Lampsile jaunel (Lampsilis cariosa) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Taille et tendances des populations

Depuis la découverte de la population de L. cariosa de la rivière Sydney, en Nouvelle-Écosse (Clarke et Meachem Rick, 1963), le personnel du Nova Scotia Museum a visité ce secteur à plusieurs reprises afin de vérifier l’occurrence de l’espèce et d’en obtenir des spécimens pour la collection du musée. Les sites visités fréquemment sont indiqués sur la carte reproduite à la figure 4. En 1977, 1978, 1987 et 1990, on a trouvé des L. cariosa aux sites 1, 2 et 3; en 1999, on en a aussi trouvé aux sites 5 et 8. En 1999, S. Kavannagh (comm. pers.) a signalé des L. cariosa dans tout le réseau fluvial, depuis la rive près du barrage jusqu’au lac Blacketts. En 1999, l’espèce semblait absente du fond de vase et de la rive marécageuse à l’extrémité sud-ouest du lac Blacketts et du cours inférieur du ruisseau Meadows (en aval de la station 6 de la figure 4). Les relevés de mulettes effectués par S. Kavannagh seront publiés dans un avenir plus ou moins rapproché avec d’autres relevés effectués en 1999 et en 2000 par le personnel du ministère des Ressources naturelles de Nouvelle-Écosse. D’autres relevés effectués par le personnel du même ministère en 1999 et en 2000 dans le cadre d’études portant sur l’ensemble de l’île du Cap-Breton et le nord de la Nouvelle-Écosse n’ont permis de trouver aucune autre localité de L. cariosa. On n’a pas trouvé non plus de L. cariosa lors du relevé effectué en 2001 au lieu historique national de la Forteresse-de-Louisbourg et dans l’écosystème environnant, ni dans le relevé du parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton réalisé en 2002 (Power et Gouthro, 2002; Lambert et al., 2003).

Une étude ayant pour but d’établir des estimations quantitatives de la taille de la population de L. cariosa de la rivière Sydney a été réalisée par K. White en 2001 et 2002. Cette étude se concentrait sur les secteurs où on avait déjà observé des L. cariosa, soit le tronçon de la rivière Sydney situé en amont du barrage, y compris les lacs Blacketts et Gillis (figure 4). Tous les échantillons de cette étude ont été prélevés entre le 1er juillet et le 25 août. La méthode d’échantillonnage consistait à prélever des moules dans 310 quadrats de 1  choisis au hasard dans le périmètre des lacs Blacketts et Gillis et 53 quadrats de 1 m² choisis au hasard sur la rive de la rivière Sydney, depuis la levée empierrée de la route du lac Blacketts jusqu’au barrage. La majeure partie de l’échantillonnage (333 quadrats) s’est faite au moyen d’un seau à fond de verre, en eau peu profonde (< 1,5 m). L’observation était visuelle ou tactile, selon la turbidité de l’eau. Pour une partie de la recherche de spécimens, les chercheurs brossaient les sédiments fins, soulevaient les éléments non enfoncés et raclaient les sédiments libres du bout des doigts. Un sous-ensemble comprenant 30 de ces quadrats a fait l’objet d’un deuxième échantillonnage par excavation (Smith et al., 2000). L’excavation consistait à enlever le substrat jusqu’à une profondeur d’environ 10 cm et à le tamiser dans une grille à mailles de 6,4 mm. D’autres échantillons (30 quadrats) ont également été prélevés à des profondeurs de 2 à 6 m à l’aide d’un scaphandre autonome afin de déterminer si les estimations effectuées en eau peu profonde étaient représentatives de la densité de moules en eau plus profonde. Au total, 393 quadrats ont été échantillonnés.  

La majorité des L. cariosa (à l’exception des femelles gravides) observés dans la rivière Sydney étaient complètement enfouis dans les sédiments; cependant, en y regardant de près, l’ouverture de leurs siphons était visible à l’interface entre les sédiments et l’eau. Le double échantillonnage a permis d’estimer qu’en moyenne, 87,5 p. 100 (±31,0) des L. cariosa étaient visibles lors des dénombrements de surface. Sur la base de ce constat et d’un autre constat, à savoir que la densité de L. cariosa à des profondeurs de 0,5 m et de 2,0 m est représentative de la densité observable à des profondeurs plus importantes (voir la section Habitat), il a été décidé de fonder les estimations de densité visant à estimer la taille de la population totale de la rivière Sydney sur le dénombrement en surface de 363 quadrats choisis au hasard dans les eaux peu profondes (< 1,5 m) en bordure de la rive.

La densité de L. cariosa au lac Blacketts était de 0,8 individu par m² (écart-type = ±1,7). Au lac Gillis, la densité était de 0,8 individu par m² (écart-type = ±1,1), et dans la rivière Sydney, cette densité était estimée à 0,4 individu par m² (écart type = ±1,2). L’extrapolation de ces estimations de la densité en estimations de l’abondance totale de la population au lac Blacketts et au lac Gillis nécessite une estimation de la superficie d’habitat utilisable dans notre zone d’échantillonnage. Sur la base de l’examen de la densité en relation avec la profondeur de l’eau, nous supposons que toute la superficie comprise entre les profondeurs de 0,5 et 5,0 mètres représente un habitat utilisable par le L. cariosa dans la rivière Sydney. Nous avons utilisé le logiciel ArcView pour estimer cette superficie à partir de cartes SIG et bathymétriques. Nous avons estimé que le lac Blacketts, le lac Gillis et la basse Sydney contenaient respectivement 0,564 km², 0,145 km² et 1,81 km² d’habitat utilisable. En multipliant ces nombres par les estimations de densité, nous obtenons une estimation de l’abondance totale de 434 401 individus (écart-type = ±953 425) pour le lac Blacketts, 108 636 individus (écart-type = ±165 128) pour le lac Gillis et 723 600 individus (écart-type =±2 225 070) pour le cours inférieur de la rivière Sydney jusqu’au barrage. L’estimation de la taille totale de la population de la rivière Sydney est donc de 1 266 637 individus (écart-type =±3 343 623). Évidemment, la forte marge d’erreur associée à ces estimations les vide quelque peu de leur sens. Le haut niveau d’agrégation spatiale observé chez la population de L. cariosa de la rivière Sydney est semblable à celui qu’on peut observer chez d’autres populations d’Unionidés; il en résulte un ratio variance: moyenne élevé, qui entraîne à son tour une grande imprécision dans les estimations de la densité et des difficultés dans l’examen de la dynamique des populations (Kat, 1983). En 2002, dans une tentative visant à obtenir des estimations plus précises de la taille minimale de la population de la rivière Sydney, K. White a réalisé un échantillonnage stratifié dans deux secteurs du lac Blacketts à forte densité de L. cariosa (les sites 9 et 10 de la figure 4). La densité à ces sites était de 3,5 individus par m² (écart-type = ±2,4) et de 3,9 individus par m² (écart-type = ±2,7). La superficie de ces grappes a été estimée à 12 500 m² et 23 200 m², ce qui donne des estimations de la taille des populations de 39 875 (écart-type = ±25 375) et 81 896 (écart-type = ±56 144) individus, respectivement.  

Bien que la lampsile jaune conserve une vaste aire de répartition dans le réseau hydrographique du bas Saint-Jean, certains signes indiquent que l’aire de répartition de l’espèce au Nouveau-Brunswick a diminué depuis un siècle (Sabine et al., sous presse). La lampsile jaune a peut-être déjà occupé des portions aujourd’hui endiguées du Saint-Jean en amont de la limite des eaux à marée. L’espèce est présente actuellement juste en aval du barrage Mactaquac, et on la trouve en amont de la limite des eaux à marée sur la rivière Canaan, parfois sur des substrats de galets qui étaient caractéristiques du haut Saint-Jean avant la construction des barrages. Il semble y avoir en abondance un excellent habitat pour la lampsile jaune dans les eaux peu profondes du bassin de retenue du barrage Mactaquac (Sabine et al., sous presse). Bien qu’il reste possible que la lampsile jaune soit encore présente en amont de ce bassin, la disparition du L. cariosa en amont du barrage Mactaquac représenterait une réduction de son aire de répartition et de sa population au Nouveau-Brunswick. De plus, deux valves de Lampsilis cariosa qui se trouvent aujourd’hui dans la collection de mollusques du Musée du Nouveau-Brunswick ont été prises au lac Darlings, sur la rivière Kennebecasis, probablement entre 1895 et 1900. Lors des relevés de moules effectués en 2001 et en 2002, on n’a pas relevé la présence de L. cariosa dans la rivière Kennebecasis. De même, des recherches spécifiques de l’espèce effectuées sur plusieurs kilomètres de rive au lac Darlings en 2002 ont également été infructueuses. Sabine et al. (sous presse) notent que même si la portion du Saint-Jean entre la limite inférieure de l’aire de répartition actuelle du L. cariosa et l’embouchure de la rivière Kennebecasis semble trop saumâtre pour accueillir l’espèce, la disparition de la lampsile jaune de la rivière Kennebecasis elle-même représenterait une réduction considérable de l’aire de répartition de l’espèce au Nouveau-Brunswick et, partant, de la superficie de ses zones d’occurrence et d’occupation.

Jusqu’à l’étude réalisée par Davis (1999) sur la situation de diverses espèces de mulettes au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse en 1999, la lampsile jaune avait été complètement ignorée au Nouveau-Brunswick, sauf les brefs commentaires sur la répartition de l’espèce au Canada émis par Clarke (1981) sur la base de deux valves usées récoltées par A.M. Rick près de Fredericton en 1962 (Clayden et al., 1982). Nous n’avons pas pu trouver ces spécimens dans la collection du Musée canadien de la nature pour les réexaminer en octobre 2000. Davis (1999) a été incapable de trouver le L. cariosa au Nouveau-Brunswick au cours de ses recherches; étant donné le long intervalle écoulé depuis les récoltes antérieures et les changements survenus subséquemment dans la rivière avec l’exploitation du barrage hydroélectrique Mactaquac (670 MW) depuis 1968, il a conclu que la lampsile jaune était probablement disparue du Nouveau-Brunswick. Si on considère que le site de la récolte faite par Rick en 1962 n’est qu’à environ 2 km en aval du barrage, cette conclusion n’était peut-être pas déraisonnable.

Néanmoins, les relevés effectués au Nouveau-Brunswick en 2001 et en 2002 indiquent qu’une importante population de lampsiles jaunes survit dans le bas Saint-Jean et ses affluents. Si jusqu’ici, les relevés ont surtout eu pour but de confirmer la présence du L. cariosa au Nouveau-Brunswick et de délimiter son aire de répartition dans le réseau du Saint-Jean, il est clair que le bas Saint-Jean et ses affluents abritent la majeure partie de la population canadienne de l’espèce (Sabine et al., sous presse). Par exemple, Sabine et al. (sous presse) signalent que l’un des 30 sites du réseau du Saint-Jean où se trouve le L cariosa se compose d’environ 2,4 km² d’habitat idéal. Si la densité de L. cariosa à ce site s’approchait de celles observées chez les populations voisines de la Nouvelle-Écosse (de 0,4 à 0,7 individu/m²) ou du Maine (de 0,4 à 2,8 individus/m²) (Wick et Huryn, 2002), le nombre d’individus vivant à ce site seulement frôlerait les 2 millions. Même en supposant une densité d’un ordre de grandeur inférieur, la population totale dans le réseau du bas Saint-Jean se chiffrerait à plusieurs millions. Les estimations préliminaires de la densité établies pour la rivière Canaan en 2002 par excavation de plus de 500 quadrats de 0,25 m² indiquent que les densités observées dans la Canaan sont du même ordre que celles qui ont été observées dans la rivière Sydney, en Nouvelle-Écosse, et au Maine (Sabine et al., sous presse).

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