Programme de rétablissement visant de multiples espèces de moules d'eau douce: chapitre 2


2. Information sur l'espèce – Épioblasme tricorne


Nom commun – épioblasme tricorne
Nom scientifique – Epioblasma triquetra
Statut du COSEPAC – en voie de disparition
Justification de la désignation1 du COSEPAC – Cette espèce est disparue dans 60 % de l’aire de répartition qu’elle occupait en Amérique du Nord. Les populations résiduelles sont fragmentées, et la plupart connaissent un déclin. Au Canada, elles sont maintenant limitées à un tronçon de 50 km de la rivière Sydenham est. Cette population fait partie des quelque 50 populations seulement observées en Amérique du Nord.
Répartition – Ontario
Historique du statut – Désigné espèce en voie de disparition en 2001

1 Depuis la désignation, on a confirmé la présence d’une petite population reproductrice dans la rivière Ausable.

L'épioblasme tricorne ne ressemble à aucune autre moule du Canada (Clarke, 1981). Sa coquille est solide et épaisse, de forme triangulaire chez les mâles et quelque peu allongée chez les femelles. Son extrémité antérieure est arrondie, tandis que son extrémité postérieure est tronquée chez les mâles et aplatie chez les femelles. La marge ventrale est légèrement courbée chez les mâles et presque droite chez les femelles. La marge dorsale est courte et droite. Par ailleurs, l'arête postérieure présente un angle élevé et abrupt, qui se prolonge sur la face dorsale chez les femelles. La pente postérieure est large, aplatie et pourvue de nervures radiales et onduleuses. Les umbos sont gonflés et s'élèvent au-dessus de la ligne d'articulation; ils sont recourbés antérieurement et vers l'intérieur. Les becs sont situés avant le milieu de la coquille et sont striés de trois ou quatre rayures légères formant une double boucle. De couleur jaunâtre à vert jaunâtre, la coquille est marquée par de nombreuses rayures d'un vert foncé qui sont souvent brisées en taches triangulaires ou en forme de pointe. L'extérieur de la coquille est lisse (à l'exception de la pente postérieure), sauf en cas de présence occasionnelle de bourrelets de croissance concentriques. Chaque valve possède deux dents pseudocardinales qui sont décalées, serrées et relativement minces. Dans la valve gauche, on trouve deux dents latérales et, dans celle de droite, une seule. Elles sont courtes, droites, élevées et dentelées (Watson et al.,2001a).

Figure 4. Épioblasme tricorne Epioblasma triquetra. Photo : gracieuseté de S. Staton, Environnement Canada.

Figure 4. Épioblasme tricorne Epioblasma triquetra. Photo : gracieuseté de S. Staton, Environnement Canada.

L'épioblasme tricorne était autrefois présent dans 18 États compris dans les bassins hydrographiques de l'Ohio et du Mississippi ainsi que dans les affluents des Grands Lacs dans le lac Érié, le lac Sainte-Claire et les tributaires des lacs Érié, Sainte-Claire, Huron et Michigan. Au Canada, la présence de l'épioblasme tricorne n'a été observée qu'en Ontario dans les rivières Ausable, Grand, Niagara, Sydenham et Thames ainsi que dans les lacs Sainte-Claire et Érié. La répartition de l'épioblasme tricorne a diminué de façon considérable dans toute l'aire qu'il occupait. Aux États-Unis, on ne le trouve plus que dans 60 % des cours d'eau qu'il habitait autrefois. Les populations résiduelles sont de petite taille et isolées géographiquement les unes des autres, et elles ne sont pas toutes reproductives et en santé. L'espèce a probablement disparue de l'Iowa, du Kansas, de l'État de New York et du Mississippi. Bien qu'elle ne soit pas inscrite sur la liste fédérale des espèces en péril, elle est désignée comme espèce en voie de disparition ou menacée dans de nombreux États américains. L'organisme The Nature Conservancy lui a attribué la cote G3 (à savoir rare et peu commune à l'échelle mondiale), et elle a un SRANK (cote à l'échelle de la province) de S1 (très rare) dans dix États de même qu'en Ontario. Au Canada, il existe 31 relevés antérieurs sur l'épioblasme tricorne. En 1997 et en 1998, on a mené des relevés intensifs dans toute l'aire de répartition antérieure de l'épioblasme; seuls sept individus vivants ont été observés dans un tronçon de 50 km de la rivière Sydenham est, entre Alvinston et Dawn Mills (Metcalfe-Smith, 1999). De 2001 à 2004, les relevés intensifs menés dans des portions de la rivière Sydenham est ont permis de prélever 116 individus vivants en tout (McNichols et Mackie, 2004). En juillet 2003, on a découvert un seul juvénile vivant dans les tronçons inférieurs de la rivière Ausable, en aval de la gorge d'Arkona. En 2006, des relevés continus ont permis de découvrir 14 spécimens vivants, dont de nombreux juvéniles, provenant du secteur où un spécimen avait été découvert en 2003. À cet emplacement, les densités se chiffrent en moyenne à 0,3 individu par , allant de 0 à 4 individus par . Ces relevés ont également permis de détecter un spécimen immature largement en amont, près de la ville de Nairn (S. Staton, comm. pers., Pêches et Océans Canada). Ces découvertes récentes donnent à penser qu'une population reproductrice est toujours présente dans la rivière Ausable.

Les effets de l'agriculture, de l'urbanisation et de l'industrialisation ont vraisemblablement entraîné la disparition de l'habitat de l'espèce dans les rivières Ausable et Sydenham. Par ailleurs, les impacts de l'urbanisation dans la rivière Sydenham est sont moindres que dans d'autres rivières du sud-ouest de l'Ontario, et la qualité de l'eau se serait accrue ces dernières années en raison d'une amélioration du traitement des eaux usées. Cependant, les activités agricoles ont augmenté, et les eaux de ruissellement chargées de limon et de produits chimiques agricoles peuvent continuer à limiter la répartition de l'épioblasme tricorne dans ce réseau hydrographique (Dextrase et al., 2003).

Répartition

Aire de répartition totale

L'épioblasme tricorne est actuellement présent en Alabama, en Arkansas, en Illinois, en Indiana, au Kentucky, au Michigan, au Minnesota, au Mississippi, au Missouri, en Ohio, en Pennsylvanie, au Tennessee, en Virginie, en Virginie occidentale, au Wisconsin ainsi qu'en Ontario. On pense que, aux États-Unis, l'épioblasme tricorne ne se trouverait que dans 37 des 99 cours d'eau pour lesquels on dispose de données antérieures (Watson et al.,2001a).

Aire de répartition au Canada

Au Canada, on observait autrefois l'épioblasme tricorne dans la province de l'Ontario dans les rivières Ausable, Grand, Niagara, Sydenham et Thames ainsi que dans les lacs Sainte-Claire et Érié (Watson et al.,2001a). Jusqu'à récemment, on pensait que la seule population résiduelle d'épioblasmes tricornes se trouvait dans la rivière Sydenham est. Cependant, en juillet 2003, un biologiste de Pêches et Océans Canada a trouvé un juvénile vivant dans les tronçons inférieurs de la rivière Ausable, en aval de la gorge d'Arkona (Équipe de rétablissement de la rivière Ausable, 2005). En 2006, un échantillonnage détaillé mené à cet emplacement a démontré qu'il y avait eu reproduction dans le bassin inférieur de la rivière Ausable. Cet échantillonnage a également prouvé qu'une reproduction récente avait eu lieu à un autre emplacement dans le bassin supérieur près de Nairn.

Pourcentage de l'aire de répartition totale au Canada

Le Canada représente moins de 5 % de l'aire de répartition totale de l'espèce.

Figure 5. Aire de répartition totale de l'épioblasme tricorne.

Figure 5. Aire de répartition totale de l'épioblasme tricorne.

 

Figure 6. Répartition de l'épioblasme tricorne au Canada.

Figure 6. Répartition de l'épioblasme tricorne au Canada.

 

Tendance en matière de répartition

L'aire de répartition de l'épioblasme tricorne a été sensiblement réduite, car l'espèce est disparue de l'Iowa, du Kansas et probablement de l'État de New York. On pense qu'elle est également disparue des rivières Grand, Niagara et Thames de même que des lacs Sainte-Claire et Érié. On ne connaît pas le taux de variation dans la répartition géographique, mais l'espèce est disparue dans 60 % des cours d'eau qu'elle occupait autrefois.

Abondance de la population

Aire de répartition totale

On ne dispose d'aucune estimation relative à l'abondance de la population totale d'épioblasmes tricornes (Dextrase et al.,2003). Le nombre d'épioblasmes tricornes est habituellement faible dans les communautés de moules où ils sont présents, mais ils peuvent être abondants à l'échelle locale. On les trouve généralement en très faibles densités (<1 % de la communauté de moules). La plus grande population résiduelle en Amérique du Nord se situe dans la rivière Clinton (Michigan) où elle constituait d'ailleurs l'espèce dominante en 1992. On estime à moins de 50 le nombre d'individus reproducteurs en Amérique du Nord (TNC, 2000b). La plupart des populations ont diminué sur le plan de la taille et sont isolées géographiquement les unes des autres. L'épioblasme a disparu de l'Iowa, du Kansas ainsi que de l'État de New York.

Aire de répartition au Canada

Actuellement, l'épioblasme tricorne n'est présent que dans un tronçon de 50 km de la rivière Sydenham et à trois endroits dans un tronçon de 60 km de la rivière Ausable. Il est vraisemblablement disparu des rivières Grand, Thames, Detroit et Sainte-Claire de même que des lacs Érié et Sainte-Claire. Metcalfe-Smith et al., (1998, 1999) ont effectué des relevé à 17 emplacements sur la rivière Sydenham en 1997 et en 1998. Depuis 1997, on a observé 123 individus vivants dans la rivière Sydenham (Metcalfe-Smith et al., 1998; Metcalfe-Smith et al., 1999; McNichols et Mackie, 2004) et 15 individus vivants dans la rivière Ausable (S. Staton, comm. pers., Pêches et Océans Canada).

Pourcentage de l'abondance totale au Canada

On ne dispose pas d'estimations relatives à l'abondance totale de la population, mais les populations canadiennes représentent vraisemblablement moins de 5 % de l'abondance totale.

Tendance démographique

Puisque l'on n'a toujours prélevé que très peu d'individus vivants, il est difficile d'établir s'il y a eu des changements dans l'abondance de l'épioblasme tricorne dans la rivière Sydenham au fil du temps. Les taux de prises actuels et antérieurs montrent un déclin entre 1963 et 1973 et entre 1997 et 1999 (Watson et al.,2001a). On ne dispose actuellement d'aucune donnée concernant la population de la rivière Ausable.

Facteurs biologiques limitatifs

Caractéristiques de la reproduction

La biologie reproductive de l'épioblasme tricorne ressemble à celle de la plupart des moules. Pendant le frai, les mâles libèrent leur sperme dans l'eau et les femelles, qui se trouvent en aval, le filtrent à l'aide de leurs branchies. La fertilisation peut alors se produire dans une région particulière des branchies appelées marsupia. Les juvéniles immatures, appelés glochidies, se développent dans les marsupia des branchies et sont libérés par la femelle dans la colonne d'eau pour entreprendre une période de parasitisme sur une espèce appropriée de poissons hôtes. L'épioblasme tricorne couve ses petits sur une longue période. Comme la fertilisation a lieu à la fin de l'été, la femelle porte les glochidies pendant l'hiver et elle les relâche le printemps ou l'été suivant. Le développement de l'épioblasme ne peut pas se poursuivre jusqu'au stade juvénile sans une période d'enkystement sur l'hôte. L'épioblasme tricorne femelle a développé des structures spécialisées, dont un leurre pour attirer des hôtes vers son manteau et des denticules sur sa coquille. Ces structures lui permettent d'attirer l'hôte, augmentant ainsi la probabilité de réussir l'enkystement.

Jusqu'à récemment, on croyait que le dard noir et que le fouille-roche (Percina caprodes) étaient les seuls poissons pouvant servir d'hôtes pour l'épioblasme tricorne en Ontario (Watson et al. 2001a). Dans le but d'établir avec certitude quelles espèces de poissons pouvaient servir d'hôtes à l'épioblasme tricorne, des expériences d'infestation ont été menées sur seize espèces hôtes potentielles de 2002 à 2005 dans le laboratoire de l'Université de Guelph. Même si le fouille-roche est considéré comme le principal hôte, l'épioblasme tricorne a réussi à se développer sur six de ces espèces : le dard à ventre jaune, le fouille-roche, le dard arc-en-ciel, le chabot tacheté, l'achigan à grande bouche (Micropterus salmoides) et l'épinoche à cinq épines (Culaea inconstans) (McNichols et Mackie, 2002; McNichols et al.,2004).

Les glochidies de tous les membres du genre Epioblasma présentent une dépression morphologique (à l'endroit où la hauteur de la valve est égale ou moins élevée que sa longueur). Ces glochidies ont moins de chance que les glochidies allongées de s'accrocher à un hôte parce que l'ouverture de leur valve est plus petite, mais elles s'y accrocheront fermement une fois le contact établi (Hoggarth, 1993). Il est probable que les espèces dont les glochidies présentent une dépression morphologique aient un taux de recrutement inférieur et qu'elles risquent davantage de disparaître une fois que le nombre d'adultes reproducteurs atteint un seuil critique. Les espèces du genre Epioblasma ont des glochidies sans crochets et parasitent les branchies des poissons.

Dispersion

À l'instar de la plupart des moules d'eau douce, l'épioblasme tricorne possède des capacités de dispersion très limitées. Les adultes sont essentiellement sessiles, leurs déplacements se limitant à quelques mètres sur le fond de la rivière ou du lac. Même si le déplacement des adultes peut être dirigé en amont ou en aval, les études ont montré dans le temps un déplacement net descendant (Balfour et Smock, 1995; Villella et al., 2004). La dispersion à grande échelle, les déplacements vers l'amont et l'invasion d'un nouvel habitat ou l'abandon d'un habitat en détérioration se limitent au stade glochidial d'enkystement sur le poisson hôte.

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