Martinet ramoneur (Chaetura pelagica) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Généralités

Le Martinet ramoneur passe la plus grande partie de la journée en vol à se nourrir d’insectes. Il est par conséquent difficile d’associer l’espèce à un seul type d’habitat, et sa présence dans un secteur dépend surtout de la disponibilité de sites de nidification adéquats (DeGraaf et Rappole, 1995) et de l’abondance des insectes (Kaufman, 1996). Avant l’arrivée des colons européens, le Martinet ramoneur était associé aux forêts anciennes où les gros arbres creux –– sa principale source de sites de nidification et de repos –– étaient beaucoup plus communs qu’ils ne le sont de nos jours. L’espèce occupe aujourd’hui une grande variété d’habitats, comme les villes, les villages et les zones rurales ou boisées, mais c’est dans les zones urbaines et suburbaines qu’on la trouve le plus souvent (Chantler, 1999; Cink et Collins, 2002).

On observe souvent le Martinet ramoneur à proximité des plans d’eau en raison de l’abondance des insectes, sa principale nourriture (Sibley, 1988; Sibley et Monroe, 1990; Chantler, 1999; Cink et Collins, 2002). Deux études ont révélé que 3 des 5 principaux ordres d’insectes que l’oiseau avait consommés étaient associés aux milieux humides (Fisher, 1958; Fudge, 1998). Quatre-vingt-quinze pour cent (140/147) des sites de nidification et de repos relevés durant l’inventaire des Martinets ramoneurs au Québec (de 1998 à 2002) étaient situés à moins de 1 km d’un plan d’eau, apparaissant sur les cartes topographiques à l’échelle 1:50 000 (SCF-Québec, données inédites). De ces 140 sites, 90 p. 100 (127/140) et 54 p. 100 (76/140) étaient à moins de 600 et de 300 mètres d’une source d’eau, respectivement.

Habitat d’hivernage

L’habitat d’hivernage sud-américain du Martinet ramoneur est constitué de forêts en bordure de cours d’eau, de lisières de forêt sempervirente tropicale des basses terres et des milieux broussailleux en régénération (Rappole et al., 1983; Stotz et al., 1996). L’oiseau fréquente aussi les terres agricoles irriguées, les zones suburbaines et les centres-villes (Hughes, 1988). Sur la côte péruvienne, on signale régulièrement sa présence à 2 500 mètres et parfois jusqu’à 3 000 mètres d’altitude (Hughes, 1988). Le martinet établit ses dortoirs dans les cheminées, les crevasses, les grottes (Fjeldså et Krabbe, 1990) et les arbres creux qui abondent dans la forêt amazonienne (Whittemore, 1981). Cependant, les préférences du Martinet ramoneur en matière d’habitat d’hivernage sont encore peu connues (Stotz et al., 1996; Cink et Collins, 2002).

Habitat de reproduction et de repos

Pour nicher et se reposer, le Martinet ramoneur recherche un endroit sombre et abrité pourvu de parois verticales sur lesquelles il peut s’agripper et fixer son nid (Fischer, 1958). Avant l’arrivée des Européens, il nichait et se reposait surtout à l’intérieur d’arbres creux (vivants ou morts) et, à l’occasion, sur les parois de grottes ou dans des crevasses rocheuses (Chamberlain, 1891; Bent, 1940; Tyler, 1940; Coffey, 1944; Lack, 1956; Fisher, 1958; Tufts, 1986; Godfrey, 1986; Erskine, 1992). De nombreuses observations indiquent que les Martinets ramoneurs ont besoin d’arbres de fort diamètre (> 50 cm de diamètre à hauteur de poitrine, ou DHP). En 1985, on a mesuré un DHP de 60 cm (Bélanger, 1985) pour un peuplier baumier (Populus balsamifera) utilisé par des Martinets ramoneurs dans la région de Rimouski et, en 2001, on a constaté qu’un autre arbre de même taille était utilisé par des martinets à Saint-Pamphile (SCF-Québec, données inédites). Le Martinet de Vaux, espèce étroitement apparentée, a aussi besoin de gros arbres creux pour nicher et se reposer. En Oregon, le DHP moyen de 21 arbres contenant des nids de Martinets de Vaux était de 67,5 cm (Bull et Collins, 1993). Les oiseaux pénètrent habituellement dans les arbres en empruntant une ouverture située dans la partie supérieure.

Le Martinet ramoneur peut nicher aussi dans des cavités creusées par le Grand Pic (Dryocopus pileatus), bien que cela soit rare (Cameron, 1949; Hofslund, 1958; Cotrille, 1956, in Dexter, 1991). On a aussi observé des martinets regroupés sur des troncs d’arbres pour y passer la nuit. Il se peut que ces oiseaux optent pour cet habitat lorsqu’aucun autre site adéquat n’est disponible (Spendelow, 1985) ou lorsque les sites qu’ils utilisent habituellement deviennent soudainement inaccessibles, par exemple lorsqu’on allume un feu dans une cheminée (Campbell et Campbell, 1944), ou parce que la survenue rapide de mauvaises conditions météorologiques les oblige à se mettre à l’abri (Arvin, 1982).

L’arrivée des Européens en Amérique du Nord a marqué le début de l’exploitation forestière, et les gros arbres sont alors devenus de plus en plus rares (Leverett, 1996; Drushka, 2000). Au même moment, on a commencé à construire des structures artificielles (cheminées, granges, puits), que les Martinets ramoneurs ont rapidement adoptées, à condition qu’elles soient propices à la nidification et au repos (MacNamara, 1918; Coffey, 1936; Lack, 1956; Fisher, 1958; Johnsgard, 1979; Bull, 1985; Norse et Kibbe, 1985; Sibley, 1990; Peterjohn et Rice, 1991; Sutcliffe, 1994; Fleckenstein, 1996; Snow et Perrins, 1998; Cink et Collins, 2002). Parmi ces structures, ce sont les cheminées qui sont les plus abondantes et les plus fréquemment utilisées. Les Martinets ramoneurs semblent avoir adopté les cheminées très tôt, puisque dès 1672, on les y a repérés dans le Maine (Palmer, 1949). Coffey (1944) a mentionné que les martinets avaient commencé à utiliser les cheminées en 1808. Au début du 19e siècle, Audubon (1840) avait déjà observé l’utilisation générale des cheminées pour la nidification; il a même écrit que l’espèce avait déjà niché dans le passé dans les arbres dans l’ouest du Kentucky, laissant ainsi entendre que l’utilisation de sites naturels était déjà chose du passé à cette époque. À la même époque, Wilson (1812) a mentionné que dans l’ouest de la Pennsylvanie, la nidification se limitait déjà uniquement aux cheminées.

Les Martinets ramoneurs choisissent des cheminées inutilisées pour s’y reposer ou y construire leurs nids, quoiqu’une chaleur modérée dans les grandes cheminées ne semble pas leur nuire (J. Gauthier, obs. pers.). On connaît peu les facteurs qui incitent les martinets à opter pour une cheminée plutôt qu’une autre, mais la température semble influer sur leur décision. Durant l’inventaire des Martinets ramoneurs du Québec, on a mesuré la température à l’intérieur de quelques cheminées occupées par des martinets, et les données indiquent que la température variait très peu par rapport à la température extérieure (SCF-Québec, données inédites). D’après Tyler (1940), les cheminées les plus souvent occupées étaient des cheminées inutilisées, reliées au sous-sol du bâtiment et qui assuraient un débit d’air chaud. Bowman (1952) donne un exemple de ce type de cheminée à Kingston, en Ontario, et il ajoute que le débit d’air chaud rend la cheminée particulièrement attirante pour les martinets, surtout durant les nuits fraîches d’avril et de mai. À Lévis (Québec), durant une journée froide du printemps 1998, des martinets attirés par des enregistrements de cris d’oiseaux ont opté pour une cheminée de maison plutôt que pour une cheminée artificielle en bois qui ne conservait pas la chaleur (Garneau et Gauthier, SCF-Québec, données inédites). L’expérience a été répétée de nombreuses fois, et on a obtenu des résultats similaires. Au Québec, les martinets recherchent des sites où la température ambiante est relativement constante et où une certaine chaleur est présente. Garneau et Gauthier (SCF-Québec, données inédites) ont déterminé que la température seuil à partir de laquelle les martinets abandonnaient une cheminée était de 13 °C. Or, il est probable que de gros arbres creux offrent aussi aux oiseaux cette température minimale.

Le Martinet ramoneur peut aussi nicher et se reposer dans des conduits d’aération, des silos, des puits, des granges, des séchoirs à tabac, des bâtiments abandonnés et de gros tuyaux d’égout en béton (Fischer, 1958; Bull, 1985; Dexter, 1991; M. Robert, comm. pers.). À l’intérieur d’un bâtiment, les oiseaux construisent habituellement leur nid en hauteur dans les coins les plus sombres (Fischer, 1958) où la chaleur a tendance à s’accumuler.

La plupart des auteurs actuels pensent que le Martinet ramoneur niche dans les cheminées et dans des structures semblables, et qu’il utilise moins souvent des sites naturels, très peu abondants (MacNamara, 1918; Coffey, 1936; Lack, 1956; Fisher, 1958; Johnsgard, 1979; Bull, 1985; Norse et Kibbe, 1985; Sibley, 1990; Peterjohn et Rice, 1991; Sutcliffe, 1994; Fleckenstein, 1996; Snow et Perrins, 1998; Cink et Collins, 2002). Au Québec, l’inventaire des dortoirs et des nids de Martinet ramoneur (de 1998 à 2004) a révélé que seulement 4 des 222 sites occupés n’étaient pas des cheminées, quoique ce ratio puisse être biaisé par les recherches axées sur les cheminées et par la difficulté de trouver les sites naturels.

Il en résulte que le Martinet ramoneur est devenu très dépendant des humains pour ce qui est des sites de nidification. Dans l’État de New York, Sibley (1990) a constaté que la plupart des observations de martinet effectuées durant les travaux menés pour l’atlas des oiseaux nicheurs de cet État provenaient de villes ou de villages. En Ohio, Beissinger et Osborne (1982) ont observé que la densité de la population de Martinets ramoneurs était 5 fois plus élevée dans les villes et les villages que dans les zones boisées. Au Rhode Island et au Tennessee, les plus fortes densités de martinets ont été recensées dans les zones urbaines (Enser, 1992; Nicholson, 1997). Cependant, certains martinets continueraient à nicher dans des arbres creux dans les zones boisées isolées (Fischer, 1958; Helleiner, 1987; Sutcliffe, 1994), mais les mentions relatives à un tel comportement sont devenues rares (Norse et Kibbe, 1985; Chantler, 1999), de sorte que le nombre de Martinets ramoneurs nichant dans les zones boisées correspond probablement à une très petite fraction de la population. Les données des dénombrements ponctuels de l’Atlas des oiseaux nicheurs de l’Ontario (voir la figure 2) indiquent que de petites populations de Martinets ramoneurs sont associées aux secteurs de vieilles forêts (A. Dextrase, comm. pers.), et Erskine (1992) fait état d’une répartition dans l’ensemble du Nouveau-Brunswick, y compris dans des secteurs situés à une certaine distance des centres urbains. Erskine (1992) mentionne aussi que dans les provinces Maritimes, la plupart des martinets nichaient dans des arbres creux dans le passé et qu’ils le font toujours.

Il est important de signaler qu’il est difficile de repérer les sites de nidification du Martinet ramoneur vu son comportement très discret à l’approche du nid. Il est plus facile de trouver les dortoirs en raison du grand nombre d’oiseaux qui y sont regroupés, mais aucun dortoir en arbre creux ne nous a été signalé, probablement parce que les arbres à fort diamètre se font rares. Les quelques oiseaux vus en Saskatchewan l’ont été dans des régions éloignées, et ils utilisaient sans doute les arbres creux pour nicher et se reposer (A.R. Smith, données inédites). En 1958, Fischer a mentionné que, depuis les années 1920, le nombre d’observations relatives à la nidification du Martinet ramoneur dans les arbres creux avait diminué considérablement. Blodgett et Zammuto (1979) ont constaté qu’à peine 10 nids construits dans des arbres creux avaient été signalés au cours des 100 années précédentes. La revue de littérature n’a permis de repérer que 22 mentions de nids dans des arbres creux aux États-Unis entre 1840 et 1991 (Audubon, 1840; Ridgeway, 1874; Daniel, 1902; Stewart, 1975; Blodgett et Zammuto, 1979; Hall, 1983; Bull, 1985; Robbins, 1991; Ferguson et Ferguson, 1991; Nicholson, 1997). Au Canada, Peck et James (1983) ont signalé la présence d’un seul nid de ce type en Ontario. Dans les Maritimes, il n’existe aucune observation de nidification dans un arbre creux pour le Nouveau-Brunswick, mais il en existe 10 pour la Nouvelle-Écosse (A.J. Erskine, comm. pers.). Cependant, la plupart de ces données sont liées à un seul nid, qui a été observé durant plusieurs années consécutives. Au Québec, on connaît 6 cas de nidification dans des arbres creux (Fichier de nidification des oiseaux du Québec – Desgranges [1964], Bélanger [1985]; Inventaire des Martinets ramoneurs au Québec). De plus, des Martinets ramoneurs ont été observés en vol au-dessus d’habitats de vieille forêt au Québec en 2000 (F. Morneau, comm. pers.), en 2002 et en 2004 (SCF-Québec, données inédites). Les observations de 2002 et de 2004 ont été réalisées dans le cadre de l’inventaire des Martinets ramoneurs dans les vieilles forêts, au cours duquel 6 forêts ont été visitées.

Le Martinet de Vaux, étroitement apparenté au Martinet ramoneur, niche et se repose lui aussi dans les cheminées. Cependant, cette espèce utilise encore plus fréquemment les gros arbres creux (Bull et Collins, 1993). Une association positive a été établie entre le Martinet de Vaux et les vieilles forêts (Manuwal et Huff, 1987). Pough (1957) mentionnait que le Martinet de Vaux venait tout juste de commencer à faire la transition entre la nidification dans les arbres creux et la nidification dans les cheminées, ce que le Martinet ramoneur avait déjà fait il y a de nombreuses années.


Tendances

Beaucoup d’auteurs ont avancé que les populations de Martinets ramoneurs ont peut-être augmenté avec l’arrivée des Européens et la construction d’une multitude de cheminées propices à la nidification (Tyler, 1940; Norse et Kibbe, 1985; Dexter, 1991; Kaufman, 1996; Zucker, 1996; Chantler et Driessens, 2000; Cink et Collins, 2002). Les cheminées et autres structures anthropiques auraient alors été plus nombreuses et plus disponibles que les arbres creux présents avant la colonisation, d’où une augmentation du nombre de sites de nidification et de dortoirs. Les Martinets ramoneurs ont rapidement adopté ces nouveaux sites de nidification.

Graber et Graber (1963) sont souvent cités pour avoir appuyé l’hypothèse selon laquelle les Martinets ramoneurs auraient tiré avantage de la colonisation. En effet, ils ont constaté une augmentation de la densité des Martinets ramoneurs en Illinois entre 1906 et 1909 et entre 1956 à 1959, qui aurait été liée à l’augmentation de la population humaine et au développement. Cependant, ces résultats ne correspondent pas à la situation qui existait avant et durant la colonisation, mais plutôt au processus d’urbanisation; en effet, 10 des 14 millions d’acres de forêts de l’Illinois ont été déboisés durant le 19e siècle et, en 1900, 33 des 36 millions d’acres de cet État avaient déjà été modifiés (Graber et Graber, 1963).

Il est peut-être tout aussi plausible que l’arrivée des Européens ait eu pour effet de réduire la population de Martinets ramoneurs en Amérique du Nord, étant donné que les relevés menés dans les vieilles forêts reliques indiquent que le nombre d’arbres creux éliminés était presque certainement supérieur au nombre de cheminées construites par les Européens. McGee et al. (1999) ont compté une moyenne de 18 chicots (d’un DHP d’au moins 50 cm) par hectare dans une vieille forêt décidue de l’État de New York. De même, Goodburn et Lorimer (1998) ont trouvé des valeurs similaires pour les vieilles forêts décidues du Wisconsin et du Michigan (20 chicots d’un DHP d’au moins 45 cm par hectare). Les données du bureau de recensement des États-Unis (U.S. Census Bureau, 2004) permettent d’estimer grossièrement à 0,152 le nombre de cheminées par hectare dans l’est des États-Unis en 1900, si on présume que 4 personnes habitaient chaque maison et que chaque maison était munie de 2 cheminées. Bien qu’approximative, cette valeur est de 2 ordres de grandeur inférieure aux estimations de la densité de chicots avant la colonisation.

En résumé, les cheminées n’étaient pas construites au même rythme qu’étaient abattus les gros arbres creux. Au Canada (Maritimes, Ontario et Québec), il semble que la situation ait été très semblable. Le nombre de ménages, et par conséquent de cheminées, était inférieur à celui des États-Unis, mais les activités d’exploitation forestière et de déboisement des terres se déroulaient à la même cadence (Atlas historique du Canada, 1990). Dans les Maritimes, seulement quelques forêts ont échappé à l’influence humaine après l’arrivée des Européens (Loo et Ives, 2003). Dans le sud de l’Ontario, presque toutes les vieilles forêts ont été exploitées ou éliminées pour l’agriculture (Suffling et al., 2003), et la situation a été à peu près la même au Québec, où les activités d’exploitation forestière ont largement dépassé les zones habitées de la vallée du fleuve Saint-Laurent (Dupont, 1995).

Le nombre de cheminées restantes qui sont propices au Martinet ramoneur continue de diminuer. L’utilisation croissante du chauffage électrique à partir des années 1950 a donné lieu à la disparition progressive de cet habitat artificiel, processus qui se poursuit avec la conversion au gaz naturel. De nos jours, les nouveaux bâtiments n’ont pas de cheminée ou ont des conduits métalliques qui ne conviennent pas aux Martinets ramoneurs, parce que, étant souvent assez étroits (< 30 cm), ils peuvent se transformer en piège mortel pour les oiseaux qui s’y aventurent, ne parvenant pas à en sortir. Les sociétés d’assurance encouragent aussi les propriétaires qui rénovent leur maison à installer des doublures métalliques à l’intérieur des cheminées en brique ou en pierre pour prévenir les incendies. De plus, si une cheminée ne sert plus à chauffer un bâtiment, il arrive souvent qu’on en ferme l’ouverture ou qu’on la démolisse. Dans plusieurs municipalités, les règlements en matière de prévention des incendies obligent les résidents à installer des pare-étincelles dans les cheminées. Or, cette pratique largement répandue empêche les oiseaux et d’autres animaux d’utiliser les cheminées.

À part les observations faites au Québec, il n’existe aucune donnée quantitative sur la proportion des cheminées dont l’ouverture a été fermée. Cependant, il suffit d’observer les toits dans la province pour se rendre compte qu’une très grande proportion des cheminées sont métalliques ou munies de pare-étincelles. Savard (2000) a mentionné que, dans certains quartiers de Chicoutimi où le Martinet ramoneur avait été signalé dans le passé, l’ouverture des cheminées a été systématiquement fermée ou que les cheminées ont été converties et que l’oiseau semblait avoir déserté la ville.

Les cheminées qui conviennent au Martinet ramoneur ont un assez grand diamètre (> 28,5 cm), une surface intérieure rugueuse (p. ex. en brique, en ciment ou en tuile) et elles doivent protéger l’oiseau contre le froid. De manière générale, les cheminées qui respectent ces critères ont été construites avant 1960. L’électricité est ensuite devenue la principale source d’énergie. Plus tard, durant les années 1980, sont arrivés les poêles à combustion haute performance. Ces poêles ont fait augmenter l’accumulation de la créosote qui, lorsqu’elle entre en contact avec l’eau, produit de puissants acides causant l’effritement de la cheminée. Pour résoudre le problème, on a installé des cheminées métalliques et des doublures métalliques à l’intérieur des cheminées classiques. La société Terra Cota, la plus importante entreprise de chemise en argile de l’est de l’Amérique du Nord, a fermé ses portes en 2001 après plus de 100 ans d’existence. M. Gaillardetz, président de l’entreprise et ingénieur, a souligné que la fermeture était attribuable au changement technologique. De plus, les nouvelles technologies ont permis de mettre sur le marché des cheminées plus petites, qui ne conviennent pas aux martinets. D’après le registre des ventes de la société Terra Cota, le nombre de petites tuiles en argile utilisées dans les plus petites cheminées a augmenté de 20 p. 100 à 80 p. 100 durant les années 1990. À ce rythme, on peut concevoir facilement que la plupart des cheminées ne conviendront plus aux martinets d’ici une dizaine d’années tout au plus, à l’exception des quelques cheminées solides et plus résistantes des églises et des bâtiments religieux.

Il arrive souvent que les cheminées abandonnées ne protègent pas suffisamment les martinets contre les mauvaises conditions météorologiques. Une fois qu’une cheminée a atteint un certain degré de détérioration, elle laisse passer le vent, ce qui fait chuter la température à l’intérieur et entraîne le départ des oiseaux si la température baisse sous un certain seuil. Comme ces cheminées présentent aussi un risque pour la sécurité, on les démolit habituellement rapidement, en particulier lorsqu’il s’agit de bâtiments industriels, commerciaux et gouvernementaux.

La plupart des cheminées des bâtiments résidentiels ne sont déjà pas adéquates pour les martinets. En effet, environ 75 p. 100 d’entre elles sont munies d’un conduit métallique ou autre à l’intérieur, ou leur ouverture a été fermée (clôture, pare-étincelles ou chapeau) (comm. pers. avec P. Allard de la société Brique et Pavé Giroux-Maçonnex, avec M. Gaillardetz de la société Terra Cota, avec le Service des incendies de la Ville de Montréal et avec la Professional Wood Heating Association). Des observations simples effectuées dans les villes et les régions rurales confirment le fort pourcentage de cheminées inutilisables; sur les 25 p. 100 de cheminées qui restent, près de 60 p. 100 ont un diamètre égal ou inférieur à 28,5 cm (M. Labrecque, ramoneur et maçon, comm. pers.), ce qui les rend moins intéressantes pour les martinets, dont l’envergure moyenne est de 30 cm. En pareil cas, les martinets doivent se faufiler pour sortir de la cheminée.

Tableau 1 : Proportion de cheminées d’églises et de presbytères inutilisables par le Martinet ramoneur dans des diocèses du Québec
Diocèses Nombre de paroisses sélectionnées Nombre de cheminées échantillonnées Nombre de cheminées inutilisables (%)
Montréal 36 50 27 54 %
Saint-Jérôme, Joliette 20 32 17 53,1 %
Québec 33 43 22 51,1 %
Chicoutimi, Baie-Comeau 22 40 15 37,5 %
Nicolet, Trois-Rivières 24 39 14 35,9 %
Sherbrooke 13 20 7 35 %
Valleyfield, Saint-Jean, Longueuil, Saint-Hyacinthe 37 53 14 26,4 %
Amos, Rouyn-Noranda 13 18 4 22,2 %
Gaspé, Rimouski, Sainte-Anne-de-la-Pocatière 36 54 8 14,8 %
Mont-Laurier, Gatineau-Hull 15 21 3 14,3 %
Total 249 370 131 35,4 %

 

Tableau 2 : Modifications apportées aux cheminées d’églises et de presbytères du Québec les rendant inutilisables pour le Martinet ramoneur
Modifications  Nombre de cheminées (%)
Présence d’un pare-étincelles, d’un chapeau ou d’une clôture de sécurité 66 50,4 %
Conduit métallique à l’intérieur de la cheminée 23 17,5 %
Cheminée préfabriquée 17 13 %
Cheminée dont l’ouverture a été fermée 16 12,2 %
Cheminée démolie 9 6,9 %

Ce sont les cheminées des églises, des presbytères et des écoles avoisinantes construites avant 1960 qui sont les plus importantes. La plupart sont d’imposantes structures fabriquées en brique ou en pierre et sont plus résistantes que les cheminées des résidences. Selon R. Pleau (Ph.D.), de l’École d’architecture de l’Université Laval, la durée de vie moyenne de ces cheminées avec ciment nouveau est de 60 ans. Même si la majorité de ces cheminées ne sont pas utilisées par le Martinet ramoneur, il semble que ce type de cheminée constitue l’habitat préféré de l’oiseau. On pense que cette situation est simplement liée au fait que les cheminées n’ont pas encore été reconstruites; les coûts élevés des rénovations, le grand nombre de bâtiments à rénover et la baisse de popularité de la pratique religieuse font que la restauration de ces cheminées n’est pas prioritaire pour les propriétaires des bâtiments. Les cheminées des bâtiments religieux représentent 57 p. 100 des sites connus (nids et dortoirs) et 79 p. 100 des dortoirs connus au Québec (Gauthier et al., sous presse).

Depuis 1998, l’inventaire des Martinets ramoneurs au Québec a permis d’observer la présence de martinets dans 40 p. 100 des cheminées d’églises ou de presbytères (Gauthier et al., SCF-Québec, données inédites). À la lumière de ces résultats, nous avons mené une étude pour estimer la proportion de cheminées d’églises et de presbytères qui sont encore utilisables dans les paroisses du Québec fondées avant 1960. Le tableau 1 présente les résultats de l’étude. Dans les paroisses sélectionnées, les martinets n’ont plus accès à 35,4 p. 100 des cheminées (131/370). Le diocèse dans lequel le taux de fermeture des cheminées est le plus élevé est celui de Montréal, où 54 p. 100 des cheminées d’églises et de presbytères ont été fermées; le plus souvent, les cheminées sont inutilisables en raison de l’installation d’un pare-étincelles, d’un chapeau ou d’un clôture de sécurité (tableau 2). On a toutes les raisons de penser que la situation est similaire ailleurs au Canada et aux États-Unis, même si le taux de fermeture et de conversion des cheminées y est sans doute différent vu les conditions météorologiques.

Au Québec, 1 605 paroisses ont été fondées avant 1960 (Anonyme, 2000). Si nous estimons qu’il y a 3 cheminées par paroisse, une pour le presbytère, une pour l’église et une pour l’école élémentaire, qui est souvent située près de l’église dans les vieilles paroisses, nous obtenons un total de 4 815 cheminées utilisables par le Martinet ramoneur. Cependant, ce nombre est probablement inférieur dans la réalité, puisque certaines églises n’ont pas de cheminée ou parce que le presbytère est dans le même bâtiment que l’église. Certaines églises ont plus de 2 cheminées, mais si on applique le pourcentage de fermeture obtenu avec notre échantillon (35,4 p. 100) à l’ensemble des cheminées, on obtient un total de 1 704 cheminées fermées. Il resterait donc 3 111 cheminées d’églises ou de presbytères utilisables par les martinets dans les paroisses du Québec; de ce nombre, beaucoup peuvent être inadéquates ou même ne pas être disponibles pour les martinets. Si les dernières cheminées ont été construites en 1960 et que la durée de vie maximale des cheminées en brique et en ciment est de 60 ans, il restera très peu de cheminées classiques en 2030, et beaucoup auront disparu d’ici 5 à 10 ans. Les Martinets ramoneurs manqueront alors de sites de nidification et de dortoirs. Bien que les cheminées des bâtiments religieux ne constituent pas les seuls sites de nidification utilisables par l’espèce, elles en représentent sans doute la majorité.

D’après Simard (1998), le patrimoine religieux (architectural, paysager, mobilier et archivistique) est menacé et il n’a cessé de s’appauvrir et de se détériorer au cours des dernières années. C’est pourquoi le gouvernement du Québec a investi 101,5 millions de dollars depuis 1995 dans un programme de restauration de ce patrimoine, en particulier dans la rénovation des églises (Gouvernement du Québec, 2000). Dans le cadre de ce programme, 18 églises subiront d’importants travaux de restauration en 2000 (Gouvernement du Québec, 2000). Dans la moitié des cas, les toitures seront refaites, et il est très probable que les cheminées seront rénovées par la même occasion. Or, on peut penser que ces rénovations ne seront pas à l’avantage du martinet. Par conséquent, le rythme de fermeture des cheminées d’églises et de presbytères au Québec pourrait être plus élevé que prévu.

La situation devrait être la même ailleurs au Canada et aux États-Unis. Le fait que la conversion, la démolition et la fermeture des cheminées s’effectuent sans doute plus rapidement sous les plus hautes latitudes en raison des conditions climatiques pourrait expliquer pourquoi les effectifs canadiens de Martinets ramoneurs diminuent plus rapidement que les effectifs américains.

En conclusion, les données de Statistique Canada (Building and Labour census, 1951) permettraient d’estimer combien il reste de cheminées adéquates pour les martinets. La plupart des cheminées adéquates qui restent sont sur les églises, les bâtiments religieux et les maisons. Comme la majorité des cheminées de maison construites durant les années 1950 n’étaient pas adéquates pour les martinets, parce qu’elles servaient à évacuer la chaleur provenant des cuisinières, nous devons retenir les ménages plus fortunés qui avaient deux cheminées. À ce nombre, nous devons aussi ajouter les ménages qui se sont convertis à l’électricité et dont les cheminées peuvent demeurer utilisables durant un certain temps. Actuellement, environ 75 p. 100 des cheminées des ménages convertis à l’électricité ne sont pas disponibles pour les martinets. Il serait possible d’évaluer le nombre de cheminées potentiellement disponibles pour les martinets en analysant en détail les données de Statistique Canada. Selon nos premières estimations, ce nombre est faible.


Protection et propriété

Vu l’environnement dans lequel vit le Martinet ramoneur, il est difficile de lui appliquer la notion de protection de l’habitat dans le sens classique du terme. Une grande proportion des sites de nidification de l’espèce ne sont pas protégés parce qu’il s’agit de cheminées de bâtiments privés. Il existe moins de 10 dortoirs connus dans les Maritimes, et 2 d’entre eux -- un à Fredericton (Nouveau-Brunswick) et l’autre à Wolfville (Nouvelle-Écosse) -- sont bien connus et protégés par des bénévoles de la région. En Ontario, il n’existe aucune entente précise sur la conservation des dortoirs dans les cheminées, mais certains propriétaires de bâtiments sont au moins informés de la présence de dortoirs sur leurs terrains. Au Québec, 9 sites urbains seulement sont protégés d’une certaine manière etadmissibles au programme d’intendance d’Environnement Canada. Il s’agit de 6 dortoirs situés à Chandler, à La Pocatière, à Mont-Laurier, à Saint-Raymond-de-Portneuf, à Saint-Georges-de-Beauce et à Joliette ainsi que de 3 sites de nidification situés à Joliette, à Lévis et au mont Mégantic. Les propriétaires des 9 sites sont au courant de la présence des oiseaux, et des efforts sont faits pour que les cheminées demeurent disponibles.

Il existe probablement peu de sites de nidification dans les habitats forestiers puisque les chicots et les arbres creux et malades sont habituellement éliminés durant la récolte du bois. Dans les Maritimes, seulement 1 à 5 p. 100 du couvert forestier est présentement constitué de vieille forêt (Mosseler et al., 2003). Cependant, la Nouvelle-Écosse vise à conserver 8 p. 100 des terres boisées de la Couronne pour atteindre et maintenir des conditions de vieille forêt (ministère des Ressources naturelles de la Nouvelle-Écosse, 2004). Au Nouveau-Brunswick, l’objectif est de conserver 19 p. 100 des terres publiques (D. Beaudette, ministère des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick, comm. pers.).

En 1986, dans le sud de l’Ontario, seulement 0,07 p. 100 des terres situées au sud et à l’est du Bouclier canadien étaient dans la classe d’âge de plus de 120 ans (Larson et al., 1999). Dans le centre et le nord de l’Ontario, le pourcentage de vieille forêt est beaucoup plus élevé, atteignant en moyenne 23 p. 100 dans les forêts de la Couronne et 28 p. 100 dans les parcs et les aires protégées (MRNO, 2002). Comme on le fait au Québec, on élimine souvent les arbres creux, morts ou mourants durant la récolte du bois pour des raisons de sécurité. Cependant, les lignes directrices actuelles en matière de sylviculture à l’intérieur de l’aire de répartition du Martinet ramoneur en Ontario (Naylor et al., 1996; MRNO, 2000, 2001) prévoient la conservation de (habituellement 6) gros arbres vivants à cavités ou d’arbres susceptibles de présenter des cavités dans chaque hectare de forêt aménagée. Cependant, les arbres à cavités sont définis comme des arbres dont le houppier est sain (MRNO, 2000), et il se peut qu’ils ne conviennent pas au Martinet ramoneur. Les gros arbres morts que le Grand Pic utilise pour se reposer, quoique rares, doivent aussi être préservés dans les forêts publiques aménagées (Naylor, 1996).

Au Québec, 7 des 49 forêts anciennes sont classées comme des réserves écologiques et sont donc protégées. Il s’agit des réserves écologiques de la Rivière-du-Moulin, de Tantaré, du lac Malakisis, Tapani, Rolland-Germain, des Grands-Ormes et du Boisé-des-Muir. Les vieilles forêts de ces réserves représentent 1 395 hectares ou 20,9 p. 100 de la superficie totale des vieilles forêts connues dans la province (Gouvernement du Québec, 1996).

 

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