Épinoches du lac Misty évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 3

Information sur l'espèce

Nom et classification

Classe :
Actinopterygii (poissons à nageoires rayonnées)
Ordre :
Gastérostéiformes
Famille :
Gastérostéidés (épinoches)
Genre :
Gasterosteus
Forme lentique :
Gasterosteus sp.
Forme lotique :
Gasterosteus sp.

Nom commun

Nom anglais :
Misty Lake lentic stickleback, (Lake Form)
Misty Lake lotic stickleback, (Stream Form)
Nom français :
Épinoche lentique du lac Misty
Épinoche lotique du lac Misty

La forme marine de l’épinoche du lac Misty, parfois nommée trachurus dans la documentation, migre en eau douce pour frayer (anadrome) tandis que la forme dulçaquicole, nommée leiurus, demeure en eau douce tout au long de sa vie (Scott et Crossman, 1973). Depuis quelque temps déjà, on reconnaît que la taxinomie du Gasterosteus aculeatus pose problème (voir par exemple Hagen et McPhail, 1970; Scott et Crossman, 1973). Les approches classiques de la systématique sont fondées sur la morphométrie et présument que les traits morphologiques évoluent rarement de manière parallèle. Pourtant, l’évolution parallèle est un phénomène généralisé chez les épinoches dulçaquicoles et leur taxinomie ne reflète pas la grande diversité qui existe chez celles-ci (p. ex. Hagen et McPhail, 1970; Hagen et Gilbertson, 1972; Lavin et McPhail, 1985; Reimchen et al. ,1985; Schluter et McPhail, 1992; Bell et Foster, 1994; McPhail, 1994). McPhail et Lindsey (1970) ainsi que Bell et Foster (1994) considèrent que le G. aculeatus est un complexe d’espèces.

Selon Thompson et al. (1997), la radiation de formes chez le G. aculeatus de l’est du Pacifique Nord est caractérisée pour une part par trois ensembles de formes divergentes impliquant des espèces biologiques sympatriques ou parapatriques (révisé par McPhail, 1994) : les épinoches parapatriques anadromes et dulçaquicoles (p. ex. Hagen, 1967), les épinoches lacustres sympatriques limnétiques et benthiques (Larson, 1976; McPhail, 1984 et 1992) et les épinoches parapatriques lentiques et lotiques (Moodie, 1972, Reimchen et al., 1985; Lavin et McPhail, 1993). Des paires d’espèces lentiques et lotiques très divergentes sont connues dans trois bassins : les lacs Mayer et Drizzle, dans le nord-est de l’île Graham (îles de la Reine-Charlotte), et le lac Misty, dans la région nord-est de l’île de Vancouver (figure 1). Ces formes sont endémiques à la Colombie-Britannique. Par ailleurs, l’ampleur de la divergence écologique et génétique observée entre les formes parapatriques lentique-lotique de la paire d’épinoches du lac Misty est comparable à celle trouvée chez les paires benthique-limnétique (p. ex. dans le lac Paxton et dans le réseau du ruisseau Vananda de l’île Texada en Colombie-Britannique) (Taylor, comm. pers., 2005). Bien que plusieurs autres paires lentique-lotique aient été découvertes en Colombie-Britannique par la suite (Hendry et Taylor, 2004), on n’en connaît toujours aucune qui combine les différences génétiques, morphologiques et écologiques qui ont été observées chez la paire du lac Misty (Taylor, comm. pers., 2005).

Figure 1. Épinoches du lac Misty – le poisson du haut est représentatif de la forme lentique tandis que le poisson du bas est un spécimen appartenant à la forme lotique trouvée dans le tributaire (photo gracieusement offerte par Eric Taylor, Ph.D., University of British Columbia).

Figure 1. Épinoches du lac Misty – le poisson du haut est représentatif de la forme lentique tandis que le poisson du bas est un spécimen appartenant à la forme lotique trouvée dans le tributaire (photo gracieusement offerte par Eric Taylor, Ph.D., University of British Columbia).

Hendry et al. (2002) ont étudié en détail les différences entre des épinoches du réseau Misty provenant de sites différents. Les auteurs ont conclu que les différences morphologiques étaient plus marquées entre les épinoches du lac et les épinoches du tributaire (à la fois chez les spécimens capturés dans la nature et chez les croisements élevés dans des milieux artificiels communs dans le cadre d’expériences visant à déterminer si les différences observées dans la nature avaient un fondement génétique). Selon Lavin et McPhail (1986) et selon McPhail (1994), ces différences morphologiques entre l’une et l’autre des formes pourraient être le résultat d’une différence dans les caractéristiques des milieux dans lesquels les épinoches s’alimentent; caractéristiques lentiques pour l’une, lotiques pour l’autre. C’est également entre les épinoches du lac et celles du tributaire que la divergence génétique (ADN mitochondrial et microsatellites) la plus marquée s’est observée. Cette divergence génétique était moins marquée entre les épinoches du lac et celles de l’effluent (Hendry et al., 2002). Dans leur étude portant sur la morphologie adaptative, Moore et Hendry (2005) concluaient que le flux génétique ne limitait pas l’adaptation dans le ruisseau tributaire mais limitait fortement l’adaptation dans l’effluent; contrairement aux poissons du tributaire (où un changement très net s’est observé dans les caractéristiques morphologiques entre les poissons du lac et ceux du tributaire), ceux de l’effluent se caractérisaient par une augmentation graduelle de la divergence par rapport aux poissons du lac à mesure que la distance du lac augmentait.

Descriptionmorphologique

En règle générale, l’épinoche à trois épines est petit (longueur standard moyenne d’environ 51 mm). Le corps est compressé latéralement et allongé, s’effilant en un mince pédoncule caudal incurvé. Trois fortes épines dorsales dentelées et séparées les unes des autres sont présentes et la dernière de ces épines, très courte, précède, sans y être attachée, les rayons mous. Les pelviennes sont en position thoracique et portent une forte épine et un rayon mou. Toutes les épines des nageoires peuvent être maintenues en position dressée (Scott et Crossman, 1973).

Dans les réseaux occupés par des paires parapatriques lentique-lotique très divergentes, les différences morphologiques présentées sont quasi identiques (Lavin et McPhail, 1993). La forme lotique est de couleur brun tacheté et a un corps robuste tandis que la forme lentique est mélanique, a un corps effilé, porte de plus longues épines et possède plus de branchicténies que sa forme lotique parapatrique correspondante; les mêmes écotypes qui proviennent de bassins différents se ressemblent plus au point de vue morphologique que les différents écotypes qui proviennent d’un même bassin (Lavin et McPhail, 1993).

Dans leur étude, Hendry et al. (2002) ont découvert que, dans le réseau du lac Misty, les poissons du lac et de l’effluent étaient généralement plus longs que les poissons du tributaire (tableau 1). D’autres données ont révélé que les épinoches du tributaire du lac Misty ont généralement un corps plus haut que ceux du lac ou de l’effluent, que les poissons du lac possédaient plus de branchicténies que les poissons trouvés en milieu lotique, que les poissons du tributaire avaient des épines pelviennes plus courtes que les poissons du lac ou de l’effluent et que les poissons du tributaire avaient une ceinture pelvienne plus large que ceux du lac ou de l’effluent. Du point de vue de leur morphologie, les poissons du lac et ceux du tributaire sont à l’opposé tandis que les ceux de l’effluent ont une morphologie intermédiaire, mais plus semblable à celle des poissons du lac (Moore et Hendry, 2005).

Tableau 1. Valeurs moyennes des mesures morphologiques de l’épinoche à trois épines à différents sites de collecte du réseau du lac Misty(informations adaptées du tableau 1 dans Hendry et al., 2002). L’épaisseur corporelle, la longueur de l’épine pelvienne et la largeur de la ceinture pelvienne ont été normalisées à une longueur du corps générale de 55,4 mm. La lettre « S » représente la portion supérieure du tributaire (1,8 km en amont) et la lettre « I » représente la portion inférieure du tributaire (0,9 km en amont). Les sous-ensembles homogènes de collectes qui s’appuient sur des tests de Tukey sont marqués de lettres en exposant.
 
Tributaire Supérieur 1997 Tributaire Supérieur 1999 Tributaire Inférieur 1997 Tributaire Inférieur 1998 Lac 1997 Lac 1998 Effluent 1998
N
7 30 21 30 30 30 29
Longueur du corps
51,6b,c 49,1b 36,2a 52,3b,c 62,8d 61,6d 58,1c,d
Nombre de branchicténies
15,9a 16,7a,b 16,8a,b 16,1a,b 19,5d 18,8d 16,8a,b
Épaisseur corporelle
14,5f 13,6d 14,2e,f 13,8d,e 12,4c 11,6b 12,7c
Longueur de l’épine pelvienne
8,1a 8,7a,b 8,2a 9,0b,c 9,3b,c 9,2b,c 9,4c
Largeur de la ceinture pelvienne
4,6e 4,1d 4,5d,e 4,3d,e 3,1a,b 2,9a 3,2a,b,c

Les différences morphologiques observées entre les épinoches du lac Misty et ceux du tributaire sont héréditaires : des croisements entre formes lotiques ne produisent que des phénotypes de formes lotiques; des croisements entre formes lentiques ne produisent que des phénotypes de formes lentiques (Lavin et McPhail, 1993; Hendry et al., 2002). Cela révèle que les deux formes ont un fonds génétique différent, non que les deux formes partagent un même fonds génétique au polymorphisme complexe (Lavin et McPhail, 1993).

Description génétique 

Chez le Gasterosteus du Pacifique Nord, la divergence évolutive intervient à différents niveaux : une divergence très ancienne de clades d’ADN mitochondrial et, plus récemment, une divergence postglaciaire d’écotypes dans les clades majeurs (Thompson et al., 1997). Bien qu’on ne le trouvât initialement qu’aux environs des îles de la Reine-Charlotte, Thompson et al. (1997) ont pu étendre les limites de la répartition connue du clade japonais (de la plaine Argonaut) – appelé « clade trans-Pacifique Nord » (Trans-North Pacific clade; TNPC) – jusqu’au réseau hydrographique du lac Misty. En effet, le TNPC et la lignée de l’est du Pacifique Nord du « clade euro-nord-américain » (Euro-North American clade; ENAC) se trouvent dans le réseau du lac Misty (figure 2). Le TNPC est beaucoup moins commun en Colombie-Britannique que l’ENAC, bien que Johnson et Taylor (2004) aient découvert qu’il était plus commun et plus largement réparti qu’on le croyait. À ce jour, on sait que ce clade est présent dans douze des quarante-cinq nouveaux sites inventoriés dans leur étude : quatre des neuf populations lentiques de Cook Inlet (Alaska), trois des quatre populations lentiques de l’île Quadra, une des quinze populations lentiques récemment découvertes du nord de l’île de Vancouver, une des quatre populations de la région continentale adjacente et quatre des douze populations anadromes ou marines. Selon Johnson et Taylor (2004), il y a relation significative entre la présence du TNPC et l’altitude du lac; ce clade s’est trouvé plus souvent dans les lacs dont l’altitude est inférieure à 42 m que dans les lacs de plus haute altitude. Ce paramètre révèle que l’accessibilité aux lacs d’origine post-glaciaire a joué un rôle important dans la délimitation de la répartition des deux clades dans l’est du Pacifique (Johnson et Taylor, 2004).

Figure 2.

  1. Relations entre les haplotypes d’ADN mitochondrial trouvés chez les populations d’épinoches échantillonnées dans la portion nord de l’île de Vancouver et sur l’île Graham(îles de la Reine-Charlotte), y compris le tributaire du lac Misty (principalement haplotype 2, plus haplotype 3) de même que le lac Misty et son effluent (principalement haplotype 3, plus haplotypes 2 et 4), les lettres « A » et « B » réfèrent à deux clades majeurs d’ADN mitochondrial, le « clade trans-Pacifique Nord » (TNPC) et le « clade euro–nord-américain » (ENAP). Les valeurs sur les points de bifurcation représentent le pourcentage de validation par analyse bootstrap répétée 1 000 fois
  2. Arbre généré par Neighbor-Joining montrant la parenté estimée entre les populations d’épinoches lentiques et lotiques de l’île de Vancouver et de l’île Graham. Les dessins de poissons représentent la forme corporelle générale ainsi que les différences de coloration (les deux figures sont adaptées de Thompson et al., 1997).
Figure 2. (a) Relations entre les haplotypes d’ADN mitochondrial trouvés chez les populations d’épinoches échantillonnées dans la portion nord de l’île de Vancouver et sur l’île Graham(îles de la Reine-Charlotte), y compris le tributaire du lac Misty (principalement haplotype 2, plus haplotype 3) de même que le lac Misty et son effluent (principalement haplotype 3, plus haplotypes 2 et 4), les lettres « A » et « B » réfèrent à deux clades majeurs d’ADN mitochondrial, le « clade trans-Pacifique Nord » (TNPC) et le « clade euro–nord-américain » (ENAP).

Hendry et al. (2002) ont été en mesure de démontrer que la divergence génétique (ADN mitochondrial et microsatellites) la plus marquée se trouvait entre les poissons du lac Misty et les poissons de la partie supérieure du tributaire (à 1,8 km en amont du lac), que la divergence génétique intermédiaire se trouvait entre les poissons du lac et les poissons de la portion inférieure du tributaire (à 0,9 km en amont) et que la divergence génétique la moins marquée se trouvait entre les poissons du lac et les poissons de l’effluent (à 1,2 km en aval du lac). Le TPNC était presque toujours présent chez les poissons de la portion supérieure du tributaire (95,5 p. 100), dominant chez les poissons de la portion inférieure du tributaire (67,5 p. 100), moins commun chez les poissons de l’effluent (20,5 p. 100) et rare chez les poissons du lac Misty (4,4 p. 100); le TPNC prédominait chez les poissons du ruisseau tributaire du lac tandis que l’ENAC dominait chez les poissons du lac et de son effluent (Thompson et al., 1997; Hendry et al., 2002). Cet assemblage de deux populations où chacune est dominée par un clade différent semble rare chez les paires d’épinoches parapatriques.

Hendry et al. (2002) ont démontré que, dans le réseau du lac Misty, toutes les paires de collectes (propres à un site et propres à une année) différaient de manière significative dans les fréquences alléliques à cinq loci de microsatellites d’ADN nucléaire (P < 0,010) et que toutes les valeurs FST par paire étaient significativement supérieures à zéro (P < 0,001). La différenciation inter-années et intra-site était faible (FST = 0,023 – 0,030). La différenciation inter-sites était faible (entre le lac et l’effluent, FST = 0,005 – 0,046), modérée (entre la partie inférieure du tributaire et le lac, FST = 0,129 – 0,157) ou importante (entre la partie supérieure du tributaire et le lac, FST = 0,289 – 0,345), démontrant une concordance entre la différenciation de l’ADN nucléaire et celle de l’ADN mitochondrial. Les collectes issues du lac Misty et de son effluent se groupaient ensemble et étaient séparées des collectes issues des portions inférieure et supérieure du tributaire (bootstrap 98 p. 100). Les collectes des portions inférieure et supérieure du tributaire étaient également assez distinctes l’une de l’autre (bootstrap 99 p. 100); la forme lotique pourrait donc être composée de plus d’une population (figure 3).

Figure 3. Dendrogramme de distance génétique sans biais de Nei (1978) montrant les liens généraux entre les épinoches du lac Misty qui occupent des habitats différents ainsi qu’entre les épinoches du lac Misty et des paires de formes lentique et lotique occupant d’autres bassins.

Figure 3. Dendrogramme de distance génétique sans biais de Nei (1978) montrant les liens généraux entre les épinoches du lac Misty qui occupent des habitats différents ainsi qu’entre les épinoches du lac Misty et des paires de formes lentique et lotique occupant d’autres bassins.

Les étiquettes situées au bout des branches terminales réfèrent aux lieux dans lesquels les collectes ont été effectuées. Chacune de ces étiquettes porte des lettres symbolisant l’emplacement de la collecte-- « O » pour l’effluent, « I pour le tributaire et « L » pour le lac. Chacune de ces lettres est suivie de l’année de la collecte. Pour le bassin versant Misty, « UI » représente la portion supérieure du tributaire; pour le bassin versant Boot/Merrill, « ML » représente le lac Merrill, « BL » représente le lac Boot et « O/I » représente le ruisseau qui connecte ces deux lacs ensemble; pour le bassin versant Amor de Cosmos, « LS » représente la collecte méridionale du lac McCreight, adjacente au tributaire, et « LN » représente la collecte septentrionale du lac McCreight, adjacente à l’effluent. Les valeurs bootstrap apparaissent à chaque nœud et la distance génétique est fondée sur la variation à cinq loci d’ADN microsatellite (pour plus de détails, consulter Hendry et Taylor, 2004 ).

L’estimation du nombre effectif de migrateurs entre un site et un autre (total de poissons échangés) la plus faible a été mesurée entre le lac Misty et la partie supérieure de son tributaire (0,54 migrateur par génération). Cette estimation était légèrement plus élevée entre le lac Misty et la partie inférieure de son tributaire (1,59 migrateur par génération) et beaucoup plus élevée entre le lac Misty et son effluent (18,23 migrateurs par génération) (estimations fondées sur les calculs des FST de Wright, Hendry et al., 2002).

Unités désignables

Toutes les populations d’épinoches présentes dans le bassin versant du lac Misty sont des composantes importantes des processus évolutifs ayant cours dans ce réseau. Il est rare d’observer des populations qui divergent et coexistent en tant que paires de formes parapatriques; il importe donc de les conserver. Les données morphologiques, génétiques et écologiques montrent que la population du tributaire du lac Misty et celle du lac sont divergentes et isolées l’une de l’autre en ce qui a trait à la reproduction; elles se comportent comme deux espèces biologiques distinctes. Chacune des deux populations devrait être considérée comme une unité désignable, comme le sont les paires benthique-limnétique. Actuellement, la population de l’effluent ne semble pas respecter le critère qui lui permettrait d’être considérée comme une unité désignable distincte en raison des similarités rapportées entre cette population et la population du lac. Le flux génétique allant de la population du lac à la population de l’effluent est suffisamment important pour freiner le processus d’adaptation chez cette dernière, bien qu’un certain degré de divergence écologique soit apparent (Moore et Hendry, 2005). Pour l’instant, on peut considérer la population de l’effluent comme une composante de l’unité désignable qu’est la population lentique. La population de l’effluent contribue à l’ensemble du complexe lentique-lotique du lac Misty et pourrait être caractérisée par une dynamique de populations distincte de celles des populations du tributaire ou du lac.

Thompson et al. (1997) font valoir que leurs données moléculaires donnent fortement à penser que les paires lentiques-lotiques de l’île Graham et la paire lentique-lotique de la portion nord de l’île de Vancouver ont évolué de manière indépendante, par le biais d’une évolution parallèle. En effet, ni la forme lentique trouvée dans le lac Misty ni sa forme lotique correspondante trouvée dans le tributaire ne se sont groupées avec les formes comparables des réseaux des lacs Drizzle et Mayer. Par ailleurs, la paire lentique-lotique du lac Misty ne partage aucun haplotype d’ADN mitochondrial avec l’une ou l’autre des paires de l’île Graham. D’après leurs données, les haplotypes sont phylogénétiquement indépendants des haplotypes de l’île Graham. Des données de Hendry et Taylor (2004) sur les microsatellites viennent appuyer la conclusion selon laquelle les paires provenant de bassins versants différents ont une longue histoire d’indépendance évolutive et représentent un événement de divergence post-glaciaire indépendant des autres.

Les données obtenues par Thompson et al. (1997) viennent également appuyer l’hypothèse d’une divergence allopatrique en ce qui a trait aux clades d’ADN mitochondrial observés chez la paire du lac Misty. En effet, la divergence nucléotidique d’ADN mitochondrial entre la population lotique et la population lentique a été estimée à 1,75 p. 100, indiquant que les clades prédominants de la population du lac Misty et de la population du tributaire du lac ont divergé il y a environ 875 000 ans (dans l’hypothèse où la vitesse de substitution d’une molécule complète est de 2 p. 100 par million d’années), tandis que le lac Misty et sa zone environnante ont été recouverts de glace il y a seulement 12 000 ans. On croit que la divergence des deux clades d’ADN mitochondrial observés chez la paire du lac Misty serait le résultat d’une isolation ancienne dans les deux refuges glaciaires principaux désignés pour le Pacifique Nord, soit le refuge Beringia et le refuge Cascadia (Thompson et al., 1997).

Lavin et McPhail (1993) ont observé que la forme lentique occupait principalement le lac, mais un petit nombre de poissons lentiques ont été capturés dans le tributaire jusqu’à 300 m en amont. À l’opposé, aucun poisson du ruisseau tributaire n’a été capturé dans le lac, mais les deux formes ont été capturées dans le marécage, une zone de transition, situé à l’embouchure du tributaire. Les répartitions des deux formes se chevauchent durant la saison de reproduction. Cependant, les auteurs ont découvert que les hybrides étaient rares dans la nature; seulement un des 274 poissons capturés dans le réseau du lac Misty présentait une morphologie intermédiaire entre la forme lentique et la forme lotique, signifiant que l’hybridation est un événement rare ou que le taux de survie des hybrides est faible. Selon les auteurs, leurs observations portent à croire que les formes lentique et lotique sont des entités écologiquement et génétiquement distinctes, non pas le résultat d’un dimorphisme provoqué par des conditions environnementales à l’intérieur d’une même population.

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