Espèces sauvages 2005 : chapitre 6

Cicindèles

Cicindèles : Coléoptères carnivores de la famille des cicindélidés à la couverture alaire maculée ou rayée - The Canadian Oxford Dictionary.

Photo d’une Cicindèle à six points sur des débris au sol
Photo: Cicindèle à six points (Cicindela sexguttata) © Henri Goulet

En bref

Contexte

Les cicindèles (famille des cicindélidés) ont une nature prédatrice et beaucoup portent des rayures, d'où leur nom anglais tiger beetles, qui signifie littéralement « coléoptères tigres ». En raison de leur grande taille (comparativement à d'autres coléoptères), de leurs couleurs saisissantes et de leur comportement fascinant, les cicindèles ont été relativement bien étudiées au Canada, ce qui en fait des coléoptères de choix à évaluer dans le cadre d'un programme sur la situation générale. La plupart des cicindèles sont classées comme des espèces spécialisées, car elles utilisent des types d'habitats très précis. De nombreuses espèces vivent dans des zones où la végétation est peu dense et où le sol est intact, par exemple, des dunes sablonneuses, des plaines salées, des plages, des versants dépourvus de végétation, des habitats de prairie peu dense et des éclaircies en forêt.

Les cicindèles adultes se distinguent par leurs grands yeux composés, leur tête large et leurs longues antennes de même que par leur grande mâchoire en forme de faucille qui leur sert à capturer et à manger leurs proies. Comme tous les coléoptères adultes, les cicindèles possèdent deux paires d'ailes. Lorsqu'elles sont au repos, les fragiles ailes postérieures sont cachées derrière l'étui protecteur des ailes antérieures rigides, ou élytres. Lorsque le coléoptère prend son envol, les élytres s'ouvrent pour permettre aux ailes postérieures de le propulser. De nombreuses cicindèles adultes sont de couleur très vive et comportent des motifs frappants; les élytres, la tête et les pattes sont parfois rayées ou maculées de verts, de bleus et de rouges métalliques. Ces motifs colorés permettent en fait aux adultes de se camoufler et de se fondre dans le décor; c'est plutôt le mouvement, et non les couleurs, qui trahit l'emplacement des cicindèles.

Les cicindèles adultes sont de voraces prédateurs : elles repèrent leur proie visuellement et les chassent sur le sol à des vitesses ahurissantes pouvant atteindre 53 longueurs corporelles par seconde, soit 10 fois plus rapides que les sprinteurs humains de haut niveau! Mais plutôt que de chasser leur proie sans relâche, les cicindèles font souvent une courte pause pendant la chasse avant de la reprendre à toute vitesse. Les scientifiques croient avoir trouvé l'explication de ce mode de poursuite marche arrêt. À de telles vitesses, la lumière ne pénètre pas assez rapidement dans leurs yeux pour que les cicindèles puissent former l'image de la proie en mouvement; elles deviennent donc aveugles temporairement! La pause pendant la poursuite permet aux cicindèles de repérer de nouveau leur proie et, grâce à leur incroyable vitesse, de terminer la course avec succès.

Les cicindèles sont des créatures du soleil; elles ont besoin de la chaleur qu'il procure afin de conserver la température de leur corps assez élevée pour maintenir leur mode de vie actif. Même le passage d'un nuage arrêtera la cicindèle. Pour échapper au mauvais temps ou à la froidure de la nuit, les cicindèles creusent un tunnel peu profond dans le sol, mais pour affronter l'hiver, elles creusent un tunnel plus long, pouvant atteindre deux mètres de profondeur! En creusant, la cicindèle remplit le tunnel derrière elle et demeure au fond jusqu'à ce que le sol se réchauffe au printemps suivant.

Le cycle vital des cicindèles comporte quatre phases : oeuf, larve, pupe et adulte. Les oeufs sont pondus un à un dans des sols minutieusement choisis, où l'humidité fournit l'environnement adéquat pour l'oeuf et la larve en développement. Après l'éclosion, la larve creuse un tunnel vertical profond dans le sol. La larve, en forme de « S », ressemble à une chenille, mais sa large tête est fixée à angle droit avec le corps. Comme les adultes, les larves cicindèles sont des prédateurs superbement adaptés dont le menu se compose de fourmis et d'autres petits arthropodes. La larve attend à l'entrée de son tunnel, sa tête bloquant l'entrée, son énorme mâchoire ouverte. Lorsqu'une proie arrive à sa portée, la larve l'atteint à la vitesse de la lumière et la capture. Les larves possèdent deux crochets courbés sur le dos; si, pendant la lutte avec sa proie, la larve est menacée d'être tirée hors de son tunnel, elle coince ses crochets dans les murs de son tunnel pour maintenir sa position. Lorsque la proie est maîtrisée, la larve se laisse tomber au fond de son tunnel pour savourer son festin en privé.

Lorsque la larve est assez grosse, elle se retire dans son tunnel et se métamorphose en pupe. Les pupes ne mangent ni ne bougent; leur seul fin est de subir les changements qui permettront à un adulte d'émerger. En quelques semaines, la pupe se métamorphose en cicindèle adulte, qui sort ensuite du tunnel pour entreprendre sa vie à la surface.

État des connaissances au Canada

En raison de leur comportement intéressant et de leurs couleurs saisissantes, et parce qu'elles sont généralement diurnes et relativement faciles à observer, les cicindèles ont été mieux étudiées que la plupart des autres familles d'insectes. Il existe même un journal scientifique consacré uniquement à elles. Les cicindèles ont été utilisées pour étudier des thèmes variés, tels que la vue, l'écologie thermique et les techniques d'évitement des prédateurs. Cependant, même si le cycle vital des cicindèles en général est bien connu, on en sait moins sur celui d'espèces particulières pour lesquelles il reste, notamment, de nombreuses questions sur leurs déplacements entre les habitats propices (dispersion). De plus, de nombreux éléments restent à découvrir sur la répartition des cicindèles canadiennes, en particulier relativement aux limites de l'occurrence.

En partie en raison de leur répartition mondiale, de leur taxinomie bien établie, de leurs besoins particuliers en matière d'habitat et de leur identification relativement facile, les cicindèles sont considérées comme de possibles indicatrices de la biodiversité à l'échelle mondiale. À ce titre, il est probable que les cicindèles deviennent de plus en plus importantes pour les scientifiques, les agents de conservation et les gestionnaires au Canada et à l'étranger.

Richesse et diversité au Canada

Parmi les 30 cicindèles canadiennes, 28 appartiennent au genre cicindela, des coléoptères colorés diurnes, et deux appartiennent au genre omus. Ce genre est limité à la région côtière de l’ouest de l’Amérique du Nord, et comprend des espèces qui ne volent pas et sont nocturnes. Les cicindèles sont présentes dans l’ensemble des provinces et des territoires, à l’exception du Nunavut, mais la richesse en espèces est la plus élevée dans les Prairies (figure 2-5-i, tableau 2-5-i). La Colombie?Britannique compte le plus grand nombre d’espèces (cinq) absentes du reste du Canada.

Plein feux sur la cicindèle blanche (Cicindela lepida)

La cicindèle blanche est une petite cicindèle trouvée dans le sable blanc intact des dunes côtières et de rives de lacs ainsi que des dunes sablonneuses intérieures et des battures salantes. Au Canada, elle est présente dans les provinces des Prairies, en Ontario et au Québec. La cicindèle blanche est de couleur pâle, ornée de motifs brunâtres estompés sur les élytres, ce qui la rend difficile à percevoir dans le sable. À l'approche d'un prédateur, la cicindèle blanche se fige contre le sable et compte sur son camouflage pour se protéger. En fait, son camouflage est tellement efficace que l'ombre du coléoptère est souvent plus facile à percevoir que l'animal lui même. En anglais, son nom est d'ailleurs ghost tiger beetle, ce qui signifie littéralement « scarabée-tigre fantôme ». Le cycle vital de la cicindèle blanche a été décrit comme unique, car les larves vivent deux ans, hivernant donc deux fois, alors que l'espérance de vie des adultes n'est que d'un mois! Bien que la cicindèle blanche puisse former de vastes populations dans les habitats propices et qu'elle soit probablement en mesure de coloniser assez facilement de nouveaux habitats, les populations locales sont vulnérables à la perte de l'habitat attribuable à l'aménagement anthropique ou à la succession naturelle ainsi qu'à la perturbation par un usage récréatif intensif de leur habitat. À l'échelle nationale, l'espèce est classée possiblement en péril.

Plein feux sur la cicindèle à six points (Cicindela sexguttata)

Contrairement à la plupart des cicindèles, qui tendent à occuper des habitats ouverts à la végétation peu dense, la cicindèle à six points vit sur le sol de forêts décidues. Cette situation lui pose un problème : comment maintenir une température corporelle assez élevée pour soutenir son mode de vie actif? Dans les habitats ouverts, l'ensoleillement est abondant et les cicindèles s'exposent au soleil pour élever leur température corporelle mais, sur le tapis forestier, les rayons du soleil sont rares. Pour permettre à l'espèce de survivre, la température corporelle optimale de la cicindèle à six points est inférieure à celle des autres cicindèles. De plus, l'espèce passe la majeure partie de son temps dans des parcelles ensoleillées, créées le long de sentiers ou à des endroits où des arbres sont tombés, où les températures sont assez chaudes. Contrairement à d'autres cicindèles qui poursuivent leur proie sur des distances relativement longues, la cicindèle à six points attend dans sa parcelle ensoleillée jusqu'à ce qu'une proie s'approche suffisamment pour se jeter sur elle.

Le cycle vital de la cicindèle à six points dure deux ans. Les femelles pondent leurs oeufs en été; ceux ci éclosent et produisent des larves qui hivernent dans leur tunnel et se métamorphosent en pupe au milieu de l'été de leur première année. Des adultes peuvent émerger brièvement pendant cette période, mais ils hivernent de nouveau dans leur tunnel, avant d'émerger comme adulte mature sexuellement, au début du printemps suivant. Au Canada, la cicindèle à six points est présente en Ontario, au Québec, en Nouvelle Écosse et au Nouveau Brunswick. À l'échelle nationale, elle est classée en sécurité.

Résultats des évaluations de la situation générale

À l'échelle nationale, la majorité des 30 espèces canadiennes de cicindèles sont classées en sécurité (21 espèces, 70 p. 100, figures 2-5 i et 2-5 ii, tableau 2 5 i), 17 p. 100 sont classées possiblement en péril (cinq espèces) et 10 p. 100, sensibles (trois espèces). Aucune espèce n'est classée en péril à l'échelle nationale, car le COSEPAC n'a achevé aucune évaluation de la situation de cicindèles. Enfin, 3 p. 100 des espèces ont reçu la classification nationale non évaluée (une espèce).

Figure 2-5-i: Résumé de la richesse en espèces et des classifications de la situation générale des espèces de cicindèles au Canada en 2005.
bar chart (see long description below)
Description longue pour la figure 2-5-i

La figure 2-5-i résume la richesse en espèces et les classifications de la situation générale des espèces de cicindèles au Canada et par région en 2005. Au Canada, 5 espèces étaient possiblement en péril, 3 sensibles, 21 en sécurité et une indéterminée, pour un total de 30 espèces de cicindèles. Au Yukon, une espèce était possiblement en péril, une sensible et 3 en sécurité, pour un total de 5 espèces. Dans les Territoires du Nord-Ouest, 7 espèces étaient non-évaluées, pour un total de 7 espèces. En Colombie-Britannique, une espèce était disparue du Canada, une possiblement en péril, une sensible, 11 en sécurité et 2 indéterminées, pour un total de 16 espèces. En Alberta, 19 espèces étaient non-évaluées, pour un total de 19 espèces. En Saskatchewan, une espèce était sensible, 6 en sécurité et 11 non-évaluées, pour un total de 18 espèces. Au Manitoba, 3 espèces étaient possiblement en péril, 15 en sécurité et une indéterminée, pour un total de 19 espèces. En Ontario, 2 espèces étaient possiblement en péril, une sensible et 11 en sécurité, pour un total de 14 espèces. Au Québec, 2 espèces étaient possiblement en péril, 2 sensibles et 10 en sécurité, pour un total de 14 espèces. Au Nouveau-Brunswick, une espèce était possiblement en péril, 7 en sécurité et 2 indéterminées, pour un total de 10 espèces. En Nouvelle-Écosse, 7 espèces étaient en sécurité, pour un total de 7 espèces. À l’Île-du-Prince-Édouard, 3 espèces étaient en sécurité et 2 indéterminées, pour un total de 5 espèces. À Terre-Neuve et Labrador, une espèce était possiblement en péril, une sensible, 3 en sécurité et 2 indéterminées, pour un total de 7 espèces.

Tableau 2-5-i: Résumé des classifications de la situation énérale des cicindèles au Canada en 2005.
Classification CA YT NT BC AB SK MB ON QC NB NS PE NL
Disparue au Canada 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Disparue 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
En péril 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Possiblement en péril 5 1 0 1 0 0 3 2 2 1 0 0 1
Sensible 3 1 0 1 0 1 0 1 2 0 0 0 1
En sécurité 21 3 0 11 0 6 15 11 10 7 7 3 3
Indéterminée 1 0 0 2 0 0 1 0 0 2 0 2 2
Non-évaluée 0 0 7 0 19 11 0 0 0 0 0 0 0
Exotique 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Occasionnelle 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Totale 30 5 7 16 19 18 19 14 14 10 7 5 7

Menaces envers les cicindèles canadiennes

Les cicindèles sont vulnérables à la perte et à la perturbation de l'habitat attribuables à la succession naturelle, aux modifications des régimes d'écoulement des eaux, à la lutte contre l'érosion et à la conversion anthropique d'habitats naturels. En outre, l'utilisation par les humains de l'habitat descicindèles à des fins récréatives risque de tuer les larves et de perturber l'habitat des adultes.

Conclusion

Bien que les cicindèles aient été mieux étudiées que de nombreuses autres familles d'insectes, il en reste beaucoup à apprendre sur l'aire de répartition et la situation de ces espèces au Canada. Leur rôle potentiel à titre d'indicatrices de la biodiversité pourrait stimuler leur étude au Canada et à l'étranger.

Pour en savoir plus

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Références

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