Bouche coupante (Acrocheilus alutaceus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins en matière d’habitat

On possède peu de connaissances précises sur les besoins du bouche coupante en matière d’habitat, mais on connaît plutôt le type de milieu avec lequel il est associé en général, ce qui permet de faire des déductions concernant ses besoins en matière d’habitat. Le facteur qui semble restreindre la répartition du bouche coupante est la température de l’eau (Rosenfeld et al., 2001). Le bouche coupante ne se trouve pas dans des sites où la température maximale de l’eau est inférieure à 20 °C ou 2 100 degrés-jours par année. Cette situation est probablement liée au fait qu’une température plus basse est insuffisante pour permettre la croissance et le développement des œufs, des jeunes et des adultes, ou de leurs gonades. En plus de conditions thermiques appropriées, le bouche coupante adulte semble avoir besoin d’une abondante quantité d’habitat en eau profonde (plus d’un mètre), où le courant est rapide (vélocité dans la colonne d’eau de l’ordre de 40 à 80 cm s-1; Rosenfeld et al., 1998), et possédant un substrat constitué de roches et de cailloux pouvant servir de support au périphyton (source de nourriture). Les adultes sont donc confinés aux cours d’eau où le substrat est adéquat et où les éléments nutritifs sont en quantité suffisante pour permettre la production d’algues. D’après l’emplacement des captures, pour leur croissance, les jeunes semblent avoir besoin d’habitats situés dans une zone marginale, des eaux stagnantes ou un chenal latéral, là où la vitesse du courant est lente. Les jeunes sont presque invariablement capturés en association avec des macrophytes aquatiques, qu’ils utilisent probablement à la fois comme source de nourriture (invertébrés aquatiques – les jeunes sont insectivores) et comme abri contre les prédateurs. De plus, les jeunes bouches coupantes sont toujours capturés dans des bancs mixtes en compagnie de ménés roses, de sauvagesses du nord et de ménés deux-barres, ce qui indique probablement que les jeunes de ces espèces ont des besoins similaires en matière d’habitat et que la formation de bancs les protège contre les prédateurs.

Dans un réseau fluvial, le bouche coupante semble utiliser principalement l’habitat du chenal principal, plus large; Rosenfeld et al. (2001) n’ont pas trouvé de bouches coupantes à des endroits où la largeur du chenal entre les rives était inférieure à 17 m. Cette observation indique peut-être l’absence de dépendance directe entre le bouche coupante du milieu fluvial et l’habitat des petits cours d’eau; cependant, il est clair qu’un changement dans l’habitat, qui provoquerait la dégradation des petits cours d’eau et entraînerait des effets cumulatifs dans l’habitat du chenal principal de la rivière, aura une incidence négative sur le bouche coupante. Par ailleurs, les petits cours d’eau peuvent être très importants pour certaines populations lacustres, étant donné que Moodie (1966) a observé des activités de reproduction dans le petit tributaire du lac Wolfe.

Dans le cas des populations du milieu fluvial, l’habitat et le substrat appropriés à la fraye sont en grande partie inconnus, mais la fraye a probablement lieu sur un substrat constitué de gravier grossier, de cailloux et de roches, comme on l’a constaté dans le cas d’espèces étroitement apparentées (par exemple, méné rose, sauvagesse du Nord, méné deux-barres; Moodie, 1966). La présence de jeunes dans les habitats marginaux de grandes rivières donne à penser que la fraye a lieu dans des radiers du chenal principal plutôt que dans de petits affluents, mais cela demeure largement hypothétique.

L’habitat d’hivernage du bouche coupante est mal défini, mais des observations dans le bassin de la rivière Blackwater (Rosenfeld et al., 1998) indiquent que ce poisson semble s’éloigner des habitats du chenal principal des rivières en automne (septembre-octobre, température de l’eau inférieure à 6 °C) pour gagner les lacs tributaires des rivières ou les bras secondaires aux eaux plus profondes (8 m). Des adultes de diverses espèces, dont le méné deux-barres, la sauvagesse du nord, le meunier à grandes écailles (Catostomus macrocheilus), le meunier rouge (Catostomus catostomus), la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et l’omble à tête plate (Salvelinus confluentus), ont également été capturés dans des habitats plus profonds, ce qui donne à penser que de nombreuses espèces de poissons peuvent passer l’hiver soit dans des lacs, soit dans des bras secondaires larges et profonds reliés au cours principal de la rivière. L’hypothèse touchant l’hivernage du bouche coupante en eau profonde est étayée par les observations de Moodie (1966) dans le lac Wolfe; celui-ci a constaté que vers la mi-octobre, il ne trouvait plus de bouches coupantes près des rives du lac, mais seulement dans des habitats d’eau profonde où ils étaient absents antérieurement.

Sur le plan de la qualité de l’eau, les besoins du bouche coupante ne sont pas documentés. Cependant, ce poisson demeure très répandu dans l’Oregon et l’État de Washington, ce qui indique qu’il n’est pas extrêmement sensible aux altérations de la qualité de l’eau.

Il est difficile de déterminer quelle serait la taille minimale d’une population viable de bouches coupantes étant donné qu’il n’existe pas d’estimations fiables de la taille des populations dans quelque milieu que ce soit. Cependant, le bouche coupante se trouve en densités relativement faibles dans les populations septentrionales et, en général, il peut s’agir du moins abondant des poissons capturés; par exemple, le bouche coupante représentait environ 2 p. 100 du nombre total de poissons capturés à 32 endroits dans le bassin de la Blackwater (Rosenfeld et al., 1998) et, en général, moins de 10 p. 100 des prises totales de poissons à chacun des sites où il était présent. Cela dit, dans les populations de bouches coupantes du bassin de la Blackwater, les adultes se comptent probablement par milliers, et il n’y a aucune raison de penser que ces populations sont l’objet d’une menace particulière. Néanmoins, les petites populations sont plus exposées que les grandes à une extinction due à des phénomènes stochastiques, et les populations du nord sont probablement plus vulnérables que celles du sud à cet égard, mais leur degré de vulnérabilité n’est pas clairement établi et probablement pas élevé.

Bien que la répartition du bouche coupante au Canada soit discontinue, aucune population n’est considérée comme étant essentielle à la survie des autres populations. En ce qui a trait au caractère particulier de l’espèce, les populations du bassin du Fraser se distinguent peut-être de celles du bassin du Columbia par le fait qu’elles semblent plus petites, plus isolées et probablement séparées depuis plus longtemps des populations sources; cependant, la présence de barrières hydrodynamiques et de barrages en aval des endroits abritant les populations canadiennes dans les rivières Okanagan et Kettle limitent probablement les échanges avec les populations des États-Unis. La recolonisation des zones occupées par des populations disparues dans le bassin du Fraser pourrait aussi être lente parce que les densités sont faibles et que l’on n’a pas clairement déterminé si les populations sont constamment présentes dans le cours principal du fleuve. Cela dit, on ne sait rien sur les déplacements du bouche coupante, sur sa capacité de colonisation et sur les facteurs qui représentent un obstacle pour un poisson adulte, de sorte que la classification despopulations du bassin du Fraser comme plus ou moins uniques ou vulnérables est purement hypothétique.


Tendances

On ne possède pas de données suffisantes pour évaluer les tendances de l’habitat pour chaque population, parce que l’on ne dispose pas d’estimations fiables, récentes ou passées, concernant la disponibilité ou la qualité de l’habitat pour les populations canadiennes. D’après les tendances fondées sur une contraction ou une expansion de l’aire de répartition, il n’y a eu aucun changement dans la répartition de l’espèce si l’on compare les résultats d’échantillonnages récents (5 dernières années) et la répartition observée dans le passé (les 40 dernières années), ce qui donne à penser qu’il n’y a pas eu de changement important dans la qualité de l’habitat; cependant, les données sur la répartition ne tiennent pas compte des changements dans l’abondance de l’espèce dans une aire donnée, et la qualité de l’habitat s’est nettement dégradée dans le bassin hydrographique de certaines rivières (par exemple, la Nicola et l’Okanagan), à la suite des activités d’extraction des ressources et du développement général (par exemple, agriculture, pacage du bétail, exploitation forestière, canalisation, prélèvement d’eau).

Du point de vue des tendances à long terme, si l’on assume qu’il n’y a pas de dégradation à long terme de l’habitat (hypothèse discutable dans le cas de populations exposées aux effets des activités agricoles ou forestières), les expansions ou contractions futures de l’aire de répartition seront probablement liées au changement climatique. Comme le principal facteur limitatif de la répartition du bouche coupante semble être un régime thermique inadéquat (voir les sections intitulées « Besoins en matière d’habitat » et « Facteurs limitatifs et menaces »), l’effet du réchauffement de la planète sur la répartition du bouche coupante sera probablement positif; cependant, les conséquences de ce phénomène sont toujours difficiles à prévoir à cause de ses effets complexes sur le débit des cours d’eau, les espèces de proies, les maladies et les compétiteurs (Davis et al., 1998).

Les tendances de l’habitat aux États-Unis sont inconnues, mais probablement similaires à celles que l’on observe au Canada, ou pires (c’est-à-dire une dégradation plus marquée de l’habitat, associée au développement continu dans les bassins hydrographiques). Cependant, les populations américaines ne sont apparemment ni en déclin, ni protégées.


Protection et propriété des terrains

Bien que le bouche coupante soit présent partout en Colombie-Britannique, la plupart des zones riveraines jouxtant les eaux où il est observé se trouvent sur des terres publiques. Ces terres sont en bonne partie exposées à des activités d’extraction des ressources (par exemple, exploitation forestière près de la Blackwater, de la haute Chilcotin et de la Salmon, activités intensives de pacage et d’agriculture dans le bassin des rivières Nicola et Okanagan). Aucune partie de cet habitat ne bénéficie d’une protection légale (par exemple, dans une aire protégée), et l’on ne sait pas vraiment quelle proportion de l’habitat sera préservée dans l’avenir. Malgré l’existence de règlements sur l’utilisation des terres qui régissent l’extraction des ressources sur ce territoire (par exemple, le Forest Practices Code de la Colombie-Britannique), l’exploitation forestière, l’agriculture et le pacage du bétail peuvent avoir des effets cumulatifs susceptibles de dégrader les habitats utilisés par le bouche coupante, mais on ne sait pas si ces effets ont provoqué un déclin des populations. Il est probable qu’il y a des effets à l’échelle locale, en particulier dans les cours d’eau exposés à des activités agricoles intensives (comme la Nicola et l’Okanagan), mais il semble improbable que ces effets de l’utilisation des terres se traduisent par un déclin grave des populations de bouches coupantes dans l’ensemble de leur aire de répartition. Il est également probable que d’autres espèces (par exemple, les Salmonidés) sont susceptibles de souffrir des changements dans l’habitat avant le bouche coupante. Cependant, il importe de préciser que ces hypothèses ne sont que pure spéculation, parce que les détails touchant la tolérance du bouche coupante aux changements dans l’habitat sont peu documentés.

 

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