Dard vert (Etheostoma blennioides) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Comme le dard vert est une espèce répandue et relativement commune dans l'est de l'Amérique du Nord, un grand nombre de chercheurs s’intéressent à sa biologie. Certaines études portent sur le cycle biologique de l’espèce, et d’autres, sur l’écologie des communautés de poissons des cours d'eau. La majorité de ces études ont été réalisées aux États-Unis, mais il existe quelques études canadiennes.

Cycle vital et reproduction

Le dard vert a une vie relativement courte, de cinq ans au maximum. Selon les études menées par Fahy (1954), la durée de vie typique des individus de la population du ruisseau Salmon, dans l'État de New York, est de trois ans. Les captures effectuées en automne et en hiver comptaient un nombre à peu près égal de juvéniles de l'année, de jeunes d’un an et d'individus de deux ans. Les individus de trois ans étaient moins nombreux, et un seul individu de quatre ans a été capturé. Dans ce bassin hydrographique, le taux de mortalité semblait élevé après la fraye entre la troisième et la quatrième saison de croissance (Fahy, 1954). Les plus vieux mâles capturés avaient quatre ans et les plus vieilles femelles, cinq ans. Les poissons les plus âgés capturés par Bunt et al. (1998) dans la rivière Grand, en Ontario, avaient trois ans. Le sex-ratio (femelles:mâles) est de 1:1 pour le ruisseau Salmon, dans l’État de New York (Fahy, 1954), de 1,1:1 pour 38 prélèvements effectués par Carlander (1977) et de 1,4:1 pour la rivière Grand, en Ontario (Bunt et al., 1998). Le sex-ratio peut changer selon le temps de l'année et l'habitat.

Le dard vert croît rapidement et parvient à 60 p. 100 de sa taille maximale à la fin de sa première année d’existence (Fahy, 1954). Les individus des deux sexes parviennent à maturité au cours du printemps qui suit leur première saison de croissance, soit à l'âge d'un an (Fahy, 1954; Bunt et al., 1998). Les mâles croissent plus rapidement que les femelles et deviennent plus gros (Fahy, 1954; Bunt et al., 1998). Puisque les poissons parviennent à la maturité à l'âge d'un an et que très peu d'entre eux vivent plus de trois ans, la durée d'une génération est estimée à deux ans. Tout porte à croire que le dard vert fraie chaque année.

Selon les documents examinés, le nombre d’œufs pondus varie de 181 à 1 832 par femelle (Fahy, 1954; Winn, 1958a; Kellogg et al., 1997; Bunt et al., 1998). La longueur totale est plus importante que l'âge pour déterminer la fécondité. Bunt et al. (1998) ont découvert que le taux de fécondité du dard vert dans la rivière Grand était de beaucoup inférieur à celui de la population américaine étudiée par Winn (1958a), ce qui leur laisse croire que les hivers plus longs et plus froids du sud de l'Ontario pourraient limiter l'énergie disponible pour la production d'œufs. Kellogg et al. (1997) ont observé une variation importante du taux de fécondité entre trois populations de dards verts du bassin de la rivière Allegheny, en Pennsylvanie. Les différences sont peut-être attribuables à la densité des populations, au nombre d'espèces concurrentes et à la présence de fortes concentrations de métaux lourds dans un des bassins hydrographiques.

Le dard vert fraie au printemps, lorsque la température de l'eau atteint 10,6 °C (Fahy, 1954). Si la température de l'eau chute en deçà de ce point critique après le début de la fraye ou si l'eau devient excessivement trouble en raison de fortes pluies, la ponte peut ralentir ou cesser (Fahy, 1954; Winn, 1958a). Trautman (1981) soutient que, en Ohio, le gros de la fraye a lieu lorsque la température de l'eau est inférieure à 18°C. Pour sa part, Baker (1979) dit avoir observé la fraye au Tennessee lorsque la température de l’eau variait de 10,2 à 19,0 oC. Le dard vert fraie en mars et en avril dans le sud de son aire de répartition (Pflieger, 1975; Winn, 1958a) et d’avril à juin dans le nord (Fahy, 1954; Winn, 1958a). Fahy (1954) a observé que la période de la fraye dans l'État de New York coïncide avec la période pendant laquelle la couverture des algues filamenteuses est à son maximum dans les seuils. Chez les populations canadiennes, la fraye se déroule probablement de la mi-mai à la mi-juin, comme c'est le cas dans l'État de New York et au Michigan.

Le dard vert pond normalement ses œufs sur des algues filamenteuses (genre Cladophora) ou sur des mousses aquatiques (genre Fontinalis) (Fahy, 1954; Winn, 1958b; Trautman, 1981; Kuehne et Barbour, 1983), mais ces conditions ne semblent pas obligatoires (Schwartz, 1965; Jenkins et Burkhead, 1994). Mâles et femelles s'accouplent avec plusieurs individus (Fahy, 1954; Page, 1983). Les mâles choisissent un territoire et sont stimulés par des mouvements et des coups des femelles (Fahy, 1954; Winn, 1958b). Le mâle monte la femelle en angle et fertilise les œufs, lesquels sont ensuite déposés sur la végétation, près du point de fixation à la roche (Fahy, 1954; Winn,1958b). Les œufs sont démersaux et adhésifs, et ils font en moyenne 1,8 mm de diamètre (Fahy, 1954; Winn, 1958a). La fraye s’échelonne sur une période prolongée, la femelle pondant plusieurs groupes d'œufs qui parviennent à maturité successivement. Les femelles pondent leurs œufs en dix à douze occasions réparties sur quatre à cinq semaines (Fahy, 1954). En laboratoire, Fahy (1954) a découvert que le dard vert frayait la nuit, alors que Winn (1958b) a noté que la fraye avait lieu tôt le matin et pendant la journée. Des dards verts hybridés avec le Percina sciera et le P. caprodes ont été observés en Ohio (Trautman, 1981), mais il n'existe aucune mention de dard vert hybridé au Canada (E. Holm, communication personnelle 2005).

Les parents ne protègent pas directement les œufs, mais les mâles, en défendant la frayère, le font indirectement (Winn, 1958a). Les frayères mesurent de 80 à 100 cm de diamètre, et le centre se trouve sur un gros rocher où sont fixées des algues. La présence d'autres mâles est nécessaire avant l'établissement des territoires, et Fahy (1954) n'a noté aucune activité d’établissement de territoire pendant ses observations, ce qui donne à penser que le comportement territorial peut être modifié par les conditions environnementales et sociales (Winn, 1958b). Winn (1958a) a observé que les individus étaient dispersés (de 30 à 200 cm du voisin le plus proche) dans les seuils en été et en automne, ce qui témoigne également d’une certaine territorialité.

Les œufs éclosent au bout de 18 à 20 jours à une température de 13 à 15 °C, et les larves naissantes font de 6,8 à 7,5 mm de longueur (Fahy, 1954; Winn, 1958a). Les larves passent au stade de juvéniles lorsqu'elles mesurent environ 20 mm (Baker, 1979). Selon Fahy (1954), le passage au stade de juvéniles se fait à la fin juin et en juillet dans le ruisseau Salmon, dans l'État de New York. Le stade de juvénile est relativement court, puisque tous les poissons parviennent à la maturité dès le printemps qui suit leur naissance.

Alimentation

La bouche subterminale du dard vert est adaptée pour que le poisson puisse se nourrir sur le dessus des rochers (Page et Swofford, 1984; Kessler et al., 1995). Comparativement à d'autres espèces de dards, le dard vert doit peut-être se limiter à des aliments plus petits (de 1 à 4 mm) en raison de sa petite bouche, même s'il s’agit du plus gros poisson du genre Etheostoma (van Snik Gray et al., 1997). Le dard vert s'alimente tout au long de l'année, mais dans une moindre mesure pendant les mois d'hiver (Fahy, 1954).

Le dard vert est un insectivore benthique qui se nourrit principalement de larves de moucherons (Chironomidés), de mouches noires (Simuliidés) et d'éphéméroptères (Ephemeroptera). Plusieurs études ont révélé que les larves de moucherons étaient la proie la plus importante des poissons adultes (Turner, 1921; Wynes et Wissing, 1982; Hlohowskyj et White, 1983; van Snik Gray et al., 1997). Dans la rivière Grand (Ontario), les proies les plus abondantes étaient les éphéméroptères et les phryganes (Trichoptera), suivis des moucherons et des mouches noires. Les juvéniles se nourrissent de cladocères et de copépodes (crustacés) ainsi que de plus petits insectes (Turner, 1921). Fahy (1954) a découvert que le dard vert se nourrissait selon la disponibilité des proies dans un cours d'eau de l'État de New York, mais Hlohowskyj et White (1983) ont pour leur part noté une sélection positive de larves de mouches noires et de moucherons. Les proies suivantes font également partie du régime alimentaire du dard vert, quoique dans une moindre mesure, ce qui porte à croire qu'il s’agit d’un mangeur opportuniste : insectes – plécoptères (Plecoptera), tipules (Tipulidae), chenilles aquatiques (Lepidoptera), coléoptères (Coleoptera), hémiptères (Hemiptera); mollusques – escargots et patelles (Gastropoda); crustacés – ostracodes (Ostracoda), amphipodes (Amphipoda); arachnides – hydrachnidés (Hydracarina); annélides – oligochètes (Oligochaeta), sangsues (Hirudinea); œufs et restes de poissons (Turner, 1921; Hlohowskyj et White, 1983; Etnier et Starnes, 1993; van Snik Gray et al., 1997; Bunt et al., 1998).

Prédateurs

Plusieurs prédateurs possibles du dard vert ont été identifiés, mais les cas de prédation observés sont rares. Bunt et al. (1998) ont identifié de petits dards verts dans le contenu stomacal de plusieurs barbottes des rapides (Noturus flavus). Cooper (1983) est d’avis que le dard vert représente probablement une proie importante pour le crapet de roche (Ambloplites rupestris) et l'achigan à petite bouche (Micropterus dolomieu) dans les cours d'eau de la Pennsylvanie. La couleuvre d'eau (Nerodia sipedon), la chélydre serpentine (Chelydra serpentina) et certains oiseaux piscivores sont considérés comme des prédateurs possibles dans l'État de New York (Fahy, 1954). En laboratoire, d'autres poissons ont mangé des œufs de dard vert, et des parents ont mangé leurs propres œufs lorsque ceux-ci reposaient sur des substrats non végétaux (Winn, 1958b). Fahy (1954) a découvert qu'il y avait eu prédation des œufs dans un cours d'eau de l'État de New York, mais il n'a pas été en mesure d'identifier le prédateur. Le dard vert est peut-être plus vulnérable à la prédation que les autres dards, parce qu'il se repose souvent au-dessus des rochers. Toutefois, la prédation n'est ni associée à des déclins ni identifiée comme une menace pour les populations de dards verts.

Les études menées en laboratoire ont montré que le dard vert pouvait recourir à différentes tactiques d'évitement des prédateurs. Le dard vert conserve des distances d'évitement plus grandes que d'autres dards en réponse à des éclaboussures (Englert et Seghers, 1983). Radabaugh (1989) a observé que les dards verts reproducteurs et non reproducteurs tendaient à figer devant la présence d'un prédateur simulé et qu’ils se fiaient au camouflage pour éviter d'être détectés.

Physiologie

Le dard vert tolère moins bien les eaux chaudes que le dard barré (Etheostoma flabellare) et que le dard arc-en-ciel (E. caeruleum), deux poissons avec lesquels il cohabite couramment (Holohowskyj et Wissing, 1985). Les températures maximales critiques pour le dard vert dans deux cours d'eau de l'Ohio sont de 25,8 °C en hiver et de 35,1 °C en été. Les valeurs comparables pour le dard barré et le dard arc-en-ciel atteignent respectivement 30,8 et 36,0 °C et 30,0 et 36,4 °C. Ces températures maximales critiques peuvent limiter le dard vert à des tronçons plus froids et thermiquement plus stables pendant les mois d'été. Le dard vert est également moins tolérant aux faibles concentrations d'oxygène en été (perte de l'équilibre à 3,39 milligrammes par litre (mg/l)) que le dard arc-en-ciel (1,64 mg/l) et le dard barré (2,36 mg/l) (Holohowskyj et Wissing, 1987). La combinaison de ces deux niveaux de tolérance peut expliquer l'absence du dard vert dans les petits tronçons d’amont des cours d’eau chauds pendant les mois d'été et, peut-être, sa préférence pour les seuils hautement oxygénés.

Il se peut que l'olfaction soit importante pour la sélection de l'habitat. McCormick et Aspinwall (1983) ont montré en conditions expérimentales que le dard vert, lorsque placé devant un choix, préférait la végétation naturelle à la végétation artificielle olfactivement neutre.

Déplacements et dispersion

En tant que petit poisson sans vessie gazeuse, le dard vert semble adapté à un mode de vie quelque peu sédentaire et benthique. Il ne semble pas entreprendre de longues migrations, quoique d'importants déplacements associés à la fraye ont été observés. Fahy (1954) n'a observé aucun mouvement migratoire dans un cours d'eau de l'État de New York et a noté la présence de poissons de tous les âges dans le même seuil tout au long de l’année. Winn (1958a) et Bunt et al. (1998) ont observé des migrations vers l’amont jusqu'à des obstacles infranchissables pendant la fraye. Dans un cours d'eau du Michigan, les dards verts ont entrepris une migration de « plusieurs milles » en amont pour frayer dans des secteurs qui se sont asséchés ensuite pendant l'été et l'automne (Winn, 1958a). Pendant ces migrations, les mâles peuvent devancer quelque peu les femelles (Winn, 1958a). Des déplacements en aval ont été observés après la fraye (Winn, 1958a; Trautman, 1981) et en été en réponse à un ralentissement du débit de l'eau (Winn, 1958a). Reed (1968) a observé de petits déplacements entre des seuils et des mouilles adjacents, mais également de nombreux individus qui sont demeurés dans le même seuil pendant une période de six semaines en été. L'expansion rapide du dard vert dans le fleuve Potomac en Virginie-Occidentale, en Virginie, en Pennsylvanie et au Maryland (Jenkins et Burkhead, 1994) ainsi que dans la rivière Grand, en Ontario, témoigne des capacités de dispersion de l'espèce.

Relations interspécifiques

Le dard arc-en-ciel est l'espèce la plus communément associée au dard vert dans toute son aire de répartition, mais la majorité des assemblages régionaux de dards peuvent être associés au dard vert parce que l'espèce occupe une vaste gamme de milieux (Kuehne et Barbour, 1983). Dans les cours d'eau canadiens, le dard vert est souvent associé au dard arc-en-ciel et au dard barré dans les seuils. La concurrence peut être réduite entre ces espèces par le fait qu'elles adoptent des microhabitats et des modes d'alimentation différents. Comparativement aux deux autres espèces, le dard vert a tendance à préférer des seuils où les eaux sont plus profondes, les courants, plus rapides, et les substrats, formés de matériaux plus gros (Englert et Seghers, 1983; Hlohowskyj et Wissing, 1986). Par ailleurs, le dard vert s'alimente au-dessus des rochers, alors que le dard barré est adapté pour s'alimenter dans les crevasses (Hlohowskyj et Wissing, 1986; Welsh et Perry, 1998). Selon Bunt et al. (1998), la barbotte des rapides est le seul poisson benthique commun que l'on peut observer dans le même seuil que le dard vert en aval du déversoir Mannheim de la rivière Grand, en Ontario. Selon ces chercheurs, ces espèces cohabitent par une division temporelle de l’habitat, la barbotte des rapides étant surtout nocturne et le dard vert étant principalement actif pendant le jour.

La présence dans les seuils d'algues filamenteuses (genre Cladophora), de mousses aquatiques ou d'autres plantes est importante pour offrir aux poissons des lieux de ponte au printemps. Ce type d'habitat semble être répandu dans les cours d'eau de l'aire de répartition du dard vert au Canada.

Adaptabilité

Le dard vert occupe une vaste gamme de milieux. L'espèce est demeurée abondante et répandue dans les principaux réseaux hydrographiques des régions agricoles du sud de l'Ontario, ce qui donne à penser qu'elle est tolérante à des conditions qui ont entraîné le déclin d'autres espèces en péril (poissons et mollusques), comme l'enrichissement en nutriments, l'envasement et d'autres perturbations de l'habitat. Sa récente expansion en Ontario et ailleurs dans son aire de répartition témoigne de sa capacité d’exploiter de nouveaux habitats lorsque ceux-ci deviennent disponibles.

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