Morse de l'Atlantique (Odobenus rosmarus rosmarus) programme de rétablissement : chapitre 2

Contexte

1. Contexte[1]

1.1 Résumé d’évaluation du COSEPAC

Date de l'évaluation : Mai 2000 Nom commun (population) Morse de l'Atlantique - population de l'Atlantique Nord-Ouest Nom scientifique Odobenus rosmarus rosmarus Désignation du COSEPAC Disparue du pays Raison de la désignation Disparue du pays par exploitation Présence au Canada Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador, océan Atlantique Historique de la désignation Disparue du pays alentour de 1850. Désignée comme disparue du pays en avril 1987. Désignation réexaminée et confirmée en mai 2000. Dernière évaluation fondée sur un Rapport de situation.

1.2 Description

Le morse est un mammifère marin grégaire de grande taille dont les membres antérieurs et postérieurs se sont développés en nageoires. Bien qu’il soit apparenté aux phoques et aux otaries, le morse se distingue des autres espèces de mammifères marins par ses défenses, qui sont des canines supérieures hypertrophiées, et par sa moustache composée de vibrisses en aiguillons. Chez les adultes, les mâles sont plus gros que les femelles, et leurs défenses sont plus longues et plus larges. La peau, qui porte peu de poils, est d’un brun cannelle, mais elle peut prendre une teinte rosée les journées chaudes ou presque blanche après une longue plongée en eau froide. À la naissance, les morses de l’Atlantique mesurent 120 cm de long et pèsent 55 kg environ; les mâles atteignent environ 315 cm et 1 100 kg, et les femelles, environ 280 cm et 800 kg. Comme l’otarie, le morse peut se dresser sur ses nageoires antérieures.

Les morses sont polygynes (chaque mâle peut s’accoupler avec plusieurs partenaires) et les mâles se disputent les femelles à la période d’accouplement. Celui-ci a lieu dans l’eau de février à avril. La plupart des petits naissent en mai ou juin de l’année suivante et sont allaités jusqu’à l’âge de 25 à 27 mois. Les femelles sont très maternelles et l’ensemble du troupeau protège les petits, ce qui peut aboutir à de forts taux de survie des juvéniles.Les femelles mettent bas environ tous les trois ans.

Chez les morses, l’âge maximal peut dépasser 35 ans. Les femelles atteignent la maturité entre 5 et 10 ans et les mâles entre 7 et 13 ans. En raison du faible taux de reproduction (taux de reproduction annuel brut d’environ 10 %), les morses sont vulnérables à la mortalité due à des causes humaines, y compris à la chasse.

Les morses passent un certain temps hors de l’eau sur des « échoueries » situées sur la glace ou sur la terre, où ils se regroupent parfois en troupeaux abondants. Ils fréquentent ces échoueries pour se reposer, pour entretenir des rapports sociaux et pour mettre bas et nourrir leurs petits. Ils préfèrent s’échouer sur la glace, mais selon une hypothèse, les échoueries terrestres leur offrent l’avantage d’une température stable au niveau de la peau et des extrémités, ce qui favorise la régénération de la peau et la guérison des blessures. On connaît mal les besoins physiologiques du morse ou sa capacité d’adaptation aux variations dans la disponibilité de la nourriture ou dans les conditions environnementales.

1.3 Populations et répartition

Les morses ont une répartition circumpolaire arctique et subarctique discontinue, comprenant des sous-espèces distinctes dans l’Atlantique (Odobenus rosmarus rosmarus) et dans le Pacifique (O. r. divergens).L’aire de répartition traditionnelle des morses de l’Atlantique s’étend depuis le centre de l’Arctique canadien, à l’ouest, jusqu’à la mer de Kara (Russie), au nord, et depuis Svalbard (archipel de la mer de Barents situé au nord de la Norvège) jusqu’à la Nouvelle-Écosse, au sud. Il existe deux populations bien distinctes à l’intérieur de cette aire de répartition, l’une à l’est du Groenland et l’autre, à laquelle appartiennent tous les individus canadiens, à l’ouest du Groenland. Cette dernière peut être subdivisée en sous-populations canadiennes, décrites ci-après.

Au Canada, l’aire de répartition des morses de l’Atlantique s’étend depuis l’île Bathurst et l’île Prince-de-Galles, à l’ouest, jusqu’au détroit de Davis, à l’est, et depuis la baie James, au sud, jusqu’au bassin Kane, au nord. Autrefois, à l’époque où les non-Autochtones ont rencontré l’espèce pour la première fois, l’aire de répartition du morse s’étendait, au sud, le long de la côte du Labrador jusqu’au golfe du Saint-Laurent, à Terre-Neuve et à la Nouvelle-Écosse (figure 1). Durant les périodes glaciaires, l’aire de répartition du morse a pu s’étendre au sud jusqu’à la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Géorgie.

Figure 1. Aire de répartition historique approximative du morse de l’Atlantique au Canada. (Source : COSEPAC sous presse.)

On a reconnu qu’il existait au Canada cinq populations de morses de l’Atlantique, réparties entre la Nouvelle-Écosse et l’Extrême-Arctique. Aux fins de la gestion, le MPO considère actuellement qu’il y a quatre populations existantes, se distinguant par leur répartition géographique, les variations dans leur abondance, les teneurs en contaminants et les rapports et signatures des isotopes du plomb. Il s’agit des populations 1) du sud et de l’est de la baie d’Hudson; 2) du nord de la baie d’Hudson et du détroit de Davis; 3) du bassin Foxe et 4) de la baie de Baffin (dans l’Extrême-Arctique) (COSEPAC 2006). On ne sait pas dans quelle mesure ces populations sont génétiquement isolées les unes des autres, et chacune d’elles pourrait être constituée de sous-unités qui ne se mélangent pas du tout ou pratiquement pas.  

Une cinquième population, celle de l’Atlantique Nord-Ouest, occupait autrefois la région qui comprend l’île de Sable, la côte est de la Nouvelle-Écosse et le golfe du Saint-Laurent. Cette population, dont on pensait initialement qu’elle se chiffrait à des dizaines de milliers d’individus, a été lourdement exploitée pendant au moins cent ans aux XVIIe et XVIIIe siècles, si bien qu’elle avait disparu du pays dès la fin du XVIIIsiècle.

Il est possible que la répartition de toutes les populations canadiennes ait déjà été continue. Le morse est capable de parcourir de longues distances, en nageant ou en dérivant, mais on sait peu de choses sur l’ensemble de ses migrations.

Bien qu’on reconnaisse actuellement cinq populations de morses de l’Atlantique au Canada (COSEPAC 2006), le présent Programme de rétablissement s’appuie sur le document du COSEPAC (sous presse), qui reconnaît deux populations canadiennes aux fins de désignation, soit une population existante, celle de l’Arctique, et une population disparue du pays, celle de l’Atlantique Nord-Ouest. C’est cette population de l’Atlantique Nord-Ouest qui figure sur la Liste des espèces en péril (annexe 1 de la LEP) établie par le gouvernement fédéral et qui est visée par le présent Programme de rétablissement. 

1.4 Besoins au long du cycle vital

Toute l’information présentée sur les besoins biologiques et les besoins en matière d’habitat du morse de l’Atlantique est fondée sur ce qu’on sait de la population qui existe encore dans l’est de l’Arctique.

 1.4.1 Besoins biologiques et besoins en matière d’habitat

Les morses de l’Atlantique ont besoin de grandes étendues d’eau relativement peu profondes (80 m ou moins) dont le substrat de fond renferme une communauté productive de bivalves, d’eaux généralement libres à la surface de ces aires d’alimentation et d’échoueries où ils peuvent se hisser sur la glace ou la terre ferme à proximité. Au nord, ils restent sur la banquise mouvante presque toute l’année, mais lorsque la glace devient insuffisante en été et en automne, ils tendent à se rassembler dans quelques échoueries terrestres situées en des endroits prévisibles. À terre, l’espèce trouve un habitat propice sur les rivages bas et rocheux aux zones sublittorales escarpées ou en escalier qui offrent aux animaux un accès facile à la mer.

Les morses de l’Atlantique se nourrissent principalement de proies benthiques (vivant au fond de la mer) à des profondeurs de 10 à 80 m. Certaines de leurs plongées peuvent durer 24 minutes. Les morses détectent leurs proies à l’aide de leurs moustaches sensibles; d’après l’état des sédiments de fond, on croit qu’ils trouvent leurs proies en fouillant avec le museau puis les délogent du substrat en envoyant des jets d’eau par la bouche.

Bien que les mollusques bivalves soient leur proie favorite, on a aussi trouvé dans les estomacs des morses des gastéropodes, des concombres de mer, des oursins, des vers polychètes, des crustacés amphipodes et isopodes, des brachiopodes et des priapulides. En 97 heures, un morse de l’Atlantique mâle de 1 200 kg a plongé à 412 reprises et mangé en moyenne 53 bivalves par plongée. Cela correspond à l’ingestion de 57 kg, en poids humide, de biomasse de bivalves par jour. On sait aussi que les morses de l’Atlantique peuvent manger des phoques annelés, des phoques barbus, des poissons et des encornets, ainsi que des oiseaux de mer. 

1.4.2 Rôle écologique

Le morse de l’Atlantique est un important prédateur d’invertébrés benthiques, en particulier de mollusques bivalves. La sous-espèce du Pacifique, qui lui est étroitement apparentée, est actuellement beaucoup plus abondante qu’elle (environ 200 000 individus dans la mer de Béring et les régions adjacentes) et on estime qu’elle joue un grand rôle dans l’écosystème marin et influence fortement la productivité et l’écologie en se nourrissant d’invertébrés benthiques, en perturbant les sédiments du fond et en facilitant le flux des nutriments du fond à la colonne d’eau (Ray et al. 2006). On pense que les morses du Pacifique accroissent de deux ordres de grandeur le flux de nutriments depuis l’eau des sédiments du fond à la colonne d’eau.

On ne sait pas si la concurrence avec d’autres animaux pour les ressources a été dans le passé un important facteur écologique.

1.4.3 Facteurs limitatifs

En raison de la faible capacité intrinsèque de la population à s’accroître, attribuable surtout à la production peu fréquente de petits (tous les trois ans), le morse de l’Atlantique est particulièrement vulnérable à la mortalité supplémentaire découlant d’activités humaines.

1.5 Menaces

1.5.1 Description des menaces possibles

La principale menace qui pèse sur les populations de morses existantes est la chasse pratiquée par les humains. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, c’est à cause de la chasse (pour la viande, l’huile et les peaux) que la population de morses de l’Atlantique Nord-Ouest a disparu du pays. Toutefois, la chasse ne constituerait peut-être plus une grande menace éventuelle pour une population de morses qui aurait été reconstituée dans le sud-est du Canada. La capture commerciale du morse de l’Atlantique est interdite au Canada depuis 1928 et il n’y a pas eu par le passé, que l’on sache, de capture par les Autochtones dans le sud-est du Canada (COSEPAC 2006); mais étant donné que la population a disparu du pays depuis longtemps, il se peut que certains renseignements probants à cet égard aient été perdus ou n’aient pas été recueillis.

Les perturbations d’origine humaine (bruit causé par le trafic maritime et aérien, prospection du pétrole et du gaz, établissements humains et autres activités humaines) risqueraient de menacer une population de morses qui aurait été reconstituée dans le sud-est du Canada. Les perturbations qui incitent les morses à abandonner leurs échoueries peuvent influer sur la dynamique des populations en occasionnant des mouvements de panique (et une mortalité juvénile connexe), en interrompant la recherche de nourriture, en accroissant les dépenses énergétiques, en masquant les communications, en nuisant à la thermorégulation et en accroissant le niveau de stress. Les déversements d’hydrocarbures pourraient constituer une menace importante pour les troupeaux de morses, compte tenu du fait que ceux-ci ont besoin d’un habitat situé au bord de l’eau.

L’empêtrement dans les engins de pêche, en particulier dans les filets maillants, risquerait d’être une menace pour une population de morses reconstituée dans le sud-est du Canada. La pêche des espèces-proies préférées des morses ou les perturbations occasionnées par la pêche dans l’habitat des proies pourraient aussi constituer des menaces possibles. Toutefois, ces menaces seraient vraisemblablement d’une importance limitée, puisqu’il n’y a pas actuellement au Canada atlantique de pêche des mollusques (palourdes, myes et pétoncles) vivant dans les sédiments benthiques des zones infralittorales aux profondeurs auxquelles les morses recherchent leur nourriture. Sujet plus préoccupant, le fait que les morses soient perçus comme des concurrents dans la pêche et la délivrance de permis de chasse aux phoques (et autres mammifères marins) nuisibles.

On sait que dans le nord, les morses, probablement surtout les jeunes, sont la proie des ours polaires et des orques, mais cette prédation est vraisemblablement limitée par le comportement protecteur des troupeaux envers les petits et par la grande taille des adultes. Il a pu exister autrefois une prédation par les orques dans la population de l’Atlantique Nord-Ouest, mais on ne sait pas à quel degré. La prédation ne serait probablement pas un facteur limitatif du rétablissement de la population de l’Atlantique Nord-Ouest à l’heure actuelle, parce que les orques sont rares dans le golfe du Saint-Laurent. Toutefois, on en observe au large de Terre-Neuve et, compte tenu des changements que les variations climatiques pourraient occasionner dans la répartition des orques, de l’abondance future de leur effectif et des incertitudes au sujet du nombre d’orques qui serait nécessaire pour exercer une prédation conséquente parmi le stock de morses, on ne saurait sous-estimer l’importance éventuelle d’une telle prédation.

Les effets possibles du changement climatique sur les morses ou sur la répartition des floes sont probablement limités. Il est difficile de prédire les incidences d’un réchauffement ou d’un refroidissement des températures sur une population de morses qui aurait été reconstituée dans le sud-est du Canada, mais elles pourraient comprendre des effets directs sur le comportement et la physiologie aussi bien que des effets indirects comme une vulnérabilité accrue à la chasse et à la prédation. Des températures estivales extrêmes pourraient constituer un facteur limitatif à la fréquentation des échoueries dans les eaux du sud. Cela dit, la population de l’Atlantique Nord-Ouest maintenant disparue du pays a vraisemblablement survécu à l’absence de glace pendant une partie de l’année, puisque dans sa zone de répartition la couverture de glace n’était présente qu’en hiver. 

[1]Sauf indication contraire, l’information présentée dans cette partie est extraite de COSEPAC (sous presse) et de COSEPAC (2006). 

Détails de la page

Date de modification :