Couleuvre fauve de l'Est (Elaphe gloydi) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 1

Facteurs limitatifs et menaces

Les menaces qui pèsent sur la couleuvre fauve de l’Est en Ontario n’ont pas changé depuis la parution du dernier rapport de situation visant l’espèce. Ces menaces demeurent la perte et la dégradation de l’habitat, la mortalité routière, les effets non intentionnels des activités humaines et la persécution par les humains. Les études réalisées depuis la parution du premier rapport ont permis de préciser l’ampleur de certaines de ces menaces et ont contribué à l’élargissement de la liste des menaces potentielles.

Tel qu’il a été précédemment mentionné à la section sur les tendances en matière d’habitat, l’habitat de la couleuvre fauve de l’Est continue de s’éroder plus ou moins rapidement selon les régions à l’échelle de l’aire de répartition de l’espèce. La disparition de milieux humides, de haies, de fossés, de milieux riverains et d’autres milieux propices a presque certainement affecté les populations locales. Le déboisement et la circulation de véhicules motorisés récréatifs (VTT) entraînent également la perte de microhabitats essentiels, comme les sites de ponte et les sites d’hibernation.

Mortalité accidentelle résultant d’activités humaines

Tel qu’il a été mentionné précédemment (voir la section « Adaptabilité »), la couleuvre fauve de l’Est tolère relativement bien la présence humaine (p. ex. les fermes et les chalets). Toutefois, des études récentes ont révélé que les activités humaines peuvent avoir des effets négatifs non intentionnels importants. La cause de mortalité accidentelle la plus fréquemment mentionnée est la mortalité routière. De forts taux de mortalité routière ont été signalés chez cette espèce dans plusieurs régions où le phénomène a été étudié : pointe Long (Ashley et Robinson, 1996); île Pelée (Brooks et al., 2000; Willson, 2002); baie Georgienne (MacKinnon et al., 2005); Rondeau (S. Gillingwater et R. Brooks, données inédites; Farmer, 2007); pointe Pelée (Farmer, 2007). Le Relevé herpétofaunique de l’Ontario (RHO) comporte de nombreuses mentions de cas de mortalité routière. La couleuvre fauve de l’Est est une espèce de grande taille qui se déplace relativement lentement et qui s’immobilise généralement à l’approche d’un véhicule ou d’une personne. Il n’est donc pas surprenant que la circulation routière fasse de nombreuses victimes chez cette espèce. La construction de nouvelles routes et les changements de courant de circulation (volume et/ou vitesse) (Farmer, 2007) accroissent le risque de mortalité routière. En plus de causer directement la mort d’individus, les routes ont vraisemblablement d’autres effets sur les populations de couleuvre fauve de l’Est en occasionnant une réduction de la qualité de l’habitat, une diminution de la disponibilité des ressources et la fragmentation des populations (voir Crowley, 2006; Kerr et Cihlar, 2004; Hawbaker et al., 2006, et la figure 11 pour obtenir des données supplémentaires, une analyse et des références concernant la fragmentation des populations causée par les routes, même dans les aires protégées). Les véhicules hors route (p. ex. les VTT, la machinerie agricole, les bicyclettes, les canots à moteur) peuvent également causer la mort de couleuvres fauves de l’Est (R. Willson, S. Gillingwater, obs. pers.).

Les espèces animales qui gravitent autour des humains constituent une deuxième source de mortalité anthropique. Omniprésents dans les quartiers résidentiels, les chats et les chiens domestiques peuvent tuer des serpents même de très grande taille (p. ex. Whitaker et Shine, 2000). Les ratons laveurs et les mouffettes rayées, prédateurs potentiels de la couleuvre fauve de l’Est, sont souvent particulièrement abondants dans les endroits fréquentés par les humains, y compris dans les parcs provinciaux et nationaux (voir ci-après la section « Étude de cas » et la figure 11).

La troisième cause de mortalité anthropique est plus surprenante. Des couleuvres fauves de l’Est ont été trouvées à de nombreuses occasions empêtrées dans des clôtures anti-érosion en nylon. Trois individus ont ainsi été trouvés morts dans une section de clôture de 5 m de longueur à Amherstburg (J. Kamstra, obs. pers.); M. Gartshore a observé trois autres individus empêtrés dans un filet de jardinage (obs. pers.). Des mises en garde ont été diffusées tant en Ontario qu’aux États-Unis. Cette cause de mortalité est peut-être plus importante qu’on le croit, mais il est évidemment difficile d’obtenir des données sur la question (voir la figure 12 montrant un massasauga empêtré dans un filet).

Bien qu’elle soit une cause de mortalité moins importante, l’altération de l’habitat par les humains, lorsqu’elle est intensive, peut être fatale pour la couleuvre fauve de l’Est. Par exemple, un feu de friches allumé de façon non intentionnelle au parc provincial Rondeau a tué au moins 18 couleuvres fauves de l’Est (S. Gillingwater, obs. pers.), et trois des individus suivis par radiotélémétrie par Lawson (2005) et MacKinnon (2005) ont été tués par des véhicules motorisés hors route (c’est-à-dire une faucheuse d’accotement, un chariot élévateur à fourche, un tracteur-pelle rétrocaveuse).


Figure 11 : Vue aérienne du parc provincial Rondeau montrant l’emplacement des chalets et des routes dans cette aire protégée

Figure 11. Vue aérienne du parc provincial Rondeau montrant l’emplacement des chalets et des routes dans cette aire protégée. Photo : S. Gillingwater.

Photo : S. Gillingwater.

 


Figure 12 : Massasauga (crotale) empêtré dans un filet de jardinage dans la région de Parry Sound

Figure 12. Massasauga (crotale) empêtré dans un filet de jardinage dans la région de Parry Sound. Photo : J. Rouse

Photo : J. Rouse

La pollution de l’environnement est également considérée comme un effet négatif non intentionnel lié aux activités humaines. Meeks (1968) a trouvé des résidus de DDT dans les tissus de trois couleuvres fauves de l’Est 12 mois après l’application de l’insecticide dans un marais de 1,5 ha, en Ohio. Russell et al. (1995) ont observé des concentrations élevées de DDT et de ses métabolites dans les tissus de grands serpents vivant dans le parc national de la Pointe-Pelée, dont la couleuvre fauve de l’Est, plus de 20 ans après la dernière application. En 1977, Kraus et Schuett (1983) ont trouvé un individu mélanique aberrant présentant des malformations bien visibles et d’autres individus bizarrement colorés dans un secteur industriel modérément à gravement contaminé, dans le comté de Lucas, en Ohio. La pollution de l’environnement a probablement des effets néfastes sur les populations de couleuvres fauves de l’Est habitant des régions fortement contaminées (p. ex. l’île Fighting dans la rivière Detroit).

La contribution relative de chacune de ces menaces anthropiques à la persistance des populations varie évidemment selon les régions. L’augmentation du risque de mortalité individuel dans les régions où les interactions entre les couleuvres fauves de l’Est et les humains sont fréquentes est probablement considérable, et, dans certains cas, les taux de mortalité accidentelle sont probablement élevés au point de compromettre la viabilité des populations résidantes (voir l’étude de cas plus bas).

Persécution par les humains causant la mort

De nombreux humains trouvent les serpents répugnants et n’hésitent pas à tuer des couleuvres fauves de l’Est lorsque l’occasion se présente. À cause de sa grande taille, de la coloration rougeâtre de sa tête, de ses marques foncées et de son habitude de faire vibrer sa queue lorsqu’elle est en état d’alerte, cette couleuvre est souvent confondue avec certaines espèces venimeuses (p. ex. le mocassin à tête cuivrée et les crotales) et fait par conséquent souvent l’objet d’une persécution dénuée de tout fondement. La peur irrationnelle des serpents, par exemple, peut amener des gens à agir de façon illogique, comme cette gérante d’hôtel de Honey Harbour qui, persuadée que les couleuvres fauves de l’Est pouvaient étrangler et manger des nouveau-nés ou de très jeunes enfants, avait chargé une personne de tuer toutes les couleuvres fauves qui se trouvaient sur son terrain (R. Brooks, comm. pers.). La couleuvre fauve de l’Est est également impopulaire parce qu’elle s’attaque aux oiseaux. Ashley et al. (2007) ont démontré quantitativement ce que certains herpétologues soupçonnaient depuis des années : une proportion importante des serpents qui périssent sur les routes sont écrasés intentionnellement. Même lorsqu’un propriétaire tolère ou favorise la présence de couleuvres fauves de l’Est sur son terrain, il arrive fréquemment que des employés contractuels (p. ex. pour la construction, l’aménagement paysager, la récolte) persécutent toutes les couleuvres qu’ils rencontrent. Ces personnes ont vraisemblablement un effet global important sur les populations de couleuvres fauves de l’Est, car elles visitent plusieurs endroits où l’espèce est potentiellement présente. Dans certaines régions comme la pointe Long, la pression exercée par les visiteurs est très intense. Bien qu’isolée, cette zone n’est pas patrouillée, et de nombreuses personnes traversent les dunes et y tuent des serpents, dont des couleuvres fauves de l’Est. Dans les parcs comportant des routes et des chalets (figure 11), des couleuvres fauves sont délibérément écrasées sur les routes ou tuées selon des méthodes plus personnelles.

La récolte de couleuvres fauves de l’Est à des fins commerciales peut également être considérée comme une forme de persécution, car les individus prélevés sont retirés de façon permanente de leur population d’origine. Comme la couleuvre fauve de l’Est hiberne souvent en groupe, la récolte sans discernement des individus qui émergent de leur hibernacle pourrait avoir un effet important sur les populations. Bien qu’elle semble s’adapter assez bien à la captivité, la couleuvre fauve de l’Est n’a jamais fait l’objet d’un élevage intensif, et le nombre d’individus issus d’élevage en captivité demeure faible (Staszko et Walls, 1994). Les populations sauvages peuvent donc être soumises à une forte pression de récolte

Étude de cas sur les effets des activités humaines sur une population de couleuvres fauves de l’Est dans une aire protégée

Une illustration particulièrement probante des effets des activités humaines intensives sur la survie de la couleuvre fauve de l’Est provient du parc provincial Killbear, dans la baie Georgienne. Le nombre de couleuvres fauves de l’Est écrasées sur la route principale du parc et les routes secondaires sillonnant les terrains de camping fait l’objet d’un suivi opportuniste depuis 1992. Cette surveillance est exercée concurremment à un programme d’éducation sur le patrimoine naturel très actif qui accorde une attention toute particulière aux serpents et à leur conservation. Les activités des programmes de sensibilisation et d’éducation comprennent la publication d’articles dans les tabloïdes annuels du parc, des présentations audiovisuelles, l’installation d’affiches à des endroits stratégiques (jusque dans les toilettes du parc) et de panneaux routiers invitant les visiteurs à s’arrêter lorsqu’ils aperçoivent un serpent ( « Brake-for-Snake »). Les visiteurs du parc et, dans une large mesure, les résidants qui demeurent en périphérie du parc sont bien sensibilisés à l’importance de protéger les serpents dans la région. En 2000 et en 2001, des radioémetteurs ont été implantés dans un certain nombre de couleuvres fauves de l’Est capturées dans le parc. Cette étude préliminaire a donné lieu à un certain nombre de constatations fort intéressantes, dont le fait que bon nombre des couleuvres munies d’un radioémetteur se sont déplacées vers des îles situées à l’extérieur des limites de la péninsule du parc (Chora et al., 2001). En raison de l’incidence évidente de cette observation sur les activités de conservation de l’espèce à l’intérieur du parc (voir Paleczny et al., 2005), il a été décidé d’étendre la portée de cette recherche. Dans le cadre de son projet de maîtrise, Lawson (2005) a découvert que la majorité des couleuvres fauves de l’Est observées dans le parc passaient en réalité la majeure partie de leur temps à l’extérieur du parc et que certaines s’éloignaient parfois jusqu’à 9 km de la péninsule. Dans une perspective de conservation, une des constatations les plus troublantes de cette recherche est qu’un grand nombre des couleuvres munies d’un radioémetteur sont mortes après être retournées sur la terre ferme (portion péninsulaire du parc ou terres avoisinantes). Lawson (2004) mentionne que 9 des 23 couleuvres fauves de l’Est suivies par radiotélémétrie en 2003 et en 2004 ont été tuées (et 3 autres sont mortes durant l’hiver). Les humains sont vraisemblablement à l’origine de la mort de 6 de ces 9 couleuvres. Deux autres couleuvres ont probablement été tuées par des prédateurs. On ignore la cause de la mort de la neuvième couleuvre. De ces 9 couleuvres, 7 sont mortes sur la terre ferme (4 dans le parc provincial Killbear et 3, immédiatement à l’extérieur du parc), tuées intentionnellement par des humains ou écrasées sur la route. Toutefois, seulement 411 des 3 176 données de radiolocalisation (13 p. 100) recueillies durant cette période provenaient de la terre ferme. Ces résultats donnent à croire que le parc provincial Killbear et ses environs immédiats jouent un rôle de puits pour la population locale de couleuvres fauves de l’Est.

Comme les visiteurs du parc provincial Killbear et les résidants vivant en périphérie sont bien sensibilisés à la cause environnementale, ces résultats sont déconcertants et font craindre un phénomène potentiellement inéluctable. En effet, un seuil de mortalité critique (effets cumulés, composés et synergiques des activités humaines) englobant la mortalité d’origine accidentelle (mortalité routière, prédation par les animaux domestiques) et intentionnelle (persécution par les humains, jugée non réductible dans la mesure où une partie de la population continuera toujours de persécuter les serpents) est inévitablement associé à l’occupation du paysage par les humains. Dès lors, ni les campagnes d’éducation et de sensibilisation ni l’adaptabilité de la couleuvre fauve de l’Est aux activités humaines ne pourront faire baisser les taux de mortalité sous ce seuil. Lorsque les perturbations anthropiques atteignent un certain seuil, ni les campagnes d’éducation ni l’adaptabilité aux perturbations anthropiques de la couleuvre fauve de l’Est ne peuvent assurer la viabilité à long terme de la population. Une fois ce seuil franchi, la population locale, incapable de soutenir un taux de mortalité aussi élevé, commencera à diminuer et finira par disparaître. On ignore si les taux de mortalité parmi les populations de couleuvres fauves de l’Est habitant la région du parc provincial Killbear excèdent ou approchent ce seuil critique, mais les données présentées par Lawson permettent de le croire (2004, 2005). Certaines populations de l’espèce en Ontario ont déjà presque certainement dépassé ce seuil critique, même si des individus sont encore observés à l’occasion à ces endroits.

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