Caribou de Peary et caribou de la Toundra évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 9

Taille et tendances des populations

Il est difficile de documenter les tendances des populations avec une étroite limite de confiance, parce que les recensements sont irréguliers, et que la couverture et les méthodes n’en sont pas constantes. Les recensements sont en effet coûteux à cause de la grande superficie en jeu, et les conditions météorologiques peuvent empêcher de mener à bien un recensement planifié. Le caribou, de son côté, complique les choses en se déplaçant de manière imprévisible d’une île de son aire de répartition à l’autre, de sorte qu’il faut couvrir toutes les grandes îles pour être sûr de ne pas manquer une fraction importante des troupeaux. Il n’a jamais été possible de recenser toutes les populations au cours d’une même année. La plus grande partie de l’ouest des îles Reine-Élisabeth n’a été couverte dans un même recensement qu’à trois reprises : en 1961, de 1972 à 1974 et 1997. Divers auteurs ont utilisé des hypothèses différentes pour extrapoler aux îles non couvertes dans un recensement les estimations de populations établies dans un autre afin de les comparer. De plus, certains auteurs incluaient les faons et d’autres pas, ce qui rend difficile de faire des comparaisons entre les recensements. Enfin, les recensements aériens des populations de faible densité et formées en groupes peuvent avoir des intervalles irréalistement larges ou étroits, selon la proportion des groupes saisie dans les transects. Les intervalles de confiance donnés dans le texte doivent se comprendre comme « ± l’écart type », à moins d’indication contraire. Les graphiques de la présente section ne montrent pas les intervalles de confiance (qui dans de nombreux cas n’étaient pas disponibles), et il ne faudrait pas présumer que chaque point est significativement différent de ses voisins. Les cas où la validité des tendances ou des estimations sous-jacentes est douteuse font l’objet d’une discussion individuelle.

En 1961, Tener (1963) a terminé le seul recensement des îles Reine-Élisabeth, estimant l’effectif à 25 802 individus. Donc, en tenant compte des caribous de Peary dans l’île Somerset et sur la péninsule de Booth, le total devait dépasser 30 000 caribous de Peary. En additionnant tous les premiers dénombrements de toutes les populations (qui ont été effectués des années différentes, avec jusqu’à 20 ans d’écart), on obtient un maximum de près de 50 000 caribous de Peary (annexe 1). À l’heure actuelle, il y a environ 7 000 caribous de Peary (tableau 10).

Îles Reine-Élisabeth

Dans l’ouest des îles Reine-Élisabeth, la population (nombre total de caribous, faons inclus) estimée à 24 320 en 1961 par Tener (1963), est tombée à 5 244 en 1973 et à 2 674 en 1974 (Miller et al., 1977a). En tout, il y avait quelque 2 100 individus en 1987 et 1 100 en 1997 (Miller et Gunn, 2003b). Ce déclin apparemment constant masque des tendances très différentes dans le complexe de l’île Melville et le complexe de l’île Bathurst.

Il est difficile d’estimer la population dans le complexe de l’île Melville parce que certains segments de la population locale font des migrations saisonnières entre l’île Melville et l’île Prince-Patrick; de plus, il y a des déplacements irréguliers entre ces deux îles et d’autres du complexe. Depuis le recensement de 1961 de Tener (Tener, 1963), la population a décliné. Elle a pu connaître entre 1987 et 1996 un rétablissement que ne révèlent pas les recensements aériens, trop espacés, mais qui peut être déduit du nombre estimatif de 371 carcasses trouvées en 1997 après la mortalité massive de l’hiver précédent (Miller, 1998; Gunn et Dragon, 2002; Miller et Gunn, 2003a). Les recensements aériens résumés par Gunn et Dragon (2002) montrent cependant que la population locale de l’île Melville a connu un déclin global régulier de 7,4 p. 100 par an entre 1961 et 1997 (figure 8). La population locale, plus petite, du groupe de l’île Prince-Patrick (dont les petites îles « satellites » d’Eglinton, Émeraude, Mackenzie King et Brock) a baissé à raison de 10,7 p. 100 par an pendant cette période (figure 8). Les recensements effectués dans les années 1970 et 1980 ne couvraient pas toutes les îles et ont donc donné des estimations inférieures à la ligne de tendance. Des mortalités massives imputables à de mauvaises conditions de neige dans les populations locales des îles Melville et Prince-Patrick, bien que n’apparaissant pas dans les données de tendances à long terme des populations issues des grands recensements, ont été déduites des dénombrements de carcasses effectués en 1974, 1995, 1996 et 1997 (Miller et Gunn, 2003a). Ces épisodes coïncidaient avec des mortalités massives dans le complexe de l’île Bathurst (voir ci-dessous). Le dernier recensement du complexe de l’île Melville, en 1997, se monte à 871±103 pour les caribous d’un an et plus, mais on n’a vu que deux faons, et aucun sur les îles principales (Gunn et Dragon, 2002). On trouvera les estimations et tendances de la population à l’annexe 1, tableau 5.

Figure 8. Déclins des populations locales des îles Melville et Prince-Patrick (tous caribous confondus; données tirées de Tener, 1963, et de Gunn et Dragon, 2002).

Figure 8.      Déclins des populations locales des îles Melville et Prince-Patrick (tous caribous confondus; données tirées de Tener, 1963, et de Gunn et Dragon, 2002).

C’est le caribou du complexe de l’île Bathurst qui a été le plus étudié. La population a décliné entre 1961 et 1973, s’est effondrée en 1973 et 1974, a remonté d’environ 13 p. 100 par an pendant les deux décennies suivantes (mais de façon plus prononcée entre 1988 et 1994, comme on l’a fait remarquer plus haut), et s’est à nouveau effondrée en 1995 et 1997. Le dernier recensement publié du complexe de l’île Bathurst, en 1997, a donné une estimation de 78 ± 26 pour les caribous d’un an et plus; il s’agissait surtout de biches en âge de se reproduire, ce qui porte à croire que le potentiel de rétablissement est élevé (Gunn et Dragon, 2002). Ce sont des hivers rigoureux, caractérisés par une couche de neige épaisse avec des épisodes de formation de glace, qui sont à l’origine des effondrements; les autres causes possibles, comme la chasse, la prédation, la concurrence avec le bœuf musqué ou la dégradation du fourrage, ont été éliminées (F.F. Slaney & Co. Ltd., 1975a; Milleret al., 1977a; Ferguson, 1987; Miller, 1991; Gunn et Dragon, 2002; Miller et Gunn, 2003b).

Dans deux recensements de mai 2001, Ferguson (Service de la faune du Nunavut, comm. pers., 19 novembre 2002) a estimé les populations à 240 (IC de 95 p. 100 = 150 à 283) et 289 (IC de 95 p. 100 = 166 à 503) au moyen d’échantillonnages des distances pour les caribous d’un an et plus dans l’île Bathurst (21 et 41 p. 100 des bassins versants exploités ont été couverts au cours de ces deux recensements). Le plus élevé, présenté à la figure 9, est utilisé dans les calculs; cependant, cette estimation n’est pas exactement comparable aux précédentes, puisque des méthodes différentes ont été utilisées. Les estimations et tendances de la population sont données à l’annexe 1, tableau 5.

Figure 9. Population du complexe de l’île Bathurst. Les données fournies par Gunn et Dragon (2002) pour les caribous d’un an et plus ont été remplacées par les estimations pour tous les caribous de F. Miller (SCF, comm. pers., 12 janvier 2003). Le dernier point concerne les adultes seulement pour l’île Bathurst (M. Ferguson, Gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 19 novembre 2002).

Figure 9.      Population du complexe de l’île Bathurst. Les données fournies par Gunn et Dragon (2002) pour les caribous d’un an et plus ont été remplacées par les estimations pour tous les caribous de F. Miller (SCF, comm. pers., 12 janvier 2003). Le dernier point concerne les adultes seulement pour l’île Bathurst (M. Ferguson, Gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 19 novembre 2002).

Le recensement le plus complet de l’est du complexe des îles Reine-Élisabeth a été effectué en 1961, et Tener (1963) a estimé la population à 1 482 individus. Bien que cette estimation soit prudente, certains Inuits de Grise Fiord et de Resolute Bay l’estiment trop importante (Ferguson et al., 2001). Riewe (1973) a estimé qu’il y avait environ 145 caribous dans le sud de l’île d’Ellesmere. En 1989, on a estimé à 90 le nombre de caribous du sud d’Ellesmere (Case et Ellsworth, 1991). Gauthier (1996) a dénombré 63 caribous dans le centre d’Ellesmere et dans l’île Axel-Heiberg en 1995, lors de recensements non systématiques. Ferguson et al. (2001) n’ont signalé aucune indication de mortalités massives de caribous dans le sud d’Ellesmere, où les Inuits de l’endroit circulent beaucoup à la fin de l’hiver et au printemps; cependant, certains de ceux-ci soupçonnent que le déclin apparent et les répartitions inhabituelles des années 1970 ont été causés par une activité sismique touchant de grandes superficies, et surtout dans d’importants habitats du caribou. Depuis le milieu des années 1990, on a trouvé des caribous à plusieurs endroits du sud d’Ellesmere et du nord de l’île Devon, où on n’en avait pas vu depuis les années 1960 (Ferguson et al., 2001). Ces dernières années, les caribous étaient en bonne condition physique, même les mâles adultes à la fin de l’hiver. Pendant deux de trois étés récents, un géoscientifique a remarqué plusieurs caribous dans l’île Ellef-Ringnes (Tener, 1963, en a vu 21 à cet endroit en 1961, et estimé la population à 114 individus). Bien qu’on ne puisse pas estimer avec certitude la population actuelle du complexe, l’équipe de rétablissement du caribou de Peary l’a estimée à environ 1 480 caribous, sur la base d’informations tant inédites que publiées (Peary Caribou Recovery Team, 2001). Les estimations et tendances de la population sont données à l’annexe 1, tableau 5.

Île Banks – nord-ouest de l’île Victoria

La population de l’île Banks et du nord-ouest de l’île Victoria a connu des déclins au début des années 1950 et 1960 (Elias, 1993; Gunn, 1993). La population locale de l’île Banks est par la suite remontée à un effectif estimatif de 12 098 en 1972 (Urquhart, 1973), et restée relativement stable jusqu’en 1982, année où Latour (1985) a estimé le nombre total de caribous à 11 034 (9 015 individus d’un an et plus) (données de P. Latour remaniées par J. Nagy, Service de la faune des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 2 février 2004). Son effectif a ensuite baissé entre 1982 et 1992 jusqu’à un chiffre estimatif de 1 018 caribous d’un an et plus, soit 757 à 1 279 avec un intervalle de confiance de 95 p. 100 (Nagy et al., 1996; Larter et Nagy, 2000a; J. Nagy, Service de la faune des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 2 février 2004). Le déclin semble s’être poursuivi dans les années 1990, si l’on se fie aux estimations plus basses de 1994 et 1998, mais les deux recensements ont connu des problèmes techniques, dont du mauvais temps. Si les chiffres sont valides, le taux de déclin entre 1982 et 1998 a été d’environ 17 p. 100 par an (λ=0,83) (figure 10). Le recensement de 2001 s’est déroulé dans d’excellentes conditions, et a fourni une estimation de 1196 caribous d’un an et plus (1137–1254 à IC de 95 p. 100), ce qui donne à penser que l’effectif a été stable ou augmenté légèrement dans les années 1990 (J. Nagy, Service de la faune des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 2 février 2004) (données figurant à l’annexe 1, tableau 7).

Figure 10. Populations estimatives de caribou de Peary dans l’île Banks (nombre total de caribous) (John Nagy, comm. pers., 2 février 2004).

Figure 10.    Populations estimatives de caribou de Peary dans l’île Banks (nombre total de caribous) (John Nagy, comm. pers., 2 février 2004).

Les tendances de la population locale du nord-ouest de l’île Victoria sont données à l’annexe 1, tableau 7, mais ne sont pas illustrées en raison de la forte incertitude. Le point le plus bas de cette population a été atteint au début des années 1960, époque marquée à la fois par un épisode de pluie verglaçante et par l’arrivée des autoneiges (Elias, 1993), et de nouveau au début des années 1990 (Gunn, 1993). Elle a connu des mortalités massives dans les années 1950, en 1977-1978 et dans les années 1980. Le déclin du caribou de Peary du nord-ouest de l’île Victoria a marqué un retard sur celui de l’île Banks (Elias, 1993).

L’estimation de 4 512 ± 988 faite en 1980 incluait les faons. En 1987, l’estimation de Gunn (1993) était de 3 500 caribous en tout; on n’a pas pu calculer de limites de confiance mais, comme l’estimation se situait dans l’intervalle de confiance de celle de 1980, il n’y avait pas d’indication de déclin. La population a ensuite baissé jusqu’à un nombre estimatif de 114 caribous adultes en 1993 (Gunn, 1993) et, en 1994, on n’a vu que 6 caribous (Nishi et Buckland, 2000). Il y a probablement eu une mortalité massive due aux conditions météorologiques en 1993-1994 : aucune carcasse n’a été signalée, mais l’hiver avait été exceptionnellement rigoureux. La population est ensuite apparemment remontée à 508 ± 75 caribous d’un an et plus (633 ± 81 pour la totalité des caribous) en 1998 (Inuvialuit Game Council, 2002b) et 1 272 ± 384 individus d’un an et plus, soit 1 628 ± 501 en tout (J. Nagy, Service de la faune des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 6 janvier 2003) en 2001.

Une augmentation de 114 en 1993 à soit 633 en 1998 soit 1 628 en 2001 exigerait un taux d’environ 40 p. 100 par an (l=1,41 et 1,39, respectivement), ce qui dépasse le potentiel reproducteur maximal du caribou discuté plus haut. Une explication pourrait en être l’immigration en provenance de l’île Banks. Il est toutefois plus probable que certains, peut-être une fraction importante, des caribous du nord-ouest de l’île Victoria dénombrés en 1998 et 2001 aient en fait appartenu au troupeau de Dolphin-et-Union.

La plupart des caribous dénombrés dans le nord-ouest de l’île Victoria en juillet 2001 étaient à l’est de la baie Richard-Collinson, elle-même adjacente aux territoires exploités par le caribou de Dolphin-et-Union en 1987 et 1996-1998, si l’on se base sur la télémétrie satellitaire (Gunn et Fournier, 2000). Pour savoir si l’estimation de 2001 incluait des individus du troupeau de Dolphin-et-Union, John Nagy a assuré un suivi de son recensement de 2001 en fixant des colliers émetteurs pour satellite à 10 biches de l’est de la baie Richard-Collinson en août 2003. Ces 10 biches ont atteint la côte sud de l’île Victoria au début de novembre 2003, et neuf ont fait la traversée jusqu’au continent (une était morte entre temps). Ces déplacements suggèrent fortement que les caribous dénombrés dans le nord-ouest de l’île Victoria en 2001 incluaient un nombre inconnu de caribous de Dolphin-et-Union. Le troupeau de la baie Minto existe encore, puisqu’on a vu des pistes au nord de la baie en décembre 2003, mais l’étendue de son rétablissement reste incertaine (J. Nagy, Gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 25 janvier 2004; A. Gunn, Gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 20 février 2004).

Des chasseurs de Holman, dans l’ouest de l’île Victoria, ont chassé le caribou du troupeau de la baie Minto (c.-à-d. du nord-ouest de l’île Victoria) en hiver, mais des difficultés à faire la distinction entre les registres de récolte de la baie Minto et ceux de Dolphin-et-Union ont empêché d’établir une analyse détaillée des effets de la chasse. Il faudra mener d’autres travaux afin de se doter d’une base pour faire la distinction entre les registres de récolte pour les deux populations de l’île Victoria, ainsi qu’entre leurs aires de répartition respectives, en particulier les aires de mise bas (Nishi et Buckland, 2000).

Étant donné l’improbabilité que la population du nord-ouest de l’île Victoria ait augmenté de 40 p. 100 par an après 1993 et la certitude qu’au moins certains des caribous comptés appartenaient au troupeau de Dolphin-et-Union, les estimations doivent être ajustées. À des fins de calcul des tendances et de détermination de la situation actuelle, le rédacteur a arbitrairement coupé de moitié l’estimation de 2001 dans les tableaux 7 et 10.

Dolphin-et-Union

Anderson (1922), mammalogiste qui a étudié la faune de la région de la baie du Couronnement de 1908 à 1916, a estimé entre 100 000 et 200 000 les animaux traversant le détroit de Dolphin-et-Union. Manning (1960) a conservé la valeur la plus basse, en partie sur la base de la densité projetée pour la population de la région de l’île Victoria comparativement aux autres densités du caribou de la toundra. Les caribous de Dolphin-et-Union ont cessé de migrer à travers le détroit de Dolphin-et-Union après les environs 1924. Cependant, des individus morphologiquement similaires mais au génotype distinct occupent maintenant l’île, et la plupart migrent par le détroit de Dolphin-et-Union, un peu comme avant. Il pourrait s’agir d’une population relique actuellement en train de se rétablir ou de caribous indigènes résidents ou, moins probablement, d’un mélange des deux assorti de caribous de la toundra continentaux.

La plus récente estimation était de 1 000 caribous en 1949, dont l’aire de répartition estivale entourait le détroit de Prince-Albert (Banfield, 1950). En 1980, on estimait qu’il y avait 7 936 ± 1 100 caribous dans l’île Victoria (Jackimchuk et Carruthers, 1980), mais 4 512 ± 988 étaient des caribous de Peary, dans le nord-ouest de l’île, ce qui laissait 3 424 ± 522 caribous de Dolphin-et-Union dans le reste de l’île. Cette estimation fait cependant problème, comme on le verra plus bas. Des recensements postérieurs ont dénombré 14 529 ± 1 016 caribous en 1994 et 27 786 ± 3 366 en 1997 (Gunn et Nishi, 1998).

La figure 11 présente les données de population avec une ligne de tendance ajustée pour la période de 1980 à 1997, une augmentation annuelle d’environ 13 p. 100 (la ligne de tendance et le taux estimatif répartissent la différence entre l’estimation de 1994, qui est trop basse pour le modèle de croissance exponentielle, et l’estimation de 1997, qui est trop élevée). Cependant, si on calcule séparément les taux annuels d’augmentation entre 1980 et 1994 et entre 1994 et 1997, le premier aurait été de 11 p. 100 et le second de 24 p. 100 (de 14 529 à 27 786, trois années de reproduction,l=1,24).

Figure 11. Estimations et tendance de la population totale de caribou du troupeau de Dolphin-et-Union, avec barres d’erreur (ET) pour les points de données (données de Gunn et Nishi, 1998).

Figure 11.    Estimations et tendance de la population totale de caribou du troupeau de Dolphin-et-Union, avec barres d’erreur (ET) pour les points de données (données de Gunn et Nishi, 1998).

Malgré l’apparente précision des estimations, ces valeurs sont douteuses. D’abord, le recensement de 1980 ne couvrait qu’une partie de l’île, de sorte que, s’il a omis un ou plusieurs groupes relativement gros de caribous, la population a pu être sous-estimée. Ensuite, les récoltes annuelles pour Cambridge Bay étaient de 2 351 ± 59 en 1983 (Jingfors, 1986) et 1 445 ± 38 en 1994 (Kitikmeot Hunters' and Trappers' Association, 1996) et, pour toutes les collectivités de la fin des années 1980 au début des années 1990, de 2 000 à 3 000 (Gunn et Nishi, 1998). Une population de seulement ~3 200 caribous n’aurait pas pu supporter une telle pression de récolte. Par conséquent, ou bien le recensement de 1980 sous-estimait les effectifs, ou bien l’augmentation subséquente était en partie due à l’immigration. Si c’est le cas, les taux d’augmentation tant de 1980 à 1994 que de 1980 à 1997 auraient été inférieurs aux valeurs respectives de 11 et 13 p. 100 par an qui ont été avancées plus haut.

Selon le savoir traditionnel autochtone rapporté par Elias (1993), aussi bien la chasse que les conditions météorologiques ont contribué au déclin du début des années 1900 : un ancien se souvient d’avoir chassé le caribou à l’arc à partir de kayaks, après avoir rabattu les animaux dans l’eau. Ce n’est que plus tard, avec la possession généralisée d’armes à feu et, après les années 1960, d’autoneiges, que la chasse a affecté les populations. Plusieurs anciens ont évoqué des gaspillages de viande après qu’on a commencé à utiliser des fusils performants et à tuer les caribous uniquement pour la peau. En périodes de pluie verglaçante, à l’automne (plusieurs anciens se souviennent d’un épisode survenu dans les années 1960), les anciens pensaient que le caribou s’éloignait et trouvait facilement de la végétation qui n’était pas couverte de glace, étant donné la grande taille de l’île Victoria.

Îles Prince-de-Galles – Somerset

Malgré la rareté des données sur la population, on voit nettement un grave déclin récent. Le savoir traditionnel autochtone révèle que le caribou de Peary des îles Prince-de-Galles et Somerset a connu un déclin dans les années 1930 et était rare au milieu des années 1940 (Ferguson et al., 2001). La population a commencé à augmenter à la fin des années 1950, et est restée stable dans les années 1970. Les nombres estimatifs de caribous adultes pour 1974 et 1975 étaient respectivement de 4 540 et 3 607 (Fischer et Duncan, 1976). En prenant en compte le pourcentage de faons dénombrés lors de vérifications ponctuelles dans les îles Prince-de-Galles et Somerset, il y avait en tout 5 516 et 4 383 caribous en 1974 et 1975, respectivement. En 1980, Gunn et Decker (1984, cités in Gunn et Dragon, 1998) y ont estimé l’effectif à 5 100 caribous d’un an et plus (6 043 individus en tout). En 1995, Gunn et Dragon (1998), pour donner suite aux préoccupations des Inuits quant à la difficulté de trouver les caribous pendant les sorties de chasse en hiver, ont recensé la région couverte en 1980, à l’aide des mêmes méthodes. Les observateurs, parmi lesquels figurait un chasseur inuit chevronné, ont dénombré sept caribous dans les îles Prince-de-Galles et Somerset, donc pas assez pour faire une estimation valide de la population. (On utilise ici 60 ± 20 comme estimation aux fins des présentations en graphiques et tableaux, comme le suggère F. Miller, Service canadien de la faune, comm. pers., 21 décembre 2002). Un déclin régulier de 6 043 caribous adultes à 60 représenterait un déclin de 26 p. 100 par an (l= 0,73529). La figure 12 présente les estimations, avec une courbe de décroissance de la population de 26 p. 100 (de 6 043 à 60) pour 1980-1995. Il pourrait cependant être risqué d’afficher la courbe de décroissance de la population avec sa tendance estimative, parce que le déclin pourrait avoir été brutal plutôt que graduel.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les récoltes annuelles étaient de 150 à 250 caribous à l’époque où les chasseurs de Resolute ont décidé de ne plus chasser dans l’île Bathurst après la mortalité massive de 1973 et 1974 et ont à la place exploité les îles Prince-de-Galles et Somerset (Gunn et Decker, 1984). Les récoltes ont ensuite baissé à la fin des années 1980 pour s’y situer entre 85 et 170 animaux (Donaldson, 1988, et A. Idlout, comm. pers., cité in Ferguson et al., 2001). Il y a cependant un facteur d’incertitude : l’ampleur de la récolte sur la péninsule de Booth, où hivernent certains caribous des îles Prince-de-Galles –Somerset, par les chasseurs de Taloyoak.

Le déclin de la population de caribou de Peary de Prince-de-Galles – Somerset a coïncidé avec des augmentations des populations de caribou de Peary sur la péninsule de Booth au sud et dans le complexe de l’île Bathurst au nord, et du troupeau de Dolphin-et-Union de caribou de la toundra à l’ouest. Il est possible que, plutôt qu’une baisse d’effectif due à des mécanismes internes, il se soit agi d’une émigration d’un grand nombre d’individus. Dans ce cas, la péninsule de Booth est la destination la plus probable; cependant, Gunn et Dragon (1998) ont trouvé peu d’indications d’une immigration dans le recensement qu’ils y ont mené en 1995. Par ailleurs, les chasseurs inuits de Taloyoak préfèrent le caribou de Peary (qu’ils appellent « kingailik tuktu », ou « caribou de l’île Prince-de-Galles ») parce que sa chair est plus tendre et plus savoureuse (F. Miller, Service canadien de la faune, 21 décembre 2000). Les taux de récolte élevés (environ 22 p. 100 par an) à la fin des années 1980 sur une population de seulement quelque 4 800 caribous (estimation de 1985) suggèrent ce genre d’apport (autrement dit, la population se trouvait augmentée par des immigrants venus du nord). Fisher et Duncan (1976) pensaient aussi que le caribou du complexe Prince-de-Galles – Somerset avait migré vers la péninsule de Booth entre 1974 et 1975, parce les baisses du premier effectif étaient concomitants à des augmentations du second.

Certains Inuits de Resolute Bay croyaient que le déclin était dû aux effets de fortes densités de caribous sur le fourrage (Ferguson et al., 2001) et au moins un d’entre eux croyait, sans toutefois en avoir d’indications concrètes, que certains avaient migré vers le complexe de l’île Bathurst (D. Kaomayok, de Resolute Bay, cité dans Gunn et Dragon, 1998). Ils n’avaient constaté aucune indication de conditions de neige particulièrement rigoureuses et croyaient qu’il restait de bons nombres de caribous de Peary dans l’île Somerset, malgré le faible dénombrement de Gunn et Dragon en 1995. Ce dénombrement concordait cependant avec un recensement aérien non systématique mené dans des conditions idéales en mai 1996 et au cours duquel Miller (1997a) n’avait trouvé que 2 caribous et presque pas de traces. De plus, d’autres Inuits du même village ne mentionnaient ni la concurrence ni l’appauvrissement du fourrage, et pensaient que les causes pouvaient être la prédation par le loup ou la maladie (F. L. Miller, Service canadien de la faune, 21 mai 2003, rappelant une réunion tenue à Grise Fiord en octobre 1997, à laquelle assistaient plusieurs Inuits de Resolute Bay).

Gunn et Dragon (1998) ont examiné les causes possibles du déclin, dont l’inexactitude des recensements, l’émigration et des facteurs affectant les taux de décès et/ou de natalité, comme la chasse, la prédation, les conditions météorologiques pendant l’hiver, les maladies, les parasites et la concurrence avec la population de bœufs musqués, en expansion. Ils n’avaient que des données éparses sur la production de faons et la survie, qui ne suggéraient cependant pas une dépression due à la rigueur de l’hiver; il n’y avait pas non plus d’indication de mortalité massive (les chasseurs inuits de Resolute ont signalé la présence de quelques carcasses pendant l’hiver de 1992, mais celles-ci ne révélaient pas une mauvaise condition physique de l’animal). Malgré l’absence de données sur les populations de loups dans la région, selon les chasseurs de Resolute Bay, le nombre de loups avait augmenté dans l’île Prince-de-Galles dans les années 1990, et le quintuplement de la population de bœufs musqués pouvait alimenter une forte population de loups. Rien n’indiquait non plus qu’un été plus sec ait pu réduire la croissance des végétaux, pour laquelle l’humidité est un facteur limitant, au point d’affecter les réserves de gras nécessaires pour survivre à l’hiver (Gunn et Dragon, 2002). Même s’ils ne pouvaient attribuer la totalité du déclin à aucun de ces facteurs, ils ont conclu que (a) la récolte avait pu y jouer un rôle au début des années 1980, époque où les chasseurs prenaient de 150 à 250 caribous par an, et (b) la prédation ou la mauvaise alimentation pendant l’hiver (peut-être à cause de la concurrence avec le bœuf musqué, ou du changement climatique) avaient pu le précipiter. Dans tous les cas, les effectifs sont maintenant si bas que le rétablissement sera lent et incertain (Gunn et Dragon, 1998).

Figure 12. Estimations et tendances de la population pour tous les caribous du complexe insulaire Prince-de-Galles – Somerset (données tirées de Gunn et al., 2000b).

Figure 12.    Estimations et tendances de la population pour tous les caribous du complexe insulaire Prince-de-Galles – Somerset (données tirées de Gunn et al., 2000b).

Péninsule de Booth

Sur la péninsule de Booth, les caribous étaient abondants avant les années 1930 à 1940, époque où la migration à travers l’isthme de Boothia s’est tarie, puis arrêtée (Gunn, 1998a). Des chasseurs inuits ont dit que les caribous étaient rares dans les années 1950, et un recensement non systématique du Service canadien de la faune n’a repéré aucun animal en 1958; cependant, Fisher et Duncan (1976) ont trouvé sur la péninsule de Booth des nombres estimatifs de 428 caribous adultes en 1974 et 1 443 en 1975. En prenant en compte le nombre de faons observés dans les vérifications ponctuelles, les estimations de l’effectif total de caribous pour 1974 et 1975 étaient respectivement de 556 et 1 890. Dans ces recensements, on ne faisait pas la distinction entre le caribou de la toundra et le caribou de Peary, mais on présumait que la population se composait essentiellement de caribous de Peary (Gunn, 1998a).

Les estimations pour la péninsule de Booth ont apparemment augmenté, passant de 4 831 ± 543 individus d’un an et plus à un total de 6 658 ± 1 728 caribous entre 1984 et 1995 (Gunn et Dragon, 1998; Gunnet al., 2000b), mais l’importance de l’erreur type mine la significativité statistique de ces chiffres. De plus, le recensement de 1985 a été mené au début de la saison de mise bas, et les quelques faons observés n’ont pas été comptés dans le total, alors que celui de 1995 était postérieur à la mise bas et les faons y ont été inclus, ce qui complique encore plus la comparaison (A. Gunn, gouvernement des Territoires du nord-ouest, comm. pers., 22 novembre 2002). Gunn et Dragon (1998) ont noté que les observateurs de 1995 ne faisaient pas la différence entre le caribou de Peary et le caribou de la toundra, alors que les deux étaient présents. Le caribou de la toundra avait apparemment connu une augmentation sur la péninsule de Booth (Gunn, 1998a) et le caribou de Peary une baisse (F. Miller, Service canadien de la faune, comm. pers., 21 décembre 2002). La préférence des Inuits de Taloyoak pour le caribou kingailik, mentionnée plus haut, pourrait expliquer des variations dans la prédominance d’une sous-espèce, tout comme d’autres facteurs tels que des changements dans la végétation dus au changement climatique. Si la moitié seulement des individus de 1995 étaient des caribous de Peary, comme le pense F. Miller (Service canadien de la faune, comm. pers., 21 décembre 2002), l’estimation tomberait à 3 329, soit un taux de déclin constant de 3,7 p. 100 par an entre 1985 et 1995 (figure 13). Ces estimations, bien que les meilleures disponibles, demeurent fort peu satisfaisantes.

Figure 13. Estimations et tendance de la population de la péninsule de Booth (données tirées de Fisher et Duncan, 1976, et de Gunn et Dragon, 1998), l’estimation de 1995 étant réduite de 50 p. 100 pour prendre en compte la population de caribou de la toundra qui avait été incluse dans le dénombrement.

Figure 13.    Estimations et tendance de la population de la péninsule de Booth (données tirées de Fisher et Duncan, 1976, et de Gunn et Dragon, 1998), l’estimation de 1995 étant réduite de 50 p. 100 pour prendre en compte la population de caribou de la toundra qui avait été incluse dans le dénombrement.

Autres îles

L’île du Roi-Guillaume et les petites îles avoisinantes accueillaient autrefois de grands nombres de caribous, que l’on pensait avoir migré en provenance du continent, mais les migrations ont apparemment cessé dans les années 1930 (Miller, 1991). Peu d’individus y ont été vus au cours des récents recensements. Cependant, les Inuits de Gjoa Haven distinguent deux types de caribou sur l’île du Roi-Guillaume : le caribou du continent (autrement dit, caribou de la toundra) et le caribou de type Peary, qu’ils pensent venu de l’île Victoria (autrement dit, caribou de Dolphin-et-Union); selon eux, ce n’est que depuis quelques années qu’il arrive des caribous du continent en provenance de la baie de la Reine-Maud, mais leur nombre augmente chaque année (Dave White, gouvernement du Nunavut, comm. pers., 6 février 2004).

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