Bouche coupante (Acrocheilus alutaceus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

La température semble être le principal facteur limitatif de la répartition du bouche coupante en Colombie-Britannique. Ce poisson ne semble pas occuper les cours d’eau où l’on observe des températures maximales inférieures à 20 °C ou 2 100 degrés-jours par année (Rosenfeld et al., 2001), ce qui semble indiquer l’existence de contraintes liées à la température pour la croissance des jeunes ou des adultes ou pour le développement des œufs. En outre, les populations fluviales occupent principalement de grandes rivières plutôt que des petits cours d’eau, ce qui donne à penser que la disponibilité de substrat plus grossier et les vitesses de courant plus élevées associées aux cours d’eau plus larges limitent également la répartition du bouche coupante. Cette situation ne semble pas être un artefact lié à la corrélation positive entre la taille du cours d’eau et sa température, car des données restreintes donnent à penser que les petits cours d’eau à température élevée n’abritent pas de bouches coupantes. Il est possible que ces petits cours d’eau ne fournissent pas la combinaison appropriée de substrat grossier où croît le périphyton dont les adultes ont besoin et d’habitat marginal à végétation dense et à courant plus lent favorable à la croissance des jeunes, alors que ces deux types d’habitats peuvent être présents dans des grandes rivières à pente moyenne offrant aussi des habitats marginaux et des chenaux latéraux. Le manque d’habitat approprié dans les rivières du Canada (comparativement à celles des États-Unis) est probablement dû à la fois à des températures moyennes plus basses et à des pentes plus abruptes qui empêchent le développement d’habitat marginal ou de chenaux latéraux.

Il est probable que les populations lacustres ont elles aussi besoin d’un substrat dur abondant dans la zone littorale, sur lequel le périphyton nécessaire aux adultes pourra s’établir. La présence de petits cours d’eau appropriés pour la fraye peut également avoir une incidence sur l’abondance des populations lacustres (Moodie 1966), car le bouche coupante est probablement incapable de frayer avec succès dans les lacs. Une limitation des populations fluviales par la disponibilité d’habitat propice à la fraye est également possible, mais ce facteur est difficile à évaluer à cause du manque d’information sur les habitats que le bouche coupante utilise pour la fraye dans les grands cours d’eau.

La productivité des systèmes est probablement un autre facteur limitatif de la répartition et de l’abondance du bouche coupante. Il est probable que les adultes ont besoin d’une quantité substantielle de périphyton fixé sur les roches, ce qui n’existe pas dans les systèmes à faible productivité qui sont caractéristiques des fleuves côtiers et des cours d’eau de l’intérieur alimentés par l’eau froide des glaciers. Les mêmes constatations sont probablement vraies dans le cas des lacs, où il est probable que la température et la productivité constituent également les deux facteurs qui déterminent la présence et l’abondance du bouche coupante.

Le bouche coupante ne semble pas directement menacé par un quelconque effet d’origine anthropique ou environnementale, mais, à l’instar de la plupart des autres poissons lotiques, il est probablement sensible à la sédimentation qui a pour effet de recouvrir le périphyton ou de colmater le substrat des frayères. Il est probable qu’il est également vulnérable à la perte de l’habitat marginal, d’eau stagnante ou de chenaux latéraux nécessaire à la croissance des jeunes et probablement essentiel à leur survie. Les populations lacustres qui frayent dans des petits tributaires peuvent être particulièrement vulnérables à la sédimentation dans les frayères, car les petits cours d’eau utilisés comme frayères peuvent subir les effets néfastes de la dégradation de l’habitat associée aux activités forestières, au pacage du bétail ou à l’urbanisation.

Il ne semble pas y avoir de menaces précises pour l’habitat utilisé par le bouche coupante, à part les effets cumulatifs de la dégradation de l’habitat d’un bassin hydrographique associée à l’exploitation forestière, à l’agriculture ou au pacage du bétail. Dans certains cas, ces effets peuvent être importants (voir par exemple Vadas, 1998), mais on ne connaît pas exactement leur effet sur le bouche coupante, parce que la sensibilité de cette espèce à la dégradation de l’habitat est peu connue, tout comme sa tolérance à l’altération de la qualité de l’eau. Cependant, la persistance du bouche coupante dans la partie de son aire située aux États-Unis semble indiquer que l’espèce n’est pas excessivement sensible aux perturbations et est probablement moins vulnérable aux changements de la qualité de l’eau que les Salmonidés; toutefois, cette conclusion est largement hypothétique et non fondée sur des données objectives.

Étant donné que la répartition et la densité du bouche coupante semblent limitées par la température, le réchauffement du climat peut avoir des effets positifs indirects sur la répartition du bouche coupante, mais cela demeure une hypothèse. L’un des effets nettement négatifs du réchauffement de la planète, c’est que l’élévation de la température de l’eau permettra aussi à une plus large gamme d’espèces exotiques de coloniser les eaux douces de la Colombie-Britannique et d’y survivre. Même en l’absence de toute tendance au réchauffement, il est probable que les espèces exotiques commenceront à avoir une incidence négative sur la faune indigène dans un proche avenir à mesure que le développement progresse et que les voies d’introduction (par exemple, le commerce international) s’étendent. Par exemple, un cestode exotique a été découvert en Oregon, où il infecte le bouche coupante ainsi que d’autres espèces (Bend Bulletin, 30 septembre 2001). Cela dit, toute la faune indigène est probablement vulnérable aux effets négatifs des espèces exotiques, et il est difficile de prévoir les effets précis de ces espèces.

Actuellement, les menaces précises répertoriées pour le bouche coupante en Colombie-Britannique sont celles qui sont associées à la dégradation de l’habitat, soit à cause des effets locaux de l’exploitation, des pâturages et de l’agriculture, soit à cause d’effets plus diffus à l’échelle du paysage (par exemple, dans la vallée de l’Okanagan; Scudder et Smith, 1998). Cependant, l’importance de l’incidence de ces effets demeure hypothétique parce que l’on ne dispose pas de données fiables concernant les tendances des populations de bouches coupantes et les changements correspondants dans l’habitat pour les populations canadiennes.

 

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