Truite fardée versant de l'ouest évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Taille et tendances des populations

Il existe peu d’estimations quantitatives de la population de truites fardées versant de l’ouest au Canada, en particulier en Colombie-Britannique. Comme elle tend à occuper des habitats plus froids et moins productifs, on suppose que la taille de ses populations est plus petite que celle d’autres salmonidés sympatriques. Le nombre exact d’individus dans chaque population est probablement fonction de la taille du cours d’eau, mais ce nombre est de l’ordre de dizaines à quelques centaines d’individus même dans les plus grands systèmes (Trotter, 1987; Behnke, 1992). La structure par âge pourrait être très variable, puisque les juvéniles peuvent demeurer dans leur ruisseau natal jusqu’à cinq ans avant d’atteindre la maturité sexuelle (Behnke, 1992). Les truites fardées versant de l’ouest sont itéropares (elles se reproduisent plus d’une fois) de sorte que plusieurs cohortes peuvent contribuer à un même effort reproducteur annuel. Le nombre d’individus reproducteurs semble varier d’une année à l’autre, mais la taille effective des populations (c.-à-d. le pourcentage d’individus contribuant à la reproduction) pourrait être de l’ordre de 8 à 10 p. 100 seulement de la population totale inventoriée, de sorte que le nombre d’adultes reproducteurs contribuant à la croissance démographique pourrait être assez faible (Frankham, 1996; Brown et MacKay, 1995b; A. Costello, données inédites).

Population de la Colombie-Britannique 

D’après les rédacteurs du présent rapport, le nombre d’individus matures par population se situerait entre 30 et 100 (ces chiffres seront employés pour obtenir une estimation grossière de la taille de la population totale dans la section Résumé technique). Ces chiffres sont conformes aux informations connues sur la biologie de la truite fardée et sur la nature des cours d’eau de petite taille et peu productifs qu’elle occupe. Les meilleures estimations de l’abondance des truites fardées côtières sur la côte est de l’île de Vancouver, par exemple, oscillent en moyenne entre 30 et 50 adultes par population (Scholten, 1997). À défaut de meilleures données pour les populations intérieures, nous postulerons des chiffres semblables dans le cas de la truite fardée versant de l’ouest. Nous postulerons également qu’il existe un minimum d’une « population » par cours d’eau ou par lac. Dans le cas des petits systèmes (cours d’eau de premier à troisième ordre), ce postulat est appuyé par des données génétiques donnant à penser que la majorité des populations sont subdivisées sur de courtes distances géographiques (voir p. ex. Taylor et al., 2003) puisque les truites fardées versant de l’ouest, peu importe leur type de cycle vital, retournent vers les petits cours d’eau pour frayer (voir Carl et Stelfox (1989), pour une rare exception). Dans les plus grands systèmes riverains, il est probable que cette hypothèse soit fausse et qu’il existe plusieurs populations indépendantes (occupant des segments isolés de cours d’eau ou des affluents) qui ne seront pas comptabilisées. Comme indiqué précédemment, Brown et Mackay (1995b) ont observé que les truites fardées versant de l’ouest fluviales de la rivière Ram, en Alberta, ont des territoires de reproduction d’environ 400 m dans leurs ruisseaux natals. Pour cette raison, nous avons haussé la limite supérieure de la taille probable des populations à 100 pour tenir compte de toute subdivision de la population qui aurait été négligée dans les plus grands systèmes. Pour obtenir des estimations plus précises dans l’avenir, on pourrait mesurer le nombre et la taille des systèmes occupés par la sous-espèce à l’aide des SIG et tenir compte des estimations « éclairées » des biologistes des pêches régionaux.

Selon les données des relevés, des truites fardées versant de l’ouest ont été observées dans 928 plans d’eau (ruisseaux, rivières et lacs) où aucun ensemencement de la sous-espèce n’est documenté, à l’intérieur de l’aire de répartition historique en Colombie-Britannique. La majorité de ces plans d’eau se trouvent dans les bassins hydrographiques des rivières Kootenay et Flathead, mais on trouve également des truites fardées versant de l’ouest dans plusieurs systèmes disjoints des bassins supérieurs du Columbia et de la South Thompson. Parmi ces 928 plans d’eau, 38 ont été ensemencés au moins une fois avec des truites arc-en-ciel et 31 ont été ensemencés au moins une fois avec des truites fardées côtières d’alevinières. En outre, 301 plans d’eau additionnels à l’intérieur de l’aire de répartition historique ont été ensemencés au moins une fois avec des truites fardées versant de l’ouest depuis 1923, mais il est possible que bon nombre d’entre eux abritaient déjà des populations indigènes de la sous-espèce (S. Pollard, Ministry of Water, Land and Air Protection de la Colombie-Britannique, Victoria, Colombie-Britannique, comm. pers., 2006; tableau 2). 

Les enquêtes auprès des pêcheurs semblent indiquer que les populations fluviales des grandes rivières sont stables (J. Baxter, biologiste des pêches, BC Hydro, Castlegar, Colombie-Britannique, comm. pers., 2004) mais celles-ci subissent de toute évidence une pêche et une hybridation croissantes (Rubidge et al., 2001; Bill Westover, Ministry of Water, Land and Air Protection de la Colombie-Britannique, Cranbrook, Colombie-Britannique, comm. pers., 2003). Un grand nombre de populations ont été surexploitées en Colombie-Britannique entre les années 1960 et 1980, ce qui a causé des déclins importants (Heidt, 2002). La fermeture de certaines rivières à la pêche et une réglementation plus stricte de la pêche récréative, mises en œuvre durant les années 1980 et 1990, ont été assez efficaces pour stabiliser ou rétablir des populations de truites fardées versant de l’ouest dans les grandes rivières (p. ex. Elk, Skookumchuck et St. Mary). Par contre, la pêche s’intensifie d’année en année dans la région de East Kootenay. En 1991, par exemple, seulement 81 guides-jours ont été enregistrés sur la rivière Elk. En 2000, ce chiffre était passé à 1 468 (Westover, comm. pers., 2003). Une récente enquête auprès des pêcheurs de la rivière Elk a révélé que la truite fardée versant de l’ouest représentait jusqu’à 94,5 p. 100 de la prise totale estimée de 98 031 poissons (soit environ 1,48 poisson/ligne-heure; Heidt, 2002). Une croissance semblable de la pêche a été relevée dans d’autres rivières où la truite fardée versant de l’ouest est pêchée abondamment. Comme indiqué précédemment, cela pourrait tout simplement être attribuable à une grande abondance relative. Cependant, il est probable que les individus sont capturés plusieurs fois durant une saison, ce qui aurait pour effet de gonfler artificiellement les chiffres obtenus lors des enquêtes. En outre, ces enquêtes ne tiennent pas compte du taux de mortalité typique des salmonidés pris à l’hameçon, qui est de 3 à 5 p. 100 (Marnell et Hunsaker, 1970), ce qui signifierait qu’environ 3 000 à 5 000 individus pris dans la rivière Elk seraient morts après avoir été remis à l’eau.

Dans le bassin supérieur de la rivière Kootenay, il est évident que bon nombre de populations ont subi les répercussions de l’hybridation avec la truite arc-en-ciel non indigène introduite dans le but de satisfaire à la demande de la pêche récréative (figure 8). Des preuves d’hybridation avec cette espèce ont été signalés dans 78 p. 100 des cours d’eau de la région sur lesquels des tests génétiques ont été effectués (ntotal=23; Rubidge, 2003). La population du ruisseau Lodgepole en particulier (un affluent de la rivière Wigwam dans le bassin de la rivière Elk) présente un taux d’hybridation élevé (37,5 p. 100 d’allèles hétérospécifiques) et semble former un banc d’hybrides. Il a été démontré que des bancs d’hybrides entre la truite fardée et la truite arc-en-ciel peuvent se former en aussi peu que cinq générations (Hitt, 2002) et que ceux-ci représentent une menace très importante pour les autres populations de truites fardées versant de l’ouest dans l’ensemble de leur aire de répartition (voir la section Facteurs limitatifs et menaces). L’introgression semble s’étendre de plus en plus dans le cours inférieur des systèmes les plus proches du réservoir Koocanusa, où un programme d’ensemencement de truites arc-en-ciel a été mené de 1986 à 1998 (Rubidge et al., 2001; Westover, comm. pers., 2003). En fait, de récents relevés dans le bassin supérieur de la rivière Kootenay donnent à penser que tous les segments inférieurs des affluents accessibles à partir du réservoir Koocanusa présentent probablement de l’hybridation à des degrés variables (S. Bennett, Aquatic, Watershed, and Earth Sciences, Université Utah State, Logan, Utah, comm. pers., 2006; Rubidge et Taylor, 2004, fig. 8). À ce jour, aucun inventaire systématique des eaux de la Colombie-Britannique ne permet d’évaluer l’ampleur de l’introgression dans l’aire de répartition de la sous-espèce (Pollard, comm. pers., 2006). Par conséquent, les données disponibles sur l’hybridation ne peuvent être utilisées que pour évaluer les menaces qui pèsent sur les populations et non le nombre de populations restantes. Il est essentiel d’entreprendre des travaux d’inventaire systématiques afin d’évaluer l’étendue de l’introgression en Colombie-Britannique pour mieux quantifier cette menace ainsi que les impacts que l’unité désignable a déjà subis. D’entrée de jeu, les données disponibles donnent à penser que ces populations pourraient être de plus en plus confinées à des ruisseaux d’amont isolés, où les populations sont sujettes à des événements stochastiques menant à la disparition, comme des éboulements de roches ou des sécheresses.

Figure 8. Sommaire des degrés d’hybridation dans des bassins choisis de l’Alberta (adapté de Janowicz, 2004).

Figure 8. Sommaire des degrés d’hybridation dans des bassins choisis de l’Alberta (adapté de Janowicz, 2004).

À l’heure actuelle, on estime que de 928 à 1 229 cours d’eau et lacs (en incluant les systèmes ensemencés) abriteraient des populations de truites fardées versant de l’ouest à l’intérieur de l’aire de répartition historique de la sous-espèce (Pollard, comm. pers., 2006). En multipliant par une moyenne de 30 à 100 individus par cours d’eau/lac, on obtient une estimation de la population totale de la Colombie-Britannique de 29 400 à 122 900 individus matures. Il se peut toutefois que la situation soit beaucoup moins reluisante, suivant l’importance de l’introgression; une portion importante de ces populations estimées pourrait être composée d’individus rétrocroisés, ce qui dépend de la progression des gènes de truites arc-en-ciel à partir des sites d’introduction originaux.

 

Population de l’Alberta

On estime que 274 cours d’eau de l’Alberta abritaient auparavant des populations indigènes de truites fardées versant de l’ouest; de ce nombre, seulement 61 (22 p. 100) contiennent encore aujourd’hui des populations génétiquement intactes connues ou présumées (Alberta Fisheries Management Information System 2004; Stelfox, comm. pers., 2006). Les inventaires (Stelfox, données inédites) indiquent que la majorité de ces cours d’eau ont une longueur moyenne d’environ 8 km et abritent de 30 à 200 adultes (moyenne = 100). Stelfox (comm. pers., 2006) avance que le nombre d’individus par population dans la plupart des cours d’eau était plus près de 30 que de 100, mais que les plus grands cours d’eau ont gonflé la moyenne. En se fondant sur le nombre moyen d’individus par cours d’eau (n=100) du tableau 3, la population indigène de l’Alberta se chiffrerait à moins de 6 100 individus matures. Parmi ceux-ci, 29 populations (48 p. 100) sont considérées en danger de disparition, principalement à cause de l’hybridation ou de la compétition avec des salmonidés non indigènes. Partout où la truite fardée et la truite arc-en-ciel coexistent, la disparition des populations génétiquement intactes de truites fardées n’est qu’une question de temps (Stelfox, comm. pers., 2006). Les récents taux de déclin (depuis les années 1990, soit les trois dernières générations) sont inconnus, mais le portrait général consiste en un déclin progressif depuis les premières décennies du xxe siècle. À l’origine, le déclin était en grande partie attribuable à l’exploitation, mais aujourd’hui celui-ci est la conséquence de la compétition et de l’hybridation avec des espèces introduites, en particulier la truite arc-en-ciel.

La détérioration de l’habitat et l’ensemencement d’espèces non indigènes en Alberta ont causé le déplacement ou le remplacement de la truite fardée versant de l’ouest dans plusieurs régions et l’hybridation de plusieurs des populations indigènes restantes (Carl et Stelfox, 1989; Strobeck, 1994). La disparition de la sous-espèce est confirmée dans environ 30 p. 100 de son aire de répartition historique dans le parc national Banff (Schindler et Pacas, 1996) et elle occupe aujourd’hui moins de 5 p. 100 de son aire de répartition historique dans les bassins de la rivière Bow. Plusieurs populations sont considérées comme en grave déclin ou disparues (p. ex. ruisseaux Quirk, Bragg, Lesueur, Meadow, Sullivan, Loomis, Flat, Odlum, McPhail, Carnarvon, Pekisko, Ware, Threepoint, Fisher, Fish et Jumpingpound; Stelfox, comm. pers., 2003).

Le cas du ruisseau Quirk exemplifie cette tendance. Une étude effectuée de 1995 à 2002 s’est penchée sur la population de truites fardées versant de l’ouest de ce petit ruisseau du bassin de la rivière Elbow (bassin de la rivière Bow), dans le sud-ouest de l’Alberta. Ce ruisseau n’accueillait que des ombles à tête plate et des truites fardées versant de l’ouest indigènes avant l’introduction de l’omble de fontaine dans le bassin hydrographique de la rivière Elbow en 1940 (Stelfox et al., 2001). Un inventaire des poissons mené en 1948 n’avait relevé aucun omble de fontaine dans le ruisseau Quirk, mais en 1978, cette espèce avait réussi à coloniser les 3 km du bas du ruisseau et représentait 35 p. 100 de la population de poissons à cet endroit (Tripp et al., 1979). Des relevés par pêche à l’électricité menés en 1987 ont montré que les truites fardées versant de l’ouest et les ombles à tête plate indigènes dominaient encore, mais dès 1995, l’omble de fontaine s’était répandu dans l’ensemble du ruisseau et représentait environ 92 p. 100 de la population de poissons. Malgré une récolte sélective de l’omble de fontaine pratiquée depuis 1998 (Stelfox et al., 2001), la composition relative des poissons dans le ruisseau Quirk est demeurée relativement stable de 1995 à 2002, soit en moyenne 83 p. 100 d’ombles de fontaine, 15 p. 100 de truites fardées versant de l’ouest et 2 p. 100 d’ombles à tête plate (Paul, 2003). On peut observer une tendance semblable dans le ruisseau Fish (également dans le bassin de la rivière Bow). Historiquement, la pêche à la truite fardée versant de l’ouest était assez importante dans ce ruisseau. En 1915, le Department of Naval Science a signalé que la pêche à la truite indigène dans le ruisseau Fish avait une valeur huit fois plus élevée que celle de la rivière Bow (rapporté dans Baayens et Brewin, 1999). Des relevés plus récents révèlent que la population a considérablement diminué depuis lors : à l'aide de la méthode du maximum de vraisemblance, Baayens et Brewin (1999) ont estimé qu’au printemps 1993, la taille des populations d’ombles de fontaine introduites était de 211 individus/km, de truites arc-en-ciel introduites, de 59 individus/km et de truites fardées versant de l’ouest indigènes, de seulement 4 individus/km. Le même phénomène peut être observé dans toute la région.

Dans les régions où la truite arc-en-ciel a été ensemencée, la truite fardée versant de l’ouest est plus susceptible de s’hybrider que d’être délogée. Par exemple, les estimations des populations de truites fardées versant de l’ouest du ruisseau Gorge (bassin de la rivière Sheep) étaient d’environ 800 individus/mille en 1949. La truite arc-en-ciel a été introduite dans ce ruisseau en 1941 et des hybrides sont aujourd’hui présents dans la population (Janowicz, 2004). L’hybridation entre la truite arc-en-ciel et la truite fardée est répandue en Alberta (Mayhood, 2000; Potvin et al., 2003; Janowicz, 2004). Les ombles de fontaine et les truites arc-en-ciel introduites semblent privilégier les axes principaux des cours d’eau en basse altitude (Paul et Post, 2001), ce qui explique pourquoi une grande partie des dernières truites fardées versant de l’ouest génétiquement intactes appartiennent à de petites populations isolées dans les eaux d’amont (Donald, 1987; Hilderbrand et Kershner, 2000b). 

La situation actuelle d’un grand nombre de populations du parc national Banff est nébuleuse. Au début du siècle dernier, les truites fardées versant de l’ouest étaient abondantes dans la région du parc national Banff et on les observait dans plusieurs systèmes de la région. Des relevés dans l’axe principal de la rivière Bow dans le parc national Banff menés durant les années 1990 ont toutefois révélé la présence d’un très petit nombre d’individus entre le ruisseau Redearth et le ruisseau Forty Mile; l’omble de fontaine est aujourd’hui commun dans la région et les rares truites fardées versant de l’ouest observées semblaient hybridées avec la truite arc-en-ciel (C. Pacas, spécialiste des écosystèmes aquatiques, Banff, Alberta, Parcs Canada, comm. pers., 2003). On relève également des signes d’hybridation avec la truite arc-en-ciel dans plusieurs lacs (Landry et al., 2000; Potvin et al., 2003; voir tableau 3). On a avancé que les populations fluviales ont disparu du parc national Banff, bien qu’au moins une petite partie des populations lacustres (la sous-espèce a été ensemencée dans 64 lacs du parc) semble stable. Au moins un lac (le lac Baker) ne contient actuellement que des ombles de fontaine, et on croit que la truite fardée versant de l’ouest a été pêchée jusqu’à l’extinction dans ce lac (Pacas, comm. pers., 2003).

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