Scinque pentaligne (Eumeces fasciatus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Taille et tendances des populations

Activités de recherche

Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent et population carolinienne

La base de données de l’Ontario Herpetofaunal Summary (OHS), qui renferme plus de 1 200 mentions de l’E. fasciatus, est très utile pour l’estimation du nombre de populations de l’espèce se trouvant en Ontario (Oldham et Weller, 2000). Bien que le nombre d’observations signalées ait diminué depuis 1995 et que les mentions pour les secteurs les plus fréquentés soient vraisemblablement en nombre disproportionné, la base de données de l’OHS est d’une valeur inestimable puisqu’elle renseigne sur les localités où l’espèce est présente (M. Oldham, communication personnelle [comm. pers.]). Les erreurs d’identification sont peu probables, car l’E. fasciatus est le seul lézard qu’on rencontre en Ontario.

Il est très difficile d’estimer l’effectif des populations d’E. fasciatus. L’espèce est discrète, les individus passant la majeure partie de la journée cachés sous divers objets. De plus, les activités changent au cours de la saison. Les adultes, mâles et femelles confondus, sont les plus nombreux en mai, tandis que les jeunes de l’année sont les plus nombreux en juin (Fitch, 1954). Après la période de reproduction, les mâles deviennent beaucoup moins actifs (Fitch, 1954; Seburn, 1993), et, durant les mois les plus chauds, ils peuvent avoir tendance à s’enfouir (Seburn, 1990). Enfin, le domaine vital des individus peut changer au cours de la saison, ce qui peut causer une surestimation ou une sous-estimation de la taille d’une population donnée. Comme les habitudes et les activités sont différentes selon le sexe et l’âge des individus, les données de recensement devraient être compilées par sexe et par classe d’âge, les adultes pris séparément des jeunes (Fitch, 1954). Les jeunes ont plus de chances d’être aperçus que les adultes parce que leur nombre, leur niveau d’activité ainsi que leurs déplacements quotidiens augmentent au cours de la saison et qu’ils sont plus visibles à cause de la couleur de leur queue.

Pour obtenir une estimation correcte de l’effectif des populations ontariennes, il faut rechercher l’espèce activement et l’étudier intensément durant une période appropriée. Chez une population carolinienne (parc national de la Pointe-Pelée), Hecnar et M’Closkey (1998) ont mesuré la densité de l’activité, qui est en corrélation étroite avec la densité réelle (voir Hecnar et M’Closkey, 1998). Seburn (1993) et Wick (2004) ont étudié respectivement une population carolinienne et une population des Grands Lacs et du Saint-Laurent par marquage-recapture durant toute la saison d’activité. Dans les deux cas, les individus étaient marqués par ablation de la troisième phalange (Seburn, 1993; Wick, 2004). Ils auraient pu être marqués par application de peinture sur le corps; cependant, cette méthode est d’une utilité limitée, parce que la peinture disparaît rapidement (en moins de 24 heures chez certains individus; S. Hecnar, observation personnelle [obs. pers.]) et que le scinque subit des mues au cours de la saison. Une recherche active de l’espèce suppose qu’on retourne ou qu’on déplace des éléments de l’habitat (morceaux de bois, pierres, etc.), qu’il faut ensuite bien remettre en place.

Il importe de souligner que la recherche active dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent comporte un risque pour l’espèce, surtout si les personnes sont inexpérimentées. Il faut faire attention, lorsqu’on soulève une roche, de ne pas écraser de scinque sous le point d’appui. Afin d’éviter ce type d’accident, il est préférable, si la roche n’est pas trop grosse, de la soulever complètement. Si cela n’est pas possible, une personne peut la soulever partiellement tandis qu’une autre regarde en dessous (B. Howes, obs. pers.).

Abondance

D’après les données de l’OHS, depuis 1995, 84 populations ont été signalées dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent et 5 dans la région carolinienne (Oldham et Weller, 2000; voir le tableau 1). La taille effective (Ne) a été estimée pour 9 populations ontariennes par la méthode du maximum de vraisemblance, à partir de 6 locus microsatellites (Beerli et Felsenstein, 1999; Beerli et Felsenstein, 2001), en supposant un taux de mutation des microsatellites typique pour les vertébrés de 10-4 par locus par génération (tableau 5). La Ne moyenne a ensuite été calculée pour chacune des 2 unités désignables puis multipliée par le nombre de populations dans chaque unité. La Ne estimée pour l’ensemble de l’Ontario (et, par conséquent, pour le Canada) est de 23 839 individus (Howes et Lougheed, données inédites). La méthode de calcul utilisée comporte plusieurs sources d’erreur possibles : 1) l’estimation du nombre de populations (d’après le nombre de populations répertoriées dans l’OHS depuis 1995) peut être inexacte; 2) la Ne moyenne calculée pour les populations échantillonnées des Grands Lacs et du Saint-Laurent et de la région carolinienne peut ne pas être représentative de la Ne réelle des populations non échantillonnées; 3) la méthode du maximum de vraisemblance ne convient peut-être pas pour l’estimation de la Ne (voir par exemple Zaid et al., 2004).

Les estimations de Ne présentées ci-dessous ne peuvent être comparées directement à des estimations d’effectif faites sur la base de relevés, car les 2 méthodes n’ont été appliquées simultanément chez aucune population. En fait, la seule population dont l’effectif a été estimé est celle du parc national de la Pointe-Pelée. En 1989, Seburn et Seburn (1989) ont estimé cette population à environ 1 000 à 2 000 individus. Il est certain que les estimations de Ne seraient inférieures aux estimations d’effectif (Frankham, 1995). Le rapport de Ne aux données de recensement varie selon les espèces, mais il se situe généralement à 11 p. 100 (Frankham, 1995).

Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent

La Ne moyenne obtenue pour les populations des Grands Lacs et du Saint-Laurent est de 266 individus, et le nombre de populations, estimé à partir des données répertoriées dans l’OHS depuis 1995 (Oldham et Weller, 2000), est de 84 (tableau 1). Donc, la Ne pour l’ensemble des populations de la province faunique des Grands Lacs et du Saint-Laurent est d’environ 22 300 individus (Howes et Lougheed, données inédites).

Population carolinienne 

La Ne moyenne obtenue pour les populations caroliniennes est de 299 individus, et le nombre de populations est estimé à 5 (tableaux 1 et 2). Donc, la Ne pour l’ensemble des populations de la province faunique de la forêt carolinienne est d’environ 1 495 individus (Howes et Lougheed, données inédites). Il importe de noter que ce calcul repose sur la supposition que la Ne moyenne estimée pour les populations du parc national de la Pointe-Pelée et du parc provincial Rondeau est représentative de celle qu’on obtiendrait pour les autres populations caroliniennes. Or, ce n’est pas le cas, car les autres populations caroliniennes sont beaucoup plus petites que celles du parc national de la Pointe-Pelée et du parc provincial Rondeau.

Tableau 5. Taille effective de neuf populations ontariennes d’Eumeces fasciatus estimée à partir de six locus microsatellites, par analyse du maximum de vraisemblance. Les populations sont réparties selon les deux aires d’occurrence de l’espèce en Ontario (région des Grands Lacs et du Saint-Laurent et région carolinienne).
Population Comté Estimation de Ne
(intervalle de confiance à 95 %)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Tadenac Muskoka
229 (205, 256)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Swift Rapids Simcoe
270 (239, 307)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Towerline Simcoe
240 (213, 271)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Feeney Lennox & Addington
328 (292, 370)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Burke Frontenac
342 (302, 390)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Honey Harbour Muskoka
177 (156, 200)
Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Ardoch Frontenac
273 (243, 308)
Population carolinienne : Parc national de la Point-Pelée Essex
306 (273, 346)
Population carolinienne : Parc provincial Rondeau Chatham-Kent
291 (259, 329)

Fluctuations et tendances

La densité de population varie au cours d’une année ainsi que d’une année à l’autre en fonction de divers facteurs, notamment les conditions climatiques et la succession végétale naturelle. Les estimations pour une population du Kansas vivant dans un habitat typique de l’espèce la situe entre 125 et 250 individus/ha (petits non compris). Dans un secteur du parc national de la Pointe-Pelée, la densité de population est passée de 21 individus/ha en 2003 et 2004 à 85 individus/ha en 2001 (Hecnar et Hecnar, 2005). Au cours d’une année, l’effectif atteint un minimum au milieu de l’été, juste avant l’éclosion des œufs; par la suite, la densité de population peut aller jusqu’à doubler (Fitch, 1954).

La structure d’âge peut varier énormément d’une année à l’autre en raison des conditions climatiques et de divers autres facteurs. Ainsi, chez une population du Kansas, Fitch (1954) a constaté que la cohorte des individus âgés de 2 ans comptait pour 70 p. 100 de la population reproductrice en 1951, comparativement à 36 p. 100 en 1950 et à 58 p. 100 en 1952. Toute cohorte d’adultes peut, en une saison, être réduite de moitié et même plus (Fitch, 1954).

Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent

Selon les données de l’OHS, il y aurait une fluctuation modérée du nombre de populations dans la province faunique des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Avant 1984, 71 populations étaient répertoriées pour cette province faunique. De 1984 à 1994, le nombre de populations est passé à 115, et de 1995 à aujourd’hui il est retombé à 84 (tableau 1; Oldham et Weller, 2000). Il est difficile de juger si le déclin apparent, depuis 1995, du nombre de populations des Grands Lacs et du Saint-Laurent est causé par des facteurs biologiques puisque le nombre d’observations signalées à l’OHS a diminué depuis 1995 (M. Oldham, comm. pers.).

Population carolinienne

Dans le sud-ouest de l’Ontario, le nombre de populations d’E. fasciatus est en déclin au moins depuis 1984. Avant 1984, 17 populations étaient répertoriées pour cette région. De 1984 à 1994, ce nombre est tombé à 8, et depuis 1995 seulement 5 populations ont été signalées ou confirmées (tableau 1; Oldham et Weller, 2000; C. Jacobs, comm. pers.). En 2000, des recherches ont été effectuées dans 16 localités historiques de l’espèce, mais celle-ci a été observée dans seulement 3 d’entre elles, à savoir le parc national de la Pointe-Pelée, le parc provincial Rondeau et le parc provincial Pinery (Hecnar et Hecnar, 2000, dans Hecnar et Hecnar, 2005; S. Hecnar, comm. pers.). Dans plusieurs des 16 localités, l’habitat de l’E. fasciatus avait été complètement détruit par le développement et d’autres activités humaines. Il ne subsiste aucune des populations historiques de la péninsule du Niagara.

La population d’E. fasciatus du parc provincial Rondeau semble stable (S. Dobbyn, comm. pers.). Par contre, celle du parc provincial Pinery semble avoir connu un déclin important (S. Hecnar, comm. pers.); d’après les relevés effectués entre 2002 et 2004, elle est certainement beaucoup plus petite que celles du parc national de la Pointe-Pelée et du parc provincial Rondeau (B. Howes, obs. pers.). Il existe très peu d’information sur la population actuelle du marécage Oxley Poison Sumac. En 2004, la Société canadienne pour la conservation de la nature a fait l’acquisition de la partie du marécage servant d’habitat à l’espèce et y a placé un peu partout des planches pouvant lui servir d’abris (H. Arnold, comm. pers.). La partie du marécage qui convient à l’E. fasciatus est petite, et le nombre d’individus de l’espèce qui y ont été observés est faible pour la quantité de relevés effectués (M. Oldham, comm. pers.).

La seule population ontarienne pour laquelle les données permettent de dégager une tendance démographique est celle du parc national de la Pointe-Pelée. De 1990 à 1995, cette population a été réduite au tiers, peut-être même au cinquième, de ce qu’elle était. Durant toute cette période, la classe d’âge apparemment la plus abondante était celle des adultes, ce qui donne à penser que le recrutement était insuffisant pour assurer le maintien de la population (Hecnar et M’Closkey, 1998). Un examen plus approfondi a permis de constater que l’absence de l’espèce dans les secteurs les plus fréquentés du parc était due à la rareté de microhabitats appropriés (débris ligneux). On a montré par une expérience que l’E. fasciatus utilisait volontiers les objets placés dans le parc pour lui servir d’abris (Hecnar et M’Closkey, 1998). La population du parc national de la Pointe-Pelée était menacée non seulement par la perte des microhabitats essentiels à sa survie mais aussi par la capture d’individus, interdite par la loi. En raison de leur couleur attrayante, les juvéniles sont convoités comme animaux familiers, et on les capture probablement en grand nombre dans le parc au moins depuis 1989 (Hecnar et M’Closkey, 1998). Le rétablissement artificiel de microhabitats propices à l’espèce a été suivi d’un regain de la population à partir de 1996; il faudra néanmoins continuer d’assurer une gestion active de l’espèce pour garantir sa survie dans le parc national de la Pointe-Pelée (Hecnar et Hecnar, 2005).

Effet d’une immigration de source externe

Population des Grands Lacs et du Saint-Laurent

On constate une différenciation génétique importante entre populations des Grands Lacs et du Saint-Laurent séparées par une distance aussi faible que 3 à 5 km (Wick, 2004; Howes et Lougheed, données inédites). Wick (2004) a montré qu’une étendue d’eau peut constituer une barrière au flux génique entre populations de l’espèce; ainsi, une sous-population insulaire de la région où il menait son étude présentait une diversité génétique inférieure à celle de populations vivant environ 2 km plus loin, peut-être moins. De toute évidence, la migration entre les populations de cette région est peu probable, de même que la recolonisation naturelle d’une localité à la suite de la disparition de sa population. L’immigration d’individus provenant de populations des États-Unis n’est pas possible.

Population carolinienne

Les populations caroliniennes actuelles sont très isolées les unes des autres. Celles du parc provincial Rondeau et du parc national de la Pointe-Pelée sont significativement distinctes sur le plan génétique, ce qui n’a rien d’étonnant, compte tenu de la distance qui les sépare. La migration naturelle entre les populations caroliniennes est pratiquement impossible, de même que la recolonisation naturelle d’une localité à la suite de la disparition de sa population. L’immigration d’individus provenant des États-Unis n’est pas possible étant donné la distance à franchir et l’absence de milieux propices à l’espèce sur le parcours (il faudrait traverser les Grands Lacs ou les cours d’eau associés).

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