Bec-croisé des sapins (Percna) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Rapport de situation du COSEPAC
sur le
Bec-croisé des sapins
de la sous-espèce percna
Loxia curvirostra percna
au Canada
2004

Information sur l'espèce

Nom et classification

Nom scientifique :
Loxia curvirostra percna Bent 1912
Nom français :
Bec-croisé des sapins de la sous-espèce percna
Nom anglais :
Red Crossbill percna subspecies
Classe :
Oiseaux
Ordre :
Passériformes
Famille :
Fringillidés
Sous-famille :
Carduelinés
Genre :
Loxia
Espèce :
curvirostra
Sous-espèce :
percna

 

Noms communs

Parmi les autres noms communs anglais utilisés (actuellement et dans le passé) pour désigner le Bec-croisé des sapins à Terre-Neuve, mentionnons les suivants : Spruce Mope (Peters et Burleigh, 1951), Large Spruce Bird (Reeks, 1869) et Spruce Bird (Montevecchi et Wells, 1987).

Nomenclature de la sous-espèce

Par le passé, le Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra) a été divisé en un certain nombre de sous-espèces en Amérique du Nord, à partir de différences morphologiques dans la taille et la forme du corps et du bec et dans les caractéristiques du plumage (Griscom, 1937). Des recherches plus poussées ont prouvé que la variation de la taille du bec des sous-espèces entraîne des préférences différentes en ce qui a trait aux graines de conifères (Lack, 1944; Benkman, 1993a) et que les divers taxons du Bec-croisé des sapins sont séparés par des vocalisations distinctes qui sont en corrélation avec une homogamie (Groth, 1993a).

Il y a longtemps que les ornithologues reconnaissent le Bec-croisé des sapins observé à Terre-Neuve comme une forme distincte à cause de la forte taille de son corps et de son bec et de son plumage plus foncé. Dans les ouvrages scientifiques, Bent (1912) est le premier à avoir identifié le Bec-croisé des sapins de Terre-Neuve comme une sous-espèce qu’il a appelée Loxia curvirostra percna. Ce classement taxinomique est accepté dans une publication subséquente de Noble (1919) sur l’avifaune de Terre-Neuve, ainsi que dans la Checklist of North American Birds, 4e édition, publié par l’American Ornithologists’ Union (AOU) (American Ornithologists' Union, 1931). Cependant, à la même époque, on a réexaminé les premiers spécimens de Becs-croisés des sapins récoltés, à cause de l’émergence de nouvelles sous-espèces. En 1922, Stresemann a examiné les spécimens du musée de Berlin qui avaient été classés comme étant des Loxia pusilla et/ou des Crucirostra americana par Gloger (1843, question traitée par Groth, 1993b). Stresemann a appelé les gros spécimens pusilla (Groth, 1993b). En 1934, van Rossem a conclu que les spécimens de pusilla conservés à Berlin correspondaient au Bec-croisé des sapins de Terre-Neuve du point de vue morphologique, mais il n’avait examiné aucun autre spécimen de l’Amérique du Nord. Van Rossem a donc changé le nom de sous-espèce du Bec-croisé des sapins de Terre-Neuve, en remplaçant percna par pusilla, même si Stresemann avait conclu que le type pusilla de Berlin venait de Géorgie (voir l’analyse dans Groth, 1993b).

L’ouvrage majeur de Griscom (1937) sur la taxinomie des Becs-croisés appuyait les conclusions de van Rossem, et désignait la sous-espèce de Bec-croisé des sapins de Terre-Neuve sous le nom de Loxia curvirostra pusilla Gloger. Selon l’hypothèse de Griscom, la sous-espèce de Terre-Neuve errait sur de grandes distances, ce qui justifiait le fait que le spécimen-type provienne apparemment de la Géorgie (Griscom, 1937). La désignation pusilla pour la sous-espèce de Terre-Neuve a été adoptée par Peters et Burleigh (1951) dans la publication The Birds of Newfoundland, ainsi que par l’AOU dans le Checklist of North American Birds, 5e édition (American Ornithologists' Union, 1957). Ce classement taxinomique est également utilisé dans l’ouvrage Les oiseaux du Canada de Godfrey (1966) ainsi que dans l’édition révisée de cet ouvrage (Godfrey, 1986).

Vers les années 1980, des auteurs comme Phillips (voir Groth, 1993b et Dickerman, 1987) ont repris l’appellation percna pour la sous-espèce de Terre-Neuve, jugeant que l’utilisation du nom de pusilla était probablement une erreur. Dans une étude approfondie des variations chez la sous-espèce pusilla, Payne (1987) a conclu que l’appellation percna désignait une forme distincte et n’était pas synonyme de pusilla. Selon Phillips, il fallait même éliminer les noms de sous-espèces et regrouper plutôt les divers types de becs-croisés d’Amérique du Nord en fonction des similitudes dans leur taille. En s’appuyant sur les résultats de ses recherches, Phillips a proposé de regrouper la sous-espèce percna et le Bec-croisé des sapins de Californie dans une catégorie formée de types de grande taille et appelée « Classe III » (voir l’analyse dans Dickerman, 1987).

Au début des années 1990, Groth (1993b) a publié un ouvrage important révisant la taxinomie des becs-croisés d’Amérique du Nord. Cet ouvrage s’appuyait sur une étude des caractéristiques morphologiques, vocales et génétiques du « complexe » formé par les divers types de Becs-croisés des sapins du Nouveau Monde. Groth a conclu que ce complexe de Becs-croisés des sapins est constitué d’un groupe de huit espèces jumelles isolées sur le plan reproductif et non de sous-espèces. Les divers types de becs-croisés qui étaient répertoriés dans son analyse ne correspondent généralement pas à la nomenclature traditionnelle des sous-espèces. Il y avait chevauchement entre bien des types de becs-croisés sur les plans morphologique et géographique, de sorte que le chant devenait un critère d’identification essentiel. D’après les résultats de l’analyse génétique effectuée dans le cadre de cette étude, les divers types de Becs-croisés des sapins sont très similaires, montrant des variations génétiques moins grandes que celles que l’on observerait entre différentes espèces appartenant au même genre. De même, on a découvert qu’il était impossible de différencier les diverses espèces de becs-croisés du Royaume-Uni à partir de leurs caractères génétiques (Summers et Piertney, 2003). Groth (1993b) a caractérisé le Bec-croisé des sapins de Terre-Neuve comme un bec-croisé du type 8, en se fondant sur des différences morphologiques et sur l’enregistrement d’un seul chant qui différait de tous les autres chants de Becs-croisés des sapins enregistrés en Amérique du Nord. Groth (1993b) a fait une mise en garde, affirmant que l’on ne sait pas si les becs-croisés du continent ont déjà atteint Terre-Neuve, ni s’il y a des oiseaux du type 8 sur le continent. Groth (1993b) a déclaré qu’il faut recourir à la nomenclature scientifique binominale pour « l’espèce » dans le complexe de Becs-croisés des sapins d’Amérique du Nord et qu’à son avis, le nom le plus approprié pour le type de Terre-Neuve serait percna Bent 1912. Il est probable que la désignation pusilla n’est pas appropriée pour cette sous-espèce de Bec-croisé des sapins parce qu’elle s’applique davantage aux becs-croisés du type 2 (Groth, 1993b). L’American Ornithologists’ Union (1983) a cessé de publier la nomenclature des sous-espèces dans les éditions subséquentes à la 5e édition de sa liste en 1957, mais elle a continué d’entériner l’utilisation de la nomenclature trinominale des sous-espèces. Les révisions historiques de la taxinomie du Bec-croisé des sapins de la sous-espèce percna sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Révisions historiques de la taxinomie du Bec-croisé des sapins de la sous-espèce percna
Nom Année Aire de répartition Auteur (référence)
L. c. percna 1912 Terre-Neuve seulement Bent (1912)
L. c. pusilla 1934 Terre-Neuve Van Rossem (Groth, 1988)
L. c. pusilla 1937 Terre-Neuve, erre le long du littoral est Griscom (1937)
L. c. pusilla 1966 Terre-Neuve, erre au Canada jusqu’en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse Godfrey (1966)
Classe de taille III 1981 Terre-Neuve, mais incluant d’autres « gros » becs-croisés d’Amérique du Nord présents sur le continent Phillips (Dickerman, 1987)
L. c. percna 1987 Terre-Neuve, erre jusque dans le nord-est des États-Unis et dans des régions canadiennes adjacentes Dickerman (1987)
Type 8 1993 Terre-Neuve; occurrence sur le continent inconnue Groth (1993b)


Consensus actuel?

Certaines publications scientifiques récentes concernant cette sous-espèce du Bec-croisé des sapins utilisent le nom de sous-espèce percna (voir des exemples dans Pimm, 1990; Parchman et Benkman, 2002). D’autres travaux récents préconisent l’adoption du système de classification par type proposé par Groth (1993b) pour les becs-croisés d’Amérique du Nord (Pyle, 1997; Kaufman, 1999; Sibley, 2000), cette sous-espèce étant classée dans le type 8.

Selon Knox (1992), il serait plus exact de considérer les Becs-croisés des sapins comme des « pseudo-espèces » parce qu’ils sont sympatriques pendant certaines périodes (quand des oiseaux provenant de populations principales différentes se retrouvent ensemble lors d’irruptions), mais isolés sur le plan de la reproduction. Knox (1992) soutient qu’il n’est pas nécessaire de considérer de nombreuses sous-espèces de Becs-croisés des sapins comme des espèces distinctes parce qu’il n’y a aucune preuve qu’elles se comportent comme des espèces distinctes lorsqu’elles se trouvent dans leurs aires de répartition principales, mais il reconnaît que l’on manque de données précises à cet égard. Cependant, Groth (1993b) conclut que les Becs-croisés des sapins d’Amérique du Nord sont des espèces jumelles : le flux génique résultant de leur vagilité n’a pas uniformisé leur morphologie parce que les diverses formes sont isolées sur le plan reproducteur.

À partir de cette conclusion, certains auteurs ont envisagé de promouvoir les diverses formes du Bec-croisé des sapins au statut d’espèces à part entière. Par exemple, DeBenedictis (1995) affirme que les huit types de Becs-croisés des sapins d’Amérique du Nord correspondent aux définitions contemporaines d’une espèce et montrent le même degré de divergence que les Becs-croisés des sapins de l’Ancien Monde qui sont reconnus comme des espèces distinctes. Il admet qu’il faut effectuer d’autres recherches pour confirmer définitivement le statut d’espèces des divers types de becs-croisés du Nouveau Monde. La possibilité d’attribuer un statut d’espèce à part entière aux diverses formes du L. curvirostra a également été démontrée récemment en Europe (Robb, 2000; Summers et al., 2002). Ces becs-croisés ont des aires de répartition sympatriques, mais se reproduisent probablement par homogamie à partir de la reconnaissance du chant.

Sommaire

Le Bec-croisé des sapins de la sous-espèce percna constitue un groupe distinct. Il diffère des autres formes de Becs-croisés des sapins d’Amérique du Nord sur le plan morphologique et est considéré comme l’une des huit formes isolées sur le plan reproducteur qui sont présentes en Amérique du Nord. L’emploi antérieur de la désignation pusilla pour cette sous-espèce a peut-être été une erreur, le nom le plus approprié pour cette sous-espèce du Bec-croisé des sapins étant percna.

 

Description

Les becs-croisés sont des Fringillidés de taille moyenne reconnaissables à leurs mandibules croisées uniques. Le Bec-croisé des sapins n’a pas de bandes alaires blanches, ce qui permet de le distinguer de l’autre espèce de bec-croisé d’Amérique du Nord, soit le Bec-croisé bifascié (L. leucoptera). Chez le Bec-croisé des sapins, le mâle adulte est rouge terne en dessus et en dessous, avec une coloration plus vive sur le croupion et plus terne sur le dos où une coloration brune est visible (Godfrey, 1986). En général, la femelle adulte est olive grisâtre plutôt que rouge, avec un croupion jaunâtre (Godfrey, 1986). Les rémiges sont brun noirâtre chez le mâle et la femelle, tout comme la queue très fourchue (Godfrey, 1986; Adkisson, 1996). Le juvénile a la tête et le corps rayés et d’une coloration gris pâle teintée d’olive et de jaune (Godfrey, 1986) et il se distingue généralement des adultes par la présence de bordures chamois sur les tectrices des ailes (Adkisson, 1996). Le plumage des mâles immatures est variable et peut présenter des intermédiaires entre ceux de la femelle et du mâle adultes (Godfrey, 1986). Chez le Bec-croisé des sapins, il peut ne pas y avoir de mues saisonnières régulières, de sorte que le plumage peut varier tout au long de l’année (par exemple, la coloration du mâle peut aller du rouge brique intense au jaune rougeâtre ou au verdâtre; Adkisson, 1996). La taille du bec et du corps varie selon la sous-espèce (Adkisson, 1996). D’après les résultats d’un examen des Becs-croisés des sapins du Canada, la fréquence du croisement du bec vers la gauche ou vers la droite serait la même (James et al., 1987).

La sous-espèce percna est plus grosse, avec un bec plus robuste et un plumage plus foncé et plus sombre que les autres becs-croisés d’Amérique du Nord (Pyle, 1997). D’après Peters et Burleigh (1951), le mâle adulte présente une coloration d’un rouge terne, plus vif sur le croupion, avec des ailes et une queue noirâtres; le plumage de la femelle adulte est gris olive terne, avec du jaune sur le croupion et souvent sur les parties inférieures et des ailes et une queue grisâtre sombre; les juvéniles présentent une coloration variable, allant du vert olive au jaune ou au rougeâtre. Griscom (1937) souligne que les individus des deux sexes de la sous-espèce percna se reconnaissent facilement à leur coloration terne foncée et qu’avec un peu de pratique, il est facile d’identifier les spécimens de cette sous-espèce. Voir les photographies de Becs-croisés des sapins de Terre-Neuve présentées aux figures figure1 et figure2. Des mesures morphométriques de Becs-croisés des sapins de la sous-espèce percna provenant d’ouvrages publiés et de spécimens de musées sont présentées aux annexes annexe1 et annexe2.

Figure 1 :  Bec-croisé des sapins mâle sur un pin noir d’Autriche ornemental, St. John’s, le 28 avril 2002

Bec-croisé des sapins mâle sur un pin noir d’Autriche ornemental, St. John’s, le 28 avril 2002. Photos © Dave Fifield, reproduites avec sa permission.

Photos © Dave Fifield, reproduites avec sa permission.


Figure 2 : Spécimen de Bec-croisé des sapins mâle tué sur la route dans le parc national Terra-Nova, en 1997

Figure 2.  Spécimen de Bec-croisé des sapins mâle tué sur la route dans le parc national Terra-Nova, en 1997.

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