Corégone de l'Atlantique (Coregonus huntsmani) programme de rétablissement : chapitre 1


1 Contexte

1.1 Situation

1.1.1 Situation au Canada

Résumé d'évaluation du COSEPAC

Nom commun : Corégone de l'Atlantique

Nom scientifique : Coregonus huntsmani

Désignation : en voie de disparition

Présence : Nouvelle-Écosse

Raison de la désignation : Cette espèce endémique à la Nouvelle Écosse n'est présente que dans les réseaux fluviaux de la rivière Tusket1 et de la Petite Rivière. L'espèce continue de décliner en raison de la perte d'habitat, de la dégradation de l'habitat par l'acidification, de barrages hydroélectriques, d'introductions d'espèces exotiques et de sa capture accidentelle.

Historique de la désignation : Espèce désignée en voie de disparition en avril 1984. Situation de l'espèce réexaminée et confirmée en novembre 2000. Dernière évaluation fondée sur un rapport de situation mis à jour.

1 L'espèce est maintenant considérée comme disparue de la rivière Tusket (Bradford et al., 2004a).

1.1.2 Situation à l'échelle mondiale

En 1996, l'Union mondiale pour la nature (UICN) a désigné le corégone de l'Atlantique comme une espèce vulnérable. Dans sa liste rouge, l'UICN lui attribue le code VU D2, ce qui indique que l'espèce n'est pas en danger, mais qu'elle court un risque élevé extinction à l'état sauvage à moyen terme4. La désignation de 1996 indique que la population est très petite et que sa zone d'occupation est très réduite.

1.2 Répartition

1.2.1 Aire de répartition mondiale

Le corégone de l'Atlantique est endémique à la Nouvelle Écosse, c'est à dire qu'on ne le trouve nulle part ailleurs au monde. En Nouvelle-Écosse, l'espèce n'était présente que dans les réseaux hydrographiques de la rivière Tusket et de la Petite Rivière et dans les baies et estuaires adjacents (figure 1). Elle est disparue du réseau hydrographique de la rivière Tusket après 1982 (Bradford et al., 2004a).

Figure 1. Carte de la répartition historique du corégone de l'Atlantique5

Figure 1. Carte de la répartition historique du corégone de l'Atlantique

Malgré d'importantes pêches commerciales et récréatives dans les eaux douces et les eaux côtières de toute la Nouvelle-Écosse et de vastes relevés de poissons effectués à la grandeur de la province, aucune population de corégone de l'Atlantique n'a été signalée ailleurs que dans ces deux réseaux hydrographiques. On a signalé des captures isolées de spécimens identifiés comme des corégones de l'Atlantique à l'embouchure de la rivière Sissiboo, dans le sud ouest de la Nouvelle-Écosse en 1919 (Scott et Scott 1988), à Halls Harbour, sur le chenal Minas, en 1958 (Edge et Gilhen, 2001) et dans l'estuaire de la rivière LaHave en 1995 et en 1997 (Edge et Gilhen, 2001). Ces spécimens appartenaient peut-être à la population de la rivière Tusket ou à celle de la Petite Rivière.

1.2.2 Réseau hydrographique de la rivièreTusket

La population de corégones de l'Atlantique de la rivière Tusket semble avoir été entièrement anadrome. On n'a pas signalé la présence de l'espèce dans ce réseau hydrographique depuis 1982, et cette population est maintenant considérée disparue (Bradford et al., 2004a).

La présence du corégone de l'Atlantique a été signalée dans le cours inférieur non soumis aux marées des rivières Tusket et Annis, dans l'estuaire que se partagent ces deux rivières, ainsi que dans le havre de Yarmouth, situé plusieurs kilomètres à l'ouest de la rivière Tusket (figure 2). Il n'existe aucun renseignement concernant la distance sur laquelle le corégone de l'Atlantique remontait les rivières Tusket et Annis (Bradford et al., 2004a; figure 2).

Figure 2. Bassin hydrographique et estuaire des rivières Tusket et Annis.

Figure 2. Bassin hydrographique et estuaire des rivières Tusket et Annis.

1.2.3 Réseau hydrographique de la Petite Rivière

Le réseau de la Petite Rivière contient une bonne population résidente de corégones de l'Atlantique répartie dans les lacs Minamkeak, Milipsigate et Hebb (Edge et Gilhen, 2001; figure 3). Les poissons ne peuvent accéder à ces lacs (qui couvrent ensemble une superficie d'à peine plus de 16,0 km²) à partir de la mer, car le barrage situé à Hebbville (figure 3) bloque complètement le passage des poissons vers l'amont. Le premier spécimen confirmé de corégone de l'Atlantique a été capturé à la décharge du lac Milipsigate en 1923 (Piers, 1927).

Il n'existe aucune mention d'une remonte anadrome du corégone de l'Atlantique dans la Petite Rivière avant ou après la construction des barrages sur cette rivière. Depuis la construction des barrages, on a observé des corégones de l'Atlantique dans le lac Fancy, en aval des trois lacs susmentionnés, et dans les eaux à marée de la Petite Rivière (figure 3). Comme aucune population résidente n'a été trouvée dans les récents relevés effectués dans les lacs situés en aval des barrages (Bradford et al., 2004a), on présume que ces poissons sont parvenus, d'une façon ou d'une autre, à franchir le barrage Hebbville vers l'aval (sans doute ont ils été emportés par le courant au-dessus du barrage). Il n'existe aucune information sur ce franchissement du barrage, et on ignore à quel moment et à quel âge le corégone de l'Atlantique pourrait le franchir. D'autres spécimens, sans doute aussi des membres égarés de la population lacustre résidente (Bradford et al., 2004a), ont été capturés dans l'estuaire de la rivière LaHave (Edge et Gilhen, 2001), qui se trouve à l'est de la Petite Rivière (figure 3).

La présence du corégone de l'Atlantique dans le lac Minamkeak revêt une importance particulière parce que les eaux du lac ont été détournées de la rivière Medway (figure 3) vers la Petite Rivière (Edge et Gilhen, 2001). De récents relevés ont montré que le corégone de l'Atlantique n'est pas résident dans la rivière Medway et son affluent qui recevait auparavant les eaux du lac Minamkeak (Bradford et al., 2004a). La présence du corégone de l'Atlantique dans le lac Minamkeak résulte sans doute de sa colonisation à partir des lacs Milipsigate et Hebb après le détournement (Bradford et al. 2004a).

1.3 Protection juridique

Comme le corégone de l'Atlantique est inscrit à l'annexe 1, partie 2, de la Loi sur les espèces en péril (LEP), les dispositions des articles 32 (interdiction de tuer un individu d'une espèce sauvage inscrite comme espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée, de lui nuire, de le harceler, de le capturer ou de le prendre) et 33 (interdiction d'endommager ou de détruire la résidence) de la LEP s'appliquent directement à cette espèce. On dispose de trop peu d'information sur le cycle de vie du corégone de l'Atlantique et son utilisation de l'habitat pour décrire sa résidence.

Figure 3. Bassin hydrographique de la Petite Rivière et estuaire de la baie Green

Figure 3. Bassin hydrographique de la Petite Rivière et estuaire de la baie Green

L'habitat essentiel de l'espèce doit être défini dans un programme de rétablissement ou un plan d'action visant cette espèce. Une fois qu'un programme de rétablissement ou un plan d'action définissant l'habitat essentiel est intégré au Registre public, le ministre des Pêches et des Océans doit, dans les 180 jours qui suivent, voir à la protection de tout l'habitat essentiel de l'espèce en vertu des dispositions de la LEP ou d'une autre loi fédérale.

En plus de la LEP, la Loi sur les pêches et ses règlements s'appliquent directement ou indirectement au corégone de l'Atlantique. Cette loi protège le poisson et son habitat, tandis que ses règlements d'application, soit le Règlement de pêche (dispositions générales) [RP(DG)], le Règlement de pêche des provinces maritimes (RPPM), le Règlement de pêche de l'Atlantique de 1985 (RPA) et le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones (RPPCA), constituent des outils pour protéger, conserver et gérer les pêches.

En ce qui concerne les pêches, voici trois des plus importantes dispositions réglementaires :

Après des discussions avec les parties intéressées, le MPO et la province ont convenu de prendre d'autres mesures de gestion pour la Petite Rivière afin de protéger le corégone de l'Atlantique, surtout contre la capture accidentelle. Toute pêche à la ligne est maintenant interdite par ordonnance de variation chaque année du 1er avril au 30 juin dans les lacs Minamkeak, Milipsigate et Hebb et les eaux qui les relient (figure 3). Depuis 2005, seuls les mouches artificielles et les leurres non appâtés sont permis durant la saison de pêche à la ligne (du 1er juillet au 30 septembre). Un titulaire de permis de pêche commerciale du gaspareau au filet maillant dans l'estuaire de la Petite Rivière a dû relocaliser ses filets pour respecter une condition de permis.

En ce qui concerne la protection du poisson et de son habitat, voici quelques dispositions réglementaires importantes de la Loi sur les pêches :

Le MPO administre ces dispositions de la Loi sur les pêches, à l'exception de l'article 36, qui relève d'Environnement Canada.

Le corégone de l'Atlantique et son habitat sont également protégés par la Endangered Species Act (1998) et la Environment Act (1994-1995) de la Nouvelle-Écosse. Comme les lacs Minamkeak, Milipsigate et Hebb constituent l'approvisionnement en eau de la municipalité de Bridgewater, ils sont protégés à titre de « Protected Water Area » en vertu de l'Environment Act de la province. Cette protection consiste en une combinaison de règlements et de meilleures pratiques de gestion établis dans un « Source Water Protection Plan » et qui visent toutes les activités se déroulant dans le bassin versant qui pourrait nuire à la qualité de l'eau (p. ex. foresterie, agriculture, construction de routes, utilisation récréative, exploitation minière). La seule pêche dans laquelle du corégone de l'Atlantique est susceptible d'être capturé dans ces trois lacs est la pêche récréative à la ligne, laquelle a été fermée ou suffisamment modifiée pour éliminer toute probabilité de dommage.

1.4 Description et biologie générale

1.4.1 Description physique

Le corégone de l'Atlantique appartient à la sous-famille Coregoninae de la famille des saumons et des truites (Salmonidae) (Scott et Scott, 1988). Il ressemble à un saumon, avec des flancs argentés, un ventre blanc argenté et un dos bleu foncé-noir ou vert foncé (figure 4). Il ne porte aucune tache ou marque sur le haut du corps. Il a une nageoire caudale (queue) distinctement fourchue et une nageoire adipeuse (petite nageoire charnue, caractéristique des salmonidés, entre les nageoires dorsale et caudale).

Selon Scott et Scott (1988), le corégone de l'Atlantique possède de 91 à 100 écailles le long de la ligne latérale, une bouche terminale (mâchoires inférieure et supérieure d'égale longueur) et de petites dents bien développées.

Figure 4.Illustration d'un corégone de l'Atlantique adulte.

Figure 4. Illustration d’un corégone de l’Atlantique adulte.

Bien qu'on n'ait pas étudié la croissance de l'espèce à l'état sauvage, on sait que les spécimens anadromes de la rivière Tusket étaient plus gros que les individus non anadromes de la Petite Rivière. D'après Edge et Gilhen (2001), les adultes peuvent atteindre une longueur de 50 cm (20 po) et un poids de 3,63 kg (8 lb), mais les adultes anadromes mesurent en moyenne 38 cm (15 po), tandis que les adultes confinés aux eaux intérieures mesurent de 20 à 25 cm (8-10 po) (Bradford, 2000).

1.4.2 Noms commun et scientifique

Scott (1967) et Scott et Crossman (1973) ont employé le nom commun corégone de l'Atlantique en raison de la présence régulière de l'espèce dans les eaux salées au large du comté de Yarmouth (Nouvelle-Écosse) et de sa montaison d'automne dans la rivière Tusket (Scott, 1987). Scott (1967) l'a d'abord désigné Coregonus canadensis, mais on s'est rendu compte que ce nom d'espèce était déjà utilisé. En 1987, Scott a donc recommandé le nom Coregonus huntsmani en l'honneur du regretté A.G. Huntsman (Ph.D.), biologiste canadien renommé du milieu marin, qui déjà en 1921, sinon avant, était au courant de la présence d'un corégone inhabituel dans les eaux de la Nouvelle-Écosse (Huntsman, 1922). Par le passé, on nommait aussi l'espèce corégone d'Acadie, corégone du Sault, corégone rond ou corégone commun.

1.4.3 Caractères distinctifs

On peut reconnaître le corégone de l'Atlantique à son apparence externe. On le distingue de la plupart des autres salmonidés par ses écailles plus grandes, mais il faut examiner d'autres caractères pour distinguer le corégone de l'Atlantique du grand corégone, C. clupeaformis, espèce commune dans les lacs de la Nouvelle-Écosse. Ils diffèrent ainsi par le nombre d'écailles sur la ligne latérale (moyenne de 93,8 chez le corégone de l'Atlantique, contre 76,6 chez le grand corégone), le nombre de vertèbres (moyenne de 65,3 chez le corégone de l'Atlantique, contre 60,6 chez le grand corégone), la forme de la bouche (quasi-terminale chez le Corégone de l'Atlantique, subterminale chez le grand corégone) et la taille des dents (petites chez le corégone de l'Atlantique) (Edge et al., 1991; Hasselman, 2003). Sur le plan génétique, le corégone de l'Atlantique diffère du grand corégone et du cisco (Bernatchez et al., 1991; Murray, 2005).

Le Nova Scotia Angler's Handbook présente chaque année les caractères externes distinctifs du corégone de l'Atlantique et demande au public de signaler aux autorités toute observation possible de l'espèce. Dans le cadre des projets d'intendance de l'habitat dans le secteur de la Petite Rivière, on a produit et distribué un guide et une brochure qui renseignent sur le réseau hydrographique de la Petite Rivière et le corégone de l'Atlantique en voie de disparition.

1.4.4 Cycle vital

Nos connaissances sur le cycle vital du corégone de l'Atlantique sont très limitées, et le peu que nous savons concerne surtout les adultes.

Population anadrome

Le corégone de l'Atlantique était anadrome, c.-à-d. qu'il migrait à la mer, dans la rivière Tusket (figure 2), et, même s'il n'existe pas de preuve documentée, la Petite Rivière abritait probablement aussi du corégone de l'Atlantique anadrome (figure 3). On sait que les individus de la rivière Tusket occupaient l'estuaire et la mer l'été, retournaient en eau douce au début de l'automne (septembre), effectuaient leur remonte en octobre et en novembre, frayaient probablement à la fin de l'automne ou en hiver, et retournaient à la mer au printemps (Edge et Gilhen, 2001). Des spécimens capturés dans la rivière Tusket en octobre et en novembre avaient les gonades bien développées et n'avaient pas frayé encore, alors que des spécimens pris en mai et en juin les avaient peu développées (Edge et Gilhen, 2001). On ignore les endroits précis où l'ancienne population anadrome de la Tusket frayait, ni les caractéristiques de ces frayères (Bradford et al., 2004a).

L'estomac de corégones de l'Atlantique capturés en milieu marin contenait des crevettes, des amphipodes, du poisson et des vers marins (Edge, 1987).

Population résidente d'eau douce

La population non anadrome occupant les lacs de la Petite Rivière fraie probablement aussi au début de l'hiver. On ignore les endroits précis où ces poissons fraient, ni les caractéristiques des frayères. D'après Murray 2005, les corégones de l'Atlantique peuplant les lacs Minamkeak, Milipsigate et Hebb sont génétiquement identiques. Aucun œuf ni larve n'a été recueilli dans le milieu. Un seul juvénile a été prélevé au sein d'une concentration de corégones de l'Atlantique de tailles semblables dans le lac Hebb en juin 2000 (Hasselman, 2003). Le manque d'information sur ces stades du cycle vital nous empêche de comprendre la structure des âges et les taux de mortalité de la population.

Les adultes se nourrissent d'un large éventail d'organismes aquatiques. Selon l'analyse de contenus stomacaux, les corégones de l'Atlantique non anadromes de la Petite Rivière se nourrissent surtout d'insectes aquatiques et de petits poissons, mais pas d'organismes benthiques (Edge et Gilhen, 2001).

Comme mentionné plus haut, il est possible que des individus soient emportés au dessus du barrage Hebbville puisque rien ne bloque leur passage vers l'aval. Ces individus se trouvent donc isolés de la population résidente des lacs parce qu'aucun passage vers l'amont ne leur est fourni. De plus, malgré les observations de corégones de l'Atlantique en aval du barrage Hebbville, rien n'indique que ces poissons constituent une population viable (Bradford et al., 2004a).

1.4.5 Besoins en matière d‘habitat

On en sait peu sur les besoins en matière d'habitat du corégone de l'Atlantique. On ignore ses lieux de fraie, d'alevinage et de croissance ainsi que ses préférences à ces égards, et on ne comprend pas ses migrations. On capturait fréquemment des adultes de la population de la Tusket dans l'estuaire. Le corégone de l'Atlantique résident des lacs semble se tenir davantage dans les eaux de surface chaudes que le grand corégone. De récentes études de terrain et de laboratoire indiquent que l'espèce tolère l'eau de mer déjà à un jeune stade (MPO, données non publiées).

1.5 Taille et tendances des populations

Il manque de données pour estimer quantitativement la taille et les tendances des populations de corégones de l'Atlantique des réseaux hydrographiques de la Tusket et de la Petite Rivière, mais on peut faire les commentaires qualitatifs généraux suivants.

1.5.1 Population de la rivière Tusket

Jadis abondante, la population de la rivière Tusket aurait rapidement décliné dans les années 1940 et 1950, sans doute en raison des effets combinés de la construction et de l'exploitation de la centrale hydroélectrique Tusket, du braconnage et de l'acidification de la rivière (Gilhen, 1977; Bradford et al., 2004a). Le déclin s'est poursuivi, et, dans les années 1970, il était exceptionnel pour un pêcheur de gaspareau de capturer un corégone de l'Atlantique. La dernière capture confirmée dans la rivière Tusket remonte à 1964 (Edge et al., 1991; Bradford et al., 2004a). Aucun individu n'a été observé ou capturé dans le cadre de la surveillance des passes migratoires effectuée depuis 1995 (Bradford et al., 2004a). On croit que cette population a disparu (Edge et Gilhen, 2001; Bradford et al., 2004a).

Dans le réseau de la rivière Annis adjacent, les captures ont également diminué avec le temps, au point où, à la fin des années 1970, moins de dix individus par année étaient capturés dans la pêche au gaspareau (Edge et Gilhen, 2001). Aucune capture de corégone de l'Atlantique n'a été signalée dans la rivière Annis depuis 1982 (Edge et Gilhen, 2001; Bradford et al., 2004a).

1.5.2 Population de la Petite Rivière

Il y a des mentions anecdotiques de la présence du corégone de l'Atlantique dans le réseau de la Petite Rivière qui remontent aux années 1870 (Edge et Gilhen, 2001). On ignore la tendance récente de la population résidente des lacs de la Petite Rivière, car il n'existe aucune estimation de la population. Il y a eu des observations de corégones de l'Atlantique en aval du barrage Hebbville depuis sa construction, mais aucun individu n'a été capturé dans des pêches scientifiques au filet-trappe effectuées à l'automne 1999 et au printemps 2000 (Bradford et al., 2004a). Par conséquent, la présence d'une population anadrome viable de corégones de l'Atlantique en aval du barrage Hebbville est improbable, ou la taille de la population est inférieure au seuil de détection actuellement possible.

1.6 Menaces et facteurs limitatifs

Les activités humaines dans les bassins hydrographiques de la rivière Tusket et de la Petite Rivière ont altéré les habitats physiques, l'hydrographie et les caractéristiques chimiques de l'eau. La surpêche pratiquée par le passé a également eu des incidences sur l'abondance de l'espèce. Voici les principaux facteurs limitatifs, menaces et altérations de l'habitat passés et actuels (dans aucun ordre particulier) (Bradford et al., 2004b; MPO, 2004b):

Bien que les menaces qui pèsent sur le corégone de l'Atlantique dans les deux réseaux hydrographiques (Tusket et Petite Rivière) présentent des similitudes, l'importance des menaces varie entre les deux réseaux (MPO, 2004b). Dans le réseau de la rivière Tusket, les principales menaces sont l'altération de l'habitat, l'entrave au passage du poisson que constituent les barrages hydroélectriques, l'acidification, la prédation par le brochet maillé et l'achigan à petite bouche, ainsi que la surpêche. La Petite Rivière est moins touchée par l'acidification parce que son eau a un plus grand pouvoir tampon; les principaux facteurs qui menacent sa population de corégones de l'Atlantique sont la construction et l'exploitation d'ouvrages d'approvisionnement en eau et la prédation par l'achigan à petite bouche.

Les participants à une réunion récente du processus de consultation régionale du MPO ont examiné ces menaces pour évaluer le niveau de mortalité qui ne compromettrait pas la survie ou le rétablissement du corégone de l'Atlantique et pour relever les causes anthropiques possibles de dommages. Ainsi, les facteurs liés aux activités humaines qui pourraient entraîner la mortalité de corégones de l'Atlantique ont été étudiés (Bradford et al., 2004b). Les conclusions de la réunion sont résumées dans un rapport sur l'état des stocks (MPO, 2004a) et dans la section 2.7 du présent document. L'évaluation des dommages présentée dans le rapport sur l'état des stocks (MPO, 2004a) s'est limitée à la zone d'occupation connue de l'espèce, soit les trois lacs de la Petite Rivière.

1.6.1 Ouvrages de production hydroélectrique ou d'approvisionnement en eau

La construction et l'exploitation d'ouvrages à des fins de production d'électricité et d'approvisionnement en eau ont transformé des habitats lacustres et fluviaux en habitats de réservoir; les fluctuations des niveaux d'eau qui en résultent ont altéré l'habitat d'origine, et les barrages ont bloqué ou entravé le passage des poissons. Bradford et al. (2004b) ont établi la chronologie de la construction des aménagements hydroélectriques sur la rivière Tusket et la Petite Rivière en relation avec leurs effets sur le passage des poissons et leurs besoins en matière d'habitat.

On croit que la migration du corégone de l'Atlantique dans la rivière Tusket a été restreinte par les barrages et les fermetures saisonnières passées des passes migratoires (Edge et Gilhen, 2001). En effet, ces passes étaient fermées chaque année à l'automne, ce qui interrompait ou empêchait la migration de fraie du corégone de l'Atlantique. La construction du barrage aux chutes Tusket (figure 2) en 1929 a nui à la migration du corégone de l'Atlantique durant de nombreuses années. Une passe migratoire a été construite, d'abord en bois, en 1930. Sa dégradation a nécessité sa reconstruction en 1941, mais la nouvelle structure n'a pas été jugée satisfaisante, et on a construit une autre passe en 1949. On a apporté d'autres améliorations et changements aux passes migratoires du barrage de dérivation principal (lac Vaughn) et du barrage de la centrale électrique (chutes Tusket) dans les années 1960 et 1970 pour faciliter le passage vers l'aval des espèces diadromes comme le saumon et le gaspareau, améliorer l'efficacité globale des passes pour la migration du poisson et réduire la mortalité causée par le passage de poissons dans les turbines. Durant les années 1980 et 1990, les études menées par le MPO et les parties intéressées à la rivière visaient surtout à adapter les horaires d'exploitation et les débits réservés aux migrations des poissons. On cherchait surtout à améliorer le passage vers l'amont comme vers l'aval du saumon atlantique et du gaspareau. Depuis 2003, la période d'exploitation de l'échelle à poissons à la centrale est prolongée jusqu'à la fin de décembre pour permettre toute remonte de corégones de l'Atlantique qui pourrait subsister. On a aussi installé des dispositifs de surveillance pour confirmer la présence ou l'absence du corégone de l'Atlantique dans le réseau de la Rivière, mais aucun individu n'a ainsi été observé (NSPI, 2003), et on considère maintenant l'espèce comme disparue du réseau de la rivière Tusket. Si le corégone de l'Atlantique réussissait à s'y rétablir, la passe migratoire existante devrait convenir pourvu qu'on la mette en service durant ses migrations.

Dans le réseau de la Petite Rivière, on a harnaché et dérivé des plans d'eau à des fins diverses depuis la fin des années 1790, et ceux situés en amont alimentent la ville de Bridgewater en eau. La construction d'un barrage hydroélectrique à la décharge du lac Hebb Lake en 1901 a bloqué toute remonte de poisson. Il y a actuellement des barrages sans passe migratoire aux décharges des lacs Minamkeak, Milipsigate et Hebb (Figure 3). Bien qu'on ignore si du corégone de l'Atlantique anadrome adulte migrait vers ces lacs pour frayer avant la construction des barrages, le barrage Hebbville élimine maintenant toute possibilité de remonte jusqu'aux lacs, notamment pour les individus de la population non anadrome qui tenteraient de rejoindre la population après avoir été emportés au dessus du barrage. De plus, le passage du poisson est entravé au site de l'ancien barrage de Conquerall Mills et à un barrage existant à Crousetown et est également entravé ou bloqué aux barrages des lacs Milipsigate et Minamkeak (figure 3). Le tableau 1 ci-dessous décrit brièvement chaque obstacle au passage du poisson sur la Petite Rivière.

Tableau 1. Description des obstacles au passage du poisson dans la Petite Rivière (adapté de Conrad, 2005)
Barrage Description
Crousetown Barrage en bois de 2,4 m situé au site d'une ancienne scierie. Il y a une passe migratoire construite de pierres locales non consolidées, laquelle est jugée inefficace pour assurer le passage du poisson.
Conquerall Le barrage de l'ancien site hydroélectrique de Conquerall Mills a été partiellement démonté, laissant un espace de 9 m entre les culées de bétons restantes. Cela crée une courte série de rapides sur un dénivelé de 1,2 m qui pourrait présenter un petit obstacle à la remonte du corégone de l'Atlantique.
Hebbville Le barrage du lac Hebb qui sert à approvisionner la ville de Bridgewater en eau consiste en une structure de régularisation du débit en béton et une digue de roches et de terre qui s'étend plusieurs centaines de mètres jusqu'à un grand étang. L'étang est alimenté par l'infiltration constante à travers la digue et son eau se déverse dans un chenal sinueux et un ponceau de 1,5 m de diamètre avant de rejoindre le chenal principal de la rivière environ 60 m en aval de la principale structure de régulation du débit. Ce site n'offre aucun autre passage pour le poisson que la passe migratoire
Milipsigate La ville de Bridgewater exploite ce barrage de béton à des fins de régularisation du débit. Ce site n'offre aucun autre passage pour le poisson que la passe migratoire.
Minamkeak Ce barrage de retenue en béton est celui situé le plus en amont dont se sert la ville de Bridgewater à des fins de régularisation du débit. Ce site n'offre aucun autre passage pour le poisson que la passe migratoire.

1.6.2 Acidification

L'acidification pourrait être un autre facteur limitatif pour le corégone de l'Atlantique. La rivière Tusket et la Petite Rivière se trouvent dans la région de la Nouvelle-Écosse la plus touchée par l'acidification, soit la région des hautes-terres du Sud, qui y est vulnérable en raison des caractéristiques de la roche-mère, des sols peu tamponnés et des conditions météorologiques dominantes. La rivière Tusket souffre davantage des précipitations acides que la Petite Rivière. On étudie actuellement les effets d'un faible pH sur les divers stades du corégone de l'Atlantique, mais on présume qu'ils sont comparables à ceux sur d'autres salmonidés. Par exemple, le MPO (2000) a déterminé que la toxicité due à l'acidité est un facteur important qui explique la faible abondance du saumon sauvage dans les eaux des hautes terres du Sud de la Nouvelle Écosse (MPO, 2000). Selon les données de Clair et al. (2004), le pouvoir tampon des eaux de la Petite Rivière et de certaines parties de la rivière Tusket est suffisant pour la survie du corégone de l'Atlantique (Bradford et al., 2004b).

1.6.3 Utilisations des terres

Les habitudes d'utilisation des terres peuvent contribuer à la dégradation de l'habitat aquatique. Les secteurs agricole, résidentiel et forestier notamment mènent des activités terrestres dans les bassins hydrographiques de la Petite Rivière et de la rivière Tusket. Bien qu'aucune étude n'associe ces activités de façon précise à des incidences sur le corégone de l'Atlantique, on peut présumer que bien des activités courantes peuvent avoir des incidences sur le poisson et son habitat si l'on ne les atténue pas convenablement.

Dans la partie supérieure du bassin hydrographique de la Petite Rivière, les activités agricoles ont entraîné la contamination bactérienne et l'envasement de cours d'eau. En effet, dans la région, l'agriculture est pratiquée surtout dans la partie supérieure du bassin versant naturel des lacs de la Petite Rivière, laquelle constitue 2,5 % de la superficie du bassin hydrographique naturel de la rivière (Kendall et Llewellyn, 2001). Même si l'agriculture connaît un déclin dans la région et que des champs autrefois cultivés retournent en friche, elle consiste beaucoup en de petits élevages de bétail, dont on épand le fumier sur des champs de foin (Kendall et Llewellyn, 2001). On ne connaît aucune application de pesticide ou d'herbicide à grande échelle dans la région, mais Kendall et Llewellyn (2001) ont soulevé des préoccupations concernant l'épandage de fumier sur les champs à proximité des cours d'eau et l'abreuvement du bétail dans les cours d'eau. Le fumier dans le milieu aquatique est un problème parce qu'il peut accroître l'abondance des bactéries et réduire le pH, mais on croit que la contamination par le fumier dans le bassin hydrographique de la Petite Rivière est à un niveau qui nuit peu à la qualité de l'approvisionnement en eau (Llewellyn et al., 2000).

En ce qui concerne l'exploitation forestière, Sayah (1999, cité par Llewellyn et al., 2000) a remarqué que des coupes à blanc chevauchaient des plans d'eau dans le bassin hydrographique naturel de la Petite Rivière. Les activités d'exploitation forestière, notamment la construction de chemins et de pistes de débusquage et la coupe à blanc, accélèrent souvent l'érosion du sol et l'envasement de plans d'eau, ce qui peut réduire la productivité de l'écosystème aquatique et altérer l'écoulement de l'eau (en vitesse et en quantité). Tous ces facteurs peuvent endommager l'habitat du poisson ou tuer le poisson (Birtwell, 1999). On n'a cependant pas signalé de coupe à blanc dans les environs immédiats des trois lacs abritant le corégone de l'Atlantique (Kendall et Llewellyn, 2001). Le Wildlife Habitat and Watercourses Protection Regulations (règlement sur la protection des habitats fauniques et des cours d'eau), pris en vertu de la Nova Scotia Forest Act (1989) impose diverses exigences visant à protéger les cours d'eau en milieu forestier (p. ex. zones tampons le long des cours d'eau). On ignore si le corégone de l'Atlantique a une vulnérabilité particulière à l'exploitation forestière faite selon les normes et les règlements provinciaux, mais en général rien n'indique que l'exploitation forestière actuelle autour des trois lacs abritant le corégone de l'Atlantique ne se conforme pas à ces prescriptions.

1.6.4 Activités de pêche du passé

Les pratiques de pêche du passé, y compris le braconnage et la capture accidentelle, pourraient avoir été un facteur du déclin des populations de corégones de l'Atlantique. On aurait pêché le corégone de l'Atlantique dans le réseau hydrographique de la rivière Tusket avant les années 1960 et dans la Petite Rivière jusqu'à récemment. Il était capturé pour consommation humaine, surtout au filet maillant ou à l'épuisette et parfois à la ligne. Poisson savoureux, le corégone de l'Atlantique soutenait une petite pêche sportive, dit-on. Les captures servaient aussi peut-être à appâter les casiers à homards et à fertiliser des champs (Scott et Scott, 1988; P. Longue, MPO, 2001, communication personnelle).

Le corégone de l'Atlantique était jadis très abondant dans les rivières Tusket et Annis. On rapporte qu'avant 1940, il n'était pas rare d'en capturer 200 dans un filet lors de la pêche au gaspareau dans la rivière Tusket (Bradford et al., 2004a). L'accumulation de corégones de l'Atlantique dans les bassins amont de la passe migratoire du barrage hydroélectrique de la rivière Tusket facilitait le braconnage dans les années 1950 (Gilhen, 1977; Scott et Scott, 1988). Dans la rivière Annis aussi, la capture accidentelle de 50 à 100 individus était courante dans la pêche au gaspareau jusqu'en 1970.

Dans le réseau de la Petite Rivière, une petite pêche à la ligne se pratiquait peut-être déjà dans les années 1870 dans le secteur des lacs Milipsigate et Hebb (Edge et Gilhen, 2001). Le corégone de l'Atlantique était parfois capturé de façon accessoire dans la pêche gaspareau qui se pratiquait en mai et en juin dans l'estuaire de la Petite Rivière. Il n'existe plus de pêche dirigée ou accessoire légale de l'espèce depuis au moins 1978. L'article 6 du Règlement de pêche des provinces maritimes qui interdit expressément de prendre et de garder ou d'avoir en sa possession un corégone de l'Atlantique est entré en vigueur en 1993.

1.6.5 Relations avec des espèces de poisson exotiques

Des poissons prédateurs non indigènes posent une menace pour le corégone de l'Atlantique. Selon Edge et Gilhen (2001), l'achigan à petite bouche (Micropterus dolomieu) et le brochet maillé (Esox niger) pourraient menacer le corégone de l'Atlantique. L'achigan à petite bouche a été introduit dans les deux réseaux hydrographiques, et le brochet maillé est présent dans le réseau de la Tusket. L'expansion de l'aire de répartition de l'achigan à petite bouche dans les deux réseaux est préoccupante, en particulier sa présence dans le lac Minamkeak, un des trois lacs de la partie amont de la Petite Rivière qui abritent la seule population importante de corégones de l'Atlantique qui persiste. On ne comprend pas bien la relation de ces espèces introduites avec le corégone de l'Atlantique, mais elles pourraient poser des risques de compétition et de prédation (Bradford et al., 2004b).

1.7 Habitat essentiel

L'article 2 de la LEP définit l'habitat essentiel comme « l'habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d'une espèce sauvage inscrite, qui est désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d'action élaboré à l'égard de l'espèce ».

Bien que nos connaissances sur les besoins du corégone de l'Atlantique en matière d'habitat augmentent à mesure que l'on obtient de nouvelles données scientifiques, il n'est actuellement pas possible de déterminer l'habitat essentiel de l'espèce. C'est pourquoi on n'a pas désigné l'habitat essentiel du corégone de l'Atlantique dans ce programme de rétablissement, mais il faudra le faire à une étape ultérieure dans un plan d'action. Comme le prévoit la LEP, si l'information accessible est insuffisante pour désigner l'habitat essentiel dans le programme de rétablissement, il faut établir un calendrier des études qui fourniront de nouvelles données permettant de décrire l'habitat essentiel de l'espèce.

L'annexe II présente une liste d'activités de recherche et de surveillance constituant un calendrier d'études visant à définir l'habitat essentiel de l'espèce. Même si l'on ne peut actuellement désigner l'habitat essentiel du corégone de l'Atlantique, la description suivante de l'habitat nécessaire pour la survie de l'espèce pourrait être utile dans une future description de son habitat essentiel.

Jadis présent dans la rivière Tusket et la Petite Rivière, le corégone de l'Atlantique n'existe plus que dans le réseau hydrographique de la Petite Rivière. La population résidente des lacs Hebb, Milipsigate et Minamkeak (figure 3) parvient à boucler son cycle vital. La survie et le rétablissement de l'espèce dépendent donc entièrement du maintien de la viabilité de cette population qui n'occupe plus qu'environ 16 km² d'habitat lacustre semi-naturel. Même si rien n'indique que les activités humaines actuelles menacent la survie du corégone de l'Atlantique ou que la qualité de l'habitat est insuffisante, l'espèce ne peut souffrir d'autre déclin de son abondance, de sa répartition ou de son habitat (MPO, 2004a).

4 Cette évaluation est fondée sur les critères de l’UICN, lesquels diffèrent de ceux utilisés par le COSEPAC, et elle indique erronément que l’espèce est présente dans la région des Grands Lacs de l’Amérique du Nord.

5 Toutes les cartes sont tirées de la Nova Scotia Topographic Database (NSTDB) et reproduites avec la permission de Service Nova Scotia. Les cartes ne sont destinées qu’à des fins d’illustration.

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