Grenouille à pattes rouge (Rana aurora) sommaire du statut de l'espèce du COSEPAC : chapitre 9

Facteurs limitatifs et menaces

En Colombie-Britannique, la grenouille à pattes rouges se limite à des altitudes relativement faibles. La plupart des observations ont été faites à des altitudes inférieures à 500 m, bien que l’espèce ait été signalée à 1 040 m. Le sud de la Colombie-Britannique constitue la limite septentrionale de l’aire de répartition naturelle de l’espèce, ce qui découle probablement davantage de l’historique de glaciation de la région que des limites de tolérance physiologiques ou écologiques de l’espèce, comme en témoignent deux populations du Nord isolées, soit celles de Haida Gwaii et du sud-est de l’Alaska (la population de l’Alaska et peut-être celle de Haida Gwaii sont le résultat d’introductions récentes). Il est possible que l’espèce élargisse son aire de répartition vers le nord, le long du littoral du Pacifique, mais l’altitude (et peut-être aussi les interactions avec la grenouille maculée de Columbia ou d’autres espèces) constitue un obstacle à son expansion vers l’intérieur.

Dans l’ensemble de l’aire de répartition canadienne de l’espèce, des populations sont menacées par les activités humaines et les pratiques d’utilisation des terres. Parmi les menaces anthropiques figurent la fragmentation des habitats, l’assèchement des milieux humides, la perte et la modification d’habitats forestiers, l’enlèvement de la végétation riveraine, la pollution dans les habitats de reproduction et l’introduction d’espèces exotiques dans les habitats aquatiques. Les épizooties sont une préoccupation pour les populations d’Anoures en général, et les effets synergétiques entre plusieurs facteurs anthropiques et naturels sont probablement fréquents et peuvent affecter les amphibiens de manière imprévisible. Le changement climatique planétaire peut exarcerber tous ces effets.

 

Perte et fragmentation des habitats

L’aire de répartition canadienne de la grenouille à pattes rouges chevauche les régions les plus peuplées de la Colombie-Britannique, soit la vallée du cours inférieur du fleuve Fraser et le sud et l’est de l’île de Vancouver (figure 3). Au cours du siècle dernier, des habitats de ces régions ont été détruits par l’assèchement des milieux humides et la transformation de forêts en terres agricoles et en développements urbains. La majorité de ces développements ont été réalisés à basse altitude, c’est-à-dire dans des zones privilégiées par l’espèce. Le développement urbain, en particulier, se poursuit à un rythme rapide dans le sud-ouest de la province, notamment dans certaines parties de l’île de Vancouver, de la vallée du cours inférieur du fleuve Fraser et des îles Gulf (voir la sous-section « Habitat, Tendances »). Dans les secteurs les moins peuplés de l’aire de répartition de l’espèce (nord et ouest de l’île de Vancouver, Sunshine Coast et vers le nord le long de la côte), les activités forestières sont intensives et continuent de modifier les habitats.

En plus de causer la perte et la modification des habitats, les activités humaines s’accompagnent de la construction de routes, ce qui fragmente les habitats. La fragmentation des habitats affecte particulièrement les grenouilles qui entreprennent des migrations saisonnières et qui ont besoin des forêts pour se nourrir et des milieux humides pour se reproduire. Bien des populations d’amphibiens sont spatialement organisées de manière à constituer une forme quelconque de métapopulation, et la dispersion est indispensable pour assurer leur viabilité (Marsh et Trenham, 2001 et références qui s’y trouvent). Dans d’autres régions, on a démontré que la fragmentation des habitats accentue le déclin et la disparition localisés d’amphibiens occupant des forêts et se reproduisant dans des étangs pour lesquels la dispersion entre les habitats et les sous-populations est essentielle (R. sylvatica, Ambystoma maculatum; Gibbs, 1998). Green (2003), après avoir comparé les tendances des populations et les paramètres démographiques d’un grand nombre d’espèces et de populations d’amphibiens, a conclu qu’en nuisant à la recolonisation la fragmentation des habitats risque d’avoir des conséquences immédiates et catastrophiques sur les espèces à dispersion obligatoire manifestant des fluctuations importantes de population et une fréquence élevée d’extinction localisée, comme les amphibiens se reproduisant dans les étangs (traduction libre de la p. 341 de Green, 2003). Ces considérations s’appliquent à la grenouille à pattes rouges en général, bien que les détails des fluctuations et de la dynamique de ses populations dans l’espace et dans le temps soient inconnus.

La perte d’habitats aux dépens de l’agriculture et de l’urbanisation est plus ou moins permanente, alors que les effets de l’exploitation forestière sont plus temporaires, dans la mesure où l’on permet au couvert forestier de se régénérer et où les milieux humides n’ont pas été détériorés. Cependant, dans la plus grande partie de l’aire de répartition canadienne de l’espèce, d’immenses territoires sont soumis à l’exploitation forestière. Par conséquent, il est indispensable de connaître la réaction de l’espèce aux activités forestières et sa capacité de coexister avec ces dernières pour pouvoir évaluer les menaces qui pèsent sur les populations et leur vulnérabilité dans l’aire de répartition canadienne.

 

Effets de l’exploitation forestière

Le déboisement entraîne généralement un assèchement du milieu ainsi qu’une perturbation du microclimat et de la structure du sol forestier et de l’hydrologie des milieux humides. On craint que ces perturbations créent des conditions défavorables pour les grenouilles en appauvrissant les habitats d’alimentation et d’hibernation, en posant des obstacles à la dispersion et à la migration et en fragmentant les habitats. La détérioration des milieux humides ou la modification du tracé de leur réseau hydrographique pourrait affecter le succès reproducteur de l’espèce. La grenouille à pattes rouges, associée aux forêts humides, habite souvent les peuplements anciens, sans toutefois se limiter à ceux-ci (questions traitées dans Blaustein et al., 1995). Dans l’État de l’Oregon, Cole et al. (1997) n’ont relevé aucun effet de la coupe de bois, des incendies ou de l’épandage d’herbicides sur le taux de capture de grenouilles à pattes rouges; cependant, les taux variaient beaucoup d’une année à l’autre et d’un site à l’autre, ce qui complique les comparaisons. Dans le sud de l’État de Washington, l’espèce était plus abondante dans les forêts mûres que dans les jeunes peuplements (Aubry et Hall, 1991). Une autre étude, menée dans une forêt secondaire aménagée de douglas taxifoliés (Pseudotsuga menziesii) dans l’État de Washington, a révélé que l’espèce était plus abondante dans les peuplements au stade de révolution (de 50 à 70 ans) que dans les peuplements jeunes, où quelques captures seulement ont été réalisées (Aubry, 2000). Ces peuplements abritaient également la plus grande diversité d’espèces d’amphibiens. Aubry (2000) a conclu que le fait de maximiser le pourcentage de forêts en stade de révolution dans les peuplements aménagés est bénéfique pour la grenouille à pattes rouges et d’autres espèces d’amphibiens.

Dans la région de la baie Clayoquot, sur la côte ouest de l’île de Vancouver, Beasley et al. (2000) ont observé que les pourcentages d’occupation des milieux humides par les amphibiens à reproduction aquatique, y compris la grenouille à pattes rouges, étaient semblables dans les zones ayant été exploitées antérieurement et les zones vierges. Cependant, les milieux humides entourés de zones de coupe à blanc avaient une probabilité plus élevée de s’assécher en été que les milieux humides des régions relativement intactes. L’abondance relative des amphibiens et leur taux de survie dans ces deux types d’habitats n’ont pas été étudiés.

Dans le nord de l’île de Vancouver, Chan-McLeod (2003b) a étudié les effets de la coupe à blanc sur les déplacements de grenouilles à pattes rouges. Des grenouilles munies de radio-émetteurs ont été relâchées dans des parcelles expérimentales placées à la lisière (entre la zone de coupe à blanc et la forêt ancienne), et leurs déplacements ont été suivis sur une période de plusieurs semaines en été et en automne, soit en dehors de la saison de reproduction. Les nouvelles zones de coupe à blanc (moins de 12 ans) entravaient les déplacements des grenouilles, qui se déplaçaient surtout vers la forêt et à l’intérieur de celle-ci. Les déplacements dans la zone de coupe à blanc variaient selon les conditions météorologiques; ils atteignaient leur maximum par temps humide et froid et leur minimum par temps chaud et sec. La plupart des déplacements dans la zone de coupe à blanc avaient lieu les jours de pluie. Les grenouilles n’ont pas utilisé les ruisseaux sans bordure boisée comme voies de déplacement dans la zone de coupe à blanc. Dans le cadre d’une autre expérience menée dans le nord de l’île de Vancouver, Chan-McLeod et Moy (version non définitive) ont étudié l’utilisation par la grenouille à pattes rouges des arbres et des parcelles d’arbres résiduels (de 0,07 à 2,7 ha) dans un secteur exploité. Le terrain était le résultat de procédures normalisées de coupe avec récolte à rétention variable. Pendant une période d’essais de trois jours, on a constaté que les grenouilles relâchées expérimentalement au pied d’arbres isolés ou dans les petites parcelles d’arbres résiduels avaient davantage tendance à quitter ce milieu que les grenouilles relâchées dans de plus grandes parcelles. En plus de la taille des parcelles, la présence d’un cours d’eau était un facteur qui augmentait la durée de séjour des individus dans les parcelles. Pendant leurs déplacements dans le secteur exploité, les grenouilles n’ont pas utilisé les parcelles d’arbres résiduels comme points de départ, mais ont pénétré dans celles-ci plus ou moins au hasard; des déplacements directionnels vers une parcelle n’ont eu lieu que lorsque celle-ci était à proximité, soit à moins de 20 m. Les auteurs concluent que les parcelles d’arbres résiduels de 0,8 à 1,5 ha, en particulier dans les sites parcourus de cours d’eau, facilitent les déplacements de ces grenouilles.

Les études décrites ci-dessus indiquent que l’exploitation forestière, qu’il s’agisse de coupe à blanc ou de récolte à rétention variable, modifie les déplacements des grenouilles à pattes rouges et pose des obstacles plus ou moins surmontables aux déplacements des individus. Ces effets peuvent être atténués jusqu’à un certain point en ajustant la configuration spatiale de la zone de coupe ainsi que la taille et l’emplacement des parcelles d’arbres résiduels. Cependant, la conservation de grandes zones de forêt ancienne est également souhaitable et pourrait être essentielle à la persistance à long terme des populations. Les effets de l’exploitation forestière sur le succès de la recherche de nourriture et le taux de survie de l’espèce n’ont pas été étudiés.

 

Polluants

Les mares, les étangs et autres habitats des milieux humides peuvent agir comme puits de substances polluantes, exposant ainsi les amphibiens se reproduisant dans l’eau à des contaminants pendant une période critique du début de leur développement (Vitt et al., 1990). Les amphibiens présents dans des régions fortement agricoles subissent des effets mutagènes et manifestent des anomalies congénitales dans l’est du Canada (Bonin et al., 1997). Les pesticides agricoles aéroportés ont été associés au déclin de populations de R. a. draytonii et de plusieurs autres amphibiens à reproduction aquatique en Californie (Davidson et al., 2002). La contamination des sites de reproduction par les nitrates et les nitrites provenant de l’écoulement d’engrais et d’eaux usées a récemment été reconnue comme un problème pour les amphibiens (questions traitées dans Rouse et al., 1999; Halliday, 2000). L’exposition des individus aux premiers stades biologiques, même aux faibles concentrations considérées comme inoffensives pour l’humain, peut causer des changements comportementaux, des anomalies congénitales ou la mort (Marco et Blaustein, 1999, Marco et al., 1999). Les têtards de grenouilles à pattes rouges élevés dans une eau contaminée par des nitrites subissent des effets aigus (Marco et al., 1999).

En Colombie-Britannique, l’aire de répartition de la grenouille à pattes rouges chevauche des terres agricoles et des fermes dans la vallée du cours inférieur du fleuve Fraser, et la mauvaise qualité de l’eau semble avoir un effet sur le succès d’éclosion (De Solla et al., 2002a). De Solla et al. (2002a) ont étudié le taux de survie et le développement de deux espèces d’amphibiens, la grenouille à pattes rouges et la salamandre foncée, dans la zone très cultivée de la prairie de Sumas, où ces espèces occupent des canaux de drainage et d’autres habitats aquatiques exposés aux ruissellements agricoles. Le succès d’éclosion des deux espèces est inférieur dans des enclos situés sur les sites agricoles (jusqu’à 9 p. 100 et 34 p. 100 sur deux ans, respectivement) par comparaison au succès dans des sites témoins en périphérie des zones agricoles (85 p. 100 ou plus). Cependant, les individus élevés en laboratoire dans de l’eau extraite de ces sites ne manifestent aucune différence significative dans leur succès d’éclosion. Selon les auteurs, les conditions expérimentales n’ont probablement pas reproduit fidèlement les conditions de terrain, où la qualité de l’eau pourrait être encore plus mauvaise en raison du flux constant de contaminants, du manque d’aération artificielle et des variations de température. Ils concluent que les concentrations élevées d’ammoniac et les faibles concentrations d’oxygène dissous étaient probablement responsables de la différence dans le succès d’éclosion observée sur le terrain. D’autre part, les résidus de pesticides organochlorés, des substances abondamment utilisées dans la région pendant les années 1970, et les polychlorobiphényles (PCB) ne semblent pas affecter la grenouille à pattes rouges (De Solla et al., 2002b). Les concentrations de ces substances dans les œufs de grenouilles à pattes rouges de la prairie de Sumas sont relativement basses et ne diffèrent pas entre les sites agricoles et les sites témoins.

Une grande variété de substances chimiques présentes dans l’environnement pourraient interférer avec les messages hormonaux durant des périodes critiques du développement des amphibiens (Crump, 2001). L’exposition à des stéroïdes sexuels ou à leurs analogues peut altérer le rapport réel des sexes et les caractéristiques de reproduction, alors que l’exposition à des hormones thyroïdiennes ou à leurs analogues peut altérer la séquence temporelle du développement et la métamorphose. Les grenouilles à pattes rouges vivant à proximité de zones habitées et de terres agricoles sont potentiellement exposées à des substances perturbant le système endocrinien, mais on ignore si ces substances ont un effet délétère chez la grenouille à pattes rouges.

 

Espèces introduites

L’introduction et la prolifération d’espèces non indigènes, en particulier les poissons ensemencés pour la pêche récréative et le ouaouaron (Rana catesbeiana), compromettent la persistance des populations d’amphibiens indigènes dans tout l’ouest de l’Amérique du Nord, et on estime qu’elles contribuent à leur déclin dans certaines régions (Hayes et Jennings, 1986; Stebbins et Cohen, 1995). La modification des habitats par l’humain, notamment l’altération des régimes hydrologiques et thermiques et le déboisement, crée des conditions favorables à la colonisation et à la prolifération du ouaouaron et d’autres espèces exotiques. L’occurrence de la grenouille à pattes rouges est négativement corrélée avec celle des poissons introduits dans les Puget Lowlands, dans l’État de Washington, alors que des expériences en enclos ont démontré que les têtards ne survivent pas en présence de poissons prédateurs (Adams, 1999, 2000). Des poissons prédateurs ont été ensemencés dans des plans d’eau permanents pour la pêche récréative dans toute l’aire de répartition de la grenouille à pattes rouges en Colombie-Britannique, et le réensemencement des lacs demeure pratique courante. De nombreux lacs ensemencés ne contenaient pas de poissons par le passé; les amphibiens indigènes occupant ces lacs sont donc peu adaptés à la présence de ces poissons prédateurs (Wind, manuscrit en examen).

On a démontré que les adultes et les têtards de ouaouarons chassent les Anoures indigènes à divers stades biologiques, mais les impacts négatifs du ouaouaron sur la grenouille à pattes rouges sont probablement indirects et mettent en jeu des interactions complexes. Dans des enclos expérimentaux, Kiesecker et Blaustein (1997, 1998) ont observé que les têtards de grenouilles à pattes rouges modifiaient leurs activités dans les microhabitats en présence de ouaouarons larvaires ou adultes : leurs activités étaient réduites, et ils passaient plus de temps dans des abris en présence de ouaouarons ou de leurs stimuli chimiques. La durée du développement et la taille corporelle à la métamorphose étaient également modifiés en présence de ouaouarons, mais le taux de survie jusqu’à la métamorphose ne diminuait que si les têtards étaient exposés à une combinaison de facteurs (soit la présence de ouaouarons larvaires et adultes, soit la présence de ouaouarons et d’un poisson, l’achigan à petite bouche (Micropterus dolomieui; Kiesecker et Blaustein, 1998). Les têtards de grenouilles à pattes rouges syntopiques avec le ouaouaron (c’est-à-dire ayant cohabité avec le ouaouaron depuis son introduction 60 ans auparavant) exposés aux stimuli chimiques du ouaouaron manifestaient des différences comportementales avec les têtards venant de populations allopatriques, notamment une réduction des activités et une augmentation de l’utilisation d’abris. Les auteurs ont conclu que les têtards des populations allopatriques ne reconnaissaient pas le ouaouaron comme une menace et se comportaient donc de manière inappropriée en leur présence, augmentant ainsi leurs risques de capture par ce prédateur. Kiesecker et al. (2001) ont démontré que la dispersion de la nourriture affecte les interactions entre les têtards de grenouilles à pattes rouges et les ouaouarons : les effets négatifs sur la croissance et le taux de survie de la grenouille à pattes rouges en présence de ouaouarons ne se manifestaient que lorsque la nourriture était distribuée en amas, et non lorsqu’elle était éparpillée. Les études susmentionnées illustrent la complexité des interactions entre les Anoures indigènes et les ouaouarons.

Les effets négatifs du ouaouaron sur les grenouilles indigènes ont été déduits à partir de corrélations entre l’augmentation des populations de ouaouarons et le déclin de populations des espèces indigènes (Hayes et Jennings, 1986). Cependant, dans les milieux humides des Puget Lowlands, dans l’État de Washington, Adams (1999) a observé que la présence de grenouilles à pattes rouges était davantage corrélée avec la structure de l’habitat, notamment la permanence des étangs, et la présence de poissons introduits, qu’avec la présence du ouaouaron. Dans des enclos expérimentaux, le taux de survie à la métamorphose de la grenouille à pattes rouges et de la rainette du Pacifique (Pseudacris regilla) dans des mares permanentes tendait à être bas par comparaison au taux de survie dans des mares temporaires, indépendamment de la présence ou de l’absence de têtards de ouaouarons (Adams, 2000). Selon Adams (2000), les effets du ouaouaron sur la grenouille à pattes rouges étaient principalement indirects et pourraient exacerber certains facteurs, comme les changements hydrologiques et la présence de poissons prédateurs indigènes et introduits dans les habitats de reproduction.

En Colombie-Britannique, le ouaouaron vit actuellement dans la vallée du cours inférieur du fleuve Fraser, où il a été signalé pour la première fois dans les années 1940, le sud et le sud-est de l’île de Vancouver (de Victoria à Parskville vers le nord) et le sud de la vallée de l’Okanagan (Govindarajulu, 2003). Sur la péninsule Saanich, dans le sud de l’île de Vancouver, une expansion spectaculaire de l’aire de répartition du ouaouaron s’est produite au cours des six dernières années, soit depuis le début des relevés en 1997. Les tentatives de contrôle, qui consistent à retirer les adultes dans le but de réduire la population reproductrice, sont en progression en périphérie de l’aire de répartition du ouaouaron; on espère qu’elles freineront son expansion. En plus d’occuper les zones perturbées, les ouaouarons sont également présents dans des plans d’eau relativement intacts, comme les petits lacs forestiers près de Victoria. Une étude est en cours pour évaluer les effets du ouaouaron sur les amphibiens indigènes, y compris la grenouille à pattes rouges, par des expériences sur le terrain et en enclos, mais les résultats étaient incomplets au moment de la rédaction du présent rapport (P. Govindarajulu, comm. pers.). Les résultats préliminaires indiquent que, dans la péninsule Saanich, la grenouille à pattes rouges habite surtout des lacs et des étangs d’où le ouaouaron est absent, ce qui pourrait indiquer que les grenouilles ont été délogées; les deux espèces cohabitent présentement dans quelques plans d’eau de cette région.

 

Épizooties

Les flambées de maladies épidémiques, dont les nouvelles maladies en progression causées par les chytridiomycètes (groupe de champignons) et les iridovirus, sont une menace importante et répandue pesant sur les populations d’amphibiens. Les maladies de peau causées par une chytridiomycète ont été associées au déclin des amphibiens dans le monde entier et dévastent, en relativement peu de temps, des populations sur de vastes territoires (Daszak et al., 1999). Cette maladie semble être causée par une seule espèce de champignon (Batrachochytrium dendrobatidis), capable d’infecter une grande variété d’espèces d’amphibiens (Nichols, 2003). Plusieurs espèces du genre Rana sont des hôtes connus du champignon, mais on ne signale aucune infection chez la grenouille à pattes rouges (Speare et Berger, 2002). En Colombie-Britannique, ce champignon a été isolé chez la grenouille léopard et la grenouille maculée de l’Oregon (L. Friis, comm. pers.), mais aucune flambée de chytridiomycoses n’a été signalée dans la province. Parmi les autres micro-organismes pathogènes s’attaquant aux amphibiens, on compte les bactéries du genre Aeromonas, qui causent la maladie des pattes rouges chez les animaux atteints, et divers iridovirus pathogènes.

 

Changements atmosphériques

On a démontré que certains amphibiens sont sensibles à une radiation normale d’ultraviolets-B (UV-B, longueur d’onde de 280 à 320 nm) au cours de leurs premiers stades biologiques. Blaustein et al. (1994a) émettent l’hypothèse que les niveaux élevés de radiation UV-B dus à l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique et à des modifications de l’habitat pourraient accélérer le déclin de certaines populations d’amphibiens. Le succès d’éclosion de la grenouille à pattes rouges n’a pas été affecté par le niveau normal d’UV-B lors des études menées dans l’État de l’Oregon (Blaustein et al., 1996) et en Colombie-Britannique (Ovaska et al., 1997). Cependant, lors d’une même étude, le succès d’éclosion de l’espèce a diminué sous l’effet d’un niveau de radiation d’UV-B légèrement supérieur, alors que la rainette du Pacifique (Pseudacris regilla), espèce sympatrique, n’a manifesté aucune modification de son taux de survie et semblait plus tolérante. Belden et Blaustein (2002) ont observé que l’exposition des embryons de grenouilles à pattes rouges à des taux normaux d’UV-B affecte la croissance et le développement subséquents des larves, sans causer de mortalité directe. Les effets sur les têtards exposés se limitaient à une taille corporelle moindre un mois après l’éclosion et à un retard de croissance. Les auteurs concluent que de tels effets sublétaux pourraient déjà exister dans la nature dans les conditions actuelles de radiation normale d’UV-B.

On prévoit que le changement climatique planétaire entraînera des étés plus secs, une incidence accrue des sécheresses et une modification des conditions hydrologiques (Gates, 1993). Tous ces facteurs risquent d’affecter les populations d’amphibiens, en influant sur leurs déplacements et leurs activités, et de causer la perte et la détérioration d’habitats de reproduction. L’assèchement de milieux humides de reproduction et l’augmentation du nombre d’obstacles aux déplacements seront probablement les conséquences les plus graves du changement climatique planétaire sur les populations de la Colombie-Britannique. Dans cette province, il faudrait que la température des eaux augmente considérablement pour compromettre directement la survie des embryons, et ce, même pour une espèce adaptée au froid telle que la grenouille à pattes rouges (voir la section « Physiologie »). Cependant, si des déclins survenaient dans le sud de l’aire de répartition de l’espèce, ces populations du Nord prendraient une nouvelle importance en tant que réservoirs de variabilité génétique.

 

Interactions et effets synergétiques

Dans des conditions naturelles, les facteurs limitatifs agissent rarement seuls; ils interagissent plutôt les uns avec les autres et avec les conditions du milieu, qui changent parfois et accentuent les effets de ces facteurs. Par exemple, Kiesecker et Blaustein (1998) ont démontré expérimentalement les effets des interactions synergétiques entre deux organismes invasifs (le ouaouaron et une espèce de poisson) et entre deux stades biologiques différents (adultes et larves) du ouaouaron sur le taux de survie de la grenouille à pattes rouges. On a démontré les effets sur plusieurs espèces d’Anoures des synergies entre divers champignons pathogènes et les radiations UV-B (Kiesecker et Blaustein, 1995) ainsi qu’entre divers polluants, l’intensité de la concurrence, la présence de prédateurs et l’hydropériode des sites de reproduction (Boone et Semlitch, 2001, 2002). Le changement climatique planétaire accentuera probablement la fragmentation des habitats et interagira avec d’autres menaces.

D’autres amphibiens sympatriques avec la grenouille à pattes rouges subissent des déclins. Le crapaud de l’Ouest (Bufo boreas) a disparu de plusieurs endroits de l’île de Vancouver pour des raisons inconnues (Davis et Gregory, 2003), mais aucun signe n’indique que la grenouille à pattes rouges connaît un sort similaire dans ces mêmes endroits. La grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa) est en déclin dans l’ensemble de son aire de répartition de l’ouest de l’Amérique du Nord, y compris la Colombie-Britannique. On ne la trouve plus qu’en de rares endroits de la vallée du cours inférieur du fleuve Fraser. On estime que la perte et la détérioration des habitats de reproduction dues à l’agriculture, au développement urbain et à d’autres activités humaines, ainsi que l’invasion des habitats aquatiques par des plantes et des animaux introduits, sont les principales causes du déclin de cette espèce en Colombie-Britannique (Haycock, 2000).

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