Bécasseau maubèche (Calidris canutus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Rapport de situation du COSEPAC
sur le
Bécasseau maubèche
Calidris canutus
au Canada

sous-espèce rufa (Calidris canutus rufa)
type roselaari (Calidris canutus roselaari type)
sous-espèce islandica (Calidris canutus islandica)

2007

Information sur l'espèce

Nom et classification

Classe :
Oiseaux
Ordre :
Charadriiformes
Famille :
Scolopacidés
Genre :
Calidris
Espèce :
canutus Linné, 1758)
Nom français :
Bécasseau maubèche
Nom anglais :
Red Knot
nom inuktitut :
Qajorlak


Sous-espèces

Les Bécasseaux maubèches sont actuellement classés en six sous-espèces présentant chacune des caractères morphologiques, des aires de nidification, des voies de migration, des quartiers d’hiver et des cycles annuels distinctifs (Piersma et Davidson, 1992; Tomkovich, 1992; idem, 2001; Piersma et Baker, 2000; Piersma et Spaans, 2004; figure 1). Trois sous-espèces sont présentes au Canada, soit le C. c. rufa, le C. c. roselaari et le C. c. islandica.

Le C. c. rufa niche dans le centre de l’Arctique canadien et hiverne dans le sud de la Patagonie et dans la Terre de Feu.

Dans le présent rapport, le C. c. roselaari comprend trois populations biogéographiques, évaluées en tant qu’unité désignable unique : i) la population de la côte du Pacifique, qui niche dans le nord-ouest de l’Alaska et dans l’île Wrangell et qui migre le long du littoral du Pacifique du Canada et des États du nord-ouest des États-Unis pour hiverner en Californie et sur le littoral du Pacifique du nord-ouest du Mexique, et peut-être jusque dans le golfe du Mexique; ii) la population de la Floride et du sud-est des États-Unis, qui niche probablement en Alaska ou dans l’ouest de l’Arctique canadien et qui hiverne en Floride, en Géorgie et en Caroline du Sud; iii) la population brésilienne du Maranhão, qui niche probablement en Alaska ou dans l’ouest de l’Arctique canadien et qui hiverne au Maranhão, dans la partie centrale de la côte nord du Brésil. Ces trois groupes constituent trois populations biogéographiques bien distinctes; une incertitude demeure quant au statut taxinomique des Bécasseaux maubèches des populations de la Floride et du Maranhão. 

Le C. c. islandica niche dans le nord-est de l’Arctique canadien, probablement aussi loin à l’ouest que l’île du Prince-Patrick et vers le sud jusque dans l’île du Prince-de-Galles (Godfrey, 1992; Morrison et Harrington, 1992), ainsi que le long de la côte nord du Groenland, depuis le nord-ouest jusqu’au fjord de Scoresby environ, sur la côte est. Il hiverne au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, et migre vers ses lieux de reproduction en passant par l’Islande et le nord de la Norvège.

Le C. c. rogersi niche dans la presqu'île de Tchoukotka, dans l’est de la Russie, et hiverne dans le sud-est de l’Australie et en Nouvelle-Zélande.

Le C. c. piersmainiche dans les îles de Nouvelle-Sibérie, dans le centre-nord de la Russie, et hiverne dans le nord-ouest de l’Australie.


Figure 1 : Aire de répartition mondiale des six sous-espèces reconnues du Bécasseau maubèche

Figure 1 : Aire de répartition mondiale des six sous-espèces reconnues du Bécasseau maubèche.

Les flèches relient les lieux occupés par les oiseaux en dehors de la période de reproduction (« hivernage »; cercles pleins dont la taille est proportionnelle à la taille de la population) et les aires de nidification (gris foncé). La migration de la sous-espèce rufa entre ses quartiers d’hiver de la Terre de Feu et son aire de nidification du centre de l’Arctique canadien est illustrée. On remarque que les populations du rufahivernant sur la côte patagonienne, en Argentine, ont presque disparu, la Terre de Feu accueillant actuellement le gros de la population. (Adaptation d’une carte dressée par Dick Visser, fournie par Jan van Gils; voir Niles et al., 2005).

La sous-espèce nominative, le C. c. canutus, niche dans la péninsule de Taymyr, dans l’ouest de la Sibérie, et hiverne dans l’ouest et le sud-ouest de l’Afrique.


Description morphologique

Le Bécasseau maubèche est un oiseau de rivage de taille moyenne présentant les caractéristiques morphologiques typiques du genre Calidris : tête proportionnellement petite; bec droit et effilé, seulement légèrement plus long que la tête; cou court; tibia court; tarse trapu; ailes longues et effilées donnant au corps un profil allongé et fuselé. Il s’agit du plus gros des Calidris de l’Amérique du Nord (longueur de 23 à 25 cm, masse d’environ 135 g, mais très variable).

Le plumage nuptial du Bécasseau maubèche est très caractéristique, la face, le cou, la poitrine et une bonne part des parties inférieures prenant une coloration cannelle roussâtre distinctive (figure 2). La région s’étendant depuis le bas du ventre jusqu’à la zone du cloaque derrière les pattes tend à être de couleur claire, particulièrement chez le rufa par rapport aux autres sous-espèces, et des plumes blanchâtres ou brunâtres peuvent parsemer la poitrine (caractère qu’on pense plus commun chez les femelles). Les plumes des parties supérieures ont le centre brun foncé à noir et sont bordées de roux ou de gris, ce qui donne à l’oiseau une apparence pailletée lui procurant un camouflage remarquablement efficace dans les terrains de nidification à végétation clairsemée de l’Arctique. La couleur des plumes de vol va, de l’extérieur vers l’intérieur, du brun foncé ou du noir (rémiges primaires) au gris (rémiges secondaires et rectrices); il y a présence d’une étroite barre alaire blanchâtre. Les mâles tendent à avoir une coloration plus éclatante que celle des femelles, leurs parties inférieures présentant davantage de roux.

En plumage de base (hiver), le Bécasseau maubèche est terne, ses parties inférieures étant blanches et son dos, gris pâle. Le haut de la poitrine et les flancs sont parcourus de rayures grisâtres ou brunâtres, et la tête présente un motif grisâtre terne et une raie sourcilière blanchâtre.


Figure 2 : Bécasseau maubèche adulte en plumage nuptial

Figure 2 : Bécasseau maubèche adulte en plumage nuptial.

Les juvéniles ont un plumage similaire, mais ils se distinguent par la présence de bandes subterminales foncées sur les plumes du manteau, les scapulaires et les tectrices, ce qui donne à l’oiseau une apparence écailleuse caractéristique. Les juvéniles peuvent aussi présenter une coloration diffuse chamois pâle terne sur la poitrine.

Le Bécasseau maubèche se distingue des espèces superficiellement similaires du genre Limnodromus par son bec plus court, sa calotte plus pâle, son croupion blanchâtre rayé de gris (alors que chez les Limnodromus, le bas du dos, de couleur blanche, forme en vol un « V » distinctif), et ses vocalisations. Par ailleurs, il se distingue du Bécasseau variable (Calidris alpina) par sa plus grande taille et par le bec, celui du Bécasseau variable paraissant proportionnellement plus long et étant légèrement incurvé vers le bas en son extrémité, tandis que celui du Bécasseau maubèche est droit.


Description génétique

Les différences génétiques entre les sous-espèces du Bécasseau maubèche ont été étudiées par séquençage de la région de contrôle, évoluant rapidement, de l’ADNmt (Buehler et Baker, 2005). La plupart des haplotypes différaient par un changement d’une seule paire de bases, ce qui a donné un réseau d’étendue minimum (minimum spanning network) en étoile, caractéristique d’une espèce ayant passé récemment par un goulot d’étranglement génétique, puis connu une expansion subséquente (Slatkin et Hudson, 1991; figure 3). Malgré le fait que les haplotypes ne se sont pas trouvés groupés en lignées génétiques discrètes dans chacune des sous-espèces, des tests exacts et des statistiques F classiques ont révélé entre les populations une différenciation faible, mais significative. Quatre groupes génétiquement distincts ont été trouvés, correspondant au C. c. canutus, au C. c. piersmai,au C. c.rogersi et à un groupe nord-américain comprenant le C. c. roselaari,le C. c. rufaet le C. c. islandica (tableau 1, test exact combiné, P < 0,001, Buehler et Baker [2005]).

Tableau 1 : Estimations des valeurs FST pour la différenciation des populations chez les Bécasseaux maubèches (sous la diagonale), calculées sur la base des séquences de la région de contrôle de l’ ADNmt
  C. c.
canutus
C. c.
islandica
C. c.
piersmai
C. c.
rogersi
C. c.
roselaari
C. c.
rufa
C. c. canutus 0 + + + + +
C. c. islandica 0,19 0 + + - -
C. c. piersmai 0,07 0,12 0 + - -
C. c. rogersi 0,27 0,20 0,07 0 + -
C. c. roselaari 0,17 - 0,04 0,08 0,15 0 -
C. c. rufa 0,23 0,005 0,07 0,05 0,002 0

Au-dessus de la diagonale, le symbole « + » indique qu’il y a signification statistique au niveau 0,01, et le symbole « - » indique l’absence de signification statistique (P > 0,01). Tiré de Buehler et Baker (2005).

Les différences génétiques entre sous-espèces sont aussi apparentes dans l’ADN nucléaire. Un balayage génomique de 836 loci utilisant le polymorphisme de longueur de fragments amplifiés (AFLP) a détecté différentes fréquences des marqueurs dominants à 129 loci et a montré une différenciation génétique significative entre les sous-espèces (FST = 0,089). La distance génétique entre le C. c. roselaariet le C. c. rufaest petite (0,1), mais elle est semblable à celle entre le C. c. rogersi (sud-est de l’Australie et Nouvelle-Zélande) et le C. c. canutus (Eurasie).

L’histoire démographique des populations de Bécasseaux maubèches peut être déduite de la signature génétique des séquences des régions de contrôle dans la mesure où ces dernières sont neutres sur le plan de la sélection naturelle, ce qui semble le cas chez cette espèce. Il s’agit de calculer le nombre de différences mutationnelles entre les séquences de paires d’oiseaux. Ces différences par paire dans les sous-espèces de Bécasseau maubèche donnent une courbe à un seul pic, ce qui est attendu pour une population connaissant une expansion après un goulot d’étranglement récent (Avise, 2000; figure 4).

Un modèle de coalescence de la variation séquentielle utilisant un taux d’évolution moléculaire ajusté pour les oiseaux de rivage a estimé que les moments de divergence de populations représentant les six sous-espèces du Bécasseau maubèche se situent dans les 20 000 dernières années (IC à 95 p. 100 : de 5 600 à 58 000 années), ce qui renvoie au dernier maximum glaciaire, daté d’il y a 18 000 à 22 000 ans. La séparation initiale a permis, à partir du C. c. canutus se reproduisant en Sibérie centrale et migrant jusque dans l’ouest de l’Afrique, l’apparition d’une lignée qui s’est étendue jusque dans l’est de la Sibérie et qui a commencé à migrer en Australie (soit la lignée à l’origine du C. c. rogersi et du C. c. piersmai).

Avec le retrait des glaces, cette dernière lignée a fini par gagner l’Alaska via le détroit de Béring pour donner lieu à la lignée nord-américaine, il y a environ 12 000 années (IC à 95 p. 100: de 3 300 à 40 000 années). À cette époque, un corridor libre de glace qui s’était formé entre les nappes glaciaires couvrant, à l’ouest, les Rocheuses et, à l’est, les Grandes Plaines servait de voie de dispersion pour divers organismes, dont l’espèce humaine. Comme ce corridor était orienté du nord-ouest vers le sud-est, il a pu favoriser chez les oiseaux l’évolution d’une nouvelle voie de migration entre l’Alaska ou l’ouest de l’Arctique canadien et le sud-est des États-Unis. Avec le retrait des nappes glaciaires vers l’est dans l’Arctique canadien, la population ancestrale s’est trouvée fragmentée séquentiellement au cours des 5 500 dernières années pour donner trois populations nicheuses, qui correspondent aujourd’hui au C. c. roselaari,au C. c. rufaet au C. c. islandica. Si ce scénario est exact, les oiseaux hivernant actuellement dans le sud-est des États-Unis appartiendraient bien à la sous-espèce roselaari et devraient chaque année remonter vers leurs lieux de reproduction arctiques ancestraux du nord-ouest de l’Amérique du Nord. Par ailleurs, les voies de migration du C. c. rufa et du C. c. islandica seraient des réponses évolutionnaires récentes à l’expansion vers l’est de leurs aires de nidification. Enfin, il est estimé que la divergence entre le C. c. piersmaiet le C. c. rogersi serait survenue il y a environ 6 500 années (IC à 95 p. 100 : de 1 000 à 23 000 années), probablement par suite de l’isolement de leurs aires de nidification des îles de Nouvelle-Sibérie et de la presqu'île de Tchoukotka, en Russie.


Figure 3 : Réseau d’haplotypes d’étendue minimum montrant les relations entre les haplotypes de la région de contrôle mitochondriale des Bécasseaux maubèches

Figure 3 : Réseau d’haplotypes d’étendue minimum montrant les relations entre les haplotypes de la région de contrôle mitochondriale des Bécasseaux maubèches.

Les ovales représentent les haplotypes, et les lignes de jonction représentent un changement d’une seule paire de bases entre haplotypes. Les petits cercles vides sur les lignes représentent des changements de multiples paires de bases entre haplotypes. Tiré de Buehler et Baker (2005).


Figure 4 : Fréquences observées et attendues des différences par paire d’oiseaux dans les séquences des régions de contrôle mitochondriales des Bécasseaux maubèches

Figure 4 : Fréquences observées et attendues des différences par paire d’oiseaux dans les séquences des régions de contrôle mitochondriales des Bécasseaux maubèches.

L’espèce donne une courbe très semblable à celle attendue pour une population en croissance depuis peu de temps. Tiré de Buehler et Baker (2005).

Vu le caractère récent des divergences entre les sous-espèces du Bécasseau maubèche, il n’est pas surprenant que le degré de différenciation génétique dans l’AFLP nucléaire et les séquences d’ADNmt neutres soit faible. Il n’y a tout simplement pas eu assez de temps pour une accumulation de mutations dans ces régions de l’ADN, ce qui rend difficile l’appréciation des changements évolutionnaires qui se produisent à l’échelle plus immédiate du temps écologique. En pareil cas, les différences génétiques apparemment faibles dans les séquences d’ADN neutres ne devraient pas influer outre mesure sur la définition des sous-espèces (Avise, 1989). On doit plutôt penser que les différences morphologiques et écologiques sont plus susceptibles de refléter des changements adaptatifs issus d’une sélection naturelle positive. Selon Buehler et Baker (2005), bien que les six sous-espèces actuellement reconnues ne puissent être distinguées par les séquences de leurs régions de contrôle, elles commencent à se distinguer en lignées différentes, de sorte qu’il serait mal avisé de les fondre en une seule unité évolutionnaire sur des bases génétiques seules; avec le temps, l’évolution des marqueurs génétiques neutres des Bécasseaux maubèches devrait rattraper les différences de morphologie, de plumage, de voies de migration, de lieux de reproduction et de calendriers de mue pour distinguer plus clairement les sous-espèces entre elles.


Unités désignables

La présente évaluation vise trois unités désignables qui correspondent à trois sous-espèces de Bécasseau maubèche présentes au Canada : le C. c. rufa, le C. c. roselaariet le C. c. islandica. Bien que les différences génétiques entre les trois sous-espèces soient faibles du fait de leur séparation relativement récente (voir plus haut), elles occupent des aires géographiques (tant pour ce qui est des aires de nidification que des quartiers d’hiver) largement séparées (Salomonsen, 1950; Godfrey, 1953; idem, 1986; Morrison, 1975) et présentent des régimes temporels différents quant à leurs migrations et à leurs cycles vitaux ainsi que des différences de morphologie et de plumage (Conover, 1943; Morrison et Harrington, 1992; Harrington, 2001), et il n’y a pas d’échanges d’individus entre leurs populations (Baker et al., 2005a; idem, 2005b).

La principale incertitude concernant les unités désignables établies a trait à l’inclusion de la population de la Floride et du sud-est des États-Unis et de la population brésilienne du Maranhão dans la sous-espèce roselaari. Le statut taxinomique de la population de la Floride et du sud-est des États-Unis est actuellement en révision. Les données génétiques indiquent cependant qu’elle serait plus proche du C. c. roselaari que du C. c. rufa (Niles et al., 2005). Cette population diffère aussi de la sous-espèce rufasur le plan morphologique (Niles et al., 2005), et le baguage de milliers d’oiseaux dans le corridor migratoire a aussi clairement révélé l’absence d’échanges détectables entre les deux groupes dans les lieux d’hivernage (Baker et al., 2005a). Pour ces raisons, nous incluons la population de la Floride et du sud-est des États-Unis dans la sous-espèce C. c. roselaari.

Le statut taxinomique de la population brésilienne du Maranhão est aussi incertain. Les données de génétique (Baker et al., 2005a; Niles et al., 2005) et d’isotopes stables (Atkinson et al., 2005) tirées des plumes laissent penser que cette population serait plus apparentée à la population de la Floride et du sud-est des États-Unis qu’au C. c. rufa. De plus, elle diffère de la sous-espèce rufa sur le plan de la morphologie (Baker et al., 2005a; Niles et al., 2005) et du calendrier de migration. Comme dans le cas de la population de la Floride et du sud-est des États-Unis, il ne semble pas y avoir d’échanges entre les populations du Maranhão et les rufa hivernant dans la Terre de Feu. Vu le grand éloignement géographique des rufa hivernant dans le sud de l’Amérique du Sud, l’absence d’échanges d’individus, la proximité relative des groupes hivernant plus au nord en Floride et dans le sud-est des États-Unis, et l’évolution des régimes migratoires supposée sur la base des données génétiques (voir plus haut), nous incluons aussi les oiseaux du Maranhão dans le groupe roselaari. Aux fins de l’évaluation, nous désignerons ce groupe sous le nom de type roselaari.

 

Détails de la page

Date de modification :