Bryum de Porsild (Mielichhoferia macrocarpa) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Reproduction

Le Mielichhoferia macrocarpa est une espèce dioïque, mais la plupart de ses populations produisent des sporophytes (Cleavitt, 2002a; Brassard et Hedderson, 1983). Des sporophytes ont été observées chez 10,7 p. 100 des colonies cartographiées, mais il y avait beaucoup de variation à cet égard entre les sites (Cleavitt, 2002a). Sur agar, les spores ont donné un taux de germination de 55,7 ± 4,1 p. 100 (moyenne ± écart-type); sur substrat naturel, ce taux a été nul. Le taux de production de gamétophores par le protonéma était très faible. Il faudrait mener des expériences supplémentaires sur la reproduction du M. macrocarpa à partir de ses spores.

Dans le cadre de la préparation du présent rapport, il a été observé que l’espèce peut aussi se reproduire par voie asexuée, au moyens de fragments de gamétophyte. Dans tous les cas, les feuilles du fragment original finissent par se chloroser, puis la tige rouge produit un protonéma secondaire. Ce protonéma produit à son tour des rhizoïdes et des bourgeons de gamétophores. La production directe de tels bourgeons par la tige a également été observée, mais elle est moins commune que la régénération par protonéma secondaire (Cleavitt, 2002a). L’existence de la reproduction asexuée a pu être démontrée en étudiant une population génétiquement homogène de gamétophytes mâles (Cleavitt, données inédites sur les isozymes). Chez le Mielichhoferia macrocarpa, le taux de régénération a été significativement moindre que chez les cinq autres mousses étudiées; sur le terrain, 25 p. 100 (± 30) des fragments se sont établis; en phytotron, seulement 8 p. 100 (± 7) se sont établis (Cleavitt, 2002a).

Survie

Pendant trois années trois populations des environs de Cadomin, en Alberta, ont été surveillées. Durant cette période allant de 1997 à 2000, 52,9 p. 100 (± 6,15) (moyenne ±écart-type) des colonies ont augmenté de taille, 13,6 p. 100 (± 3,82) ont conservé la même taille, 18,8 p. 100 (± 8,01) ont rapetissé ou sont mortes, et 14,7 p. 100 (± 4,41) sont disparues de la falaise. Il semblait aussi y avoir remplacement des colonies mortes ou disparues, puisqu’en 2000 plusieurs nouvelles colonies ont été observées dans les populations touchées.

Le Mielichhoferia macrocarpa a également été comparé à une espèce commune qui lui est apparentée, le Bryum pseudotriquetrum, quant à la croissance et à la survie des colonies après transplantation réciproque. La proportion de colonies qui se sont étendues a été plus élevée chez le M. macrocarpa que chez le B. pseudotriquetrum (Cleavitt, 2002a). Cependant, les colonies transplantées de B. pseudotriquetrum ont eu un taux de survie plus élevé que celles de M. macrocarpa, autant dans les sites de M. macrocarpa que dans celles de B. pseudotriquetrum. Le M. macrocarpa ne survit pas bien à la transplantation (Cleavitt, 2002a). Par ailleurs, les observations de reconnaissance faites en 2002 révèlent que les populations de M. macrocarpa sont sensibles à la sécheresse et à l’abrasion glacielle. Dans chaque population, ces perturbations naturelles imprévisibles réduisent fortement le taux de survie des colonies, mais les populations sont résilientes, si on en juge d’après les spécimens d’herbier récoltés à chaque endroit à de nombreuses années d’intervalle.

Physiologie

Le Mielichhoferia macrocarpa a une physiologie assez complexe qui ne peut pas être déduite des données sur l’habitat (Cleavitt, 2002b). Tel que mentionné précédemment, certains facteurs physiologiques limitent cet habitat aux substrats basiques (Cleavitt, 2001). D’après les observations (Cleavitt, 2002b), le rendement photosynthétique (reflet de l’efficience de l’appareil photosynthétique) est significativement plus élevé chez le M. macrocarpa que chez le B. pseudotriquetrum. Parmi les six espèces de mousses qui ont été comparées dans le cadre d’une expérience, c’est chez le M. macrocarpa que l’appareil photosynthétique a mis le plus de temps à se rétablir (50 minutes pour retrouver la moitié de son rendement pré-traitement) après réhydratation d’individus maintenus à l’état sec pendant trois jours. Cependant, au bout de 24 heures, le rendement photosynthétique des colonies était revenu à un niveau essentiellement identique à celui observé avant le traitement ou chez les colonies témoins maintenues constamment à l’état humide (Cleavitt, 2002b). La capacité de rétablissement après dessiccation était plus élevée chez les colonies entières que chez les fragments traités séparément (Cleavitt, 2002b).

On peut être tenté d’évaluer la tolérance physiologique à la sécheresse d’après les caractéristiques de l’habitat, mais il faut éviter ce piège. En effet, bien que le Mielichhoferia macrocarpa pousse dans des milieux mouillés et peu éclairés, nous avons observé que sa tolérance à la dessiccation ou au manque de lumière n’est pas limité par un facteur physiologique (Cleavitt 2002b). Cette constatation semble paradoxale, puisqu’il a été amplement démontré qu’il existe chez les bryophytes une corrélation entre le régime hydrique de l’habitat et la tolérance à la dessiccation (Brown et Buck, 1979; Seel et al., 1992; Oliver et al., 1993; Deltoro et al., 1998; Csintalan et al., 1999; Robinson et al., 2000). Cet écart par rapport à la relation généralement observée peut s’expliquer si on caractérise de façon plus précise les régimes hydriques. Ainsi, bien que le M. macrocarpa pousse dans des milieux qui demeurent humides pendant toute la saison de végétation, ces milieux s’assèchent en automne au moment du gel des eaux de suintement et restent secs et sans protection nivale jusqu’à la fin du printemps ou au début de l’été (obs. pers.). Par conséquent, on peut s’attendre à ce que l’espèce possède une certaine forme de tolérance à la dessiccation.

Il existe deux types de plantes tolérantes à la dessiccation, qualifiées de poïkilochlorophylliennes et d’homoïochlorophylliennes, et les deux types se rencontrent parmi les bryophytes (Tuba et al., 1998). Chez les bryophytes poïkilochlorophylliennes, la chlorophylle se décompose en réaction aux cycles de déshydratation et réhydratation, et la plante ne peut survivre que dans des milieux généralement mésiques qui mettent du temps à s’assécher et où les cycles de déshydratation et réhydratation tendent donc à être longs et peu fréquents (Oliver et al., 1998; Tuba et al., 1998). Chez les bryophytes homoïochlorophylliennes, au contraire, la chlorophylle se maintient d’un cycle à l’autre, et la plante peut survivre dans des milieux xériques et exposés où les périodes de déshydratation sont soudaines, courtes et fréquentes; cependant, même chez ces mousses, la dessiccation rapide est suivie d’une longue période de rétablissement (Oliver et al., 1998). Par conséquent, la fréquence, la rapidité et la durée de l’assèchement du milieu à toutes les périodes de l’année constituent des facteurs importants lorsqu’on veut décrire de façon précise les relations existant entre la tolérance à la dessiccation et l’habitat des mousses (Oliver et al., 1993; Oliver et al., 1998; Tuba et al., 1998). Comme le Mielichhoferia macrocarpa tolère la dessiccation et pousse dans un milieu qui s’assèche peu souvent mais demeure longtemps sec, il s’agit très probablement d’une mousse poïkilochlorophyllienne. Cette hypothèse est d’ailleurs appuyée par le rétablissement relativement lent de l’activité chlorophyllienne du M. macrocarpa après réhydratation (Cleavitt, 2002b).

Déplacement et dispersion

Clavitt (2002b) a également étudié la capacité des fragments de gamétophytes du Mielichhoferia macrocarpa à se disperser par l’air ou par l’eau. Les fragments entreposés depuis quatre mois avaient un taux de viabilité plus élevé s’ils avaient été entreposés à l’air que s’ils avaient été entreposés dans l’eau, mais une telle différence n’a pas étee observée chez les fragments entreposés depuis seulement un mois. Chez cette espèce, la probabilité de dispersion par l’eau dépend du nombre de parois rocheuses suintantes qu’elle occupe le long d’un cours d’eau. Étant donné la viabilité inattendue des fragments entreposés à l’air, il est également plausible que les fragments puissent être dispersés par le vent, particulièrement en hiver. Des données inédites semblent indiquer que le M. macrocarpa peut s’établir sur le terrain dans des milieux adéquats mais non occupés. Cependant, la capacité du M. macrocarpa à accroître sa zone d’occupation est limitée par son incapacité apparente à se disperser avec succès. Des travaux de génétique des populations feraient grandement avancer nos connaissances sur la dispersion de cette espèce.

Relations interspécifiques

Aucune expérience n’a encore été réalisée sur l’importance des relations interspécifiques chez le Mielichhoferia macrocarpa. Comme les plantes vasculaires occupent une place négligeable dans son habitat, les compétiteurs les plus probables seraient d’autres bryophytes. Lorsque la fréquence des contacts interspécifiques chez plusieurs espèces de mousses a été évaluée, il a été observé que le M. macrocarpa entre peu souvent en contact avec d’autres espèces par rapport à une espèce commune, le Bryum pseudotriquetrum (Cleavitt, 2002a). Par le même type d’observations, il a été constaté que le M. macrocarpa est relativement peu souvent supplanté par une autre espèce. Il semble donc que la compétition a un effet assez secondaire sur la persistance de l’espèce dans un site donné. Cette hypothèse reste cependant à vérifier expérimentalement.

Dans d’autres parcelles, où les caractéristiques des milieux propices au M. macrocarpa occupés et non occupés par cette espèce ont été comparées, il a été observé que celle-ci était absente des milieux qui présentaient une couverture importante d’autres espèces de mousses. Les milieux où poussait le M. macrocarpa présentaient une plus forte proportion de roche dénudée (73 p. 100 ± 28) que ceux où le M. macrocarpa était absent (17 p. 100 ± 22) (Cleavitt, données inédites). L’ensemble de ces résultats semblent montrer que la compétition détermine davantage les endroits où le M. macrocarpa s’établit qu’elle ne touche la persistance de cette espèce dans les milieux où elle croît déjà.

Les prochaines recherches sur les limitations écologiques du Mielichhoferia macrocarpa devraient notamment porter sur les effets relatifs des paramètres écologiques et des espèces poussant à proximité sur les taux d’établissement à partir de fragments gamétophytiques ou de spores et sur l’expansion ultérieure des colonies. Le principal point à retenir est que l’espèce a beaucoup de difficulté à établir de nouvelles populations mais semble pouvoir persister longtemps dans les milieux où elle parvient à s’établir. Par conséquent, la préservation de l’habitat est cruciale pour la conservation de l’espèce, et la transplantation de populations n’est pas recommandée.

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