Méné long (Clinostomus elongatus) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

Les populations de ménés longs connaissent un déclin dans de nombreuses régions de leur aire de répartition nord-américaine (Page et Burr, 1991). Plusieurs facteurs ont été associés à cette baisse d’effectif, notamment le déboisement, l’agriculture, le développement urbain, l’exploitation minière, l’aménagement de terrains de golf, la pollution et l’introduction d’espèces exotiques (Trautman, 1981; McKee et Parker, 1982; Becker, 1983; Meade et al., 1986; Goforth, 2000; Lyons et al., 2000). En Ontario, le méné long est exposé à diverses menaces qui varient d’une région à l’autre. Selon Parker et al. (1988), l’envasement et la disparition du couvert végétal des berges en milieu urbain représenteraient d’importants facteurs limitatifs. Même si ces menaces n’ont jamais été démontrées empiriquement, il existe dans certains cas suffisamment de preuves pour établir des liens de cause à effet probables.

Comme plus de 80 p. 100 des populations canadiennes de ménés longs sont concentrées dans la région du Golden Horseshoe, en Ontario, le développement urbain constitue la menace la plus immédiate pour l’espèce au Canada. Sous l’effet de la croissance continue des zones urbaines, plusieurs populations ont disparu ou ne sont désormais présentes que dans des eaux d’amont. Environ la moitié des localités qui servent actuellement d’habitat aux ménés longs se trouvent à l’intérieur ou en bordure de secteurs dont l’aménagement est prévu dans les 15 prochaines années. La région métropolitaine de Toronto devrait compter 1,3 million d’habitants de plus d’ici 15 ans (Federation of Ontario Naturalists, 2001). Dans la région du Golden Horseshoe, il est prévu que la population augmentera de près de 4 millions d’habitants d’ici 2031 (MRIP, 2004). Les populations de ménés longs les plus saines se trouvent à proximité de la limite urbaine actuelle, mais dans des bassins versants relativement peu perturbés.

Les mécanismes sous-jacents au développement urbain qui nuisent aux ménés longs sont encore mal compris, mais ils sont probablement associés à un grand nombre de facteurs. Citons notamment les modifications apportées à la structure des cours d’eau qui ont pour effet d’élargir le chenal et de réduire la profondeur des mouilles. Ces modifications sont souvent associées à des changements hydrologiques et à une hausse du débit de pointe, phénomènes qui surviennent lorsque le terrain environnant est défriché et que la surface du sol est durcie (MRNO, 2001). Ces changements contribuent également à l’envasement, qui peut entraver les possibilités d’alimentation de l’espèce en accroissant la turbidité de l’eau, en particulier pendant les travaux de construction.

Plusieurs études montrent que les surfaces imperméables (p. ex. routes, résidences, terrains de stationnement) peuvent nuire à la qualité des cours d’eau et au biote aquatique lorsqu’elles excèdent 10 p. 100 de la superficie du bassin récepteur (Booth et Jackson, 1997; Wang et al., 2001; Environnement Canada, 2004; Stanfield et al., 2004). Une étude sur les cours d’eau du bassin du lac Ontario a révélé que les salmonidés n’étaient présents que dans les cours d’eau dont le bassin récepteur comptait moins de 10 p. 100 de surfaces imperméables (Stanfield et al., 2004). Wang et al. (2001) ont pour leur part conclu que, dans les cas où elles occupent plus de 12 p. 100 de la superficie du bassin récepteur, les surfaces imperméables reliées sont associées àdes baisses marquées de la diversité des espèces de poissons, de l’érosion des berges et du débit de base. Ce genre d’analyse détaillée du paysage n’a encore jamais été réalisé pour l’habitat du méné long en Ontario, mais l’analyse préliminaire réalisée par Parish (2004) permet de conclure que l’espèce préfère les chenaux des cours d’eau peu touchés par le drainage urbain.

Les changements directs à la structure des cours d’eau par la canalisation, phénomène courant dans les régions urbaines, pourraient aussi avoir pour effet d’élargir les chenaux, de réduire la profondeur des mouilles, d’accroître le débit de pointe et d’accélérer l’envasement. L’enlèvement de la végétation riveraine, une importante source de couvert végétal, limite directement la production d’insectes terrestres dont se nourrissent les ménés longs pendant une bonne partie de l’année. Daniels et Wisniewski (1994) sont d’avis qu’une altération profonde de la végétation riveraine contribue davantage au déclin des populations de ménés longs que la modification de l’habitat à l’intérieur des cours d’eau. En outre, il se peut que les obstacles et les déversoirs aménagés dans les cours d’eau entravent l’accès aux frayères, ce qui pourrait nuire aux ménés longs si la dynamique des métapopulations est un facteur important chez l’espèce. La hausse de la température des cours d’eau, souvent associée au déboisement (Johnson et Jones, 2000) et au développement urbain (Leopold, 1968), pourrait être néfaste pour les ménés longs, surtout si elle est soudaine. D’autres ouvrages ou activités pourraient entraîner une réduction du débit de l’eau souterraine, qui contribue à réguler les températures estivales et le débit de base des cours d’eau. De plus, l’eau souterraine joue probablement un rôle important dans le maintien de l’habitat hivernal. Le niveau de tolérance des ménés longs aux polluants demeure inconnu; le développement urbain pourrait exposer les populations locales à des produits chimiques d’usage domestique et au ruissellement des eaux d’orage. Les nutriments, les métaux, les chlorures et la numération bactérienne étaient élevés dans deux affluents de la rivière Credit (les ruisseaux Fletcher’s et Silver) où le méné long a disparu ou a connu un déclin en raison, principalement, de charges excessives attribuables au ruissellement urbain (CVC, 2002).

Même si le développement urbain figure parmi les facteurs qui ont le plus d’impact sur les populations de ménés longs au Canada, une réduction de l’aire de répartition et de l’effectif a également été observée dans des zones agricoles (p. ex. rivière Saugeen et ruisseau Irvine). Les activités de faible intensité (p. ex. prairies de fauche) ne posent probablement aucun problème, mais il en va autrement de l’agriculture intensive (p. ex. culture en rangs et pâturage intensif), qui menace de plusieurs façons les populations de ménés longs. Dans certains cas, les facteurs qui nuisent à l’espèce sont les mêmes qu’en milieu urbain; cependant, les mécanismes en cause sont mal compris. L’enlèvement de la végétation riveraine pour stimuler les cultures agricoles et l’abreuvement du bétail dans les cours d’eau contribuent à l’envasement, à une modification de la structure des chenaux et à un amenuisement des stocks d’insectes terrestres qui servent de proies. Certains cours d’eau autrefois occupés par le méné long et certains affluents où l’espèce est encore présente ont été canalisés et convertis en drains municipaux. Les drains en tuyaux, qui sont abondamment employés, accroissent également l’écoulement d’eau après les phénomènes pluviohydrologiques et peuvent servir de conduites pour les sédiments (Culley et al., 1983). Les zones agricoles sont également propices à des phénomènes de pollution épisodiques ou chroniques associés à l’usage de pesticides et d’engrais. Un récent déversement de fumier dans le ruisseau Irvine a tué tous les poissons présents sur plusieurs kilomètres de cours d’eau, mais aucun méné long n’y a été identifié (Coulson, comm. pers., 1999).

Le déclin du méné long dans les ruisseaux Mountsberg et Spencer faisait suite à la construction de réservoirs près des eaux d’amont. Ces ouvrages ont modifié le régime thermique des ruisseaux, et il se peut qu’ils aient rendu les températures impropres à l’espèce (Featherstone, comm. pers., 2000). Des prédateurs éventuels, tels que le grand brochet, l’achigan à grande bouche (Micropterus salmoides) et la marigane noire, ont été récemment capturés dans ces ruisseaux et pourraient avoir eu un effet néfaste sur le méné long.

Il n’existe aucune étude portant expressément sur l’impact des espèces introduites, mais le déclin de populations de ménés longs a été observé dans le ruisseau Spencer par suite de l’introduction de concurrents éventuels, soit des Cyprinidés, comme la tête rose (Notropis rubellus), et d’une espèce prédatrice, le grand brochet (Holm, 1999). La truite brune, une espèce résidente, et la truite arc-en-ciel, une espèce migratrice, ont été introduites dans plusieurs cours d’eau de la région de Toronto qui renfermaient des populations de ménés longs. Il arrive également que le méné long coexiste naturellement avec la truite de mer. Certaines données attestent que le méné long coexiste avec des salmonidés introduits dans plusieurs cours d’eau de la région de Toronto, mais il reste encore à mener des études précises sur les interactions entre ces espèces. Lyons et al. (2000) ont constaté la disparition du méné long dans deux ruisseaux du Wisconsin après l’introduction de la truite brune, mais aucun lien de cause à effet n’a été établi. Il se peut aussi que les ménés longs soient plus vulnérables aux impacts des espèces introduites lorsque les réseaux hydrographiques subissent les effets de multiples agresseurs.

Les activités associées à l’extraction d’agrégats pourraient entraîner une baisse du débit de base et une hausse de la température de l’eau (MRNO, 2001). Le méné long a disparu d’un ruisseau du Kentucky qui avait subi des impacts divers – extraction de gravier, suintement de fosses septiques et activités agricoles (Meade et al., 1986). De même, l’extraction d’eau de surface et d’eau souterraine (p. ex., terrains de golf, irrigation agricole) des bassins versants renfermant des populations de ménés longs risque de réduire le débit à des niveaux inacceptables et d’entraîner une hausse de la température des cours d’eau. Les impacts de telles activités sur les populations de ménés longs n’ont pas été étudiés, mais ils sont vraisemblablement néfastes.

Personne n’a encore étudié l’impact de la récolte de poissons-appâts sur les populations de ménés longs. Il se peut que les populations confinées à un court tronçon soient particulièrement vulnérables à la pêche d’appâts. Les ménés longs sont très vulnérables à la senne, l’engin le plus communément employé par les pêcheurs de poissons-appâts dans les cours d’eau du sud de l’Ontario. Cependant, en raison de difficultés d’accès, la pêche dans la plupart des cours d’eau n’est pratiquée qu’aux passages à cours d’eau. Le méné long n’est pas un appât légal en Ontario (l’espèce est protégée aux termes duRèglement de pêche de l’Ontario de 1989), mais il y a des risques de prises accessoires.

En Ontario, les ménés longs semblent être plus nombreux dans les cours d’eau situés en milieu ouvert, là où la végétation riveraine est composée de graminées, de plantes herbacées non graminoïdes et d’arbustes bas. Ces habitats sont préservés grâce à la présence de milieux humides, au déboisement, aux crues printanières, à l’érosion par la glace et à l’activité des castors. Les secteurs boisés caractérisés par une fermeture complète du couvert forestier ne semblent pas représenter un habitat optimal.  De même, l’apparition d’espèces ligneuses et la fermeture du couvert forestier dans les zones riveraines altèrent probablement l’habitat du méné long. Andersen (2002) a découvert que les cours d’eau qui servaient d’habitat au méné long dans les années 1950, à l’époque où les terres environnantes servaient à l’agriculture, n’en abritaient plus une fois la forêt réapparue. À l’heure actuelle, les travaux de remise en état des berges de cours d’eau renfermant des ménés longs en Ontario sont axés sur la plantation de graminées et d’arbustes indigènes pour reverdir les zones riveraines.

Les impacts du changement climatique sont difficiles à prédire. Le changement climatique pourrait : 1) n’avoir aucun effet; 2) réduire le débit des cours d’eau et accroître la température de l’eau; 3) accroître la fréquence des inondations dans le sud de l’Ontario, dans l’aire de répartition du méné long (GIEC, 2001). Les deux derniers scénarios seront vraisemblablement néfastes pour les populations de ménés longs, même si, avec une saine gestion, l’augmentation des précipitations pourrait accroître la superficie de l’habitat disponible. Le changement climatique pourrait créer des conditions propices à l’espèce dans des régions plus septentrionales de la province, mais les possibilités de colonisation de nouveaux secteurs sont faibles.

Il est peu probable que les prélèvements scientifiques aient eu un impact majeur sur les populations de ménés longs au Canada (le nombre de spécimens prélevés est faible). Malgré tout, le prélèvement devrait être considéré comme une menace possible. Cela vaut particulièrement pour les populations qui occupent actuellement de courts tronçons de ruisseau ou qui sont confinées à un faible nombre de mouilles. Même si les ménés longs capturés dans le cadre de projets de surveillance sont généralement remis à l’eau, certaines études ont donné lieu au prélèvement d’un nombre relativement élevé de spécimens. Les permis de prélèvement scientifique du ministère des Richesses naturelles de l’Ontario interdisent généralement l’échantillonnage mortel.

 

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