Lupin des ruisseaux (Lupinus rivularis) : évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 3

Information sur l'espèce

Nom et classification
Lupinus rivularis Dougl. ex. Lindl. [Le diagnostic de Lindley est fondé sur des individus cultivés, ainsi que sur les notes de Douglas (U.S.D.A. ARA National Genetic Ressources Program,  2001)].
Référence bibliographique Bot. Reg. 19: t: 1595.  1833. 
Spécimen type America Boreali-occidentalis, Douglas 263, 1825. CGE.  Figures 55 et 56. 
 Synonymes L. lignipes Muhlenbergia 8: 66. Figure 8. 1912. (Type : Eugene, comté de Lane, Oregon, Heller 10042 RENO, POM, MIN.
Nom commun lupin des ruisseaux.
Famille  Fabacées (Légumineuses). Également classé dans la famille des Papilionacées. Edward’s Bot. Reg. 19: t. 1595.  1833.
Sources  Dunn et Gillett, 1966; Kartesz et Kartesz, 1994.

Commentaires

Le genre Lupinus est l’un des éléments de la flore de l’Ouest de l’Amérique du Nord qui pose le plus de difficultés sur le plan taxinomique (Phillips, 1955; Hitchcock et al., 1961; Ceska, 2001, comm. pers.; Sholars, 2001, comm. pers.; Ainouche et Bayer, 1999; Nicholls et Bohm, 1983; et d’autres). Il règne une telle confusion dans la classification et la nomenclature de ce groupe que le nombre d’espèces reconnues par les experts varie entre 100 et 600 (Nicholls et Bohm, 1983). Plusieurs botanistes se sont intéressés aux lupins, notamment Heller (1912), Phillips (1955), Dunn et Gillett (1966), Mikolajczyk (1964), Bisby (1981), Nicholls et Bohm (1983), ainsi qu’Ainouche et Bayer (1999), mais tous leurs efforts cumulés n’ont pas encore entièrement clarifié la situation de ces taxons. Ainsi que l’indiquent Nicholls et Bohm (1983), le genre Lupinus se distingue aisément, mais il existe relativement peu de caractères distinctifs chez les espèces.

Les phénomènes d’hybridation et d’introgression, courants chez les lupins, expliquent en grande partie la confusion qui règne dans la classification de ce groupe, de même que la plasticité phénotypique qui, selon Nicholls et Bohm (1983, 708), est la règle plutôt que l’exception. Phillips (1955) a étudié les lupins dans toutes les régions d’Amérique du Nord, sauf le Sud-Ouest des États-Unis et le Mexique, et a constaté un haut degré de variation chez les populations naturelles, qu’il attribue à l’hybridation, fréquente et donnant souvent des hybrides fertiles. Aujourd’hui, l’hybridation s’accentue dans plusieurs régions où on cultive des lupins dans les jardins et en bordure des routes. C’est principalement ainsi que le Lupinus arboreus a étendu son domaine vers le Nord de la côte pacifique. Cette espèce très agressive tend à infiltrer et à diluer le génome des autres espèces de lupins (Sholars, 2001, comm. pers.). C’est ainsi que s’est créée la confusion qu’on constate aujourd’hui dans la classification des lupins en général et des espèces présentes au Canada.

La taxinomie et la nomenclature du Lupinus rivularis n’échappe pas à cette confusion. Dans Hitchcock et al. (1961), le L. rivularis Lindl. et le L. amphibium Suskd. sont considérés comme une seule et même espèce. Phillips (1955) assimile le L. rivularis Dougl. ex Lindl. au L. albicaulis, tandis que Dunn et Gillett (1966) considèrent ces deux espèces comme distinctes. Ces derniers notent par ailleurs que le L. rivularis a une certaine ressemblance avec le L. arcticus ssp. subalpinus, mais que les deux taxons ne se rencontrent pas à la même altitude. Douglas et al. (1998) tiennent le L. rivularis pour espèce distincte et ne donnent aucun synonyme. Dans leur description de l’espèce, les auteurs américains Riggins et Sholars (1993) mentionnent qu’il existe des formes intermédiaires entre elle et le L. arboreus, à fleurs bleues. Sholars (2001, comm. pers.), qui travaille à une mise à jour des lupins pour Flora of North America, fait remarquer qu’aux États-Unis, le L. rivularis n’est généralement pas considéré comme espèce distincte du L. latifolius, bien qu’à son avis, il s’agit bien de deux espèces distinctes. Lupinus lignipes est le seul synonyme que Kartesz et Kartesz (1994) reconnaissent pour le Lupinus rivularis.

Les cas d’hybridation entre le Lupinus rivularis et le L. arboreus sont très fréquents (Riggins et Sholars, 1993; Sholars, 2001, comm. pers.). Le L. arboreus, très agressif, se croise avec la majorité des lupins (Rhymer et Simberloff, 1996) et forme des essaims d’hybrides. Or, l’hybridation, en plus de poser des difficultés d’identification des espèces, soulève une inquiétude quant à leur survie (Sholars, 2001, comm. pers.; Rhymer et Simberloff, 1996). On a déjà constaté une infiltration du bassin génétique d’autres lupins au contact du L. arboreus (US National Park Service, 2001).

Sholars espère clarifier la situation des lupins d’Amérique du Nord, notamment du L. rivularis. Elle note déjà que le L. rivularis a une grande ressemblance avec le L. latifolius, en dépit de nombreux croisements avec le L. arboreus. Elle est d’avis qu’il s’agit bel et bien d’une espèce distincte, bien que les populations pures soient probablement rares. Elle estime que le L. rivularis est facile à distinguer du L. latifolius et des autres lupins par sa tige ligneuse, la carène pubescente de ses fleurs et d’autres caractères morphologiques, de même que par son habitat. Elle ajoute que le L. rivularis et le L. latifolius ne se rencontrent pas à la même altitude.

En dépit de la confusion générale entourant les lupins d’Amérique du Nord, nous sommes parvenus à la conclusion, après des observations préliminaires sur le terrain, l’examen de spécimens d’herbier et des entretiens avec Sholars et d’autres experts, qu’en Colombie-Britannique, le Lupinus rivularis est facile à reconnaître et qu’il répond à la description de Douglas et al. (1999). De façon générale, le port de la plante, ses caractères floraux, son habitat et l’altitude à laquelle on la rencontre sont propres à l’espèce et permettent de la différencier des autres lupins présents dans la région. Nous avons adopté dans le présent rapport la nomenclature et la synonymie préconisées par Kartesz et Kartesz (1994).

Description

Le lupin des ruisseaux est une herbacée (même si, parfois, la base est légèrement ligneuse) vivace, érigée, pouvant atteindre de 40 à 60 cm de hauteur. C’est une plante attrayante avec ses fleurs bleu lavande généralement disposées en « bouquet » (figure 1). Les tiges et les feuilles paraissent glabres, mais sont en fait recouvertes de poils microscopiques. Les feuilles, principalement caulinaires, sont composées-palmées et comportent de 6 à 9 folioles délicates, pubescentes inférieurement, généralement glabres supérieurement, et mucronées. La carène de la fleur est pubescente sur presque toute sa longueur. La gousse est noire ou tachetée de noir. Dès que la plante est cueillie, les feuilles se recourbent lentement sur elles-mêmes.

Vu la difficulté que pose l’identification des lupins, notamment celle du Lupinus rivularis par rapport au L. arboreus, au L. littoralis et aux autres lupins, il est nécessaire d’ajouter certains détails à cette description générale. Plusieurs auteurs ont décrit le L. rivularis, notamment Taylor (1974), Dunn et Gillett (1966), Douglas et al. (1999), Hickman (1993), ainsi que Riggins et Sholars (1993), et leurs descriptions sont accompagnées d’illustrations. Les divergences entre auteurs quant à certains caractères majeurs s’expliquent probablement par la variabilité de certains caractères en fonction des conditions abiotiques, notamment du degré d’humidité du sol (Sholars, 2001, comm. pers.). Ainsi, Douglas et al. (1999) décrivent la tige comme étant pleine, tandis que Riggins et Sholars (1993) la décrivent comme étant généralement creuse. De même, Sholars (2001, comm. pers.) souligne que la face supérieure des folioles peut être légèrement pubescente et que la longueur du pétiole est variable. Sholars (2001, comm. pers.) précise par ailleurs que le L. rivularis est une plante herbacée, dont la base peut être légèrement ligneuse, alors que le L. arboreus est généralement ligneux.

Dans son aire canadienne, le lupin des ruisseaux est facile à identifier sur le terrain, compte tenu de l’ensemble de ses caractères distinctifs : floraison hâtive (mai), tige généralement herbacée et creuse, feuilles délicates, port érigé, fleurs bleu lavande, aspect glabre, présence à proximité de cours d’eau, à faible altitude et sur des sols secs graveleux ou sableux.

Le Lupinus littoralis, bien que produisant des fleurs de la même couleur que celles du L. rivularis, se distingue aisément de ce dernier par son port étalé et la multitude de longs poils soyeux dont sont garnies ses tiges et ses feuilles. En outre, alors que le L. rivularis ne pousse qu’à proximité de cours d’eau, le L. littoralis se rencontre dans la zone côtière brumeuse, où il pousse sur des dunes basses ou d’autres terrains sableux, parfois mais pas nécessairement à proximité de cours d’eau.

En dépit de son étroite ressemblance avec le L. rivularis, le L. arcticus ssp. subalpinus ne risque pas d’être confondu avec celui-ci, du fait qu’il pousse à une altitude beaucoup plus élevée. On peut trouver une comparaison morphologique des deux espèces dans Dunn et Gillett (1966).

Figure 1. Morphologie du Lupinus rivularis. Clichés de Brian Klinkenberg; dessin reproduit avec la permission de la University of Washington Press.

Figure 1. Morphologie du Lupinus rivularis. Clichés de Brian Klinkenberg; dessin reproduit avec la permission  de la University of Washington Press.

Des hybrides et des formes intermédiaires présumément, mais pas nécessairement hybrides entre le L. rivularis et le L. arboreus ont été signalés en Californie et à divers endroits sur la côte ouest des États-Unis (Riggins et Sholars, 1993). Chez les populations canadiennes également, l’hybridation brouille les caractères permettant d’identifier l’espèce. Nous avons observé et récolté dans la vallée du Fraser des spécimens que nous croyons être des hybrides entre le L. rivularis et le L. arboreus. Ces individus étaient plus vigoureux que ceux du L. rivularis et portaient des fleurs variant du jaune pâle au bleu pâle, caractère appartenant plutôt au L. arboreus. Par contre, leurs feuilles ressemblaient davantage à celles du L. rivularis, notamment par la forme. Certains spécimens parmi ceux de Californie, d’Oregon et de l’État de Washington que nous avons examinés présentaient aussi des caractères intermédiaires entre les deux espèces. Nous avons également observé des populations de L. rivularis qui présentaient certains caractères du L. littoralis, notamment la présence de longs poils soyeux. Toutefois, vu l’absence d’autres caractères intermédiaires, il est possible que ce trait ne soit qu’une expression de la variabilité de l’espèce.

Mikolajczyk (1964), Nicholls et Bohm (1983), ainsi que Bisby (1981) se sont intéressés à l’hybridation chez les lupins et aux difficultés qu’elle pose pour la classification. Mikolajczyk (1964) a montré que des différences morphologiques très nettes sont souvent produites chez les lupins par un allèle récessif, d’où l’importance de ne pas accorder trop de poids à un seul caractère (Ganders, 2001, comm. pers.). Kazimierski (1961b) a observé que les gousses des hybrides entre le L. mutabilis et le L. douglasi ressemblent à celles de l’espèce parente mâle, ce qui pourrait peut-être servir de piste pour retracer les parents des individus qu’on soupçonne être des hybrides.

Vu les possibilités d’hybridation interspécifique naturelle chez les lupins, en particulier entre le L. rivularis et le L. arboreus, et l’utilisation dans la région de « semences de fleurs sauvages » pouvant renfermer des semences de lupin provenant de Californie, où les populations hybrides sont communes, il était important pour la présente évaluation de déterminer si les populations canadiennes de L. rivularis sont « pures ».

Bien qu’aucune étude publiée n’en fasse mention, nous avons observé sur le terrain un caractère qui, ajouté aux autres, permet de différencier aisément le L. rivularis et le L. arboreus et pourrait peut-être révéler la présence, ou l’absence, de gènes hybrides. Il s’agit d’une différence, à notre avis majeure, de comportement des feuilles, observable sur le terrain et sur les spécimens d’herbier.

La récolte des plantes provoque au niveau des folioles une réaction différente chez le L. rivularis et le L. arboreus. Nous avons constaté chez toutes les populations de L. rivularis « pures » que les folioles se recourbent lentement sur elles-mêmes, le sommet s’incurvant vers le centre de la feuille. Chez le L. arboreus et les hybrides L. rivularis x arboreus, les folioles se replient rapidement vers la nervure centrale, à la manière d’un éventail. Ces réactions différentes se remarquent particulièrement lorsqu’on tente de presser les spécimens fraîchement cueillis. Contrairement aux spécimens de L. rivularis, faciles à placer bien à plat, ceux du L. arboreus et des présumés hybrides du L. arboreus sont difficiles à aplatir. La réaction du L. arboreus nous paraît être un mécanisme de rétention d’humidité acquis par une adaptation aux milieux xériques, mécanisme absent chez le L. rivularis, qui vit dans des habitats plus humides. Sholars étudiera ce caractère plus à fond dans le cadre de sa mise à jour de la classification des lupins pour Flora of North America.

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