Tête carminée (Notropis percobromus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

Facteurs limitatifs

Nous ignorons encore trop de choses sur la physiologie de la tête carminée ou sur sa capacité d’adaptation pour être en mesure de cerner les facteurs susceptibles de limiter ses chances de survie. L’espèce semble occuper une niche écologique relativement restreinte, ce qui pourrait indiquer qu’elle a une capacité d’adaptation limitée. Si la tête carminée réagit de la même façon que son proche parent, la tête rose, il se peut qu’elle évite les polluants sur une base continue (Cherry et al., 1977), de même que les eaux dont la température dépasse 27,2 °C (Stauffer et al., 1975). Certains autres facteurs pourraient entrer en ligne de compte : l’abondance des proies, la prédation par d’autres espèces, la compétition avec d’autres ménés pour l’habitat de prédilection, les maladies et les parasites ainsi que l’hybridation avec d’autres espèces de ménés.

Les biologistes de l’écosystème aquatique du Manitoba, qui connaissent bien la tête carminée, mentionnent que certains ou tous les facteurs limitatifs et certaines ou toutes les menaces indiqués ci-dessous se produisent dans toute l’aire de répartition de la tête carminée (la rivière Whitemouth, la rivière Bird et le chenal Pinawa, y compris la rivière Birch, et ces renseignements ont été recueillis par Schneider-Vieira et MacDonell [1993] ainsi que par Clarke [1998]). Les barrages, les déversoirs et les chutes naturelles ont également des incidences observées sur l’aire de répartition. La gravité réelle de ces  incidences est difficile à déterminer, étant donné qu’aucune étude spécifique n’a été menée, mais la zone d’occurrence de ces incidences (sur l’aire de répartition de la tête carminée) semble se situer entre les parties centrale et supérieure de l’aire de répartition (M. Erickson, Gestion des ressources hydriques du Manitoba, Winnipeg, Manitoba, comm. pers. 2006). 


Menaces

La tête carminée fraye dans des eaux relativement chaudes et claires, et elle fréquente des eaux vives peu profondes où les substrats rocheux sont propres. Il se peut que l’espèce soit limitée à un habitat réunissant ces conditions et qu’elle soit menacée par des activités qui modifient le degré de turbidité ou le débit de l’eau. L’habitat de la tête rose, un proche parent, est moins restreint, et l’espèce réagit rapidement aux changements qui surviennent dans son habitat et dans la qualité de l’eau (Smith, 1979; Trautman, 1981; Humphries et Cashner, 1994; Houston, 1996). Il est possible que la tête carminée ait un comportement semblable. La retenue du débit, l’accroissement des charges solides par le drainage agricole, l’enlèvement du gravier des ruisseaux et la canalisation des cours d’eau sont autant d’activités qui concourent au déclin ou à la disparition de la tête rose. L’érosion accrue des berges et la sédimentation qui en résulte ont probablement des effets négatifs sur les œufs, les alevins et les sources d’alimentation.

L’Équipe de rétablissement de la tête carminée (2005) a entrepris une évaluation détaillée des menaces dans chaque plan d’eau où l’espèce a été recensée. Quatre grandes catégories de menaces ont été cernées : la perte ou la dégradation de l’habitat, la surexploitation, l’introduction d’espèces et la pollution.


Perte ou dégradation de l’habitat

La régulation du débit, l’aménagement des berges, la modification du paysage et les changements climatiques entraînent probablement la perte ou la dégradation de l’habitat dans certains tronçons des rivières peuplées par la tête carminée, ce qui pourrait menacer la survie de l’espèce. À l’heure actuelle, il s’agit probablement de la menace la plus grave, mais il est difficile d’en évaluer l’ampleur, compte tenu du peu de données qui existent sur la répartition de l’espèce et ses besoins aux différentes étapes de son cycle biologique.

Comme la tête carminée fréquente des eaux limpides entourant des seuils peu profonds en été, les modifications de débit pourraient représenter une menace. Les projets hydroélectriques ont modifié le débit de la rivière Winnipeg. L’aménagement de l’axe fluvial de la rivière a débuté en 1909 à Pointe du Bois et s’est terminé en 1955 par l’achèvement de la centrale des chutes McArthur (Manitoba Hydro (en anglais seulement)). Ces installations sont encore en service et risquent peu d’être désaffectées dans un avenir prévisible. Une autre centrale a été construite sur le chenal Pinawa en 1906. Elle a été mise au rancart en 1951 et est en partie démolie. Ces installations ont endigué des tronçons de la rivière, créant des réservoirs, inondant la végétation et éliminant des rapides. Il est impossible de déterminer si ces changements ont modifié suffisamment le degré de turbidité de l’eau et l’habitat des seuils pour réduire l’effectif des populations de têtes carminées dans le réseau hydrographique. Avec le temps, l’eau gagnera en limpidité à mesure que les berges inondées seront naturalisées.

D’autres activités – le drainage des terres pour l’agriculture, la construction de routes et l’extraction de la tourbe, l’installation de déversoirs et de passages de cours d’eau ainsi que l’enlèvement de la végétation environnante à des fins d’exploitation forestière ou agricole – peuvent avoir des incidences sur le drainage et, par conséquent, sur les profils d’écoulement. Il est possible d’atténuer les effets de bon nombre de ces activités sur les berges et le ruissellement. L’extraction d’eau pour l’usage domestique, pour l’irrigation des pelouses ou des terres agricoles et pour l’abreuvement du bétail peut également réduire le débit des cours d’eau, surtout pendant les années de sécheresse.

L’extraction de la tourbe se pratique près de certains tronçons du bassin hydrographique, en amont des eaux peuplées par la tête carminée. Les chercheurs ignorent les effets de cette activité sur l’hydrogramme et la turbidité de la rivière. On sait que les activités d’extraction de la tourbe réduisent la capacité de stockage d’eau du sol. Au-delà de quelle limite le ruisseau ou certains de ses affluents deviendront-ils sujets à des crues soudaines en période de fortes pluies? De même, à quel point la capacité de stockage d’eau peut-elle être réduite avant que le ruisseau ne soit sujet à de fortes baisses de débit en période de sécheresse? Dans quelle mesure l’eau qui s’écoule de la tourbe en hiver contribue-t-elle à maintenir des débits suffisants pour assurer un certain volume d’eau libre dans les rapides et les seuils et, par conséquent, une quantité d’oxygène suffisante pour permettre la survie des poissons en hiver? Le niveau d’exploitation actuel ne nuit peut-être pas à la biote de la rivière Whitemouth, mais, à titre de « premier empiètement », cette activité pourrait représenter une menace pour l’avenir. Il faudra recueillir plus de renseignements pour en évaluer l’importance.

Par le passé (jusqu’au milieu des années 1990), on extrayait de l’eau de la rivière Whitemouth et d’autres rivières du sud-est du Manitoba en hiver pour réaliser des essais sous pression sur des tronçons nouvellement construits ou réparés de pipelines croisant ces cours d’eau. Ces activités créent une double menace. D’une part, le changement de débit dans les cours d’eau touchés est abrupt et appréciable par rapport à l’écoulement hivernal naturel. Dans le cours d’eau récepteur, le débit accru risque de rompre la couverture de glace, qui pourrait avoir pour effet d’affouiller le lit du cours d’eau et d’éroder les berges, entraînant ainsi une forte hausse de turbidité que les poissons ne pourraient pas éviter dans des conditions hivernales. Dans le ruisseau donneur, la réduction du débit pourrait être si grande en l’espace d’environ une semaine que l’écoulement pourrait être interrompu à toutes fins utiles, provoquant ainsi le gel de tout le chenal dans les tronçons peu profonds, y compris des mouilles où vivent les poissons. D’autre part, comme l’eau servant à ces essais n’est ni traitée ni filtrée, le ruisseau récepteur risque d’être colonisé par des espèces exotiques, s’il en existe dans le ruisseau donneur. Certaines propositions visent le transfert d’eau des Grands Lacs à la rivière Brokenhead; le risque de propagation d’espèces exotiques est très réel en l’occurrence (K.W. Stewart, comm. pers., 2006).

L’aménagement des berges dans les frayères de la tête carminée ou dans les secteurs situés immédiatement en amont pourrait nuire à la fraye en perturbant le milieu physique ou en modifiant la qualité de l’eau. Le défrichage de la forêt riveraine jusqu’au bord de l’eau pour la construction de chalets ou l’agriculture, par exemple, peut déstabiliser les berges et accroître l’érosion.Le bétail qui accède au bord des rivières risque également de perturber l’habitat et d’accroître la charge de limon et de nutriments, tout comme le creusement de fossés et l’installation d’ouvrages de drainage le long des voies de circulation locales. Des renseignements sur la plupart de ces effets ont été consignés pour le cours inférieur de la rivière Birch (Schneider-Vieira et MacDonell, 1993; Clarke, 1998).

L’exploitation forestière, l’agriculture, l’extraction de la tourbe et la construction routière, toutes ces activités sont susceptibles de modifier le paysage tout en altérant les profils d’écoulement et la qualité de l’eau de ruissellement qui pénètre dans l’habitat de la tête carminée. Parmi les modifications à craindre, il faut mentionner en particulier l’extraction de la végétation, le nivellement de la roche à déblayer, le drainage des terres humides et la construction d’obstacles (des routes, par exemple) et de fossés.

Les incidences des changements climatiques sur la tête carminée sont imprévisibles. Il peut s’agir d’effets positifs ou négatifs, selon la direction et l’ampleur des changements qui surviennent dans la température et l’hydrologie de l’eau, ainsi que de la période pendant laquelle ils s’opèrent. Les secteurs comme la rivière Birch, qui sont déjà marqués par un ralentissement du débit et par une baisse du niveau d’oxygène en été et en hiver (Clarke, 1998), pourraient être les plus vulnérables à tout changement à cet égard.


Surexploitation

Il arrive que des pêcheurs de poissons-appâts capturent des têtes carminées, mais le degré de la menace qui pèse sur cette espèce est actuellement inconnu. Les activités de pêche commerciale de poissons-appâts sont réglementées et assujetties à des permis. Pour prévenir la propagation d’espèces aquatiques indésirables, les eaux dans lesquelles sera pratiquée la capture d’appâts vivants doivent être soumises à l’approbation de Gestion des ressources hydriques Manitoba. Des allocations de pêche commerciale de poissons-appâts sont attribuées pour la plupart des secteurs fréquentés par la tête carminée, mais il n’existe aucune donnée sur les prises dans des cours d’eau particuliers (B. Scaife, comm. pers., 2004). Les allocations permettent aux détenteurs de permis de pêche commerciale de poissons-appâts de capturer, dans toutes les eaux appartenant à l’État, des poissons qui serviront d’appâts morts. Les pêcheurs à la ligne qui détiennent un permis peuvent récolter des poissons-appâts pour leur propre usage dans toutes les eaux appartenant à l’État, mais les appâts vivants ne peuvent être pêchés que dans les eaux où la pêche aux appâts vivants est autorisée. Les pêcheurs à la ligne n’ont pas le droit de transporter des poissons-appâts vivants hors des cours d’eau où ils ont été capturés.

La plupart des poissons-appâts commerciaux capturés dans le sud-est du Manitoba sont destinés à la vente comme appâts vivants (B. Scaife, comm. pers., 2004). La capture des poissons-appâts vivants est autorisée dans les rivières Whitemouth et Bird. Cependant, les pêcheurs ciblent des espèces plus robustes qui ont un taux de survie plus élevé et dont l’habitat est différent de celui des ménés. Les pièges qui permettent de capturer les poissons vivants facilitent le tri et la remise à l’eau, mais la tête carminée est difficile à identifier et elle résiste mal à la manipulation. Les pêcheurs de poissons-appâts qui détiennent une allocation dans les rivières Whitemouth et Bird n’ont signalé aucun produit congelé dans leurs comptes rendus de production annuelle.

La pêche suscite plus d’inquiétudes dans les secteurs où les poissons-appâts peuvent être capturés uniquement à des fins d’utilisation comme appâts morts (sur la rivière Winnipeg, par exemple), parce que les ménés sont généralement les espèces ciblées. Les engins utilisés pour ce type de pêche (la senne, par exemple) sont plus susceptibles de tuer les poissons-appâts ou de leur nuire que ceux qui sont employés pour la capture des poissons vivants. Cependant, ces méthodes sont rarement utilisées dans les ruisseaux de petite ou de moyenne taille que fréquente la tête carminée (K.W. Stewart, comm. pers., 2004).

Malgré la réglementation, les têtes carminées peuvent, par inadvertance, être ramassées pour appât avec d’autres espèces. Même dans les cas où celui qui a fait la cueillette est capable d’identifier l’espèce, les individus relâchés risquent de ne pas survivre. Cependant, l’ampleur d’une telle cueillette n’est pas connue à l’heure actuelle. 


Introduction d’espèces

L’introduction d’espèces pourrait menacer les populations de têtes carminées de plusieurs façons : prédation, compétition et perturbation de la chaîne alimentaire. Il se peut également que les espèces introduites soient porteuses de maladies et de parasites nouveaux qui pourraient nuire à la tête carminée.

Voici les sources d’introduction possibles : eau rejetée après les essais hydrostatiques sur des pipelines dans le bassin hydrographique de la rivière Whitemouth, appâts vivants utilisés par les pêcheurs à la ligne et introduction de poisson gibier. L’importation d’appâts vivants est illégale au Canada, et la réglementation devrait être rigoureusement appliquée par Douanes Canada. Le lac Whitemouth est ensemencé en doré jaune (Sander vitreus) depuis 1960 et en omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) depuis 1961-1962 (D. Leroux, comm. pers., 2005; voir également Manitoba Fisheries' mandate (en anglais seulement)). La rivière Birch a été ensemencée en truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss), en truite de mer (Salmo trutta) et en doré jaune, mais le taux de survie de ces espèces est faible (Clarke, 1998). La truite de mer a également été introduite dans le chenal Pinawa. L’achigan à petite bouche et l’éperlan (Osmerus mordax) ont été introduits dans le réseau hydrographique de la rivière Winnipeg. Les effets de ces piscivores sur les populations de têtes carminées sont inconnus, mais on sait que l’achigan à petite bouche et la tête carminée partagent le même habitat ailleurs. Le transfert d’espèces du bassin hydrographique du lac des Bois par le drainage terrestre est possible, mais les déplacements des poissons sont limités pour l’instant par la présence de digues de castors et de tourbières.


Pollution

Parmi les polluants qui pourraient nuire à l’espèce, il faut citer les engrais agricoles, les herbicides et les pesticides. L’enrichissement en nutriments causé par le ruissellement de l’eau des fermes ou des exploitations d’élevage intensives représente un problème constant que tentent de régler le gouvernement du Manitoba et l’Administration du rétablissement agricole des Prairies. Clarke (1998) a découvert des niveaux élevés de phosphore (0,2 mg/L PTD) et d’azote (0,99 mg/L nitrate/nitrite) dans le cours inférieur de la rivière Birch en avril 1996, mais non à d’autres époques de l’année. Ces niveaux étaient probablement élevés en raison de la mobilisation des produits chimiques agricoles par le ruissellement printanier. Avant que les brèches ne soient colmatées, la rivière Birch a également été un cours d’eau récepteur pour de l’eau chlorée qui fuyait de l’aqueduc de Winnipeg (Clarke, 1998).


Autres menaces

Il se peut que l’échantillonnage scientifique représente une menace pour la tête carminée. Cependant, il n’existe aucune donnée permettant de conclure à une réduction de l’aire de répartition ou de l’effectif des populations au Manitoba depuis 20 ans, période pendant laquelle les populations de la rivière Whitemouth ont fait l’objet d’échantillonnages réguliers.

Il est possible que la tête carminée et d’autres ménés se reproduisent entre eux au Manitoba. Une réduction substantielle de la proportion de têtes carminées dans les frayères pourrait mener à une baisse du succès de reproduction ou à une assimilation complète des populations. Cependant, compte tenu des différences génétiques aujourd’hui connues entre le complexe spécifique Notropis rubellus et d’autres Cyprinidés, cette hypothèse risque peu de se matérialiser (K.W. Stewart, comm. pers., 2006). 

 

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