Lupin des ruisseaux (Lupinus rivularis) : évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

Facteurs limitatifs et menaces

Facteurs limitatifs

Plusieurs facteurs limitent de façon importante la répartition du lupin des ruisseaux au Canada, notamment la destruction massive de son habitat et le fait que l’espèce se trouve à la limite de son aire biogéographique.

Les populations canadiennes de lupin des ruisseaux se trouvent en effet à la limite nord de l’aire de l’espèce, où les conditions du milieu empêchent probablement leur propagation.

Nous pensons que l’espèce a déjà été plus répandue qu’aujourd’hui dans les régions côtières de la vallée du bas Fraser, mais que la construction du vaste réseau d’ouvrages de défense contre les inondations a détruit une grande partie des habitats pouvant l’abriter. Le lupin des ruisseaux est peut-être inféodé aux milieux soumis à l’action des crues, qui érodent les rives des cours d’eau et déposent des sédiments dans les plaines. Or, les digues ont mis fin à ce régime dans une grande partie de l’aire de l’espèce. Les quelques populations isolées qui subsistent sont peut-être les reliquats de sites plus importants qui s’échelonnaient auparavant sur les rives des cours d’eau, alors que les conditions étaient propices à une plus grande dispersion des graines et à l’établissement de nouvelles colonies. La présence de semis dans la plupart des sites est peut-être un signe de vigueur. Peut-être au contraire ces semis sont-ils beaucoup moins nombreux qu’ils ne le seraient dans un milieu moins transformé. La question demande à être vérifiée. Les autres habitats susceptibles d’abriter l’espèce -- plaines inondables de cours d’eau secondaires dans la vallée du bas Fraser -- ont été presque entièrement transformés, la plupart pour faire place à des installations industrielles. Aucun individu de l’espèce n’a été observé sur les bancs de gravier à la hauteur de Mission dans le Fraser, mais ceux-ci devraient être explorés davantage.

Menaces

Plusieurs menaces pèsent lourdement sur l’avenir proche des populations canadiennes de lupin des ruisseaux, notamment : 1) l’hybridation et l’infiltration génétique; 2) le fauchage et l’épandage d’herbicide sur les terrains où elles poussent; 3) la présence d’invertébrés exotiques; 4) la cueillette des fleurs sauvages. La situation de l’espèce au Canada est d’autant plus précaire que la superficie qu’elle y occupe est très faible et qu’aucune mesure n’a été adoptée pour assurer sa protection. Tous les sites sont susceptibles d’être touchés par une catastrophe, naturelle ou anthropique, qui aurait une incidence majeure sur l’effectif canadien. Il suffirait de peu pour que les populations canadiennes de lupin des ruisseaux disparaissent complètement. Déjà, l’espèce a subi un préjudice important en 2001 en conséquence des mesures d’entretien du terrain où se trouvent certaines populations.

  1. Dans toute son aire, le lupin des ruisseaux est sous la menace imminente d’une infiltration génétique par le Lupinus arboreus, espèce très agressive. Or, le L. arboreus a été introduit dans le Sud-Ouest de la Colombie-Britannique, et les services de voirie le sèment abondamment à l’île de Vancouver (Fraser, 2001, comm. pers.). Nous avons observé des hybrides entre le L. rivularis et le L. arboreus dans la vallée du bas Fraser. À l’invasion « naturelle » par le L. arboreus s’ajoute son introduction par les services de voirie, si bien qu’on trouve aujourd’hui des graines de l’espèce dans tous les points de vente d’articles horticoles de la région. Qui plus est, dans le cadre de programmes d’embellissement du milieu, on sème dans la vallée du bas Fraser, comme à l’île de Vancouver, des graines de fleurs sauvages commercialisées en sachets mixtes. Les semences de lupin que renferment ces sachets, avec d’autres espèces comme le pavot de Californie (Eschscholzia californica), peuvent provenir de populations de Californie, où les hybrides L. rivularis x arboreussont communs. Abstraction faite de la menace d’hybridation, ces semences introduisent du matériel génétique nouveau dans le bassin génétique de la région.

    La menace liée à la présence du L. arboreus est réelle : elle est probablement la plus grave pour la survie du lupin des ruisseaux comme espèce distincte dans toute son aire de répartition. Teresa Sholars (2001, comm. pers.) pense que les populations « pures » de L. rivularis sont extrêmement rares aux États-Unis, où la plupart des populations de l’espèce ont subi une hybridation introgressive avec le L. arboreus. Il est donc possible que les populations canadiennes soient les plus « pures ». Cela reste toutefois à vérifier, et Sholars précise que les travaux qu’elle mène actuellement sur les lupins en vue de la publication de Flora of America obligeront peut-être une réévaluation du statut du L. rivularis. Il se produit probablement aussi une hybridation introgressive naturelle du L. rivularis avec le L. littoralis, mais le phénomène ne suscite pas les mêmes inquiétudes.
  2. Une autre menace vient des travaux d’entretien sur les terrains et bords de route où se trouvent les sites de l’espèce. Cette année, l’épandage d’herbicide a causé de la mortalité dans une des populations. On craint aussi que le fauchage, en particulier le fauchage répété, fasse mourir des pieds de lupin des ruisseaux. Un des sites est périodiquement soumis à ce traitement.
  3. Les individus cultivés de lupin des ruisseaux attirent fortement les limaces, en particulier l’espèce européenne Arion ater. Il est pratiquement impossible de cultiver le lupin des ruisseaux dans le Sud de l’île de Vancouver et à l’île Saltspring sans avoir à lutter contre ces ravageurs. L’Arion ater et plusieurs autres limaces et colimaçons exotiques se répandent rapidement dans l’aire du lupin des ruisseaux et empêchent peut-être les semis de s’établir dans certaines localités (Fraser, 2002, comm. pers.).
  4. La cueillette du lupin des ruisseaux pour la beauté de ses fleurs risque de réduire de façon sensible la quantité de graines portées à maturité. Rappelons que l’espèce pousse souvent en bordure de routes ou de voies ferrées où elle est facilement accessible.
  5. Le district d’approvisionnement en eau du Grand Victoria et Pêches et Océans Canada ont décidé de rehausser le niveau de la retenue du bassin de Victoria d’un mètre de manière à rediriger les eaux vers la rivière Sooke pour augmenter les frayères du saumon. Cette intervention aura une incidence sur le régime hydrologique de la rivière et peut-être aussi sur les bancs de gravier abritant le L. rivularis. L’évaluation des incidences du projet sur l’environnement ne semble tenir compte que des conséquences de l’agrandissement du réservoir et non des conséquences du changement de régime de la rivière. (Fraser, 2002, comm. pers.).

Nous croyons que l’espèce a déjà perdu une part importante de son habitat au Canada et que les populations actuelles sont fort probablement des reliquats de populations autrefois plus importantes, qui ont survécu surtout grâce à un comportement opportuniste. Nous croyons aussi que les habitats susceptibles d’abriter l’espèce dans la vallée du bas Fraser étaient plus abondants avant la construction des digues. La construction de ces ouvrages de protection des rives et l’exploitation industrielle massif des plaines inondables, autres habitats d’élection du lupin des ruisseaux, seraient à l’origine d’un déclin important de l’espèce au Canada. Les habitats susceptibles d’abriter l’espèce risquent peu de se rétrécir davantage, mais il est peu probable que les populations s’étendent à moins d’une intervention directe.

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