Tortue luth (Dermochelys coriacea) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

TAILLE ET TENDANCES DES POPULATIONS

Comme la tortue luth est une espèce en grande partie pélagique et qu'elle est à ce titre difficile à dénombrer dans le milieu marin, les estimations de populations se fondent actuellement sur l’abondance des femelles adultes rencontrées sur les plages de nidification. On estime généralement avoir identifié tous les principaux sites de nidification de l'espèce et on suit de près les activités de nidification dans la plupart de ces sites depuis plusieurs années (Spotila et al., 1996).

Pritchard (1982) estimait la population mondiale générale à environ 115 000 femelles nicheuses en 1980. En 1995, une nouvelle estimation incorporant de l’information provenant de 28 plages de nidification dans le monde fixait ce nombre à environ 34 500 femelles, la limite inférieure se situant aux alentours de 26 200 et la limite supérieure aux environs de 42 900 (Spotila et al., 1996). Ces chiffres témoignent des sévères déclins survenus dans plusieurs lieux de nidification, notamment dans le Pacifique (voir p. ex. Chan et Liew, 1996; Steyermark et al., 1996; Eckert et Sarti, 1997). En 1968, on comptait 3 103 tortues luths nicheuses à Terengganu, en Malaisie; en 1980, il en restait 200 et, en 1994, il n'y en avait plus que deux (Chan et Liew, 1996).  Des déclins semblables sont en cours dans d'autres roqueries, dont Playa Grande, au Costa Rica, où la mortalité annuelle dépasse les 30 p. 100 chez les femelles nicheuses (Spotila et al., 2000). Selon une évaluation récente des tendances sur ces plages de nidification et ailleurs, la population du Pacifique ferait face à une extinction imminente (Spotila et al., 2000).

Dans l'Atlantique, l'activité de nidification est plus stable, mais peut fluctuer énormément d'une année à l'autre, ce qui rend les tendances difficiles à dégager. Par exemple, le nombre annuel de nids où les femelles ont pondu en Guyane française a oscillé entre 10 000 et 50 000 et plus (une femelle pond en moyenne six couvées par saison) pendant la période de 1978 à 1995 (Girondot et Fretey, 1996). La tortue luth ne niche pas chaque année et les intervalles entre les nidifications sont de deux à trois ans, ce qui peut en partie expliquer les variations annuelles dans la taille des populations nicheuses.

Des relevés par avion et par bateau ont été effectués dans le cadre de plusieurs études pour estimer l'occurrence saisonnière de la tortue luth dans les eaux du large du continent aux États-Unis (voir p. ex. Hoffman et Fritts, 1982; Shoop et Kenney, 1992; Epperly et al., 1995). Shoop et Kenney (1992) ont établi la densité estivale moyenne à 18,3 tortues/1000 km après trois ans de relevés dans les eaux du plateau continental, entre le golfe du Maine et la Caroline du Nord. Ce chiffre a été converti en une estimation d'abondance oscillant entre 100 et 900 tortues luths chaque été dans la région à l'étude. Cette fourchette globale d'abondance ne donne aucun intervalle de confiance statistique; il s’agit simplement de sommaires établis à partir d'une série d'estimations ponctuelles. On ne possède aucune estimation d'abondance semblable pour les eaux canadiennes, car aucun relevé aérien sur transect visant les tortues marines n’y a été réalisé, pas plus que des relevés sur transect par bateau. On a plutôt recueilli des données selon l'occasion auprès de pêcheurs commerciaux volontaires qui consignent leurs observations de tortues luths pendant qu'ils pêchent ou qu'ils se déplacent sur les lieux de pêche. Le potentiel d'observation ou de capture accidentelle de tortues luths dans ces régions et ailleurs sur le plateau Néo-Écossais est lié à l'effort de pêche. Il n'y a guère de données concernant la présence ou l'absence de tortues luths dans les régions où l'activité de pêche est minimale ou nulle.

Compte tenu de ces limitations, il n'est pas possible d'évaluer exactement l’abondance de la tortue luth dans les eaux de l'Est canadien. On peut toutefois avancer des estimations par rapport à celles qui ont été faites dans d'autres régions. Par exemple, Shoop et Kenney (1992) ont recensé 128 tortues en trois ans et on en a relevé 454 dans le cadre de relevés aériens dédiés effectués dans les eaux du plateau, entre le golfe du Maine et Cape Lookout en Caroline du Nord, tandis qu'un échantillon de pêcheurs commerciaux travaillant dans les eaux du large de la Nouvelle-Écosse durant l'été et l'automne de 1998 et de 1999 en ont observé 300 (James, 2000). Comme les relevés aériens permettent de mieux repérer les tortues luths que les observations occasionnelles faites à partir de navires, on peut en déduire que les densités estivales de ces tortues dans l'Est canadien sont plus élevées que l'estimation de 100 à 900 individus qui a été établie par Shoop et Kenney (1992 ) pour une zone d'étude beaucoup plus vaste le long de la côte du Nord-Est des États-Unis. Les estimations d'abondance fondées sur des relevés effectués par avion ou par bateau doivent en outre être considérées comme minimales, car elles ne comprennent que les observations des tortues en surface sans tenir compte de celles qui se trouvent à diverses profondeurs (Shoop et Kenney, 1992).

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