Loup à tête large et du loup tacheté programme de rétablissement : chapitre 6


5. Menaces

On ne peut discuter des effets anthropiques menant au déclin observé sans faire mention des causes naturelles puisque les deux sont sûrement liés. L’importance du rôle des effets naturels par rapport aux effets anthropiques est mal comprise. Il semble probable qu’une combinaison de la mortalité naturelle et de la mortalité induite par l’homme, peut-être conjuguée à un recrutement faible, ait entraîné un déclin des populations de loup de mer.

Il est toutefois possible d’exercer un contrôle sur certaines des activités anthropiques qui ont une incidence sur les populations de loup de mer. Pour ce faire, il faut connaître les activités qui font peser une menace sur les populations et leur habitat ainsi que la façon dont on peut modifier ou circonscrire ces activités afin de réduire leurs effets et, donc, d’augmenter les chances de rétablissement des populations de loup de mer.

Or, les connaissances actuelles limitent l’efficacité et la portée des initiatives canadiennes de rétablissement. La structure de la population, les estimations absolues de la taille de la population et la contribution relative des menaces au déclin ne sont pas connues. On ne sait pas exactement comment l’habitat a été et est utilisé et dans quelle mesure l’habitat disponible est essentiel à la survie ou au rétablissement des espèces (Kulka et al., 2004). L’acquisition de ces connaissances nous permettra de mieux saisir les menaces et d’améliorer les mesures nécessaires pour atténuer les facteurs limitatifs du rétablissement.

Simpson et Kulka (2002) présentent des données préliminaires relatives aux prélèvements totaux combinés des espèces de loup de mer, mais il faudra analyser les prélèvements de chaque espèce par type de pêche pour évaluer l’effet potentiel sur chaque espèce. La perturbation possible du lit de la mer imputable aux activités de pêche sur les lieux ou à proximité de l’habitat du loup de mer doit être mieux quantifiée; il existe actuellement peu d’information, sinon aucune, sur les effets du chalutage par le fond, bien que les sites chalutés aient été délimités par Kulka et Pitcher (2001). Les effets du rejet des eaux de cale et de ballast sont inconnus. Les sources terrestres de pollution marine qui pourraient affecter le bien-être des espèces doivent être relevées et leurs effets doivent, autant que possible, être atténués. Il faut mener les activités de prospection extracôtière (minerai, pétrole, etc.) en ayant à l’esprit la protection de l’environnement.

Les programmes de communication et de formation, qui établissent des liens entre l’intendance et les activités de rétablissement, doivent être adaptés et compréhensibles pour chaque intervenant. Si ces initiatives sont inefficaces, il sera difficile de stimuler et de favoriser la collaboration avec des législateurs, des scientifiques, l’industrie et tous les autres intervenants pour la protection d’un poisson pris de façon fortuite dont la valeur économique perçue est faible. Dans un tel cas, on ne pourra vraisemblablement pas atténuer comme il se doit les menaces connues ni étudier celles dont on soupçonne l’existence dans le but de déterminer leurs effets relatifs.

Il faut définir les effets spatiaux et temporels, de même que l’ampleur, des menaces qui pèsent sur les divers stades de développement du loup de mer et son habitat. Une collaboration régionale en vue de protéger ces espèces menacées de loup de mer et leur habitat doit voir le jour.

5.1 Pêches

On croit que les effets négatifs de la capture fortuite du loup de mer dans de nombreuses pêches constituent la principale cause de mortalité induite par l’homme. Cependant, on ignore quelle part de la mortalité totale et du déclin de ces espèces est imputable à la mortalité due à la pêche.

Avant 2003 et 2004, c’est-à-dire avant la remise à l’eau obligatoire des espèces de loup de mer menacées prises de façon fortuite dans les pêches canadiennes, les prises et les débarquements de loup de mer n’étaient pas réglementés. Bien qu’il n’y ait aucune pêche dirigée dans les eaux canadiennes, la répartition étendue du loup de mer, qui recoupe des lieux de pêche, fait en sorte que ces espèces sont des prises accessoires courantes dans de nombreuses pêches de l’Atlantique.

Kulka (1986) de même que Simpson et Kulka (2002) constatent que presque toutes les prises accessoires d’A. denticulatus sont rejetées et qu’environ la moitié des prises des deux autres espèces sont conservées. Ainsi, les statistiques relatives aux débarquements sous-estimeraient les prises réelles. Les prises déclarées de loup de mer étaient considérablement plus élevées dans les années 1960 et du début au milieu des années 1970, avant la période de déclin (Simpson et Kulka, 2002). L’effort de pêche au chalut durant les années qui précédaient immédiatement le déclin ou durant le déclin était considérablement plus faible et est demeuré faible. Pendant les années 1980, les prises canadiennes, y compris les quantités rejetées en mer, ont excédé 1000 t pour la plupart des années. Les prises ont chuté après 1991 étant donné la fermeture de nombreuses pêches démersales. Kulka et Pitcher (2001) ont montré qu’une superficie correspondant à environ 20 % du plateau des Grands Bancs et du plateau continental du Labrador a été chalutée annuellement au début des années 1980, un pourcentage qui a chuté à environ 5 % durant les années 1990. En outre, depuis le début des années 1990, l’effort réduit a entraîné une diminution des prises accessoires du loup de mer, ce qui lui a conféré une certaine protection.

Une plus grande proportion des prises d’A. lupus et d’A. minor ont été conservées dans les années 1990. Depuis les Grands Bancs jusqu’au plateau continental du Labrador, les débarquements canadiens déclarés ne s’établissaient qu’à 23 t en 1996, mais ils ont augmenté pour atteindre 157 t en 1997, 155 t en 1998, 315 t en 1999 et 369 t en 2000. Les augmentations récentes sont principalement attribuables aux prises accessoires enregistrées dans la pêche à la morue réalisée à la palangre au sud de l’île de Terre-Neuve. Environ 250 t de prises sont également capturées dans la pêche à la limande à queue jaune sur les Grands Bancs, mais ces prises sont rejetées en totalité. Dans les zones situées au sud des Grands Bancs (golfe du Saint-Laurent, Plateau néo-écossais, baie de Fundy et golfe du Maine), les débarquements de loup de mer (presque exclusivement A. lupus), qui totalisaient entre 1 000 et 1 500 t dans les années 1960, ont augmenté à environ 2 000 t entre 1968 et 1979 pour culminer à environ 4 000 t en 1983 (pour tous les pays). Les débarquements ont diminué de façon constante pour atteindre 1 000 t au début des années 1990, et on estime qu’ils s’établissaient en moyenne à 625 t environ au début des années 2000, avant la remise à l’eau obligatoire des espèces menacées. Les débarquements canadiens représentent approximativement 55 % de ce total, le reste se composant surtout de débarquements américains provenant du secteur du golfe du Maine. Depuis 1986, les débarquements canadiens de loup de mer provenaient principalement du sud-ouest du Plateau néo-écossais et représentaient 81 % du total, dont 10 % provenaient de l’ouest du golfe du Saint-Laurent, le reste étant réparti entre d’autres zones (McRuer et al., 2001). Depuis 2004, toutes les prises d’A. minor et d’A. denticulatus capturées de façon fortuite dans les eaux canadiennes doivent être remises à l’eau d’une façon qui optimise leurs chances de survie.

Les statistiques sur les débarquements regroupent tous les loups de mer dans la catégorie générale des « chats de mer », ce qui englobe A. minor et A. lupus . Cependant, les données recueillies par des observateurs des pêches différencient les espèces et indiquent que, depuis la fin des années 1990, environ 80 % des prises des deux espèces menacées, c’est-à-dire A. minor et A. denticulatus, sont capturées dans les pêches au flétan du Groenland, sur le plateau continental du Labrador et les Grands Bancs (Kulka et Simpson, 2004). On pense que les captures sont sous-déclarées dans les données des registres commerciaux des pêches pour chacune des trois espèces, comme l’indiquent les données recueillies par des observateurs de diverses pêches.

Le chalutage est rarement pratiqué, sinon jamais, dans les zones où chacune des trois espèces a affiché un plus grand déclin dans la partie intérieure du plateau continental du Labrador/nord-est de Terre-Neuve (où il y avait de fortes concentrations de loup de mer dans les années 1970) (Kulka et Pitcher, 2001). On n’y pratique pas non plus tout autre type de pêche. Les efforts de pêche les plus intenses des années 1970 jusqu’au début des années 1990 ont notamment eu lieu sur le bord du plateau, au nord des Grands Bancs, un secteur où se trouvent toujours de fortes concentrations de loup de mer et où les vestiges de certaines espèces commerciales, comme la morue, étaient concentrés juste avant l’effondrement de leurs populations (Rose et Kulka, 1999). Ainsi, c’est dans les zones les plus intensément chalutées sur le bord du plateau, depuis le nord du plateau continental du Labrador jusqu’aux Grands Bancs, que les trois espèces de loup de mer sont encore les plus abondantes. Malgré le fait que ces espèces soient largement sédentaires (Templeman, 1984) et qu’il y ait un manque de concordance entre la zone qui affiche le plus grand déclin pour le loup de mer et la pêche au chalut (même s’il ne fait nul doute que le chalutage contribue à la mortalité totale), les preuves recueillies vont à l’encontre de l’hypothèse voulant que la pêche au chalut soit la seule cause et peut-être la cause proximale du déclin des populations de loup de mer (Kulka et al., 2004). Ainsi, des influences importantes non liées à la pêche, conjuguées à la mortalité due à la pêche, contribueraient aux changements observés dans la répartition et l’abondance.

Une proportion importante de la mortalité due à la pêche pour le loup de mer survient à l’extérieur des limites territoriales du Canada. On pense que les prises accessoires non canadiennes de loup de mer capturées dans la zone réglementée par l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (OPANO) sont sous-déclarées (Simpson et Kulka, 2002). Les profondeurs auxquelles les prises sont capturées et l’effort de pêche consenti dans la zone réglementée par l’OPANO semblent indiquer que ces prises accessoires pourraient constituer une proportion substantielle de la mortalité, puisque ces captures sont non réglementées et que la majeure partie des poissons sont conservés à des fins commerciales. Les poissons capturés dans cette zone appartiennent probablement à la même population qui habite les eaux canadiennes.

Actuellement, la remise à l’eau de toute prise appartenant à une espèce menacée de loup de mer capturée dans les eaux canadiennes est obligatoire. Néanmoins, il faut aussi étudier les effets du déplacement des efforts de pêche en cas de fermeture de zones dans le cadre d’un programme de rétablissement. Afin d’atténuer les effets des activités humaines de pêche, il faut mettre en place des mécanismes pour établir les plafonds qui pourraient être imposés sur les prises accessoires et des mesures d’application connexes. L’enjeu de la surexploitation imputable aux prises accessoires (dans certaines pêches, les limites établies pour les prises accessoires de loup de mer ont été dépassées avant que le quota pour l’espèce cible soit atteint) doit figurer au centre de l’examen des problèmes sous-jacents à la gestion d’une pêche multi-espèces.

Il faut examiner le processus de collecte et de traitement des données des registres des pêches concernant les prises de loup de mer. Pour que cet examen soit efficace, il faut décider quelles sont les données qui doivent être consignées dans les registres, en collaboration avec des exploitants pêcheurs, des observateurs et des scientifiques. La conception des futurs registres des pêches doit tenir compte de l’obligation de déclarer les prises d’autres espèces marines en péril. Les registres des pêches doivent être organisés de façon à permettre la collecte intégrée de statistiques sur les prises d’une vaste fourchette d’espèces actuellement non déclarées, dont le loup de mer.

Comme il a été déterminé que la pêche constituait une cause du déclin des populations de loup de mer (rapport de situation non publié du COSEPAC), il faut établir des taux de prises accessoires viables pour chaque espèce ou population, et ce, pour chaque pêche (bien que, comme on l’a mentionné plus tôt, la cause proximale du déclin soit encore inconnue). Afin d’éviter la poursuite du déclin et de favoriser la croissance de la population des espèces de loup de mer dans les eaux atlantiques canadiennes, il est essentiel d’étudier le cycle biologique, la structure de la population et les interactions écosystémiques pour déterminer la taille et la structure de la population et, enfin, la mesure dans laquelle cette population peut subir les effets de la pêche sans que cela ne compromette son rétablissement.

D’après le COSEPAC, les technologies halieutiques, en particulier le chalutage par le fond et le dragage, seraient des causes possibles de perturbation de l’habitat du loup de mer. Les pertes progressives d’habitats de refuge et de reproduction des loups de mer (perturbation de l’habitat, dégradation et fragmentation connexe) causées par les pêches sont des menaces probables au rétablissement des loups de mer, une famille de poissons qui, semble-t-il, se déplacent peu et qui affichent peut-être des habitudes de reproduction particulières. Or, pour des raisons pratiques, la pêche au chalut n’est pas pratiquée en zones rocheuses, car le chalutage en zones rocheuses provoque la destruction d’engins coûteux. Ceci confère une certaine protection aux habitats rocheux. En outre, comme on l’a mentionné plus tôt, les zones qui affichent le plus grand déclin ne concordent pas avec les endroits où les efforts de pêche au chalut sont les plus intenses.

5.2 Exploitation extracôtière de pétrole, de gaz et de minerais

5.2.1 Levés sismiques

Les eaux de l’est du Canada font l’objet d’une intense prospection pétrolière. Dans sa recherche de gisements de pétrole et de gaz, l’industrie de la prospection pétrolière et gazière en mer recourt à des techniques de prospection sismique afin d’évaluer l’assise rocheuse de la mer. Pour ce faire, on remorque un réseau de canons, constitués de cylindres contenant un faible volume d’air comprimé (habituellement entre 10 et 100 pouces cubes) à une pression d’environ 2 000 livres par pouce carré. Les quelques dizaines de cylindres que compte le réseau produisent des détonations répétitives, lesquelles provoquent une oscillation de la pression.

Aucune recherche n’a jamais porté sur les effets des levés sismiques sur les espèces de loup de mer, mais Sverdrup et al. (1994) croit que les détonations des canons à air comprimé constituent un stimulus sensoriel auquel la physiologie du poisson est totalement inadaptée. Les canons à air produisent une onde de compression et de décompression dans l’eau qui, à courte distance, est suffisante pour tuer des poissons à certains stades de développement (Boudreau et al., 1999). À des distances inférieures à environ cinq mètres, ces canons peuvent causer des dommages physiques directs aux poissons, aux œufs et aux larves. Néanmoins, il ressort d’une revue de la littérature de Payne (2004) que les dommages aux œufs et aux larves de poisson, même à courte distance, sont limités. Il est probable que le bruit éloigne les poissons avant que ceux-ci ne se trouvent dans le voisinage immédiat des canons à air. Ainsi, le risque de dommages physiques serait plus grand pour les organismes qui ne peuvent s’éloigner de la source sonore en approche, particulièrement les œufs et les larves. Si les levés sismiques sont réalisés dans des secteurs hébergeant des groupes de larves, des taux de mortalité plus élevés sont possibles. Cela dit, le taux de la mortalité des poissons marins n’aurait pas d’effets importants sur le recrutement d’un stock (Payne, 2004, Dalen et al., 1996). Dans le cas du loup de mer, les adultes et les œufs se trouvent généralement sur le fond ou près du fond, entre 100 et 900 mètres sous la surface. En conséquence, l’effet physique direct sur les adultes et les œufs serait probablement minimal, voire inexistant. Par contre, les larves, situées près de la surface, pourraient être directement touchées par l’activité sismique. Les levés sismiques réalisés pendant des périodes d’éclosion larvaire sont ceux qui risquent le plus de causer des dommages.

On connaît peu de choses sur l’incidence du bruit des canons à air sur le comportement à des distances supérieures. Il est possible que les loups de mer adultes qui surveillent les nids quittent la zone de perturbation, laissant ainsi la masse d’œufs sans protection. On ne dispose toutefois d’aucune information confirmant ces effets potentiels chez le loup de mer. Les effets observés par Dalen et al. (1996) pour d’autres espèces de poisson incluent des changements dans la flottabilité des organismes et dans leurs capacités à éviter les prédateurs. Des recherches signalent une perte d’intégrité structurale et des réactions fonctionnelles réduites, indiquées par une défaillance temporaire de l’endothélium vasculaire en réaction au choc sismique chez d’autres espèces de poissons (Sverdrup et al., 1994).

Des recherches portant sur le lançon (de la famille des Ammodytidés) indiquent que les espèces qui ne possèdent pas de vessies natatoires ont un seuil d’audition plus élevé que les espèces qui en sont pourvues (Hawkins, 1981). La distance à laquelle des effets comportementaux sont induits chez les espèces ne possédant pas de vessies, comme le loup de mer, est probablement plus courte que chez les espèces qui en sont pourvues. D’autres recherches seront nécessaires pour déterminer la capacité auditive du loup de mer.

À de courtes distances, les canons à air produisent des ondes de choc suffisamment fortes pour causer des dommages internes aux organes dotés de chambres d’air et de gaz chez les poissons. On s’attendrait que les poissons dotés de vessies natatoires soient plus susceptibles de subir des dommages physiques directs que ceux qui en sont dépourvus (c.-à-d. le lançon et le loup de mer). Il est donc faux d’affirmer que la distance à laquelle des dommages biologiques se produisent est probablement plus courte pour ces espèces que pour celles qui possèdent des vessies. Cependant, si les espèces dépourvues de vessies ont un seuil d’audition plus élevé que celles qui en possèdent, il serait logique de présumer que la distance à laquelle des effets comportementaux (c.-à-d. réactions de fuite des poissons) sont induits devrait être plus courte.

L’incidence des levés sismiques et d’autres méthodes de prospection utilisées pour rechercher des ressources extracôtières doit être quantifiée pour le loup de mer et son habitat. Il n’existe aucun cas documenté de mortalité d’une espèce de poisson imputable à une exposition à des bruits sismiques dans des conditions de prospection en mer (MPO, 2004a). On ne connaît rien de l’effet possible de ce type d’exposition sur les espèces de loup de mer à aucun des stades de leur cycle biologique et, sur le plan scientifique, on ne connaît pas bien pour l’instant les effets éventuels des levés sismiques sur les organismes marins en général. Toute nouvelle connaissance scientifique doit servir à orienter l’industrie.

5.2.2 Prospection et exploitation pétrolières et gazières

L’augmentation de la prospection et de l’exploitation pétrolières dans les eaux de l’est du Canada accroît les risques de déversements de pétrole, de jaillissements de pétrole en mer, de fuites accidentelles en provenance de pétroliers et d’autres désastres potentiels. Ces accidents entraînent le rejet de produits pétrochimiques, de métaux dissous (ingestion de métaux toxiques) et d’autres solides dans l’écosystème. En outre, l’exposition du loup de mer, de ses proies et de leur écosystème à ces polluants et à d’autres polluants potentiels peut causer des morts directes ou un éventail d’anomalies sublétales (croissance ralentie, résistance moindre à la maladie, etc.).

Dans toute exploitation pétrolière, il existe toujours un risque de rejet important de pétrole ou de gaz dans l’environnement imputable au déversement accidentel du produit extrait pendant son entreposage ou son transport ou, encore, à un jaillissement pendant le forage. Les jaillissements de pétrole et les déversements accidentels importants peuvent rejeter des hydrocarbures à un taux supérieur à celui que les écosystèmes naturels peuvent absorber et, ainsi, nuire à des organismes qui n’ont jamais été exposés qu’à des concentrations infimes d’hydrocarbures pétroliers.

La quantité de pétrole déversé qui se disperse et se dissout dans l’eau varie considérablement selon sa composition et les conditions environnementales, mais est généralement de l’ordre de 5 à 15 %. La toxicité du pétrole dans la colonne d’eau peut être supérieure à celle des nappes de surface en raison du potentiel réduit d’évaporation des composants toxiques plus légers (Boudreau et al., 1999).

La quantité de pétrole qui atteint les sédiments des fonds marins est fonction de nombreux facteurs, y compris le volume du jaillissement, du type de jaillissement (plate-forme ou fond océanique), la composition des hydrocarbures, le vent, les courants, la structure de la colonne d’eau, la profondeur de l’eau et le taux de mélange de la colonne d’eau. Les mécanismes de transport incluent l’adhérence aux particules, l’incorporation dans les boulettes fécales du zooplancton, la sédimentation directe des particules d’hydrocarbures altérés et le mélange vertical.

Il reste très difficile de démontrer les effets de la mortalité induite par le pétrole sur les premiers stades de développement des poissons et des invertébrés en raison de leur mortalité naturelle importante et variable. Comme il est difficile d’étudier sur le terrain les effets du pétrole sur les poissons adultes, les connaissances ne sont pas exhaustives. Toute mortalité d’espèces benthiques induite par un événement unique serait probablement restreinte dans son ampleur et dans le temps (Boudreau et al. 1999). Si les lignes directrices et les règlements sont respectés, les effets des accidents seront probablement négligeables pour le loup de mer ou toute autre espèce. En outre, le seul stade où le loup de mer vit près de la surface est le stade larvaire, qui constitue de ce fait la seule partie du cycle biologique qui pourrait être éventuellement affectée par le rejet d’hydrocarbures.

Le rejet d’hydrocarbures n’est pas le seul enjeu potentiel. Les débris de forage sont constitués de deux principaux éléments : les boues et les déblais. Les boues sont habituellement constituées de substances plus fines et moins denses, tandis que les déblais se composent généralement de gravier plus grossier et plus lourd, environ de la taille de grains de sable (Boudreau et al., 1999). Les effets les plus visibles du forage exploratoire sur l’environnement sont associés aux boues de forage. Les boues se divisent en trois classes : boues à base d’eau, boues à base d’huile lourde et autres types de boues, lesquelles incluent l’huile minérale et les produits synthétiques. Une fois les boues rejetées, un certain nombre de différents processus agissent sur elles et déterminent leur sort et leurs effets éventuels sur l’environnement.

Les régimes de circulation et le modèle de transport dans la couche limite de la zone benthique permettent d’établir le sort des particules fines des boues de forage, les principaux déterminants de cette dispersion et la variation saisonnière des effets (FREP, 2000). Approximativement 10 % des déchets rejetés affichent une densité équivalente à celle de l’eau et forment un panache de surface (NCR, 1983). Les facteurs qui influent considérablement sur la profondeur de descente sont la densité des boues, la profondeur de rejet, le flux descendant initial du rejet, la force du courant et la stratification de la colonne d’eau (Andrade et Loder, 1997). Les boues de forage rejetées peuvent s’accumuler dans les zones de faible courant près de l’installation de forage, où elles étouffent et tuent des organismes benthiques. De même, étant donné la vitesse de sédimentation élevée des déblais, il est justifié de croire qu’un grand nombre d’organismes lents ou sessiles pourraient mourir étouffés dans la zone située directement sous une installation de forage (Boudreau et al., 1999).

Des liquides de forage à base de produits synthétiques (I-35) sont actuellement employées au large de Terre-Neuve et du Labrador. Des études de toxicité effectuées sur des pétoncles ainsi que certaines études portant sur du plancton et des larves de poisson indiquent un très faible potentiel de toxicité aiguë (Cranford et al., 2000; Armsworthy et al., 2000; Payne et al., 2001). Les données sur la toxicité aiguë disponibles pour les liquides de forage à base de produits synthétiques et d’eau indiquent que les rejets de plates-formes dans des eaux bien mélangées entraînent peu, voire aucun, effet aigu imputable à des substances chimiques (Neff, 1987; GESAMP, 1993; Payne et al., 1995). On a également démontré que les déblais ont une très faible toxicité aiguë (Payne et al., 2001).

Au site d’exploitation pétrolière Hibernia sur les Grands Bancs, la zone dans laquelle les effets biologiques de ces matériaux se font sentir semble être localisée. Cependant, d’autres études doivent être entreprises sur des espèces exploitables, comme la plie canadienne. Les taux d’hydrocarbures et de métaux diminuent à l’intérieur d’un rayon de 1 000 m, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont inférieurs aux limites de détection, les sédiments ne sont pas toxiques et on ne détecte aucune flaveur parasite dans la plie canadienne capturée à l’intérieur d’un rayon de 3 000 m autour de la plate-forme. De façon générale, aucun effet important n’a été observé (FREP, 2000). Les extrapolations indiquent un risque faible, voire nul, même à l’intérieur d’un rayon aussi court que 1 000 m ou moins autour de l’installation sur la durée de vie du projet. Les risques pourraient être réduits davantage à des sites d’exploitation situés dans des eaux plus profondes ou affichant des courants plus élevés, qui peuvent ainsi offrir un plus grand potentiel de dilution et de dispersion des particules (Payne et al., 2001).

D’autres articles décrivent les effets physiques et toxiques des rejets. On a découvert que les effets des boues à base d’huile très toxiques se limitaient à un rayon de 500 m autour des installations, mais que des effets subtils peuvent être observés dans la diversité des organismes benthiques et la structure de la communauté aussi loin qu’à plusieurs kilomètres de distance (Olsgard et Gray, 1995; Daan et al., 1990; Kingston, 1992). Les boues à base d’eau, bien que non toxiques, peuvent enterrer des organismes, et leurs effets se font sentir sur une distance de 50 à 100 m. Les effets des boues à base de produits synthétiques ont été observés à une distance variant de 250 à 500 m. Les effets toxiques des boues à base d’esters sont plus importants en raison de leur consommation élevée d’oxygène (FREP, 2000).

L’eau produite contient des métaux lourds, des hydrocarbures, des sels nutritifs, des radionucléides et des produits chimiques ajoutés. Actuellement, les effets environnementaux de l’eau produite sont peu connus. Le potentiel d’effets toxiques peut être réduit rapidement par la dilution, mais des effets chroniques peuvent émerger en raison de l’exposition à long terme, et des effets inhibiteurs peuvent être observés. En outre, des contaminants peuvent être séquestrés dans l’environnement benthique par des procédés physiques et chimiques (p. ex. floculation). La dilution n’annule pas complètement les effets du rejet et les déchets qui se sont déposés au fond de l’eau peuvent être remis en circulation (FREP, 2000).

Les exploitations pétrolières de Norvège fonctionnent depuis 20 ans. Des évaluations environnementales ont indiqué que les effets des rejets peuvent se faire sentir sur une distance pouvant atteindre 10 km. Cette distance excède de beaucoup les projections formulées durant les années 1960 (FREP, 2000), mais demeure relativement faible par rapport à l’aire occupée par le loup de mer.

Les travaux courants de forage exploratoire opérationnel n’auront vraisemblablement que des incidences localisées sur les éléments de l’écosystème qui ont été examinés. Les incidences réelles seront fonction du lieu et de la période choisis pour ces travaux, ainsi que des propriétés des rejets. Il existe une faible probabilité d’incidence sur les populations et sur l’écosystème (Boudreau et al., 1999).

En résumé, les rejets opérationnels entraînent certains effets biologiques sur des périodes relativement courtes et à proximité du point de rejet. Les organismes benthiques ne devraient pas être étouffés par des dépôts de boues et de déblais à l’extérieur d’un rayon estimé à 0,5 km environ autour de l’installation. L’utilisation de boues de forage à base d’eau, moins toxiques, devrait limiter le taux de mortalité directe des organismes, tout comme le ferait l’usage d’huile à faible toxicité pour la lubrification et d’un fluide pour spotting. La zone d’incidence située autour de l’installation de forage varierait selon l’emplacement, le temps et la quantité rejetée. Les effets cesseraient rapidement après l’arrêt du forage. On estime que la boue, les déblais et les hydrocarbures connexes, une fois dispersés, entraîneraient des effets localisés et non mortels pour certains organismes des fonds marins. En raison de la grande variabilité spatiale et temporelle des populations naturelles et des limites des méthodes d’échantillonnage actuelles, on croit qu’il serait très difficile de déterminer le résultat net de toute incidence sur la population (Boudreau et al., 1999). Ainsi, tout effet éventuel sur le loup de mer serait très localisé et négligeable pour l’ensemble de la population.

5.3 Rejets en mer

5.3.1 Boues d’épuration

Des boues d’épuration peuvent être rejetées dans l’environnement marin depuis les côtes ou par des canalisations et ont un effet connu sur les communautés planctoniques et benthiques côtières. Ces boues contiennent des bactéries et des virus dont on connaît la toxicité chez les mollusques et les crustacés, mais dont on ignore l’incidence chez le loup de mer. On pense que l’effet chez le loup de mer, dont l’aire de répartition est vaste, serait minimal tant que ces rejets sont effectués depuis les côtes. Cependant, les effets éventuels doivent être évalués et, s’ils sont considérés comme nocifs, atténués.

5.3.2 Déchets de poisson

La transformation du poisson et d’autres organismes marins produit un grand volume de déchets (têtes, queues, entrailles et organes internes, etc.). Les déchets de poisson peuvent représenter jusqu’à 75 % du poids d’un poisson avant la transformation, selon l’espèce et le traitement subi. Les déchets résultant de la transformation industrielle du poisson et d’autres organismes marins sont riches en protéines et en graisses animales. Les substances présentes dans les déchets de poisson peuvent subir des changements physiques, chimiques et biochimiques lorsqu’ils sont rejetés dans l’environnement marin. De même, divers produits chimiques, principalement des métaux lourds et des hydrocarbures chlorés présents dans les déchets de poisson, peuvent s’accumuler dans les sédiments marins pour être plus tard libérés dans la colonne d’eau dans des circonstances précises, devenant par le fait même absorbables par les organismes marins.

Les déchets se dégradent rapidement sous l’action des bactéries hétérotrophes. Les déchets qui ne sont pas consommés par d’autres organismes marins subissent l’activité de ces bactéries. Ainsi, le rejet continu de déchets mènerait à une augmentation des concentrations de bactéries hétérotrophes dans la zone où ont lieu ces rejets. De plus, l’eutrophisation induite par le rejet de déchets peut modifier la structure du plancton et des communautés benthiques. Dans des conditions critiques, l’appauvrissement en oxygène peut avoir des effets nuisibles et causer la mortalité.

Les poissons et d’autres organismes marins peuvent contenir divers produits chimiques, comme des métaux lourds, des antibiotiques et des hormones. Les inquiétudes semblent justifiées au sujet de l’emploi abusif et de l’usage à mauvais escient de certains produits chimiques pour lesquels aucune évaluation appropriée du risque pour l’environnement marin n’a été réalisée. Cependant, ces enjeux concernent davantage l’habitat côtier, plus particulièrement les espèces aquacoles.

La susceptibilité des déchets de poisson à de tels changements doit être étudiée à la lumière de leur sort éventuel et de leurs effets potentiels. En outre, divers produits chimiques présents dans les déchets de poisson, de même que des vecteurs de maladie et des espèces non indigènes, peuvent avoir des effets négatifs sur les populations de poissons sauvages qui consomment ces déchets. Les produits chimiques peuvent s’accumuler dans les sédiments marins pour atteindre la flore et la faune benthiques. Par le passé, il était courant d’éliminer ces déchets en mer, au risque de surcharger l’écosystème.

Les effets susmentionnés de ces déchets sur le loup de mer sont inconnus, mais ils sont probablement minimaux en raison de leur nature localisée et côtière et de la grande aire de répartition du loup de mer.

5.3.3 Rejets de drague

Il a été démontré que les boues rejetées par des barges atteignent le fond de l’océan, mais pas nécessairement au point situé exactement sous le site de rejet, et qu’elles ont des effets importants sur le métabolisme, le régime alimentaire et la composition des organismes qui y vivent. Les mouvements des rejets de drague peuvent avoir de multiples effets sur une série d’habitats adjacents avec le temps. La distance parcourue par divers types de particules est principalement fonction de la taille et de la densité des matières, des vitesses du courant et des conditions météorologiques. L’incidence des rejets initiaux peut être multipliée par la remise en suspension des particules et leur resédimentation par les courants de marée. Les contaminants introduits dans les sédiments par les rejets ont pénétré à une profondeur de 5 cm dans les fonds marins par l’intermédiaire des organismes qui vivent et se déplacent dans les sédiments. Les matériaux contaminés qui se sont introduits dans le réseau trophique benthique ont donné naissance à un nouvel environnement benthique qui favorise les espèces qui peuvent exploiter les matières organiques disponibles dans les boues résiduaires.

Les récifs étouffés par les rejets peuvent subir des modifications spectaculaires de leur macrofaune et de leur macroflore. La macrofaune la plus invasive est sédentaire et se limite à des colonies sur des blocs rocheux exposés surplombant les dépôts ou, encore, est constituée d’espèces errantes (Elner et Hamet, 1984). Un effet positif du dragage est l’augmentation de la diversité des espèces et du poids des individus dans les zones draguées, là où les trous présents dans le fond de la mer ont créé des habitats de refuge (Morton, 2001). Dans le cas du loup de mer, il semble probable que l’effet des rejets dans l’océan soit minimal puisque la zone affectée serait très confinée.

Le loup de mer et son habitat doivent être considérés comme des composantes valorisées de l’environnement (CVE) et doivent faire l’objet de rapports lorsque la prise de décisions concernant des activités extracôtières nécessite des évaluations environnementales.

5.4 Activités militaires

Des activités militaires ont toujours lieu dans de nombreux secteurs des eaux de l’est du Canada. On connaît peu l’incidence de ces activités sur le loup de mer et son habitat. Cette incidence doit être évaluée et les effets potentiels, atténués.

5.5 Câbles et canalisations

La mise en place de structures physiques sur le lit de la mer ou dans la colonne d’eau peut avoir une incidence sur l’habitat du loup de mer, bien que limitée dans l’espace. Étant donné la vaste répartition de l’espèce, l’incidence de ces activités est probablement minimale, mais doit être quantifiée.

5.6 Pollution marine et terrestre

Toute activité humaine qui a le potentiel de causer une dégradation de l’habitat du loup de mer, même marginale, doit être relevée, un nettoyage doit être entrepris le cas échéant et des mesures de prévention doivent être mises en place. Les formes de pollution d’origine terrestre, incluant les eaux de ruissellement qui contiennent une charge excessive en sels nutritifs, les sédiments, les agents pathogènes, les toxines persistantes ou le pétrole, peuvent influer considérablement sur l’écosystème marin. L’ampleur des changements et leur forme sont fonction de nombreux facteurs, y compris les types de particules dissoutes ou en suspension (p. ex. produits chimiques organiques non biodégradables). Ces polluants peuvent avoir un effet négatif sur le potentiel reproductif du loup de mer, ses proies et la végétation environnante ainsi qu’interférer avec son état de santé général.

5.7 Changement du climat mondial

Le rôle du changement climatique en tant que facteur dans le déclin des populations de loup de mer est actuellement inconnu. Les changements atmosphériques peuvent causer des modifications dans les ressources maritimes, la composition des espèces et l’habitat. Les changements dans la composition chimique, biologique et physique des habitats peuvent influer sur la reproduction des populations, les taux de mortalité et les comportements individuels. Des sources de données historiques pourraient être employées dans l’examen des rapports qui existent entre le climat et les tendances dans la répartition et l’abondance du loup de mer. L’étude du changement climatique, en tant que facteur dans le déclin du loup de mer, n’est pas une tâche sans importance. Il se peut, toutefois, qu’aucune réponse définitive ne soit trouvée.

5.8 Mortalité naturelle (parasites, maladies, prédation et environnement)

Comme c’est le cas pour la grande majorité des espèces marines, on connaît peu les effets des parasites, des maladies, de la prédation ou des conditions environnementales sur la survie des espèces de loup de mer. Les états pathologiques et les facteurs causals doivent être déterminés, tout comme les prédateurs potentiels. Il est possible que la mortalité naturelle ait joué un rôle important dans le déclin de ces espèces, mais ces processus sont mal compris pour l’instant.

5.9 Résumé des menaces

On pense que l’incidence de la capture fortuite du loup de mer dans de nombreuses pêches constitue la principale cause de mortalité induite par l’homme. Néanmoins, la remise à l’eau du loup à tête large et du loup tacheté atténue dans une certaine mesure les effets de la capture fortuite (voir la section 5.3 de la partie B). D’autres sources potentielles de dommages (perturbation de l’habitat, prospection et exploitation pétrolières, pollution, transport maritime, câbles et canalisations, activités militaires, écotourisme et recherches scientifiques) auraient une incidence négligeable sur la capacité du loup à tête large et du loup tacheté à survivre et à se rétablir (MPO, 2004b).

On reconnaît également que les éléments non humains (influences environnementales) peuvent avoir joué un rôle dans le déclin des espèces et que ces effets ne peuvent être contrôlés/atténués. En raison de la nature imprévisible de ces effets environnementaux, le présent document ne traite que des influences anthropiques.

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