Requin-taupe bleu (Isurus oxyrinchus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 3

Information sur l’espèce

Nom et classification

Le requin-taupe bleu (Isurus oxyrinchus) est l’une des deux espèces du genre Isurus (l’autre est le petit requin-taupe, Isurus paucus). Tous deux font partie de la famille des Lamnidés, qui comprend également, au Canada, le grand requin blanc (Carcharodon carcharias), la taupe du Pacifique (Lamna ditropsis) et le requin-taupe commun (Lamna nasus). Il n’existe aucune sous-population reconnue de requins-taupes bleus, bien que l’espèce soit sujette à une certaine variance génétique. La coloration a amené certains chercheurs à conclure que les individus vivant autour des Açores forment peut-être une population locale distincte digne du statut de « variante » (Compagno, 2001). Il faudra entreprendre des études moléculaires pour confirmer cette hypothèse. En anglais, l’espèce porte le nom de shortfin mako.

Description morphologique

La description qui suit a été modifiée à partir de celle de Compagno (2001). L’Isurus oxyrinchus se distingue par son museau pointu, ses yeux relativement petits et sa bouche en forme de U (figure 1). Les dents antérieures du maxillaire inférieur font saillie sur un plan horizontal par-dessus les mâchoires, même lorsque la bouche est fermée. Le requin-taupe bleu a le corps modérément élancé, mais plus fusiforme que son proche parent, l’Isurus paucus. Les nageoires pectorales sont légèrement incurvées, et le bout se termine en pointe; le bord antérieur, qui fait de 16 à 22 % de la longueur totale de l’animal, est plus court que la longueur de la tête (chez le petit requin-taupe, les nageoires pectorales sont de la même longueur ou plus longues que la tête). La première nageoire dorsale prend naissance à la hauteur de l’extrémité arrière libre des nageoires pectorales ou juste derrière. Le bout est largement arrondi chez les petits, mais il est plus étroit et prend une forme plus angulaire chez les gros juvéniles et les adultes. La première nageoire dorsale est plus longue que la largeur de sa base chez les gros individus, mais elle est de longueur égale ou inférieure chez les jeunes de moins de 185 cm. La coloration dorsolatérale varie du bleu vif au pourpre, et le dessous du museau est blanc chez les jeunes et les adultes. La tête, de couleur foncée, couvre en partie les septa branchiaux. La couleur foncée des flancs ne s’étend pas jusqu’à l’abdomen. Les nageoires pelviennes sont de couleur foncée sur la moitié antérieure et blanches sur la moitié postérieure, et le dessous est blanc également.

Figure 1. Requin-taupe bleu (Isurus oxyrinchus). Tiré de Compagno, 2001.

Figure 1. Requin-taupe bleu (Isurus oxyrinchus). Tiré de Compagno, 2001.

Sur le terrain, le requin-taupe bleu se reconnaît par les caractéristiques suivantes : corps fusiforme, long museau conique, grosses dents ressemblant à des lames, nageoires pectorales en pointe, première nageoire dorsale de grande taille, seconde nageoire dorsale pivotante de taille minuscule, nageoire caudale en forme de croissant et ventre habituellement de couleur blanche.

Les erreurs d’identification ne sont pas rares dans les eaux chaudes, où les aires de répartition des deux espèces de requins-taupes se chevauchent. Cependant, dans les eaux canadiennes, là où les petits requins-taupes sont extrêmement rares, il est peu probable que les deux espèces soient régulièrement confondues. Dans les eaux canadiennes de l’Atlantique, le requin-taupe bleu a déjà été confondu avec le requin-taupe commun (Campana et al., 2004).

Description génétique

Heist et al. (1996) se sont servis de l’ADN mitochondrial pour analyser la structure des populations de requins-taupes bleus de l’Atlantique et du Pacifique. Ils ont découvert que les échantillons prélevés dans l’Atlantique Nord étaient très différents de ceux de l’Atlantique Sud, du Pacifique Nord et du Pacifique Sud (FST = 0,15). Les chercheurs en ont conclu que le flux génétique provenant des autres régions était très restreint chez les individus de l’Atlantique Nord et que ceux-ci méritaient peut-être d’être considérés comme une entité distincte pour les besoins de la gestion de l’espèce. Schrey et Heist (2003) ont étudié quatre locus de l’ADN microsatellite (nucléaire) chez 433 spécimens de requins-taupes bleus de l’Atlantique Nord, de l’Atlantique Sud, du Pacifique Nord, du Pacifique Sud ainsi que des côtes de l’Afrique du Sud. Cette étude a révélé de très faibles degrés de différenciation, même entre les principaux bassins océaniques (FST < 0,003), et les résultats permettent difficilement d’infirmer l’hypothèse selon laquelle les requins-taupes bleus forment une seule et même population à l’échelle mondiale; selon un modèle de mutation, la valeur P était légèrement inférieure à 0,05, alors que, selon un autre modèle de mutation, elle était légèrement au-dessus de 0,05. L’analyse de puissance indiquait une très grande capacité de détecter la structure de la population au niveau indiqué par l’étude de l’ADN mitochondrial. Selon Schrey et Heist (2003), les deux jeux de données pourraient s’expliquer par le fait que les femelles affichent un haut degré de philopatrie (d’où les grandes différences observées dans l’ADN mitochondrial, hérité de la mère) et que les mâles ont davantage tendance à se disperser (d’où la faible différenciation observée dans les marqueurs de l’ADN nucléaire). Ce même profil a été observé chez d’autres espèces de requins.

Les études de marquage révèlent que les requins-taupes bleus sont capables de migrations transocéaniques. Dans le cadre d’un modeste programme mis en place au Canada, des chercheurs ont marqué 110 requins-taupes bleus entre 1961 et 1980 (Burnett et al., 1987). Seuls cinq de ces spécimens ont été recapturés, ce qui indique que certains requins migrent entre la plateforme continentale et les eaux extracôtières (hors de la plateforme continentale) et entre les eaux canadiennes et les eaux américaines (figure 2). De 1962 à 1993, le National Marine Fisheries Service (NMFS) des États-Unis a marqué 3 457 requins-taupes bleus dans des eaux américaines et internationales, et il a récupéré 320 étiquettes (figure 3, Kohler et al., 1998). La plupart des recaptures ont été effectuées dans les eaux américaines, là où l’effort de pêche est le plus intense, mais l’étude a également montré qu’un bon nombre d’individus avaient migré sur de grandes distances (plus de 500 km). Pour les besoins du présent rapport, la population des eaux canadiennes de l’Atlantique est considérée comme faisant partie de la population de tout l’Atlantique Nord.  

Figure 2. Requins-taupes bleus marqués (1961-1972) dans le cadre du programme de marquage canadien. Tiré de Campana et al., 2004.

Figure 2.    Requins-taupes bleus marqués (1961-1972) dans le cadre du programme de marquage canadien. Tiré de Campana et al., 2004.

 

Figure 3. Recaptures de spécimens de requins-taupes bleus marqués dans le cadre du programme de marquage des requins du NMFS. Modifié à partir de la figure 38 de Kohler et al., 1998.

Figure 3.    Recaptures de spécimens de requins-taupes bleus marqués dans le cadre du programme de marquage des requins du NMFS. Modifié à partir de la figure 38 de Kohler et al., 1998.

Unités désignables

Si l’on en juge par la séparation biogéographique et les différences génétiques, les populations de requins-taupes bleus des eaux canadiennes de l’Atlantique et du Pacifique ne devraient pas être considérées comme faisant partie de la même unité désignable. D’un point de vue biogéographique, la présence de la masse continentale de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud et la préférence de l’espèce pour les eaux subtropicales et tropicales restreignent les migrations entre les bassins océaniques. D’après les résultats de l’étude génétique de Schrey et Heist (2003), décrite ci-dessus, il existe une certaine différence entre l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord.

Même si les eaux canadiennes se trouvent près de la limite de son aire de répartition dans l’Atlantique Nord, le requin-taupe bleu se rencontre souvent dans cette région, et il y forme une unité désignable. Dans l’océan Pacifique, la présence de l’espèce est soutenue par une seule mention près de la périphérie des eaux canadiennes, ce qui donne à penser que la population ne devrait pas être considérée comme admissible à une évaluation du COSEPAC. La plupart des mentions concernant l’Isurus oxyrinchus sont associées à la pêche pélagique à la palangre. Or, à l’heure actuelle, ce type de pêche n’est pas pratiqué au large de la côte ouest du Canada. Il se peut donc que l’espèce soit plus abondante dans les eaux canadiennes du Pacifique qu’on ne pourrait le croire. Il convient cependant de noter que d’autres grands requins pélagiques (requins bleus, par exemple) sont régulièrement observés dans les eaux canadiennes du Pacifique.

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