Omble à tête plate (Salvelinus confluentus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC 2012 : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Généralités

L’omble à tête plate est une espèce d’eaux froides qui vit en général à une température inférieure à 18 °C (et la plupart du temps inférieure à 12 °C) (Dunham et al., 2003). La température de l’eau détermine en effet la limite méridionale de l’aire de répartition (Dunham et al., 2003). Les besoins de l’omble à tête plate en matière d’habitat sont cependant loin de se limiter à ce facteur, cette espèce étant plus exigeante que les autres salmonidés à divers autres chapitres (Rieman et McIntyre, 1993). L’omble à tête plate apprécie en particulier un habitat aquatique froid, limpide, complexe et désenclavé (USFWS, 2008). La présence ou l’absence d’autres espèces influe par ailleurs fortement sur l’utilisation qu’il fait de son habitat (voir Interactions interspécifiques).

L’omble à tête plate a besoin à tous les stades vitaux de formes complexes d’abris, et il tend à échapper à la vue en restant près du fond, sous des pièces de bois submergées ou des sections de berges en surplomb (Rieman et McIntyre, 1993; Watson et Hillman, 1997). Il a également des besoins précis en ce qui a trait au chenal et à la stabilité hydrologique, y compris la profondeur, la vitesse du courant et les caractéristiques du substrat (Rieman et McIntyre, 1993; Watson et Hillman, 1997). L’association au substrat paraît plus importante pour l’omble à tête plate que pour les autres espèces (Nakano et al., 1992).

L’omble à tête plate occupe l’ensemble des grands bassins qui lui servent d’habitat, mais il forme toujours des groupes épars à cause de ses besoins particuliers et changeants (Rieman et McIntyre, 1995). Les études à grande échelle de la répartition spatiale des parcelles d’habitat donnent à conclure que la persistance de ces parcelles dans les réseaux fluviaux dépend étroitement de leur superficie (taille du cours d’eau ou du bassin), de leur connectivité et de leur qualité (Rieman et McIntyre, 1995; Dunham et Rieman, 1999). Des modèles de la dynamique des populations d’ombles à tête plate conçus pour examiner les processus temporels qui déterminent cette répartition spatiale (p. ex., dispersion, variation démographique et variabilité environnementale) viennent encore corroborer l’importance de la taille et de la connectivité de l’habitat (Rieman et Allendorf, 2001). Des analyses génétiques moléculaires ont par ailleurs montré qu’une réduction de la connectivité de l’habitat peut mener à une réduction de la taille effective des populations locales en limitant à la fois la dispersion et la taille des populations de poissons adultes (Costello et al., 2003; Taylor et Costello, 2006; Whiteley et al., 2006).

Ces exigences particulières en matière d’habitat constituent en fait le facteur limitatif naturel principal chez l’omble à tête plate (examiné par Rieman et McIntyre, 1993; Dunham et al., 2003). Elles rendent cette espèce particulièrement vulnérable aux variations de l’habitat d’origine humaine et nuisent à sa capacité d’adaptation à de telles variations (Rieman et McIntyre, 1993, 1995). L’utilisation de l’habitat varie en fonction du stade vital et de la forme migratoire de l’adulte, et fluctue quotidiennement et saisonnièrement. Les principales variantes de l’utilisation de l’habitat au cours du cycle vital sont présentées de façon schématique à la figure 7. Toutes ces variantes sont examinées en détail plus loin. L’omble à tête plate semble manifester des besoins très semblables en matière d’habitat dans l’ensemble de son aire de répartition (Stewart et al., 2007a), et la description présentée ici est valide pour toutes les UD canadiennes de l’espèce. Les références particulières ci-dessous sont dûment citées. Par contre, la plupart des données sont issues d’examens tirés de Stewart et al., (2007a) et de Rodtka (2009), sans mention de leur origine.


Figure 7. Utilisation générique de l’habitat par l’omble à tête plate tout au long de son cycle vital

Schéma illustrant l’utilisation générique de l’habitat par l’omble à tête plate tout au long de son cycle vital (voir description longue ci-dessous).

Adapté de Stewart et al., 2007a.

Description pour la figure 7

Schéma illustrant l’utilisation générique de l’habitat par l’omble à tête plate tout au long de son cycle vital. Le schéma consiste en un cercle divisé en quatre. Les quarts correspondent respectivement au développement des larves, au développement des juvéniles, à la croissance et à la maturation, et à la reproduction. Chaque quart contient une description de l’utilisation de l’habitat au stade vital concerné. Trois des quarts sont subdivisés. Par exemple, le quart « développement des larves » est divisé en « incubation », « éclosion » et « émergence », tandis que le quart « reproduction » est divisé comme suit : « maturation », « migration vers les frayères » et « fraye ». Le quart « développement des juvéniles » est divisé en deux sous-segments sans nom. Les fourchettes d’âge (en années) et la période de l’année correspondant aux quart/sous-segments sont indiquées à l’extérieur du cercle.

Cours d’eau d’origine et fraye

Les cours d’eau d’origine de l’omble à tête plate sont en règle générale des cours d’eau d’amont ou des affluents structurellement diversifiés peu profonds et à chenal stable se trouvant en altitude (Burrows et al., 2001; Ripley et al., 2005; Decker et Hagen, 2008). Grâce à leur diversité structurelle, ces cours d’eau peuvent offrir un habitat propice à la fois à la fraye et au grossissement des juvéniles. Ces milieux forment des îlots distincts d’habitat propice au sein des grands réseaux fluviaux (Baxter, 1997; Dunham et Rieman, 1999; Decker et Hagen, 2008). La taille des bassins versants semble par ailleurs constituer un facteur important qui assure la connectivité essentielle entre ces milieux (Rieman et McIntyre, 1995).

Arrivés dans leur cours d’eau d’origine (au terme d’une période de migration dans le cas des formes lacustre et fluviale), les ombles à tête plate modifient leur comportement : ils se cachent le jour, au milieu des débris ligneux et dans les crevasses du substrat, et s’activent la nuit (Jakober et al., 2000).

L’omble à tête plate fraye en eau courante. Comme l’incubation des œufs se déroule en hiver, les sites d’incubation sont particulièrement vulnérables à l’accumulation de la glace de fond ainsi qu’à l’affouillement glaciaire et aux périodes de faibles débits. Les femelles choisissent donc souvent des frayères associées à des sources d’eaux souterraines qui stabilisent la température tout au long de l’hiver (Baxter, 1997; Baxter et McPhail, 1999; Baxter et Hauer, 2000; Ripley et al., 2005) et semblent afficher une préférence pour des endroits précis où le courant plonge et circule rapidement dans le gravier du fond (Baxter et Hauer, 2000). Par exemple, à la sortie des fosses et à la tête des radiers où le substrat est constitué de gravier ou de galets et contient peu de sédiments fins (Baxter et Hauer, 2000). Ces milieux particuliers assurent une meilleure aération des œufs. Plusieurs caractéristiques fluviales influent sur l’incubation des œufs, notamment la température (voir Physiologie et adaptabilité), la composition du gravier, la perméabilité du substrat et la vitesse du courant.

Grossissement des alevins et des jeunes juvéniles

La préférence marquée par les jeunes ombles à tête plate pour des substrats plus grossiers que ceux utilisés par les adultes en état de frayer semble être dictée principalement par l’évitement des prédateurs et des compétiteurs. Au printemps, les alevins fraîchement émergés sont plus denses que l’eau et cherchent un abri près de la rive des cours d’eau, à des endroits peu profonds où le courant est moins rapide et où le substrat est composé de galets et de roches (Pollard et Down, 2001; Spangler et Scarnecchia, 2001). À mesure qu’ils grandissent, les juvéniles se déplacent en eaux plus profondes, vers des zones à courant plus rapide, et préfèrent les fosses aux radiers (Bonneau et Scarnecchia, 1998; Pollard et Down, 2001; Spangler et Scarnecchia, 2001). Pendant les premiers mois ou les premières années passées dans leur cours d’eau natal, les juvéniles affichent des variations quotidiennes et saisonnières de leur utilisation du micro-habitat. Ils se montrent en toute saison discrets pendant le jour, s’éloignant peu de leurs abris et ne se dispersant qu’à la nuit tombée (Bonneau et Scarnecchia, 1998; Jakober et al., 2000). Ce comportement est particulièrement marqué pendant l’hiver (Bonneau et Scarnecchia, 1998; Jakober et al., 2000). À l’automne, ils ont tendance à se déplacer en eaux plus profondes, où le courant est moins rapide, et restent en contact avec le substrat grossier, près de leur abri (Bonneau et Scarnecchia, 1998; Spangler et Scarnecchia, 2001), passant ainsi l’hiver dans un milieu exempt de glace. De toute évidence, ils ont besoin à la fois, pour assurer leur croissance, de milieux peu profonds situés près des rives et de sites en eaux profondes où le courant est faible.

La diversité des types d’abris disponibles diminue avec la latitude et l’altitude : les sites ombragés, les berges en surplomb créées par l’érosion et les gros débris ligneux deviennent plus rares, ce qui influe sur le comportement des juvéniles (Mochnacz et al., 2006), qui se réfugient alors plutôt dans des fosses miniatures, des mottes de racines, des lits de galets ou de roches et des zones ombragées par la végétation riveraine (Mochnacz et al., 2006).

Alimentation et hivernage des juvéniles plus âgés et des adultes

Comme les plus jeunes, les ombles à tête plate en voie de maturation ou adultes ont tendance, pour s’alimenter ou pour hiverner, à choisir un habitat offrant la combinaison appropriée de température et de disponibilité d’abris et de proies. Cependant, alors que l’habitat fluvial de l’omble à tête plate a déjà fait l’objet d’études détaillées, les particularités de l’utilisation des cours d’eau, lacs et eaux côtières par cette espèce restent mal connues. Les formes fluviale et sédentaire de l’omble à tête plate préfèrent les zones à courant faible qui correspondent souvent à la sortie des fosses, et ont tendance à rester proches d’un abri (McPhail, 2007). Les formes résidentes trouvent ce type d’habitat à proximité des aires de fraye.

Si les études de radiotélémétrie montrent que l’omble à tête plate n’a besoin de se déplacer que de quelques kilomètres à l’automne pour trouver des sites d’hivernage libres de glace (Jakober et al., 1998), il est possible que ceux vivant sous les latitudes nordiques franchissent de plus grandes distances pour atteindre des affluents plus grands. Les sites de remontée d’eaux souterraines privilégiés pour la fraye parce qu’ils offrent des régimes de température plus stables que les zones de réalimentation en eaux de surface (c’est-à-dire qui sont plus chauds l’hiver et plus froids l’été) offrent également aux ombles à tête plate sédentaires des eaux froides propices toute l’année (Baxter et Hauer, 2000). L’omble à tête plate adopte à l’approche de l’hiver, à tout le moins dans les cours d’eau, un comportement caractérisé par l’alternance des périodes d’activité nocturne et de repos diurne dans un abri. On observe une corrélation négative entre le déroulement de cette période de transition d’une part, et la température de l’eau et la taille des poissons d’autre part (Jakober et al., 2000).

Les formes migratrices (fluviale et anadrome) recherchent un habitat propice dans les cours d’eau de plus grande envergure (ou même en milieu marin) qu’elles utilisent lors de leur migration et où elles finissent par s’établir pour se nourrir et passer l’hiver (Burrows et al., 2001; Muhlfield et Marotz, 2005). Les données de pêche donnent à penser que les adultes lacustres passeraient la journée en eaux plus froides et plus profondes (se reposant pour la plupart sur le fond) et se déplaceraient vers les zones littorales pour se nourrir pendant la nuit (McPhail, 2007).

 

Tendances en matière d’habitat

L’habitat de l’omble à tête plate n’a pas été décrit d’une manière aussi détaillée dans les zones les plus éloignées de l’aire de répartition même si des études récentes réalisées en Colombie-Britannique (Pollard et Down, 2001), au Yukon (Connor et al., 1999; Can-nic-a-nick Environmental Sciences, 2004) et dans les Territoires du Nord-Ouest (Mochnacz et al., 2006, 2009; Mochnacz et Reist, 2007) améliorent considérablement les connaissances sur la disponibilité de l’habitat et la répartition de l’espèce dans ces régions.

Les besoins particuliers de l’omble à tête plate en matière d’habitat, notamment l’accès à des affluents ou à des cours d’eau d’amont aux eaux froides et limpides et l’importance des sources d’eaux souterraines pour la fraye et la croissance des jeunes, entraînent la fragmentation de sa répartition dans l’ensemble de l’aire géographique (Rieman et McIntyre, 1995). Cette fragmentation naturelle a été exacerbée au cours des dernières décennies, en particulier aux États-Unis, où les populations survivantes sont devenues encore plus isolées (Rieman et McIntyre, 1993). La répartition de l’omble à tête plate a décliné au cours du dernier siècle, en particulier dans les portions méridionales et orientales de l’aire de répartition nord-américaine, aux États-Unis (Rieman et al., 1997; USFWS, 1999) et en Alberta (Rodtka, 2009). Par exemple, nombre des bastions naturels de l’espèce aux États-Unis se trouvent dans des régions sauvages à plus grande altitude (Rieman et al., 1997).

Il est difficile de quantifier l’impact qu’a exercé l’évolution de l’habitat sur cette tendance au déclin général des populations (voir Menaces et facteurs limitatifs). Néanmoins, l’association constante observée entre cette espèce et les milieux naturels peu dégradés par les populations humaines (p. ex., corrélation négative entre l’état des populations et la densité du réseau routier -- voir Menaces et facteurs limitatifs) traduit bien sa sensibilité environnementale illustrée par ses besoins particuliers en matière d’habitat. La dégradation et la fragmentation de l’habitat sont considérées comme une grande menace à la survie des populations d’ombles à tête plate (la section Menaces et facteurs limitatifs présente un examen détaillé des menaces anthropiques ainsi que des données propres aux UD). Les populations migratrices qui ont besoin au cours de leur cycle vital de la plus grande diversité d’habitat sont particulièrement sensibles aux tendances générales de la dégradation et de la fragmentation de l’habitat. La présence de corridors propices aux déplacements entre les divers milieux dont cette espèce en grande partie migratrice a besoin pour se nourrir, se reproduire et fuir est essentielle à sa survie (Rieman et McIntyre, 1993).

Une meilleure connaissance des facteurs environnementaux influant sur la répartition des milieux propices à l’omble à tête plate permettrait non seulement de prédire plus facilement l’occurrence de cette espèce, mais également d’identifier les milieux inoccupés (mais néanmoins propices) (Rieman et McIntyre, 1995; Dunham et Rieman, 1999). Cependant, en dépit (ou peut-être à cause) de la vaste répartition de l’omble à tête plate dans l’ouest du Canada, peu d’études ont tenté de quantifier les tendances de l’habitat de cette espèce dans cette vaste région (BCMWLAP, 2004). Certaines activités, comme l’aménagement de routes, ont servi d’outil de mesure de rechange du degré de perturbation de l’habitat de l’omble à tête plate (BC ME, 2007), certaines études ayant démontré l’existence de corrélations entre les deux. Plusieurs études ont notamment établi une corrélation négative entre la densité du réseau routier et l’occurrence de l’espèce (Rieman et al., 1997; Dunham et Rieman, 1999; Baxter et al., 1999), en particulier au Canada (Alberta : Ripley et al., 2005; Scrimgeour et al., 2008). Comme la longueur du réseau routier a presque doublé en Colombie-Britannique au cours des 2 dernières décennies (augmentation de 82 % de 1988 à 2005; BC ME, 2007), tout indique que la qualité de l’habitat de l’omble à tête plate aurait subi un déclin général dans cette province au cours de cette période. Étant donné la corrélation négative observée entre l’occurrence de l’omble à tête plate et l’intensité de l’exploitation commerciale des forêts, Ripley et al. (2005) ont prédit que l’omble à tête plate disparaîtra de 24 à 43 % des cours d’eau qui l’abritent actuellement dans le bassin de la rivière Kakwa, en Alberta, au cours des 20 prochaines années.

Le changement climatique jouera lui aussi vraisemblablement un rôle dans la réduction graduelle de l’habitat de cette espèce d’eaux froides au cours des années à venir, tout en rompant par ailleurs la connectivité des milieux d’eau froide pouvant lui servir de refuge (voir Menaces et facteurs limitatifs pour un examen détaillé). Une évaluation de la région de Cariboo-Chilcotin, en Colombie-Britannique, donne à penser que les effets du réchauffement planétaire sur les conditions de température et de précipitation entraîneront à long terme -- d’ici les années 2080 -- une réduction considérable des milieux lotiques froids (Porter et Neritz, 2009).

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