Esturgeon vert (Acipenser medirostris) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 9

Biologie

Généralités

L’esturgeon vert est un poisson anadrome d’une grande longévité. Sa croissance est lente; il atteint la maturité sexuelle à un âge avancé (Houston, 1988). Comparati­vement aux autres espèces d’esturgeons, il investit davantage de ressources reproductives dans chaque œuf; comme ses œufs sont les plus volumineux, son taux de fécondité est donc le plus faible de tous les esturgeons anadromes (Van Eenennaam et al., 2001). Les traits caractérisant les œufs fécondés d’esturgeon vert sont la minceur du chorion et la faible adhérence, caractéristiques que l’on ne retrouve pas chez l’esturgeon blanc et l’esturgeon noir (A. oxyrinchus) (Van Eenennaam et al., 2001).

Reproduction

Aucune population reproductive d’esturgeon vert n’est connue au Canada. Les seules frayères connues se trouvent dans les rivières Rogue et Klamath en Oregon et dans le bassin hydrologique du Sacramento en Californie (Moyle et al., 1994).

Les œufs et les larves d’esturgeon vert sont plus gros que ceux de tout autre esturgeon. Par exemple, Cech et al. (2000) signalent que le diamètre des œufs d’esturgeons verts, blancs et noirs est de 4,34, de 3,40 et de 2,62 mm respectivement. Le volume des œufs d’esturgeon vert est donc deux fois plus élevé que celui des œufs d’esturgeon blanc, et quatre fois plus élevé que celui des œufs d’esturgeon noir. Par conséquent, l’esturgeon vert a un taux de fécondité relativement faible comparativement à celui des espèces d’esturgeons de taille similaire, puisque l’effort reproducteur est davantage investi dans la taille des œufs que dans leur nombre (Van Eenennaam et al., 2001; Cech et al., 2000).

Van Eenennaam et al., (2001) ont démontré que les œufs d’esturgeon vert pris dans la rivière Klamath et élevés en aquaculture éclosent après de 7 à 9 jours à 15 °C, comme c’est le cas chez l’esturgeon blanc. Cech et al. (2000) signalent que les températures supérieures à 20 °C sont mortelles pour les embryons et que le taux de croissance larvaire à 5 jours est significativement réduit à des températures supérieures à 24 °C. Les larves commencent à se nourrir 10 jours après l’éclosion et terminent leur métamorphose en juvéniles à 45 jours (Adams et al. 2002). Nakamoto et al. (1995) indiquent que les individus de la rivière Klamath atteignent une longueur de 30 cm à un an et de 60 cm à deux ou trois ans. Par comparaison, les esturgeons verts élevés en aquaculture peuvent atteindre une longueur de 40 cm six mois après l’éclosion de l’œuf (Deng, 2000). Le taux de croissance des deux sexes, en conditions normales, est d’environ 7 cm par année jusqu’à la maturité sexuelle, à compter de quoi la croissance est ralentie par les demandes énergétiques de la reproduction (USFWS, 1982; Nakamoto et al., 1995).

L’esturgeon vert peut atteindre une taille et un poids maximaux de 2,3 m et 159 kg (Scott et Crossman, 1973). À âge égal, les mâles sont généralement plus petits que les femelles. La longueur maximale mesurée dans le segment de population distinct (SPD) septentrional est de 168 cm (Adams et al., 2002). Les individus sexuellement matures du SPD méridional ont une longueur variant entre 139 et 199 cm chez les mâles et entre 157 et 223 cm chez les femelles (Adams et al., 2002). L’âge maximal est estimé à 42 ans (Nakamoto et al., 1995). Cependant, selon certains auteurs (Moyle, 2002), il s’agirait-là d’une sous-estimation, et l’âge maximal approcherait plutôt 70 ans. Il est difficile d’estimer avec précision la longévité de l’esturgeon vert en raison du ralentissement du taux de croissance chez les individus matures et de la mauvaise formation des marques de fraye attribuable aux longues migrations marines et à des conditions environnementales défavorables (Nakamoto et al., 1995). La variabilité dans l’estimation de l’âge pourrait également être attribuable à un comportement saisonnier consistant à se nourrir en hiver et à jeûner en été, également observé chez d’autres espèces d’esturgeons (Sulak et Randall, 2002). Ce comportement n’a pas été confirmé chez l’esturgeon vert.

L’esturgeon vert est une espèce ovipare qui se reproduit par fécondation dans la colonne d’eau. À l’instar d’autres espèces d’esturgeons, les esturgeons verts mâles atteignent la maturité sexuelle avant les femelles (Nakamoto et al., 1995), soit à environ 15 ans, alors que les femelles l’atteignent vers l’âge de 17 ans (Adams et al., 2002). La fraye s’étend de mars à juillet, mais culmine entre la mi-avril et la mi-juin (Moyle et al., 1992). Elle a lieu tous les 3 à 5 ans (Adams et al., 2002), les mâles y participant en général plus fréquemment. La fraye a lieu dans le chenal principal des grands cours d’eau, dans les tronçons aux eaux relativement vives (Emmet et al., 1991). La motilité prolongée des spermatozoïdes (motilité de 100 p. 100 pendant 5 minutes), constatée dans des études sur la fraye en milieu artificiel (Van Eenennaam et al., 2001), pourrait constituer une stratégie adaptative de fécondation pour la fraye en eaux vives. Le taux de croissance des larves d’esturgeon vert est largement supérieur à celui des larves d’esturgeon blanc; Wang et al. (1987) signalent que les larves d’esturgeon vert de 5 jours ont presque le double du poids des larves d’esturgeon blanc du même âge, soit 65 mg contre 34 mg (cité par Cech et al., 2000). Cette croissance rapide est probablement attribuable à la taille supérieure des œufs d’esturgeon vert (Cech et al., 2000).

La fécondité est de 51 000 à 224 000 œufs par femelle (moyenne de 127 500 oeufs; n=26) chez les individus pris dans la rivière Klamath (USFWS, 1982). L’abondance des œufs est largement proportionnelle à l’âge et donc à la taille du poisson. À partir de ces données, on a estimé la fécondité de l’esturgeon vert à environ 2 800 œufs par kilogramme de poids corporel. La fécondité de l’esturgeon blanc, par comparaison, est deux fois supérieure, soit 5 648 œufs par kilogramme de poids corporel (Moyle, 2002).

Il n’existe aucune analyse détaillée de la structure par âge des esturgeons verts capturés dans les eaux canadiennes. D’après des données préliminaires sur la structure par âge de la migration de 1999-2000 dans la rivière Klamath, les individus migrateurs auraient entre 17 et 33 ans, la plupart ayant entre 25 et 31 ans (Van Eenennaam et Doroshov, 2001). Cependant, ces données pourraient ne pas être représentatives de l’espèce en raison de leur brève couverture temporelle.

La durée d’une génération, c’est-à-dire l’âge moyen des parents de la cohorte actuelle, reflète le taux de renouvellement des géniteurs d'une population (Comité sur la situation des espèces en péril au Canada [COSEPAC]). Chez l’esturgeon vert, les femelles atteignent la maturité à un âge plus avancé que les mâles (17 ans contre 15 ans; Adams et al., 2002), et le calcul de la durée d’une génération se fonde sur l’âge moyen des parents femelles. La durée d’une génération est donc calculée de la manière suivante : l’âge où 50 p. 100 des femelles sont matures + 1/M, où M est le coefficient instantané de mortalité naturelle. Cependant, ni l’âge de la maturité ni la fréquence de fraye ne sont déterminés hors de tout doute (Williamson, 2003). De plus, le coefficient de mortalité naturelle des juvéniles et des adultes est inconnu, mais estimé à moins de 10 p. 100 (Beamesderfer et Webb, 2002). Ainsi, la durée minimum d’une génération est estimée à environ 17 + 1/10 p. 100 = 27 ans. Certains auteurs estiment par ailleurs que l’âge de la maturité sexuelle chez les femelles se situerait plutôt entre 20 et 25 ans (Beamesderfer et Webb, 2002). Ainsi, avec un âge de maturité sexuelle moyen de 22,5 ans et en conservant le coefficient de mortalité estimée de 10 p. 100, la durée d’une génération serait de 22,5 + 1/10 p. 100 = 32,5 ans. En prenant les résultats de ces calculs comme des limites inférieure et supérieure, la durée d’une génération se situerait entre 27 et 33 ans. Ces estimations doivent toutefois être mises en perspective, car la précision et l’exactitude de la détermination de l’âge des esturgeons verts laissent à désirer.

Survie

Les esturgeons verts ont peu de prédateurs connus, hormis l’homme et quelques mammifères marins (Fitch et Lavenburg, 1971; Emmet et al., 1991). Les larves et les juvéniles sont vraisemblablement la proie d’autres espèces dans les aires de fraye. Les adultes ont peu de prédateurs naturels en raison de leur grande taille et de l’utilisation possible des eaux douces comme refuge contre les prédateurs.

L’échec d’une classe annuelle est un phénomène courant dans les populations d’esturgeons (Sulak et Randall, 2002). Une étude sur la structure des classes d’âge de l’espèce Acipenser oxyrinchus desotoi révèle que celle-ci est très dynamique et instable, avec un faible recrutement et des échecs de recrutement persistants chez des populations faiblement exploitées (Sulak et Randall, 2002). En outre, d’autres statistiques à long terme sur certaines espèces d’esturgeons révèlent une certaine périodicité, les classes d’âge abondantes et les classes d’âge absentes se succédant, séparées par de longs intervalles (Sulak et Randall, 2002). Ainsi, il semblerait que l’esturgeon vert supporte assez bien les échecs reproducteurs occasionnels et arrive malgré tout à maintenir une population globalement stable.

Physiologie

L’esturgeon vert est, de toutes les espèces d’esturgeons, l’espèce la plus répandue en mer et celle qui y passe le plus de temps (EPIC, 2001). Le comportement anadrome de certaines espèces d’esturgeons leur permet d’exploiter de riches sources d’invertébrés benthiques autrement inaccessibles dans les habitats estuariens et marins (Sulak et Randall, 2002).

Les esturgeons anadromes adultes et juvéniles tendent à jeûner en eau douce et à se nourrir exclusivement dans les milieux marins et estuariens (Sulak et Randall, 2002). Bien que le comportement de jeûne ne soit pas confirmé chez l’esturgeon vert, on observe que l’estomac des individus adultes est souvent vide alors qu’ils se trouvent en eau douce, lors de certains rassemblements d’été dans des estuaires (USFWS, 1982; Beamesderfer et Webb, 2002).

Les températures optimales et les températures létales inférieure et supérieure pour l’esturgeon vert sont inconnues. Une étude au moyen de radio-émetteurs menée par Erickson et al. (2002) indique que les esturgeons verts migrent vers la mer dès que la température descend en-deçà de 10 °C. Cette baisse de température coïncidait toutefois avec une hausse du débit à plus de 100 m3s-1, qui pourrait avoir été l’élément déclencheur de la migration hors du bassin.

La température optimale de croissance des embryons est de 15 °C et le seuil supérieur létal pour les embryons en développement est de 20 °C. La croissance larvaire est significativement ralentie à 24 °C (Cech et al., 2000).

Déplacements et dispersion

On estime que les esturgeons verts présents au Canada proviennent des populations reproductrices des États-Unis. Rien n’indique que l’esturgeon vert ait déjà frayé au Canada. Cependant, les fréquentes erreurs d’identification et la rareté de l’espèce pourraient avoir mené à une sous-estimation de l’utilisation des habitats par l’espèce au Canada. L’esturgeon vert est l’espèce d’esturgeon la plus répandue, son aire de répartition s’étendant du Mexique à l’Alaska (Adams et al., 2002).

Les esturgeons verts passent les premières années de leur vie (de 1 à 4 ans) en eau douce et s’exposent graduellement aux environnements estuariens au fur et à mesure de leur croissance (Beamesderfer et Webb, 2002). Pendant leur phase juvénile marine, on observe souvent des rassemblements d’esturgeons verts dans les estuaires des grands bassins hydrologiques où aucune activité de fraye n’est connue. Des rassemblements ont été observés dans l’estuaire du Columbia à la fin de l’été et au début de l’automne (Adams et al., 2002). L’esturgeon vert migre le long de la côte de l’Oregon, et on estime qu’il occupe la plupart des estuaires ouverts (Williamson, 2003). Les raisons de ces rassemblements sont incertaines, car l’espèce ne fraie pas dans le fleuve Columbia et ne semble pas se nourrir durant ces rassemblements (Adams et al., 2002). L’explication pourrait résider dans l’évolution du cycle vital de l’espèce. Comme le comportement anadrome est une adaptation secondaire chez l’esturgeon, sa physiologie serait mieux adaptée à des eaux de faible salinité (Sulak et Randall, 2002). On sait en outre que certains mammifères marins chassent les esturgeons verts adultes. Les esturgeons verts pourraient demeurer à proximité des eaux douces pour s’y réfugier pendant les migrations estivales des mammifères marins.

Lorsque les esturgeons verts entrent en phase de migration marine, ils occupent les aires de rassemblement estuarien ou entreprennent une migration vers le nord (Adams et al., 2002). Le nombre d’études de marquage est limité, mais des individus marqués dans le Columbia ont été recapturés au large de la côte ouest de l’île de Vancouver (Adams et al. 2002).

Tel que mentionné précédemment, le National Marine Fisheries Service des États-Unis (NMFS) a identifié deux segments de population distincts, la latitude de la rivière Eel constituant la frontière nord-sud entre les populations de l’Oregon et de la Californie. Des allèles exclusifs à la population du Columbia et absents dans d’autres populations reproductrices ont cependant été trouvés à faible fréquence. Israel et al. (2002) ont émis l’hypothèse que la présence de ces allèles indiquerait l’existence d’une ou de plusieurs populations reproductrices inconnues, à moins que cela ne soit tout simplement un artefact attribuable à la petite taille de l’échantillon et à la méthode d’échantillonnage. Il faudra faire des études approfondies pour trancher la question.

Alimentation et relations interspécifiques

Les juvéniles se nourrissent de façon opportuniste sur le fonds des cours d’eau; leur alimentation consiste en divers invertébrés et poissons (EPIC, 2001; Moyle, 2002). L’analyse du contenu stomacal indique que l’alimentation de l’esturgeon vert consiste en divers invertébrés benthiques, comme des crevettes, des crabes, des vers, des amphipodes et des isopodes (EPIC, 2001), mais on a également observé des individus se nourrissant de lançons (Ammodytes hexapterus) et d’autres poissons.

Comportement et adaptabilité

En général, les esturgeons ne sont pas grégaires. Par contre, les esturgeons verts manifestent une grande cohésion de groupe lors de la migration et des rassemblements estivaux dans les aires de rassemblement saisonnier. Les rassemblements d’été dans les estuaires et les prises occasionnelles de grandes quantités d’esturgeons verts par des navires de pêche en mer (une prise dans les eaux canadiennes en janvier 2000 totalisait plus de 1 000 kg et une autre, remontant à 1960, aurait totalisé 9 000 kg [Slack et Stace-Smith, 1996]) indiquent que les esturgeons verts sont plus grégaires que la plupart des autres espèces d’esturgeons. Ce grégarisme pourrait permettre aux individus d’acquérir des comportements et/ou de laisser une empreinte chimique dans les habitats (Sulak et Randall, 2002). Donc, une population de taille minimale comprenant des individus plus âgés est peut-être nécessaire pour conserver certains comportements et « connaissances » en matière d’habitat au sein de l’espèce.

Les larves d’esturgeon vert sont nocturnes et ne présentent pas de stade d’alevin nageant ou post-éclosion, ce qui est exceptionnel chez les esturgeons (Van Eenennamm et al., 2001).

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