Chaboisseau à quatre cornes (Myoxocephalus quadricornis) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Des populations reliques de chaboisseaux à quatre cornes existent dans quelques lacs d’eau douce des îles de l’archipel Arctique, surtout les îles Victoria, Cornwallis et d’Ellesmere (Johnson, 1964; McAllister et Aniskowicz, 1976). Quelques-uns de ces lacs sont des lacs d’eau douce, tandis que d’autres, méromictiques, présentent des couches ayant des taux de salinité différents. McAllister et Aniskowicz (1976) pensent que les chaboisseaux à quatre cornes ont été introduits sur ces îles lors des inondations marines qui ont suivi la glaciation et qu’ils ont été pris au piège dans des lacs en dessalure lors du relèvement isostatique. D’ailleurs, on trouve également dans ces lacs un isopode relique, Mesidosethra entomon glacialis, qui n’existe pas dans les eaux douces de la partie continentale (McAllister et Aniskowicz, 1976).

On pense donc que ces populations reliques dulcicoles se seraient différenciées du chaboisseau à quatre cornes marin plus récemment que le chabot de profondeur, et indépendamment de ce dernier, et qu’on doit donc toujours les identifier comme M. quadricornis. Les différences morphologiques observables ne sont pas assez importantes pour justifier l’établissement d’une nouvelle sous-espèce (McAllister et Aniskowicz, 1976). D’ailleurs, les variations sont plus grandes parmi de telles populations reliques qu’en mer, car il n’y a pour ainsi dire pas de flux génique entre les populations des différents lacs, ce qui a pour conséquence d’accentuer les différences génétiques. Ce n’est pas le cas en milieu marin où le flux génique se fait librement. Les variations de taille et de caractéristiques méristiques moyennes semblent indiquer la présence de différences génétiques. De plus, les températures et le taux de salinité fluctuent plus fortement dans les lacs méromictiques (surtout pendant l’incubation, ce qui influe sur la variabilité morphologique, notamment pour ce qui est du nombre de vertèbres [McAllister et Aniskowicz, 1976]). Il est également intéressant de relever que les populations reliques peuvent se retrouver dans des lacs ne comptant aucun autre poisson d’eau douce (comme le lac Garrow), mais contenant parfois l’isopode M. entomon glacialis. 

On a peu écrit sur les besoins en matière d’habitat de la forme d’eau douce du chaboisseau à quatre cornes, mais sa gamme d’habitat semble limitée. L’information à ce sujet provient surtout de recherches menées au lac Garrow, au Nunavut, sur la Petite île Cornwallis, à environ 95 km de Resolute (Dickman, 1991). Découvert en 1974, ce bassin côtier d’une profondeur maximale de 47 m (Page et al., 1984) est le lac méromictique sursalé le plus septentrional connu (Dickman et Ouellet, 1987). Les lacs méromictiques se caractérisent normalement par une absence de mélange vertical complet des eaux, une absence continue d’oxygène dans le monimolimnion et une augmentation de la salinité et de la densité à mesure qu’on descend sous la chimiocline (Stewart et Platford, 1986). On retrouve ces conditions dans le lac Garrow, qui peut être divisé en quatre couches distinctes (décrites par Dickman et Ouellet [1987]; résumées par Dickman [1995]) : 1) un mixolimnion saturé en oxygène d’une profondeur de 0 à 5 m, dont la faible salinité (< 1 partie par millier) est attribuée au ruissellement et à la fonte des glaces; 2) entre 5 et 12 m de profondeur, une couche d’eau saumâtre avec saturation et sursaturation d’oxygène dissous et une salinité croissante; 3) entre 12 et 20 m, une chimiocline avec un fort gradient de salinité et une concentration d’oxygène dissous décroissant rapidement; 4) entre 20 et 47 m, un monimolimnion anoxique pouvant atteindre une très forte salinité (jusqu’à 82 parties par millier; Dickman, 1991) et une concentration taux très élevée de sulfure d’hydrogène. Les chaboisseaux à quatre cornes sont les seuls vertébrés du lac Garrow et la majorité d’entre eux vivent dans la couche d’eau saumâtre. Le lac possède un émissaire peu profond coulant vers l’océan Arctique (Stewart et Platford, 1986), qu’une société exploitant une mine de plomb et de zinc dans les environs a endigué, ce qui a fait monter le niveau d’eau du lac d’environ 2,5 m (Donald, comm. pers., 2003).

Les chaboisseaux à quatre cornes du lac Garrow ont été capturés à une profondeur allant de 3,8 à 15 m (BC Research, 1978; Fallis et al., 1987; Dickman, 1991, 1995), dans des eaux dont le taux de salinité varie entre 3 et 35 parties par millier (Dickman, 1995). Si on considère généralement que les chaboisseaux à quatre cornes vivant dans des lacs sont de la forme d’eau douce, certains d’entre eux sont capables de survivre dans des eaux salées et même sursalées. La fourchette de profondeur restreinte dans laquelle vit le chaboisseau à quatre cornes du lac Garrow est déterminée par ses préférences en matière de température, de salinité et d’oxygène dissous. À plus de 15 m de profondeur, la température augmente rapidement pour atteindre 8,9°C à 20 m et la quantité d’oxygène dissous diminue rapidement pour devenir nulle à 20 m. La majorité des spécimens capturés par Dickman et ses collaborateurs l’ont été à une profondeur de 7 à 12 m (Dickman et Ouellet, 1987; Dickman, 1995). Les chercheurs de BC Research (1978), qui ont utilisé des sennes de plage et des filets maillants et pratiqué l’observation en plongée, n’ont pas trouvé de chaboisseaux à plus de 13 m dans le lac Garrow. Fallis et al. (1987) ne signalent aucune capture de chaboisseau à quatre cornes à plus de 15 m, la majorité (92 p. 100; n = 51) ayant été pris entre 3,8 et 9,3 m. Les plongeurs d’Arctic Divers Limited ont observé des chaboisseaux à quatre cornes entre 6 et 9 m, avec une majorité d’individus dans les eaux les moins profondes (Gzowski, comm. pers., 2003; Leger, comm. pers., 2003). On ignore si les populations de chaboisseaux des autres lacs de l’Arctique canadien vivent à des profondeurs similaires ou s’il se produit des migrations individuelles ou de masse. Quelques populations européennes de chaboisseaux à quatre cornes d’eau douce vivent à des profondeurs beaucoup plus importantes. Nyman et Westin (1968) ont capturé tous leurs spécimens des lacs Vättern et Mälaren à plus de 40 m, et dans les lacs Orsasjön et Siljan, les chaboisseaux ne se trouvaient qu’entre 80 et 90 m.

La température pourrait aussi être un facteur influant sur la profondeur à laquelle vit la forme d’eau douce du chaboisseau à quatre cornes. Hammar et al. (1996) ont signalé que la population de chaboisseaux à quatre cornes du lac Vättern semblait rester à plus de 40 m à la fin de l’été (août-septembre) pour éviter l’eau plus chaude (environ entre 8 et 17°C). La majorité des juvéniles ont été capturés au niveau de la thermocline ou plus bas, à des températures de moins de 10°C. Les cottidés vivent d’habitude près du fond à une température de 5°C ou moins. Westin (1968) a établi la température létale supérieure du chaboisseau à quatre cornes de la Baltique à 14°C; par contre, il se peut que la forme d’eau douce tolère mieux des températures plus élevées, puisque Hammar et al. (1996) ont capturé un spécimen près de la surface, dans une eau à 17°C. 

Tendances

On sait peut de choses sur la stabilité de l’habitat d’eau douce du chaboisseau à quatre cornes en Amérique du Nord. Toutefois, certaines études limnologiques ont été conduites au lac Garrow (Page et al., 1984; Stewart et Platford, 1986; Dickman et Ouellet, 1987; Fallis et al., 1987; Dickman, 1991, 1995). En raison de sa forte concentration en sulfures dans la couche profonde sursalée, on a jugé que le lac Garrow était idéal pour recevoir les résidus miniers, surtout des boues de plomb et de zinc, de la mine Polaris. Une évaluation environnementale a conclu que, dans le monimolimnion, les boues de plomb et de zinc entreraient en contact avec d’assez fortes concentrations de sulfures pour entraîner une précipitation rapide des sulfures métalliques dans les sédiments du lac. Ce processus est essentiel pour que les métaux demeurent éloignés des eaux de la surface, où ils menaceraient les biotes du lac et de la mer, qui n’est séparée du lac Garrow que par un cours d’eau peu profond (Dickman, 1991). De novembre 1981 à août 2002, environ 15 millions de tonnes métriques de boues de plomb et de zinc ont été déversées dans le lac Garrow (Donald, comm. pers., 2003). Cette pollution a eu de graves répercussions sur les bactéries productrices de sulfures, qui sont les principales productrices primaires du lac. Les concentrations de sulfures dans la zone anaérobie ont diminué à mesure qu’augmentaient les concentrations de plomb et de zinc dans l’eau de surface (Dickman, 1991). Les concentrations de zinc sont toutefois restées sous la concentration maximale admissible de 0,5 mg/l (Donald, comm. pers., 2003). Tout le réseau trophique a été touché, et Dickman (1991) s’est demandé si le chaboisseau à quatre cornes, qui a survécu pendant 3 000 ans dans le lac Garrow, n’allait pas disparaître en moins de 20 ans. Toutefois, la mine Polaris est désaffectée depuis 2002 et la société Teck Cominco Limited a commencé à prendre des mesures pour que le lac retrouve son état originel. On a commencé à enlever les tuyaux d’évacuation des boues et les quais, et le barrage a été démantelé pour que le lac puisse retrouver ses cycles de décharge saisonniers normaux. On réalisera aussi des études pour déterminer les effets de la mine sur la population de chaboisseaux à quatre cornes (Donald, comm. pers., 2003).

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