuis 2001. Jusqu'à présent, un tel phénomène ne s’est pas traduit par une amélioration du recrutement des grands corégones. Cependant, les programmes de surveillance à long terme de l'UEPLS ne capturaient pas de juvéniles, de sorte qu’il faut attendre plusieurs années entre une amélioration potentielle du recrutement et l'observation de résultats concrets. Les relevés préliminaires menés en 2002 ne peuvent pas être utilisés pour tirer des conclusions sur l'importance de la reproduction naturelle, puisque aucun relevé similaire n'a été effectué au cours des années où l'espèce a connu des problèmes de recrutement. La poursuite des échantillonnages dans les années qui viennent pourrait donner une idée de l’interaction éventuelle entre l'éperlan arc-en-ciel et le grand corégone. Il sera toutefois difficile de tirer des conclusions fermes vu la multitude de changements que connaît le lac Simcoe (p. ex. changements dans les charges de nutriments, introduction de la moule zébrée et du cladocère épineux).

Le grand corégone du lac Simcoe commence à atteindre la maturité sexuelle autour de 4 ou 5 ans, et les deux sexes sont à pleine maturité sexuelle à 8 ans et plus (Evans et al., 1988). La fécondité relative des grands corégones du lac Simcoe a été estimée à 21 662 œufs/kg en 1966 (Semple, 1968), à 18 498 œufs/kg en 1977 (Evans, 1978) et à 25 425 œufs/kg in 2001.

Alimentation

Pendant leur premier été, les grands corégones se nourrissent d'abord principalement de plancton, puis d'organismes benthiques. Reckahn (1970) a observé que les principaux aliments des jeunes corégones de la baie Sud, dans le lac Huron, étaient les copépodes en mai, les cladocères en juin et au début de juillet, les larves de diptères et les ostracodes à la fin de juillet et en août, les ostracodes et les cladocères en septembre et les pélécypodes et les larves de diptères en octobre et en novembre.

Les grands corégones adultes sont benthivores et se nourrissent principalement de larves d'insectes, de mollusques et d'amphipodes (Scott et Crossman, 1974). Selon plusieurs études sur leur régime alimentaire, les principaux aliments des grands corégones adultes du lac Simcoe sont les mollusques et les larves d'insectes (Rawson, 1930; Burns, 1985; Amtstaetter, 1999; idem, 2000; Johanson, 2001). La principale différence observée dans le contenu des estomacs entre les premières études et celles réalisées entre 1999 et 2001 est la présence de moules zébrées et de cladocères épineux (Bythotrephes sp.), espèces qui ont été introduites dans le lac Simcoe au début des années 1990. Selon de récentes études sur le régime alimentaire au printemps et en été, les moules zébrées étaient la proie dominante en termes de poids, alors que les cladocères épineux arrivaient au quatrième rang (Amtstaetter, 1999; idem, 2000; Johanson, 2001). Il est important de préciser que le poids des moules zébrées comprend la coquille, laquelle ne contribue pas à l'apport énergétique (Pothoven et al., 2001). Le poids des cladocères épineux comprend l'épine, laquelle, selon Parker et al. (2001), est évacuée plus lentement que les autres proies, ce qui cause une surestimation de l'importance de ce crustacé dans le régime alimentaire du grand corégone. Bien que les poissons et les restes de poissons soient relativement peu nombreux dans les estomacs étudiés, ils figurent parmi les trois premiers aliments présents en termes de poids (Burns, 1985; Amtstaetter, 1999; idem, 2000; Johanson, 2001). Les grands corégones du lac Simcoe se nourrissent également de ménés salés, de céréales, de sagou et de macaroni, aliments que les pêcheurs utilisent comme amorces en hiver pour attirer les poissons (MacCrimmon et Skobe, 1970; DesJardine et Lawrence, 1977).

Rien n’indique que la disponibilité de la nourriture pourrait limiter l'abondance ou la croissance des grands corégones du lac Simcoe. La taille de ces poissons est d’ailleurs plus grande que par le passé (figure 3). Depuis le début des années 1960, le poids moyen et la longueur moyenne des grands corégones sauvages du Lac Simcoe ont augmenté respectivement de 360 p. 100 et de 60 p. 100. Cette augmentation de la taille peut s'expliquer notamment par une hausse de la prédominance des vieux individus et par une diminution de la concurrence intraspécifique, ce qui se traduit par un taux de croissance supérieur.

Figure 3. Longueur à la fourche moyenne des grands corégones capturés pendant la pêche hivernale ans le lac Simcoe, 1976 à 2001.

Figure 3. Longueur à la fourche moyenne des grands corégones capturés pendant la pêche hivernale ans le lac Simcoe, 1976 à 2001.

Santé des poissons et contaminants

Chez tous les grands corégones du lac Simcoe capturés à des fins de prélèvement des œufs, on a procédé à un examen visant la recherche de maladies. Très peu d'infections ont été décelées (S. Lord, Laboratoire d’ichtyopathologie, Université de Guelph, comm. pers.). Un cas de la maladie de la bouche rouge a été relevé en 1989. L'agent responsable de la rénibactériose a été détecté sporadiquement chez des grands corégones du lac Simcoe. Selon le Laboratoire d’ichtyopathologie, cet agent est endémique dans la province. Un parasite sans danger (Tetracotyle sp.) a été trouvé dans le cœur de presque tous les grands corégones examinés.

L'UEPLS capture régulièrement des grands corégones afin qu'ils soient analysés par le ministère de l'Environnement de l'Ontario (MEO) dans le cadre du Programme de surveillance de la contamination du poisson gibier. On mesure chez les poissons la teneur en mercure, en BPC, en mirex, en photomirex, en pesticides, en dioxines et en furanes (Ministère de l'Environnement de l'Ontario, 2001). Les résultats montrent que les teneurs en contaminants des grands corégones du lac Simcoe ont toujours été très faibles.

Historique de l'ensemencement

Le lac Simcoe a été aleviné périodiquement en grands corégones entre 1888 et 1955. MacCrimmon et Skobe (1970) mentionnent que, pendant de nombreuses années, les grands corégones introduits dans le lac Simcoe au stade d'alevins étaient issus de la population de la baie Georgienne et provenaient de l'écloserie provinciale de Collingwood. Il se peut que les alevins originaires de la baie Georgienne introduits dans le lac Simcoe aient survécu et contribué à la population reproductrice. Cela dit, la probabilité d’un tel phénomène et l'apport de ces poissons à la population de grands corégones du lac Simcoe sont inconnus. Millar (1946), Dymond (1956), Christie (1963), MacCrimmon et Skobe (1970), Tuunainen (1982) et Salojärvi (1992b) estiment que l'introduction d'alevins dans un lac dont la population se régénère naturellement n'a aucune incidence sur l'abondance des adultes.

Au début des années 1980, les problèmes de recrutement des grands corégones étaient évidents, et la conservation de cette population est devenue une priorité pour le MRNO. Grâce à ses efforts en matière de recherche et de pisciculture, le MRNO a innové en mettant au point des techniques d'élevage qui permettent de produire suffisamment de poissons d'un an pour assurer la survie de la population de grands corégones.

En 1982 a été lancé un programme intensif d'ensemencement du lac Simcoe avec des poissons de stades avancés (poissons d’un an et juvéniles d’automne). Entre 1982 et 2002, 2 538 657 alevins ont été introduits dans le lac Simcoe (tableau 1). Afin de conserver la source génétique, seuls des poissons capturés dans le lac Simcoe sont utilisés comme géniteurs depuis 1982. Le lancement de ce programme d'ensemencement visait à rétablir la population à la suite du déclin observé dans les années 1970. Le principal objectif du programme d'ensemencement du lac Simcoe est de maintenir la population indigène jusqu'à ce que la reproduction naturelle puisse reprendre, tout en assurant une bonne pêche sportive de cette espèce.

Tableau 1. Historique de l’ensemencement de grands corégones dans le lac Simcoe
Année Marque Âge à l'ensemen-cement Nombre de poissons introduits
2002 VGAD AA 141 360
2001 PDAD AA 150 524
2000 VD AA 164 190
1999 PD AA 188 068
1998 VDAD AA 118 068
1997 AD AA 144 210
1996 VG AA 134 432
1995 VGAD AA 79 301
1994 PGAD AA 146 121
1993 PDAD AA 143 319
1992 PG AA 141 691
  VD J 60 480
1991 PD AA 76 862
  VDAD J 63 067
1990 AD A 62 351
  VG J 73 620
1989 PGAD AA 53 072
  VGAD J 87 789
1988 PDAD AA 81 909
  VD J 95 349
1987 PG AA 64 949
  VGAD J 99 699
1986 PD AA 67 861
  VDAD J 29 971
1985 VG J 27 074
1984 AD J 15 388
1983 VD J 14 661
1982 VGAD J 13 192
1955   Alevin 4 500 000
1954   Alevin 5 000 000
1953   Alevin 5 000 000
1950   Alevin 1 000 000
1949   Alevin 500 000
1944   Alevin 1 000 000
1941   Alevin 3 000 000
1940   Alevin 1 500 000
1939   Alevin 1 500 000
1938   Alevin 2 500 000
1937   Alevin 2 200 000
1936   Alevin 34 000
1889   Alevin 200 000
1888   Alevin 200 000
Légende
AD Adipeuse
PG Pectorale gauche
PGAD Pectorale gauche et adipeuse
VG Pelvienne gauche (ventrale)
VGAD Pelvienne gauche (ventrale) et adipeuse
PD Pectorale droite
PDAD Pectorale droite et adipeuse
VD Pelvienne droite (ventrale)
VDAD Pelvienne droite (ventrale) et adipeuse
AA Alevin en automne
JP Jeune de un an au printemps

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