Salamandre à nez court (Ambystoma texanum) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 3

Introduction

On retrouve à l’île Pelée (figure 1), plus grande île (4 262 ha) du lac Érié, deux espèces de salamandres fouisseuses (Ambystoma laterale et Ambystoma texanum), ainsi que des hybrides génomiques diploïdes, triploïdes et tétraploïdes (Bogart et al., 1985; Bogart et Licht, 1986). On retrouve aussi l’A. texanum et des hybrides dans d’autres îles du même lac (Downs, 1978; Bogart et al., 1987; King et al., 1997) et sur la terre ferme en Ohio et en Illinois (Downs, 1978; Kraus, 1985). L’île Pelée est le seul endroit où l’A. texanum, la salamandre à nez court, est présente au Canada (Bogart et al., 1985). L’espèce, considérée comme abondante dans l’île lorsque le premier rapport sur sa situation a été préparé (Bogart et Licht, 1991), avait alors été désignée comme vulnérable en raison de son aire de répartition très restreinte au Canada.

Figure 1. L’île Pelée, seul endroit fréquenté par Ambystoma texanum au Canada. Les localités indiquées dans le texte sont identifiées.

Figure 1.  L’île Pelée, seul endroit fréquenté par Ambystoma texanum au Canada. Les localités indiquées dans le texte sont identifiées.

Bogart et al. (1985) ont identifié les salamandres capturées dans l’île (espèces pures et hybrides) par électrophorèse des alloenzymes et caryotypage. Seul un des 34 spécimens capturés était un A. texanum, tandis que les hybrides étaient soit diploïdes, soit triploïdes. D’autres salamandres à nez court ont été capturées par la suite, ainsi que des hybrides tétraploïdes. On sait maintenant qu’il existe des hybrides diploïdes (A. laterale x A. texanum ou LT), triploïdes (LLT et LTT) et tétraploïdes (LLLT, LLTT et LTTT) à l’île Pelée. Bogart et Licht (1986), ainsi que Licht et Bogart (1987, 1989), ont par la suite utilisé les salamandres de l’île pour vérifier diverses hypothèses sur l’origine des hybrides et les conséquences de la polyploïdie. Bien qu’aucun croisement entre l’A. texanum et l’A. laterale de l’île Pelée n’ait été effectué en laboratoire ou observé dans le milieu, ces chercheurs ont généralement supposé que les hybrides étaient le produit d’un tel mécanisme et que des rétrocroisements étaient à l’origine des diverses classes de salamandres polyploïdes. Mais Hedges et al. (1992) ont démontré, par examen de l’ADNmt de parents putatifs et d’hybrides capturés dans une grande partie de l’aire de répartition connue des Ambystoma, que les hybrides possèdent un génome cytoplasmique différent de celui de tout donneur de sperme possible dans l’est de l’Amérique du Nord; indépendamment de leur génome nucléaire ou de leurs parents, ils possèdent une séquence « hybride » du cytochrome b semblable. Ces chercheurs ont établi que les hybrides diploïdes, triploïdes et tétraploïdes de l’île Pelée pouvaient être regroupés avec les hybrides de la terre ferme possédant une contribution nucléaire de l’A. laterale et de l’A. jeffersonianum (et non de l’A. texanum). Ils ont en outre découvert que les deux salamandres à nez court de l’île Pelée utilisées dans leur étude n’avaient pas des séquences homologues, qu’elles présentaient plutôt deux haplotypes ou clones d’ADNmt distincts.

Ces nouvelles données moléculaires montrent clairement que les hybrides de l’île Pelée ne sont pas issus de croisements entre les deux espèces parentales retrouvées dans l’île ou de fait d’autres endroits de l’aire de répartition des hybrides examinés. Manifestement, les hybrides se sont retrouvés isolés dans l’île au même moment que les deux espèces bisexuelles diploïdes et échangent présentement leurs génomes nucléaires avec celles-ci (A. laterale et A. texanum). Hedges et al. (1992), Bogart et Klemens (1997), ainsi que Bogart (2003) font un examen détaillé de la signification de ces résultats. Les hybrides étant presque tous des femelles, ils doivent obtenir un spermatophore d’un mâle (A. texanum ou A. laterale) pour se reproduire (Bogart et Licht, 1986; Bogart, 2003). Il est intéressant de noter que l’ADNmt des deux spécimens d’A. texanum de l’île Pelée qui a été séquencé par Hedges et al. montrait une plus grande divergence que celui de tous les échantillons d’A. laterale, qui comprenaient des individus de plusieurs populations de l’Ontario, ainsi que des individus provenant de l’Île-du-Prince-Édouard, du Connecticut, de l’Illinois et du Vermont.

Outre l’étude moléculaire de Hedges et al. (1992), aucune autre donnée sur la salamandre à nez court de l’île Pelée n’a été publiée après la diffusion du rapport de situation de 1991. Relativement peu de nouvelles études traitent d’A. texanum provenant d’autres endroits de l’aire de répartition de l’espèce. Petranka (1998) donne quelques nouvelles références et d’autres détails sur l’écologie et l’éthologie de l’A. texanum et de l’A. barbouri (séparé de l’A. texanum sur le plan taxinomique par Kraus et Petranka en 1989). Les nouvelles références comprennent de l’information sur l’extension de l’aire de répartition méridionale, la découverte d’un individu albinos et l’inclusion de l’A. texanum dans certaines études écologiques de communautés. McKnight et Shaffer (1997) ont inclus des spécimens d’A. texanum de l’Ohio et du Texas dans leur comparaison de séquences d’ADNmt de 17 espèces d’Ambystoma. Enfin, Bogart (2003) éclaircit davantage le processus de reproduction des hybrides nucléaires et présente d’autres séquences d’ADNmt, qui révèlent que la lignée unisexuée est monophylétique.

Les 1er et 2 avril 2000, nous nous sommes rendus à l’île Pelée pour visiter, durant le jour et la nuit, les endroits fréquentés par le passé par l’A. texanum en vue d’évaluer l’état des populations et de faire des observations sur le succès de la reproduction. Comme des individus ou des grappes d’oeufs ont été prélevés à ces endroits au même moment de l’année dans les années 1980, la présence des uns ou des autres devait nous permettre d’éventuellement confirmer que l’habitat était adéquat pour les populations actuelles. Nous avons aussi observé tout changement dans l’habitat qui pourrait avoir une incidence sur la situation actuelle de la salamandre à nez court.

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