Omble à tête plate (Salvelinus confluentus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC 2012 : chapitre 8

Biologie

Les informations communiquées dans la présente section sont tirées de diverses études qui représentent ensemble les évaluations récentes les plus complètes de l’omble à tête plate dans toute son aire de répartition canadienne (Alberta : Rodtka, 2009; Colombie-Britannique : McPhail, 2007; BCMWLAP, 2004; Territoires du Nord-Ouest : Stewart et al., 2007a; idem, 2007b). La figure 7 présente le cycle vital générique applicable à l’ensemble des UD canadiennes de l’espèce. Nous analysons ci-dessous les nombreuses facettes de la biologie de l’omble à tête plate, en mettant en lumière les variations géographiques. Les variations les plus marquées s’observent entre les tendances divergentes du cycle vital. Une tendance orientée dans le sens nord-sud pourrait également se manifester sous la forme d’une forte corrélation entre le calendrier des transitions d’habitat et la température de l’eau. Il n’y a pas de transition marquée d’ouest en est entre les UD canadiennes de l’omble à tête plate, et la description présentée ci-après s’applique à toutes les UD, sauf indication contraire.

Diversité du cycle vital

Les divers modèles de cycle vital de l’omble à tête plate peuvent se classer en quatre grands types migratoires. Une forme sédentaire non migratrice passe la totalité de son cycle vital dans de petits cours d’eau souvent isolés par des obstacles physiques (p. ex., chutes, barrages; Latham, 2002), physiologiques (p. ex., températures trop élevées; Rieman et McIntyre, 1993; Rieman et al., 1997) ou biologiques (p. ex., présence d’espèces concurrentes non indigènes; Paul et Post, 2001; Nelson et al., 2002). Les formes migratrices frayent et grossissent dans les petits cours d’eau, mais se déplacent ensuite vers d’autres plans d’eau. La forme fluviale passe toute sa vie en eau courante, migrant entre les aires de fraye/de grossissement des juvéniles, et les rivières ou ruisseaux plus grands (souvent l’axe fluvial principal des grands cours d’eau) où elles se nourrissent, atteignent leur maturité et passent l’hiver entre les saisons de reproduction. La forme lacustre atteint sa maturité dans les lacs, mais migre ensuite vers les affluents d’amont, jusqu’aux cours d’eau où elle a vu le jour pour frayer. Ces trois formes sont communes dans l’ensemble de l’aire de répartition canadienne de l’omble à tête plate (Stewart et al., 2007a). Contrairement à ces dernières, qui passent toute leur vie en eau douce, une quatrième forme anadrome migre entre l’eau douce et la mer. Elle se trouve uniquement dans la portion sud-ouest de la Colombie-Britannique et le nord-ouest de l’État de Washington. Malgré cette diversité, rien n’indique l’existence d’une subdivision génétique entre les divers modèles de cycle vital (Homel et al., 2008). Il peut en fait arriver qu’une femelle d’un type migrateur donné donne naissance à des poissons affichant des habitudes migratoires différentes, laissant ainsi deviner l’existence d’une certaine plasticité en ce qui a trait aux principales caractéristiques du cycle vital (Brenkman et al., 2007).

Reproduction

L’omble à tête plate atteint habituellement la maturité sexuelle entre 5 et 7 ans, les valeurs extrêmes s’établissant à 3 et à 8 ans. L’âge maximal est inconnu, mais des spécimens qui auraient vécu jusqu’à 24 ans ont été consignés. La durée d’une génération a été estimée à près de 7 ans à partir de la moyenne d’âge des sujets reproducteurs de 7 populations d’ombles à tête plate de la Colombie-Britannique affichant des modèles différents de cycle vital (Pollard et Down, 2001).

L’omble à tête plate est itéropare, mais tout porte à croire qu’il pratique l’alternance entre années de fraye et années de repos (Pollard et Down, 2001; Johnston et Post, 2009). Cette stratégie de reproduction, qui dépend souvent de l’état physique et des impératifs de survie, pourrait permettre aux ombles d’accumuler une quantité d’énergie suffisante, pour se reproduire dans des systèmes plus froids et moins productifs (examiné par Johnston et Post, 2009). La fraye peut survenir tous les deux ou trois ans dans les Territoires du Nord-Ouest pour tous les types de cycle vital (Mochnacz, 2002; Mochnacz et al., en cours d’examen). Cette stratégie peut également traduire une réaction dépendante de la densité; on a observé une baisse de la proportion d’ombles à tête plate frayant annuellement à mesure que la population du lac Lower Kananaskis se rétablissait et que sa densité augmentait (Johnston et Post, 2009).

Comme tous les ombles, l’omble à tête plate fraye à l’automne, de la mi-août à la fin octobre. La période de fraye est précédée d’une migration, sauf dans le cas des populations sédentaires qui frayent sur place. Les poissons plus jeunes pourraient arriver les premiers dans les aires de fraye. Leurs gonades n’ont habituellement pas atteint leur pleine maturité, et le développement des gamètes pourrait donc s’achever dans la frayère plus d’un mois environ avant qu’ils ne frayent, en même temps que les poissons plus âgés. Il peut arriver, au moins dans certaines régions, que la fraye soit retardée jusqu’à ce que la température de l’eau soit inférieure à 10 °C ou interrompue lorsque la température atteint un niveau inférieur à environ 5 °C. Ainsi, il semble que les populations méridionales bénéficient d’une période de fraye plus tardive et plus longue que les populations septentrionales (Pollard et Down, 2001).

L’excavation de la frayère ressemble à ce qu’on observe chez d’autres salmonidés. Les femelles plus grosses utilisent d’ordinaire un substrat plus grossier, au centre du chenal, et enfouissent leurs œufs plus profondément. Cette précaution permettrait d’offrir une meilleure protection aux œufs contre les effets d’une baisse du débit (dépôt de sédiments) et du gel. Un mâle dominant accompagne habituellement chaque femelle pondeuse; il la défend vigoureusement contre les mâles satellites qui cherchent eux aussi à féconder ses œufs (Kitano et al., 1994; Baxter, 1997). On observe également dans certaines populations des mâles précoces (« jacks ») qui interviennent subrepticement au moment de la ponte et réussissent souvent à féconder une partie des œufs expulsés par la femelle. Ces mâles petits et précoces imitent parfois la couleur, le comportement et la morphologie des femelles (absence de kype), ce qui leur permet de s’approcher en douce du couple reproducteur juste avant l’expulsion des gamètes (Kitano et al., 1994; Baxter, 1997). Leur présence pourrait expliquer le rapport asymétrique des sexes qu’on observe parfois dans les remontes, bien que les taux de fraye répétée plus élevés observés chez les femelles puissent aussi contribuer à la tendance vers une prédominance des femelles (McPhail et Baxter, 1996; Pollard et Down, 2001). Le rapport des sexes de la population entière s’établit par contre communément à près de 1:1 (McPhail et Baxter, 1996; Pollard et Down, 2001).

La fraye se déroule habituellement pendant le jour, mais peut survenir la nuit dans certains systèmes perturbés. Comme chez la plupart des poissons, la fécondité (nombre d’œufs produits) des ombles à tête plate femelles dépend de leur taille : les femelles fluviales et lacustres plus grosses produisent plus d’œufs (habituellement entre 2 000 et 5 000 ou plus) que les femelles sédentaires (moins de 1 000). L’incubation des œufs fécondés enfouis dans le gravier dure tout l’hiver, et l’éclosion survient d’ordinaire à partir de mars (longueur totale d’environ 25 mm). La durée de la période d’incubation dépend de la température et peut varier de 35 jours à plus de 4 mois.

Régime alimentaire

L’omble à tête plate est un chasseur opportuniste. Ses proies peuvent varier en fonction de la large gamme de latitudes et d’altitudes où il évolue, mais les groupes taxinomiques généraux qui servent de proies à chacun des stades vitaux sont semblables dans l’ensemble de l’aire de répartition (figure 8). L’omble à tête plate se nourrit partout d’une diversité de vertébrés et d’invertébrés, préférant les proies plus grosses lorsqu’elles sont disponibles. On connaît mal les variations saisonnières de son régime alimentaire, qui est vraisemblablement fonction de l’abondance saisonnière des proies, compte tenu de la nature opportuniste de l’espèce.


Figure 8. Réseau trophique général de l’omble à tête plate indiquant la direction du flux de l’énergie.

Schéma illustrant le réseau trophique général de l’omble à tête plate (voir description longue ci-dessous).

Les traits gras indiquent les principales voies alimentaires, par rapport aux voies secondaires (traits fins); les traits pleins indiquent les voies confirmées, et les traits pointillés, les voies supposées. D’après Stewart et al., 2007b.

Description pour la figure 8

Schéma illustrant le réseau trophique général de l’omble à tête plate. Les traits relient les quatre principaux groupes de prédateurs à trois stades vitaux de l’omble à tête plate et à huit groupes de proies.

Les ombles adultes et juvéniles se nourrissent couramment d’insectes aquatiques ou terrestres (principalement des éphémères, des phryganes, des perles et des chironomides) parvenus à divers stades de leur développement. En l’absence d’autres espèces de poissons, généralement dans les tronçons supérieurs de cours d’eau ou dans des lacs de haute altitude isolés, les juvéniles et les adultes sédentaires se nourrissent principalement de ces macroinvertébrés. Lorsqu’ils chassent le jour, les juvéniles restent discrets et proches du fond, ne se déplaçant que pour intercepter les insectes dérivant à proximité (McPhail, 2007). La nuit, ils se dispersent et recherchent surtout des organismes benthiques. On n’a fait état que de très peu, voire d’aucune, activité de prédation en surface. Les juvéniles plus gros et les adultes sédentaires dévorent des poissons lorsqu’ils en ont l’occasion (y compris des jeunes de leur propre espèce), mais la proportion relativement faible de poissons de leur régime explique leur faible taux de croissance comparativement à celui des adultes migrateurs.

Les ombles à tête plate juvéniles consomment cependant de plus en plus de poissons à mesure qu’ils approchent l’âge adulte. Leur gueule relativement grande leur permet d’avaler des proies atteignant jusqu’à la moitié de leur propre longueur (Beauchamp et Van Tassell, 2001). Bien que les adultes continuent de se nourrir d’une grande variété d’invertébrés, ils deviennent de plus en plus piscivores en grandissant, lorsqu’ils en ont l’occasion, c’est-à-dire lorsqu’ils côtoient d’autres espèces de poissons. Ils constituent souvent le prédateur principal dans les milieux où ils vivent, et certaines populations lacustres sont presque exclusivement piscivores. Les salmonidés, y compris les ombles à tête plate juvéniles plus petits ainsi que la truite, le saumon rouge (Oncorhynchus nerka), les ménominis (en particulier le ménomini de montagnes, Prosopium williamsoni) et l’ombre arctique (Thymallus arcticus) constituent des proies importantes pour les populations lacustres et fluviales. D’autres poissons, comme les meuniers, les ménés, les chabots et les épinoches comptent aussi parmi les proies de l’omble à tête plate. Lorsqu’il en a l’occasion, l’omble à tête plate dévore même des grenouilles, des serpents, des canetons et des petits mammifères. Les habitudes alimentaires de l’omble à tête plate anadrome en mer restent inconnues.

Physiologie et adaptabilité

La forte différenciation génétique observée entre les populations d’ombles à tête plate et la faible diversité observée au sein de chacune de ces populations laissent croire à un flux génique limité entre ces populations. Ces dernières risquent donc probablement d’afficher des adaptations locales particulières à leur environnement spatialement hétérogène (voir Structure spatiale et variabilité de la population). Dans ces conditions, toute activité conduisant à promouvoir artificiellement le flux génique entre les populations (par exemple, empoissonnement ou exploitation d’écloseries) risquerait, par son effet perturbateur sur les adaptations locales, d’accroître la probabilité de disparition de ces populations. La production d’ombles à tête plate en écloseries dans le réservoir des lacs en Flèche (Colombie-Britannique) a été interrompue en 2000 en raison, en partie, des préoccupations que suscitait le risque de réduction de la diversité génétique (Hagen, 2008).

L’omble à tête plate a de nombreux besoins particuliers en matière d’habitat, par exemple en ce qui concerne la profondeur, la vitesse du courant, la nature du substrat et la disponibilité des abris (voir Habitat), mais sa sensibilité thermique constitue sa principale caractéristique physiologique. L’incidence de la température sur la répartition de cette espèce est le facteur qui retient le plus l’attention (examiné par Rieman et McIntyre, 1993; Dunham et al., 2003). Les basses températures sont importantes pour la survie et le développement de tous les stades vitaux, depuis l’incubation des œufs jusqu’à la fraye, mais le maintien de la température de l’eau à l’intérieur d’une gamme étroite de variations est particulièrement critique pendant l’incubation des œufs et le développement des juvéniles. Les températures élevées et la baisse de la teneur en oxygène dissous qui en découle augmentent le taux de résorption du vitellus et réduisent la taille des alevins. La température d’incubation optimale pour la survie à l’éclosion s’établit entre 2 et 4 °C, et le taux de survie diminue rapidement lorsque la température de l’eau dépasse 8 °C. Les apports d’eaux souterraines jouent un rôle important dans le maintien de la température requise pour le développement des œufs (Baxter et McPhail, 1999).

Exposés à un gradient thermique naturel (8 à 15 °C), les ombles à tête plate juvéniles choisissent le milieu le plus froid possible (Bonneau et Scarnecchia, 1996). De même, les adultes recherchent en règle générale un milieu où la température est inférieure à 18 °C, et, plus communément, inférieure à environ 12 °C (Dunham et al., 2003). Des essais sur la tolérance thermique réalisés en laboratoire confirment les observations faites en milieu naturel selon lesquelles l’omble à tête plate présente un des seuils thermiques maximaux de tolérance et de croissance optimale les plus bas de tous les salmonidés nord-américains (Hass, 2001; Selong et al., 2001). Si les températures plus basses typiques de l’habitat de l’omble à tête plate abaissent les taux de croissance optimale, elles réduisent ou empêchent l’invasion par des espèces qui préfèrent un habitat plus chaud.

Les besoins particuliers de l’omble à tête plate en matière d’habitat expliquent sa répartition irrégulière sur un territoire donné (Rieman et McIntyre, 1993). La combinaison de cette particularité et des caractéristiques de son cycle vital (y compris son état de prédateur aquatique de niveau trophique supérieur et sa grande fidélité à l’égard des sites) qui se traduisent par des densités de population relativement faibles (voir Taille et tendances des populations) et par un flux génique limité (Taylor et al., 2001; Taylor et Costello, 2006) fait en sorte que les disparitions locales dues à des processus stochastiques peuvent être considérées comme des événements naturels, voire communs, dans le cas de cette espèce (Rieman et McIntyre, 1993, 1995). Au fil de son évolution, l’omble à tête plate a élaboré des stratégies qui l’aident à faire face à de telles perturbations naturelles, y compris la plasticité phénotypique et certaines adaptations du cycle vital liées à la densité des populations -- par exemple, maturation plus rapide et augmentation de la fréquence des épisodes reproductifs chez les populations à densité plus faible (Johnston et Post, 2009). Néanmoins, l’espèce reste vulnérable aux effets des activités humaines (Rieman et McIntyre, 1993, 1995). Spécialement adaptée aux milieux froids, elle risque par ailleurs d’être particulièrement vulnérable au changement climatique (Rieman et McIntyre, 1993; Rieman et al., 1997, 2007). Les populations vivant près de la limite méridionale de l’aire de répartition seront les plus exposées puisque cette limite est définie par la température de l’eau, mais les répercussions du réchauffement planétaire sur la température et sur les précipitations risquent d’exacerber la fragmentation des populations d’ombles à tête plate dans la plus grande partie de son aire de répartition (Kelehar et Rahel, 1996; Rahel et al., 1996)

La tolérance à l’eau salée affichée par une partie au moins des populations constitue un autre aspect digne de mention de la physiologie de l’omble à tête plate (voir Déplacements et dispersion).

Déplacements et dispersion

Les déplacements des jeunes de l’année et des petits juvéniles sont mal connus parce que ces poissons discrets sont difficiles à capturer et à observer. Le calendrier des migrations des juvéniles fluviaux ou lacustres semble varier énormément d’un système à l’autre. Certains juvéniles peuvent passer de une à quatre années dans leur cours d’eau natal, mais la dispersion survient plus généralement à partir de l’âge de deux ans. Les migrations sont communes pendant les périodes de crue de la fin du printemps et de l’été et lorsque les températures baissent à l’automne et à l’hiver. Ce calendrier peut contribuer à réduire le risque de prédation chez les juvéniles et leur assurer un accès à des ressources alimentaires de meilleure qualité pendant que les adultes se rassemblent sur les frayères. Lorsque les juvéniles de la forme lacustre se déplacent dans les lacs, on ne les capture que rarement près des rives, ce qui donne à penser qu’ils préfèrent les eaux profondes.

Souvent isolés en amont d’obstacles naturels, les adultes sédentaires ne se déplacent d’ordinaire que sur de courtes distances pour frayer, croître, se nourrir ou hiverner. Les formes migratrices (fluviale, lacustre et anadrome) se déplacent entre leurs aires d’alimentation/d’hivernage et leur habitat natal éloigné. Le calendrier des montaisons varie d’une population à l’autre, étant partiellement dépendant de la distance à parcourir, laquelle varie largement (elle peut atteindre jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres; Pillipow et Williamson, 2004; Pillipow, comm. pers. dans Hagen et Decker, 2011). On pense par ailleurs que ces migrations sont déclenchées par une combinaison de facteurs environnementaux, dont les variations du débit des cours d’eau et de la température de l’eau. Les déplacements ont en général lieu la nuit, et les populations fluviales entament habituellement la montaison lorsque l’eau atteint une température relativement élevée et que le niveau d’eau baisse, entre mai et août. Après la fraye, les ombles à tête plate migrateurs retournent en général rapidement à leur habitat d’hivernage, en septembre ou octobre. Les ombles à tête plate se montrent normalement très fidèles à leur cours d’eau natal lorsque vient le moment de frayer, ainsi qu’à leur habitat d’hivernage, mais cette fidélité ne serait pas toujours parfaite, à tout le moins à l’échelle locale (Swanberg, 1997a; O’Brien, 2001; Bahr et Shrimpton, 2004).

Les montaisons précédant la fraye sont en règle générale moins rapides que les dévalaisons suivant la fraye. Les caractéristiques de ces migrations dépendent également de l’âge et du stade vital; d’après les données recueillies, les adultes plus gros se déplacent en général plus rapidement, tandis que les plus petits affichent un comportement plus varié et moins prévisible (Muhlfield et Marotz, 2005; Monnot et al., 2008). Les ombles à tête plate peuvent se rassembler à l’embouchure des affluents ou dans les estuaires avant d’entamer la montaison (Taylor et Costello, 2006; Brenkman et al., 2007). Ce comportement et l’habitude qu’ils ont de se rassembler en aval des obstacles avant la fraye facilite considérablement leur capture et les expose à la surpêche (Paul et al., 2003; Post et al., 2003).

Anadromie

Même si le phénomène n’a pas été étudié en profondeur, on fait état de l’existence de populations d’ombles à tête plate anadromes dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique (bassins versants du Fraser et de la Squamish) et dans le nord-ouest de l’État de Washington (bassin versant de la Skagit et presqu’île Olympic). Des ombles à tête plate ont été capturés dans les zones marines côtières de la baie Howe, (Colombie-Britannique) et du Puget Sound (Washington) (Cavender, 1978; Haas et McPhail, 1991), et des pêcheurs sportifs font référence à des populations anadromes dans la Squamish et la Pitt, cette dernière faisant partie du bassin du Fraser.

Des études de radiotélémétrie et de chimie des otolithes ont plus récemment permis de confirmer que l’anadromie constitue un élément principal du cycle vital d’une forme d’omble à tête plate observée dans certains milieux marins de la côte des États-Unis (Brenkman et Corbett, 2005; Brenkman et al., 2007). Plus de la moitié d’un groupe de 82 ombles à tête plate adultes munis de radio-émetteurs du côté ouest de la presqu’île Olympic étaient des poissons anadromes qui se déplaçaient jusque dans la portion supérieure des cours d’eau pour frayer avant de revenir en mer pour passer l’hiver et se nourrir (Brenkman et Corbett, 2005; Brenkman et al., 2007). Le cycle vital des ombles à tête plate anadromes semble être variable; certains n’effectuent qu’une seule migration après un long séjour en eau douce, mais plusieurs commencent à se déplacer chaque année entre les milieux dulcicole et marin après leur première migration vers la mer, vers l’âge de trois ou quatre ans (Brenkman et al., 2007). Ces observations donnent à penser qu’ils seraient en majorité itéropares, comme les ombles à tête plate non anadromes. Ces poissons anadromes côtoient des poissons non anadromes, et la plasticité des cycles vitaux est telle que les deux types de femelles se montrent capables d’engendrer une progéniture anadrome (Brenkman et al., 2007). Les adultes peuvent se disperser entre les bassins versants en suivant des itinéraires côtiers; un poisson marqué dans la Squamish a été repêché dans le cours inférieur de la Skagit, dans l’État de Washington (une migration marine d’environ 150 km), et les études de radiotélémétrie ont révélé une dispersion entre les bassins versants de la côte ouest de la presqu’île Olympic (Brenkman et Corbett, 2005).

Détail intéressant, cette caractéristique du cycle vital ne s’observe dans aucune des nombreuses populations de la lignée génétique 2 qui ont accès à la mer (Cavender, 1978; Haas et McPhail, 1991, 2001). Le fait qu’elle ne se limite qu’à des populations de la lignée génétique 1 donne à penser que l’anadromie serait apparue (ou aurait à tout le moins persisté) dans le refuge Chehalis, à partir duquel on croit que l’omble à tête plate (et le Dolly Varden anadrome) aurait recolonisé ces sites au cours de la période postglaciaire (Haas et McPhail, 2001).

Relations interspécifiques

Les relations interspécifiques influent fortement sur la répartition et l’abondance locales de l’omble à tête plate. La disponibilité des proies, la concurrence exercée par d’autres espèces pour ces proies et d’autres ressources, la prédation, le parasitisme ou d’autres interactions indirectes au sein de l’écosystème peuvent influer sur la répartition de l’espèce. Les recherches sur les relations interspécifiques de l’omble à tête plate ont surtout mis l’accent sur un de ces facteurs : la compétition possible avec d’autres salmoninés, indigènes ou non. En fait, elles ont porté principalement sur une interaction particulière de l’omble à tête plate avec chacune de ces catégories de concurrents.

Compétition interspécifique avec des salmoninés indigènes

La compétition interspécifique avec d’autres salmoninés indigènes joue probablement un rôle important dans l’exclusion de l’omble à tête plate ou dans la régulation de sa coexistence avec d’autres espèces. Un exemple a particulièrement attiré l’attention : les relations de l’omble à tête plate avec le Dolly Varden dans les zones de sympatrie. Le Dolly Varden affiche en règle générale une préférence plus marquée pour les milieux côtiers que l’omble à tête plate, et son aire de répartition s’étend plus loin vers le nord (on le trouve de l’ouest du Pacifique à l’Alaska, vers l’est jusqu’au fleuve Mackenzie et vers le sud jusqu’à la presqu’île Olympic, dans le nord-ouest de l’État de Washington) (Haas et McPhail, 1991). Les aires de répartition largement parapatriques des deux espèces se rejoignent cependant sur la crête de la chaîne des Cascades et de la chaîne Côtière, du nord-ouest de l’État de Washington au nord de la Colombie-Britannique (figure 9). Cette zone de chevauchement est plus large dans le nord de la Colombie-Britannique, où elle traverse la ligne continentale de partage des eaux au nord du bassin versant de la Skeena pour inclure les eaux d’amont des systèmes de la Paix et de la Liard (Taylor et al., 1999).


Figure 9. Aires de répartition parapatriques du Dolly Varden (portion hachurée) et de l’omble à tête plate (portion ombrée), et zone où les deux espèces coexistent (portion hachurée-ombrée) dans l’ouest du Canada

Carte des aires de répartition des espèces parapatriques que sont le Dolly Varden et l’omble à tête plate dans l’ouest du Canada.

Tiré de Baxter et al., (1997). La carte indique la zone du lac Thutade qui a fait l’objet de l’étude précitée.

Les 2 espèces coexistent probablement depuis 100 000 ans dans certaines zones de la portion sud-ouest de leurs aires de répartition. Comme celles de l’omble à tête plate, les populations du Dolly Varden se répartissent en 2 clades principaux d’ADNmt (le séquençage d’environ 570 paires de bases d’ADNmt sur 207 échantillons de Dolly Varden capturés dans 50 sites répartis dans l’ensemble de l’aire de répartition géographique a permis d’établir la divergence des haplotypes à 1,4-2,2 %; Redenbach et Taylor, 2002). Un de ces clades occupe la plus grande partie de l’aire de répartition, tandis que l’autre occupe une zone beaucoup plus restreinte, depuis l’État de Washington (limite méridionale) jusqu’au milieu de l’île de Vancouver (Redenbach et Taylor, 2002). Cette situation découle probablement de l’existence, au cours de la dernière période glaciaire, de 2 refuges distincts : le refuge de la Béringie, au nord, et celui de Chehalis, au sud, que le Dolly Varden partageait probablement avec l’omble à tête plate (Redenbach et Taylor, 2002). L’introgression historique de l’ADNmt de la lignée génétique 1 de l’omble à tête plate dans les populations « méridionales » du Dolly Varden survenue avant la plus récente glaciation a laissé une signature génétique : ces populations forment un groupe paraphylétique résultant de l’agglomération du clade « méridional » du Dolly Varden dans la lignée génétique 1 de l’omble à tête plate en dépit d’une monophylie réciproque à 2 loci nucléaires (Taylor et al., 2001; Redenbach et Taylor, 2002).

Outre l’introgression historique, l’analyse génétique a montré que les deux espèces s’hybrident dans la majeure partie de cette zone de sympatrie (Baxter et al., 1997; Taylor et al., 2001; Redenbach et Taylor, 2003; Taylor et Costello, 2006). L’introgression asymétrique de l’ADNmt montre que cette hybridation est d’ordinaire unidirectionnelle, la plupart des hybrides F1 provenant de l’accouplement d’un omble à tête plate femelle et d’un Dolly Varden mâle (Baxter et al., 1997; Redenbach et Taylor, 2003). Cette hybridation pourrait être le produit de la participation subreptice de petits mâles précoces du Dolly Varden pendant la fraye des ombles à tête plate (Baxter et al., 1997; Hagen et Taylor, 2001; Redenbach et Taylor, 2003).

Les schémas actuels de sympatrie et d’hybridation sont donc le fruit d’une introgression survenue anciennement dans un refuge commun et d’une codispersion à partir de ce refuge, ainsi que d’une hybridation actuelle découlant de contacts secondaires intervenant entre des populations antérieurement allopatriques dans certaines portions de leurs aires de répartition. Bien que les preuves de l’existence d’une introgression historique donnent à penser que les populations sympatriques les plus méridionales ont probablement échangé des gènes pendant 100 000 ans, d’autres populations ont été mises en contact plus récemment, c’est-à-dire à la fin de la dernière glaciation, il y a environ 15 000 ans (Redenbach et Taylor, 2002). Une telle disparité des durées de contact pourrait entraîner des différences régionales du degré d’isolement reproducteur. Des périodes plus longues de coévolution des Dolly Varden « méridionaux » et des ombles à tête plate de la lignée génétique 1 pourraient avoir accentué le degré d’isolement reproducteur entre les 2 groupes, entraînant ainsi une réduction de l’hybridation sur la côte méridionale. Seuls des échantillonnages plus intensifs permettront de procéder à une évaluation quantitative de ce phénomène, les données préliminaires ne révélant aucun rapport significatif entre l’étendue et l’expansion des aires de contact secondaire et les degrés extrêmement variables d’hybridation détectés entre les sites (p. ex., de 2 à 25 %; Redenbach et Taylor, 2003). Les observations qualitatives laissent cependant penser que l’hybridation qui se poursuit actuellement pourrait être plus importante chez les populations côtières du centre et du nord que chez celles du sud. Bien qu’elle soit largement sympatrique dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique et le nord-ouest de l’État de Washington (voir par exemple Leary et Allendorf, 1997), l’hybridation actuelle n’a été observée que dans la rivière Skagit (McPhail et Taylor, 1995).

Détail intéressant, on a récemment constaté que la sympatrie entre l’omble à tête plate et le Dolly Varden existe jusqu’à l’extrémité nordique de l’aire de répartition connue de l’omble à tête plate et jusque dans la portion la plus méridionale de l’aire de répartition d’une forme nordique du Dolly Varden dans les Territoires du Nord-Ouest : la rivière Gayna (Mochnacz et al., 2009, soumis; figure 10). Bien que les deux espèces coexistent dans le même bassin versant, elles restent pour une bonne part non syntopiques, l’omble à tête plate occupant les portions situées en aval, alors que le Dolly Varden est isolé en amont des obstacles (Mochnacz et al., 2009, soumis). Il n’est donc pas surprenant que les expériences de séquençage des gènes mitochondriaux et nucléaires n’aient laissé constater aucun signe génétique d’hybridation (Mochnacz et al., en cours d’examen). Si l’on constate lors d’études futures que l’aire de répartition de l’omble à tête plate s’étendait dans des zones situées immédiatement au nord de la rivière Gayna, il se pourrait qu’on y découvre des cas de sympatrie et d’hybridation.


Figure 10. Carte des aires de répartition des populations nordiques d’ombles à tête plate et de Dolly Varden, qui montre les nouvelles mentions citées dans Mochnacz et al. (en cours d’examen) et les observations ponctuelles fondées sur des données documentaires avérées ou incertaines

Carte des aires de répartition des populations nordiques d’ombles à tête plate et de Dolly Varden (voir description longue ci-dessous).

Les aires de répartition générales correspondent aux bassins versants et aux observations ponctuelles connues. Les bassins versants ne sont pas représentés dans leur totalité. Tiré de Mochnacz et al (en cours d’examen).

Description pour la figure 10

Carte des aires de répartition des populations nordiques d’ombles à tête plate et de Dolly Varden, qui montre les nouvelles mentions citées dans Mochnacz et al. (en cours d’examen) et les observations ponctuelles fondées sur des données documentaires avérées ou incertaines. Les aires de répartition générales correspondent aux bassins versants et aux observations ponctuelles connues. Les bassins versants ne sont pas représentés dans leur totalité.

Malgré l’hybridation et le flux génique actuels, l’omble à tête plate et le Dolly Varden maintiennent un patrimoine génétique distinct et vivent en sympatrie (Baxter et al., 1997; Taylor et al., 2001; Redenbach et Taylor, 2003). La sélection postzygotique défavorable aux juvéniles hybrides paraît limitée, mais la sélection prézygotique due à l’isolement par les obstacles naturels est probablement forte étant donné les différences marquées du mode de vie affichées par les adultes des 2 espèces dans les milieux où elles coexistent (Hagen et Taylor, 2001). Les ombles à tête plate adulte sont normalement de grande taille (longueur à la fourche [LF] de 40 à 90 cm), migrateurs ou lacustres, et piscivores, tandis que les Dolly Varden adultes sont plus petits (LF de 12 à 21 cm), vivent dans les cours d’eau et se nourrissent de petites proies passant à leur portée (Hagen et Taylor, 2001; Redenbach et Taylor, 2003). La différence de taille entre ces 2 espèces sympatriques constitue vraisemblablement un obstacle direct à l’accouplement interspécifique, en même temps qu’elle influe sur le choix de l’habitat de reproduction (Hagen et Taylor, 2001). La situation est nettement différente lorsque les espèces vivent en allopatrie, chacune élargissant alors son habitat et sa niche trophique pour utiliser les ressources dont dépendent également d’autres espèces sympatriques. Comme on l’a laissé entendre dans le cas d’autres salmonidés (voir par exemple Campton et Utter, 1985), de telles différences de mode de vie pourraient également intervenir dans la sélection postzygotique extrinsèque défavorable aux hybrides à des stades vitaux ultérieurs.

L’omble à tête plate ne vit en sympatrie avec le Dolly Varden que dans une portion limitée de son aire de répartition, mais il est naturellement sympatrique avec la truite arc-en-ciel ou la truite fardée dans la majeure partie de son aire de répartition. Ses interactions avec ces espèces ou avec le saumon rouge pourraient lui être profitables en lui garantissant une source d’aliments de haute qualité (Beauchamp et Van Tassell, 2001; Jamieson, comm. pers., 2010), mais pourraient également se traduire en une compétition féroce (p. ex., dans le cas de la truite fardée; Nakano et al., 1992; Jakober et al., 2000). Ces interactions ont peu attiré l’attention des chercheurs, comparativement à celles intéressant d’autres espèces d’ombles (examiné par Dunham et al., 2008), mais il demeure que la température pourrait influer sur l’aptitude de l’omble à tête plate à soutenir la concurrence de ces espèces (examiné par Stewart et al., 2007b). L’omble à tête plate est plus abondant que la truite arc-en-ciel lorsqu’il vit en sympatrie avec cette espèce à des températures inférieures à 13 °C, mais la situation est inversée à des températures plus élevées. Par ailleurs, l’omble à tête plate vit en allopatrie plutôt qu’en sympatrie avec la truite fardée du versant ouest dans les milieux plus chauds (Pratt, 1984). De plus, dans les cours d’eau froids des bassins versants glaciaires, l’omble à tête plate pourrait marquer une préférence pour les aires de fraye situées dans les affluents plus grands, à plus faible gradient et au substrat constitué de gravier et de galets. Cependant, dans les systèmes non glaciaires dont les portions aval sont dominées par la truite arc-en-ciel ou les saumons du Pacifique, l’omble à tête plate cherche d’ordinaire son aire de fraye le plus en amont possible, dans les cours d’eau à gradient plus fort et en amont des obstacles qui bloquent le passage à ces autres espèces (examiné par Hagen et Decker, 2011).

Les interactions de l’omble à tête plate avec un autre salmonidé indigène, le touladi (Salvelinus namaycush), ont fait l’objet d’une certaine attention. L’aire de répartition du touladi, espèce dont les adultes sont piscivores comme l’omble à tête plate, s’étend sur la majeure partie du continent nord-américain, au nord du 45e parallèle. Elle englobe environ 40 % de l’aire de répartition de l’omble à tête plate, à l’est et au nord (Donald et Alger, 1993). La concurrence découlant du chevauchement important des niches essentielles à l’alimentation et à la croissance, et la prédation opportuniste réciproque pourraient expliquer le caractère quelque peu disjoint de leurs aires de répartition; elles ont tendance à s’exclure mutuellement des petits lacs nordiques, mais coexistent souvent dans les lacs plus grands (Donald et Alger, 1993). Le grand lac Babine, dans le bassin de la Skeena, en Colombie-Britannique, fait exception à cette règle puisqu’on n’y trouve que des touladis, et ce, même s’il semble constituer un habitat propice pour l’omble à tête plate. L’omble à tête plate est cependant commun dans la rivière Babine, immédiatement en aval, ce qui indique qu’il détiendrait un avantage concurrentiel en eau courante, alors que le touladi serait avantagé dans le lac (McPhail, 2007). Des indices supplémentaires de l’avantage concurrentiel détenu par le touladi sur l’omble à tête plate dans les lacs s’observent dans la portion méridionale de la zone de sympatrie, où l’omble à tête plate lacustre a tendance à occuper les lacs à plus grande altitude (> 1 500 m), et le touladi, ceux à plus basse altitude (< 1 500 m; Donald et Alger, 1993), souvent accompagné dans les affluents d’ombles à tête plate allopatriques fluviaux ou sédentaires. L’introduction de touladis non indigènes dans 2 lacs de plus grande altitude dans cette région a entraîné l’éviction de l’omble à tête plate indigène (Donald et Alger, 1993).

Compétition interspécifique avec des salmoninés non indigènes

L’hybridation actuelle avec le Dolly Varden ne pose aucun risque pour l’intégrité des populations d’ombles à tête plate, mais les interactions directes (p. ex., hybridation, compétition) avec plusieurs espèces de salmoninés introduites pourraient déplacer les populations d’ombles à tête plate et les menacer de disparition dans beaucoup des milieux de sa vaste aire de répartition. Dans l’ouest de l’Amérique du Nord, la truite arc-en-ciel, la truite brune et l’omble de fontaine sont les salmoninés non indigènes les plus répandus (Fuller et al., 1999). On considère en particulier que l’omble de fontaine constitue une menace importante pour les populations d’ombles à tête plate (voir Menaces et facteurs limitatifs). Cette espèce occupe des milieux semblables à ceux utilisés par les truites et les ombles indigènes, et on la trouve souvent en aval ou à l’intérieur même de l’aire de répartition de l’omble à tête plate (Paul et Post, 2001; Rieman et al., 2006; Earle et al., 2007). Cette ségrégation dépend vraisemblablement des interactions directes entre les espèces. L’omble de fontaine entre en compétition avec l’omble à tête plate pour la nourriture et l’habitat (Nakano et al., 1998; Gunkel et al., 2002; McMahon et al., 2007). L’incapacité de l’omble à tête plate de partager les ressources disponibles ou de changer de niche en présence de l’omble de fontaine (Gunkel et al., 2002) le rend vulnérable à l’éviction, en particulier lorsque les ressources sont rares. Les caractéristiques du cycle vital de l’omble de fontaine (maturation plus rapide, durée de vie plus courte et densités plus élevées comparativement à l’omble à tête plate; McPhail, 2007; Earle et al., 2007) tendent à exacerber cette situation. La présence de l’omble de fontaine a tendance à réduire l’occurrence de l’omble à tête plate (Rich et al., 2003), et l’analyse hiérarchique vient étayer l’hypothèse voulant que l’omble de fontaine refoule l’omble à tête plate vers l’amont (Rieman et al., 2006). Les incidences écologiques de l’omble de fontaine non indigène sur l’omble à tête plate sont néanmoins très variables et dépendent vraisemblablement des conditions environnementales (p. ex., la température de l’eau) ainsi que des échelles d’observation spatiale et temporelle (voir par exemple Dunham et Rieman, 1999; Rich et al., 2003; Rieman et al., 2006; Earle et al., 2007; McMahon et al., 2007).

L’éviction de l’omble à tête plate due à la compétition avec l’omble de fontaine pourrait être exacerbée par le gaspillage de gamètes découlant de l’hybridation (Leary et al., 1993). On connaît mal la portée géographique de l’hybridation, mais des données génétiques ont documenté une hybridation étendue en Colombie-Britannique (McPhail et Taylor, 1995) et au Montana (Leary et al., 1993; Kanda et al., 2002). Elle pourrait donc être répandue et commune partout ou les deux espèces coexistent. Les hybrides F1 sont surtout des mâles partiellement stériles (Leary et al., 1993; Kanda et al., 2002), bien que certains rétrocroisements mis en lumière par l’analyse moléculaire laissent conclure que les hybrides F1 peuvent bel et bien se reproduire (Kanda et al., 2002; McPhail et Taylor, 1995). La survie et la fécondité réduites de ces hybrides contribuent vraisemblablement à prévenir leur production massive (Kanda et al., 2002), mais l’hybridation fréquente n’en provoque pas moins un gaspillage de l’effort de reproduction. Dans de tels cas, une des espèces parentales devrait être favorisée par rapport à l’autre, entraînant ainsi l’éviction ou la disparition de cette dernière. Or, outre le fait que l’omble de fontaine bénéficie d’une maturation plus précoce et de densités de population plus élevées, la prédominance des accouplements d’ombles à tête plate femelles et d’ombles de fontaine mâles (Leary et al., 1993; Kanda et al., 2002) vient encore aggraver le gaspillage de l’effort de reproduction chez l’omble à tête plate.

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