Programme de rétablissement des épaulards résidents (Orcinus orca) du nord et du sud au Canada

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1. Contexte

1.1 Renseignements sur les espèces

Le rapport de situation et le résumé de l'évaluation concernant les épaulards résidents sont disponibles auprès du secrétariat du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) (www.cosepac.gc.ca).

COSEWIC Assessment Summary


Nom commun :
épaulard, orque.


Nom scientifique :
Orcinus orca


Résumé d'évaluation :
Évaluation en 1999, réexamen et révision en 2001.


Désignation du COSEPAC :
Les épaulards résidents du sud sont considérés « en voie de disparition » et les épaulards résidents du nord sont considérés « menacés ».

Situation en vertu de la LEP :
Épaulards résidents du sud, espèce en voie de disparition inscrite à l'Annexe 1.

Épaulards résidents du nord, espèce menacée inscrite à l'Annexe 1.

Justification de la désignation :
La population d'épaulards résidents du sud est de petite taille et a diminué de 17 % entre 1995 et 2001; elle compte actuellement 85 membres. La population d'épaulards résidents du nord est également de petite taille (205 membres) et a diminué de 7 % entre 1997 et 2003. En saison, les épaulards sont exposés à un trafic maritime intense. La disponibilité de leurs proies est réduite comparativement aux niveaux historiques. Des concentrations élevées de polluants organiques persistants peuvent compromettre leur système immunitaire et reproductif, menant à une diminution du taux de mise bas ou à une augmentation du taux de mortalité.

Présence au Canada :
Océan Pacifique

Historique de la désignation :
En avril 1999, les deux populations d'épaulards résidents du Pacifique Nord ont été désignées « menacées ». En novembre 2001, la population résidente du sud a été désignée « en voie de disparition » alors que celle du nord demeurait « menacée ».


1.1.1 Description de l'espèce

L'épaulard est le plus grand membre de la famille des dauphins (delphinidés). Sa taille, ses couleurs contrastées (noir et blanc) et sa grande nageoire dorsale constituent ses principaux signes distinctifs. La coloration de l'épaulard est surtout noire sur le dos et blanche sur le ventre, avec une tache ovale blanche derrière chaque œil. Derrière la nageoire dorsale se trouve une tache en forme de selle de couleur grise. La forme de cette tache et de la nageoire dorsale ainsi que les creux et les cicatrices à ces endroits sont uniques à chaque épaulard. En examinant des photographies de la nageoire dorsale, de la tache en forme de selle et parfois de la tache derrière l'œil, les chercheurs peuvent différencier les individus (Ford et al., 2000). Les épaulards sont sexuellement dimorphes. Les mâles peuvent atteindre une longueur de 9 m et peser jusqu'à 5 568 kg, alors que les femelles sont plus petites : 7,7 m de longueur et un poids avoisinant les 4 000 kg (Dahlheim et Heyning, 1999). Chez les mâles adultes, la grande nageoire dorsale de forme triangulaire mesure souvent jusqu'à 1,8 m de haut, tandis que chez les juvéniles et les femelles adultes, cette nageoire dorsale mesure 0,9 m ou moins. Chez les mâles adultes, les nageoires pectorales en forme de pagaie et les nageoires caudales sont plus longues et plus larges et, enfin, les pointes des nageoires caudales sont recourbées vers le bas (Bigg et al., 1987).

Actuellement, la plupart des chercheurs considèrent que les épaulards appartiennent à une espèce, l'Orcinus orca, qui présente des variations régionales en termes de régime alimentaire, de coloration et de signature vocale (Heyning et Dahlheim, 1988; Ford et al,. 2000; Barrett-Lennard et Ellis, 2001). Récemment, il a été proposé de classer les populations antarctiques en deux et peut-être même trois espèces distinctes (Mikhalev et al., 1981; Berzin et Vladimorov, 1983; Pitman et Ensor, 2003), mais, à l'heure actuelle, ce classement ne fait pas l'objet d'une acceptation largement répandue (Reeves et al., 2004). De plus, selon des études génétiques récentes, l'ADN mitochondrial présenterait une faible variation générale, suggérant ainsi que la ségrégation de la population, indiquée par les différences morphologiques décrites ci-devant, est relativement nouvelle (Barrett-Lennard, 2000; Hoelzel et al., 2002).

Trois formes distinctes ou écotypes d'épaulards vivent dans les eaux canadiennes du Pacifique, soit les épaulards migrateurs, hauturiers et résidents. Ces formes sont sympatriques, mais isolées socialement et présentent des différences génétiques, morphologiques, comportementales et alimentaires (Ford et al., 1998, 2000; Barrett-Lennard et Ellis, 2001). Les épaulards migrateurs se nourrissent de mammifères marins, surtout de phoques communs (Phoca vitulina), de marsouins et de lions de mer (Ford et al., 1998). Ils voyagent en petits groupes acoustiquement inactifs et sont des prédateurs furtifs (Ford et Ellis, 1999). Un expert peut reconnaître les épaulards migrateurs à leurs nageoires dorsales qui tendent à être pointues et à leurs taches en forme de selle qui sont larges et d'un gris uniforme (Ford et al., 2000). Les chercheurs ne connaissent pas aussi bien les épaulards hauturiers que les résidents et les migrateurs, mais pensent qu'ils sont piscivores (Ford et al., 2000; Heise et al., 2003). Les épaulards hauturiers se déplacent en grands groupes acoustiquement actifs de 30 épaulards ou plus, recourant à l'écholocation et aux appels à caractère social (Ford et al., 2000). La nageoire dorsale des épaulards hauturiers est plus arrondie que celle des épaulards migrateurs et leur tache en forme de selle peut être d'un gris uniforme ou contenir une zone de couleur noire.

Les épaulards résidents sont les mieux connus des trois écotypes. Ils se nourrissent exclusivement de poissons et de céphalopodes et voyagent en groupes acoustiquement actifs de 10 à 25 individus ou davantage (Ford et al., 2000). Les pointes de leur nageoire dorsale tendent à être arrondies sur le bord avant et leur angle est passablement abrupt sur le bord arrière. Leur tache en forme de selle peut être d'un gris uniforme ou contenir une zone de couleur noire. L'organisation sociale des épaulards résidents est très structurée. L'unité fondamentale est la lignée maternelle, comprenant tous les survivants d'une lignée femelle natale. Une lignée maternelle typique est composée d'une femelle adulte, de sa progéniture et de celle de ses filles. Les deux sexes demeurent leur vie durant au sein de leur lignée maternelle (Bigg et al., 1990). Les systèmes sociaux dans lesquels les deux sexes demeurent avec leur mère leur vie durant ont été décrits uniquement dans le cas d'une autre espèce mammifère, les globicéphales noirs, Globicephala melas (Amos et al., 1993). Bigg et al. (1990) ont défini les groupes familiaux comme des groupes d'individus de lignées maternelles étroitement liées, qui se déplacent, cherchent de la nourriture, socialisent et se reposent les uns avec les autres pendant au moins 50 % du temps; ces chercheurs ont prédit que les groupes familiaux, tout comme les lignées maternelles, allaient se maintenir pendant bon nombre de générations. Ford et Ellis (2002) ont cependant démontré que les modèles d'association entre individus de différentes lignées maternelles chez les résidents du nord ont évolué au cours de la dernière décennie de façon telle que certains groupes identifiés par Bigg et al. ne répondent plus maintenant au critère de 50 % du temps. Selon leur analyse, on pourrait mieux définir les groupes familiaux comme des groupes de transition auxquels appartiennent des individus de lignées maternelles récemment séparées.

Chaque groupe familial d'épaulards résidents possède un dialecte unique composé d'environ une dizaine de cris discrets (Ford, 1989, 1991). Ces dialectes se distinguent, de sorte que chaque groupe présente une signature acoustique unique. Les dialectes ont probablement été appris des mères et des autres membres de la famille et ils se révèlent très stables dans le temps (Ford et al., 2000). La fonction de ces dialectes n'est pas entièrement comprise, quoiqu'ils semblent jouer un rôle important dans le choix d'un partenaire d'accouplement (Barrett-Lennard, 2000; voir la section 1.4.1, Culture). Malgré qu'ils aient des dialectes distincts, certains groupes partagent des cris et des variantes de cris. Les groupes qui partagent un cri ou plus appartiennent à un même clan.

On considère que les épaulards résidents qui partagent une aire de répartition commune et qui s'associent, du moins à l'occasion, font partie de la même communauté ou population. En Colombie-Britannique, les épaulards résidents font partie de deux communautés distinctes, celle du nord et celle du sud. On ne les a pas observés en interaction et des études génétiques ont révélé qu'il y avait rarement, voire jamais, de croisement entre les deux populations (Barrett-Lennard et Ellis, 2001). La communauté d'épaulards résidents du nord est composée de trois clans et celle des épaulards résidents du sud, d'un seul clan.

L'existence de deux populations distinctes d'épaulards résidents vivant dans les eaux de Washington et de la Colombie-Britannique a été reconnue par les gouvernements du Canada et des États-Unis. En 2001, le COSEPAC a attribué aux résidents du nord le statut de population « menacée » et aux résidents du sud celui de population « en voie de disparition ». Aux États-Unis, les mammifères marins bénéficient d'une protection fédérale en vertu de la Marine Mammal Protection Act (MMPA) et s'ils sont désignés, en vertu de l'Endangered Species Act (ESA). Les résidents du sud ont été désignés comme décimés (depleted) en vertu de la MMPA en 2003. En février 2006, les épaulards résidents du sud étaient désignés au titre d'espèce « en voie de disparition » en vertu de l'ESA. En juin 2004, le Washington State Department of Fisheries and Wildlife a ajouté les résidents du sud à sa liste d'espèces en voie de disparition.

1.2 Répartition

1.2.1 Aire de répartition générale

Les épaulards ont été observés dans tous les océans du globe, mais ils se concentrent généralement dans des zones hautement productives et à des latitudes allant de moyennes à élevées (Forney et Wade, sous presse). Ils peuvent tolérer des eaux dont les températures sont polaires ou tropicales et ont été observés aussi bien dans des eaux peu profondes (plusieurs mètres) qu'à des profondeurs océaniques (Baird, 2001).

1.2.2 Aire de répartition dans les eaux canadiennes du Pacifique

On trouve des épaulards dans les trois océans entourant le Canada et parfois dans la baie d'Hudson et le golfe du Saint-Laurent, mais ils semblent rares dans les océans Atlantique et Arctique (COSEPAC, 2003). En Colombie-Britannique, on a noté leur présence dans presque toutes les zones d'eau salée, y compris dans de nombreux bras de mer, des canaux étroits et des baies profondes (Baird, 2001). Les trois écotypes d'épaulards de la Colombie-Britannique (hauturiers, migrateurs et résidents) ne semblent pas interagir socialement, malgré le fait que leurs aires de répartition se chevauchent (Ford et al., 2000). Les épaulards hauturiers ont été observés le plus souvent sur le plateau continental au large de la côte Ouest, mais on les trouve occasionnellement dans des eaux intérieures protégées (Ford et al., 2000). Les épaulards migrateurs sillonnent toute la région, comme le font les épaulards résidents (Ford et Ellis, 1999; Ford et al., 2000). Des épaulards résidents et des épaulards migrateurs ont parfois été vus à proximité l'un de l'autre, mais rarement en interaction (Ford et Ellis, 1999). À la figure 1, on peut voir de nombreux noms de lieux mentionnés dans le texte, ainsi que les aires de répartition générale des résidents du nord et des résidents du sud.

Figure 1 : Côte de la Colombie-Britannique et nord-ouest de l'État de Washington montrant les aires de répartition générale des épaulards résidents du nord et du sud

Côte de la Colombie-Britannique et nord-ouest de l'État de Washington montrant les aires de répartition générale des épaulards résidents du nord et du sud

La communauté d'épaulards résidents du sud est constituée d'un seul clan acoustique, le clan J, qui est composé de trois groupes familiaux (appelés J, K et L) comprenant 20 lignées maternelles en tout (Ford et al., 2000). L'aire de répartition connue de cette communauté s'étend du nord de la Colombie-Britannique jusqu'au centre de la Californie (Ford et al., 2000; données non publiées, programme de recherche sur les cétacés, Pêches et Océans Canada, Station de biologie du Pacifique, Nanaimo, C.-B., PRC-MPO). Pendant l'été, on trouve habituellement les membres de cette communauté dans les eaux au large du sud de l'île de Vancouver et du nord de l'État de Washington, où ils se rassemblent pour intercepter le saumon migrateur. La principale zone de concentration des résidents du sud est le détroit de Haro et les environs du sud-est de l'île de Vancouver (figure 1), mais ils sont généralement vus dans le détroit de Juan de Fuca et au sud du détroit de Georgia (Ford et al., 2000). Des trois groupes familiaux d'épaulards résidents du sud, le groupe J est le plus souvent observé dans les eaux intérieures au cours de l'année et semble rarement quitter la zone du détroit de Georgia, du détroit de Puget et du détroit de Juan de Fuca (Ford et al., 2000). On a noté la présence des groupes K et L le plus souvent à l'ouest du détroit de Juan de Fuca et au large des rives extérieures de l'État de Washington et de l'île de Vancouver. Contrairement au groupe J, les groupes K et L quittent habituellement les eaux côtières à l'hiver et y retournent en mai et juin. On en connaît peu sur leur habitat au cours de cette période, mais ils ont été aperçus, au sud, jusqu'à Monterey Bay (Californie) et au nord jusqu'à l'île Langara, à l'extérieur de Haida Gwaii (Ford et al., 2000; Black et al., 2001, données non publiées, PRC-MPO).

Résidents du nord

La communauté d'épaulards résidents du nord est constituée de trois clans acoustiques (A, G et R) et elle comprend 34 lignées maternelles. Son aire de répartition s'étend de la baie Glacier, en Alaska, à Grays Harbour, dans l'État de Washington (Ford et al., 2000, données non publiées, PRC-MPO). De juin à octobre, les résidents du nord fréquentent les zones allant du centre de l'île de Vancouver jusqu'au sud-est de l'Alaska, plus particulièrement le détroit de Johnstone et le détroit de la Reine-Charlotte (figure 1), au large du nord-est de l'île de Vancouver (Ford et al., 2000). On connaît mal leur aire de répartition durant d'autres périodes de l'année. On note parfois la présence en hiver de petits groupes d'épaulards résidents du nord dans le détroit de Johnstone et dans d'autres eaux intérieures de la côte de la C.-B. (Ford et al., 2000), mais de telles observations sont rares même lorsqu'on tient compte des changements saisonniers dans l'effort d'observation.

Il n'existe pas de preuves que les clans soient limités à des régions particulières en fonction de l'aire de répartition de leur communauté, mais certains démontrent une préférence apparente pour des zones distinctes (Ford et al., 2000). Par exemple, les épaulards les plus souvent observés au large du nord-est de l'île de Vancouver appartiennent au clan A, alors que la plupart de ceux observés au large de la côte ouest de l'île font partie du clan G et que le clan R semble préférer la partie nord de l'aire de répartition de la communauté. L'aire des résidents du nord chevauche celle des résidents du sud et celle d'une communauté d'épaulards appelés résidents du sud de l'Alaska. Les résidents du nord n'ont jamais été vus avec les membres de la communauté d'épaulards résidents du sud et bien qu'on les ait observés une fois voyageant à proximité d'un groupe d'épaulards résidents du sud de l'Alaska (Dahlheim et al., 1997), il n'est pas certain qu'il y a eu interaction sociale entre les deux. Les études génétiques effectuées n'ont pas exclu la possibilité d'accouplements occasionnels entre les membres de la communauté d'épaulards résidents du nord et celle des épaulards résidents du sud de l'Alaska (Barrett-Lennard et Ellis, 2001).

1.3 Taille de la population et tendances

1.3.1 Vue d'ensemble

On en sait peu sur l'abondance historique des épaulards, si ce n'est qu'ils étaient « peu nombreux » (Scammon, 1874). Depuis le début des années 1970, les études par identification photographique ont permis de fournir des estimations raisonnables de la population d'épaulards dans les eaux du littoral du Pacifique Nord-Est (Washington, Colombie-Britannique, Alaska et Californie) et une étude semblable est en cours dans plusieurs autres régions côtières, p. ex. dans le golfe de la Californie, en Extrême-Orient russe, en Nouvelle-Zélande, en Patagonie, en Islande et en Norvège. Dans d'autres régions, on a effectué des relevés le long de transects pour fournir des estimations sur la population. Ainsi, la population de l'Antarctique a été estimée à 25 000 individus (Branch et Butterworth, 2001) et celle de l'est du Pacifique tropical à 8 500 individus (Wade et Gerodette, 1993). Comme telle, l'abondance mondiale d'épaulards se chiffre probablement entre 40 000 et 60 000 individus (Forney et Wade, sous presse). L'information sur les tendances relatives aux épaulards n'est généralement pas disponible, sauf pour les populations d'épaulards résidents de la Colombie-Britannique (voir ci-après) et du sud de l'Alaska (population en hausse, Craig Matkin, North Gulf Oceanic Society, communication personnelle, novembre 2005) et pour une petite population d'épaulards migrateurs dans le détroit du Prince Williams (groupe AT1, actuellement en déclin, rétablissement peu probable, Saulitis et al., 2002).

1.3.2 Colombie-Britannique

Antérieurement à 1960, il n'existe pas d'estimation de la population d'épaulards en Colombie-Britannique. Les recensements de la population d'épaulards sont maintenant effectués annuellement au moyen de l'identification photographique des individus. Les tendances relatives à la population varient selon les communautés et les clans. Aux fins du Programme de rétablissement, les données du Centre for Whale Research (CWR), à Friday Harbor, dans l'État de Washington, ont été utilisées pour décrire l'état de la population d'épaulards résidents du sud et les tendances qui les caractérisent. Les données du programme de recherche sur les cétacés (PRC-MPO), Nanaimo (C.-B.) ont été utilisées pour décrire la population d'épaulards résidents du nord. Les méthodes de recensement des épaulards diffèrent légèrement pour chaque groupe de recherche3.

Les nombres d'épaulards résidents du sud comprennent tous les épaulards observés au cours d'une année civile, et les mortalités sont incluses selon le moment où elles ont lieu. Par exemple, un épaulard qui n'a pas été vu depuis le mois de mars est présumé mort. Il est moins certain qu'un épaulard qui n'est pas vu en novembre ou en décembre soit mort, et il peut être inclus dans le calcul. Dans les récentes années, comme l'effort d'observation a été important et que les membres de la communauté d'épaulards résidents du sud ont été photographiés annuellement, le dénombrement est assez précis.

Les nombres d'épaulards résidents du nord comprennent tous les épaulards qu'on sait vivants au 1er juillet de chaque année. Néanmoins, ce ne sont pas tous les membres de la communauté d'épaulards résidents qui sont vus chaque année; par conséquent, les données du dénombrement sont généralement moins précises que celles obtenues pour les résidents du sud.

En 2003, on comptait en tout 290 épaulards résidents du nord et du sud (données non publiées, CWR et PRC-MPO). En comparaison, il existe environ 220 épaulards migrateurs et 200 épaulards hauturiers, quoique ces chiffres soient moins précis que les dénombrements des épaulards résidents, car ce ne sont pas tous les individus qui sont observés chaque année (Ford et al., 2000).

Résidents du sud

La taille de la communauté d'épaulards résidents du sud est connue depuis le premier recensement par identification photographique mené en 1976 et a été estimée pour les années antérieures à cette date (Olesiuk et al., 1990, données non publiées, CWR). La figure 2 montre la taille de chaque groupe familial ainsi que la fluctuation observée dans la population totale de la communauté d'épaulards résidents du sud de 1974 à 2003.

Figure 2 : Taille de la population et tendances observées chez les résidents du sud de 1974 à 2003. Source : données non publiées provenant du Centre for Whale Research.

Taille de la population et tendances observées chez les résidents du sud de 1974 à 2003

Alors que la communauté d'épaulards résidents du sud augmentait vraisemblablement en taille au début des années 1960, le nombre d'épaulards dans la communauté a chuté dramatiquement à la fin des années 1960 et au début des années 1970 en raison de la capture d'animaux vivants destinés à des aquariums (Bigg et Wolman, 1975). Un total de 47 spécimens qu'on sait avoir été ou qu'on présume avoir été des résidents du sud ont été capturés et retirés de la population (Bigg et al., 1990). La population a augmenté de 19 % (3,1 % par année) à partir d'un faible niveau de 70 individus après la fin des captures d'animaux vivants en 1973 jusqu'à 83 individus en 1980, quoique le taux de croissance ait varié selon les groupes (figure 2). De 1981 à 1984, la population a diminué de 11 % (-2,7 % par année) pour se situer à 74 épaulards, en raison d'un faible taux de naissance, d'une mortalité plus élevée chez les femelles adultes et les jeunes (Taylor et Plater, 2001) et d'un petit nombre d'animaux matures, de mâles en particulier, conséquence d'un prélèvement sélectif survenu dans les années antérieures (Olesiuk et al., 1990). De 1985 à 1995, le nombre de résidents du sud a augmenté de 34 % (2,9 % par année) pour totaliser 99 individus. Un accroissement subit du nombre d'individus matures, une hausse des naissances et une baisse des mortalités ont contribué à la croissance de la population. Le plus récent déclin a débuté en 1996, accompagné d'une période prolongée de bas taux de survie (Taylor et Plater, 2001; Krahn et al., 2002) et d'une fécondité peu élevée (Krahn et al., 2004), entraînant ainsi une diminution de 17 % (-2,9 % par année) du nombre d'individus, qui atteignait 81 en 2001. Depuis, le nombre de résidents du sud s'est légèrement accru pour atteindre 85 individus en 20034 (données non publiées, CWR). La hausse s'est produite dans les groupes J et K, tandis que le nombre d'individus du groupe L a continué de décroître.

On a utilisé des analyses de viabilité de la population (AVP) pour estimer le risque d'extinction des résidents du sud (Taylor et Plater, 2001; Krahn et al., 2002, 2004). Comme on pourrait s'y attendre, le risque d'extinction s'accroît lorsque la fréquence et l'ampleur de catastrophes comme les déversements d'hydrocarbures et les épidémies sont élevées. Selon le modèle, s'il y a persistance des taux de mortalité et de reproduction observés dans les années 1990, la probabilité que la population disparaisse d'ici 100 ans est de 6 à 100 % et le risque que l'extinction se produise d'ici 300 ans est de 68 à 100 %. Dans ces scénarios, l'extinction de la population d'épaulards résidents du sud peut être considérée comme inévitable selon les hypothèses d'analyses, et les événements catastrophiques ne font que hâter cette fatalité. Cependant, lorsqu'on utilise les taux de mortalité et de reproduction de toute la période comprise entre 1974 et 2000, le risque d'extinction de la population diminue (0 à 55 % sur 100 ans et 2 à 100 % sur 300 ans).

En plus des analyses centrées uniquement sur les résidents du sud, Krahn et al. (2002) ont mené des simulations en prenant pour hypothèse que la population d'épaulards résidents du sud faisait partie d'une plus grande population de reproduction comprenant des résidents du nord et des résidents du sud de l'Alaska, ce qui a grandement atténué les risques d'extinction. Par contre, ce scénario ne reflète pas les preuves actuelles, qui semblent indiquer que les résidents du sud sont isolés génétiquement des autres populations (Barrett-Lennard, 2000; Barrett-Lennard et Ellis, 2001).

Résidents du nord

Selon toute vraisemblance, la communauté d'épaulards résidents du nord a augmenté en taille durant le début des années 1960 mais a fait l'objet de prélèvements dans le cadre de la capture d'animaux vivants entre 1964 et 1973, période pendant laquelle au moins 14 individus ont été prélevés. On sait que douze d'entre eux provenaient d'un même groupe familial (A5, Bigg et al., 1990). Lors du premier recensement en 1974, on a estimé que la communauté d'épaulards résidents du nord était composée d'environ 120 individus. Quoique les estimations de l'abondance des résidents du nord soient moins précises que celles des résidents du sud, parce que les lignées maternelles ne sont pas toutes observées chaque année, il semble que la communauté d'épaulards résidents du nord a connu une croissance constante pendant la période entre 1974 et 1991 (environ 3,4 % par année, figure 3). La méthode de recensement utilisée pour les résidents du nord consiste à estimer la taille de la population en fonction du nombre d'animaux qu'on sait être vivants au 1er juillet de chaque année. La population a augmenté pour atteindre un sommet de 220 individus en 1997 (une croissance de 3,0 % par année, données non publiées, PRC-MPO). Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la vigueur des résidents du nord par rapport aux résidents du sud au cours de cette période : la plus grande taille de la population a pu amortir les changements dans les taux de naissance et de mortalité, moins d'individus ont été capturés lors de la capture d'animaux vivants (Olesiuk et al., 1990) et, en général, ils sont exposés à moins de perturbations et de contaminations du milieu. Entre 1997 et 2003, la communauté d'épaulards résidents du nord a connu une baisse de 7 %, se situant à 205 individus en 2003 (données non publiées, PRC-MPO, figure 3). Comme pour les résidents du sud, on ignore la ou les causes du déclin. Aucune analyse de la viabilité de la population n'a encore été menée uniquement pour les résidents du nord.

Figure 3 : Taille de la population et tendances observées chez les résidents du nord entre 1974 et 2003. Les valeurs reflètent le nombre minimal, maximal et estimé d'animaux vivants au 1er juillet de chaque année. Source : données non publiées, PRC-MPO, Nanaimo.

Taille de la population et tendances observées chez les résidents du nord entre 1974 et 2003.

1.4 Facteurs naturels affectant la viabilité et le rétablissement de la population

Il est important de tenir compte du fait que les résidents du nord et du sud ont surtout fait l'objet d'études menées dans des eaux protégées entre les mois de mai à octobre (Ford et al., 1998, 2000). On connaît peu leur comportement et leur écologie dans d'autres zones.

1.4.1 Facteursbiologiques limitatifs

La description suivante de la biologie des épaulards est fondée sur les données des deux populations (résidents du nord et résidents du sud). Les épaulards résidents se nourrissent essentiellement de poissons et ne consomment pas de mammifères marins lorsque leurs proies principales ne sont pas en abondance. Ce sont des animaux dont la durée de vie est longue, qui n'ont pas de prédateurs naturels. En moyenne, les femelles n'ont qu'un seul baleineau tous les 5 à 6 ans au cours d'une période reproductive de 25 ans et, par conséquent, la population présente un taux de croissance intrinsèquement faible. Les épaulards résidents possèdent de fortes traditions culturelles qui influencent leurs comportements d'association et d'accouplement, lesquels limitent aussi la capacité de croissance de la population. Vous trouverez ci-après de l'information plus détaillée sur les facteurs pouvant limiter cette capacité.

Alimentation

Bien que les épaulards en général se nourrissent d'un large éventail d'espèces de proies, les résidents du nord et du sud ont une alimentation particulière, se nourrissant essentiellement de poissons (Ford et al., 1998). Contrairement aux épaulards migrateurs, les épaulards résidents ne se nourrissent pas de mammifères marins et la diversité de leur régime alimentaire semble assez limitée. Des observations en surface à grande échelle et la collecte de restes de proies dans les lieux de prédation montrent que les épaulards résidents sélectionnent certains salmonidés sans égard à leur abondance (Ford et Ellis, 2005). Le saumon quinnat (Oncorhynchus tshawytscha) constitue la proie de prédilection des deux communautés résidentes du nord et du sud au cours de la période de mai à août, mais le saumon kéta (O. keta) prévaut au cours des mois de septembre et d'octobre. De petites quantités de saumon coho (O. kisutch) sont consommées de juin à octobre, tandis que le saumon rouge (O. nerka) et le saumon rose (O. gorbuscha) ne représentent pas des proies importantes malgré leur abondance saisonnière. Les poissons autres que le saumon ne semblent pas constituer une partie importante de l'alimentation des épaulards résidents au cours de la période de mai à octobre.

La préférence marquée des épaulards résidents pour le saumon quinnat parmi d'autres salmonidés disponibles s'explique par la grande taille, le taux de gras élevé et la disponibilité à l'année de cette espèce dans les eaux côtières (Ford et al., 1998; Ford et Ellis, 2005). On sait que les épaulards s'alimentant à l'île Langara, à Haida Gwaii (îles de la Reine-Charlotte), se nourrissent de saumon quinnat provenant des stocks qui retournent dans les cours d'eau, au nord, jusqu'à la rivière Skeena, près de Prince Rupert, et au sud, jusqu'au fleuve Columbia, en Oregon (données non publiées, PRC-MPO).

Malgré plus de 30 ans d'études en Colombie-Britannique, seuls 14 estomacs d'épaulards résidents ont été récupérés et examinés (Ford et al., 1998, données non publiées, PRC-MPO). On ignore dans quelle mesure des individus en détresse fournissent un aperçu exact des préférences alimentaires d'épaulards en santé et en liberté. Néanmoins, le saumon a été identifié dans la totalité des sept estomacs contenant des proies et, dans quatre d'entre eux, le saumon quinnat a été identifié avec certitude. Deux estomacs contenaient du calmar et un autre contenait du poisson de fond. Il est possible que les poissons de fond (dont la morue-lingue, le sourcil de varech et la morue charbonnière), ainsi que le calmar, représentent une partie importante du régime alimentaire de l'épaulard dans certaines zones ou au cours de certaines périodes de l'année, mais il faudra effectuer davantage de recherches afin d'établir la nature du régime alimentaire des épaulards pendant toute l'année.

On ignore si les épaulards résidents dépendent de la migration anadrome des saumons en particulier, mais leur présence a été corrélée avec l'abondance de diverses espèces de salmonidés dans plusieurs études antérieures (Heimlich-Boran, 1986; Nichol et Shackleton, 1996; Osborne, 1999). Le rôle de ces corrélations géographiques en regard de la sélection des proies est incertain, puisque certaines de ces espèces (le saumon rouge et le saumon rose) ne sont pas consommées en nombre important comparativement au saumon quinnat (Ford et al., 1998; Ford et Ellis, 2005). Il est probable que la présence des épaulards dans de telles zones soit dictée principalement par la disponibilité du saumon quinnat migrateur, en particulier pendant les mois d'été, et que les corrélations avec le saumon rouge et le saumon rose découlent accidentellement de leur forte abondance au cours de la même période. À l'automne, la présence du saumon kéta semble influer sur les mouvements des épaulards résidents. Dans le détroit de Johnstone, le saumon kéta constitue la proie principale des résidents du nord à partir de la fin de septembre jusqu'à la fin d'octobre (Ford et Ellis, 2005). En automne, les mouvements des groupes de résidents du sud dans le détroit de Puget ont été plus ou moins corrélés avec les migrations des saumons kéta ainsi que celles du saumon quinnat (Osborne, 1999). De récentes observations hivernales d'épaulards résidents du sud en Californie centrale ont coïncidé avec de hautes densités locales de saumon quinnat (N. Black, Monterey Bay Whale Watch, données non publiées).

Organisation sociale

La structure sociale des épaulards en Colombie-Britannique semble complexe et diffère parmi les trois écotypes (Ford et Ellis, 1999; Ford et al., 2000). La structure sociale des épaulards résidents est celle qui est la mieux connue et une de ses caractéristiques uniques est le fait que les deux sexes ne se séparent pas de façon permanente de leur groupe natal. L'unité sociale fondamentale des épaulards résidents est la lignée maternelle, composée d'une femelle plus âgée (ou matriarche), de sa progéniture mâle et femelle et, enfin, de la progéniture de ses filles (Ford et al., 2000). Comme les matriarches ont une grande longévité, certaines lignées maternelles peuvent compter jusqu'à quatre générations. Au cours de trois décennies d'études, l'immigration et l'émigration ont rarement été observées (Bigg et al., 1990; Ford et al., 2000). Deux exemples récents d'épaulards juvéniles ayant quitté leur lignée maternelle et ayant voyagé seuls sont considérés comme des cas exceptionnels ou des incidents isolés. Le premier incident concernait une femelle juvénile, appelée A73 ou Springer, qui a été séparée de son groupe familial peu après la mort de sa mère et qui a été observée seule après une brève période d'association avec un groupe d'un autre clan. Par la suite, elle a été réunie avec son groupe et elle s'est jointe à une autre lignée maternelle. Le deuxième incident, survenu en 2001, concernait un baleineau mâle, L98 ou Luna, qui s'est retrouvé isolé de son groupe et des autres épaulards pour des raisons inconnues. Bien que les individus ne se séparent pas de leur groupe natal, les sœurs commencent souvent à passer plus de temps séparées après la mort de leur mère et leurs propres lignées maternelles peuvent finalement devenir socialement indépendantes (Bigg et al., 1990; Ford et al., 2000; Ford et Ellis, 2002).

Paramètres de reproduction

Les femelles atteignent la maturité sexuelle, définie comme l'âge de la première gestation à terme, à l'âge de 14,9 ans en moyenne (intervalle : de 12 à 18 ans,Olesiuk et al., 1990). Les mâles atteignent la maturité sexuelle, définie comme l'âge auquel la forme de leur nageoire dorsale change suffisamment pour permettre de distinguer les mâles des femelles, à l'âge de 15 ans en moyenne (intervalle de 10 à 17,4 ans). Les mâles deviennent sexuellement matures vers l'âge de 20 ans (lorsque leur nageoire dorsale atteint sa pleine hauteur). Les tests de paternité génétique indiquent que les mâles se reproduisent rarement avant l'âge de 25 ans (Barrett-Lennard, 2000). La période de gestation des épaulards, l'une des plus longues de tous les cétacés, dure habituellement de 16 à 17 mois (Walker et al., 1988; Duffield et al., 1995). Il ne naît normalement qu'un seul baleineau. On a rapporté un seul cas possible de naissance de jumeaux (Olesiuk et al., 1990) .

Il naît environ le même nombre de mâles et de femelles (Dahlheim et Heyning, 1999) et les baleineaux nouvellement nés mesurent entre 218 et 257 cm de long (Olesiuk et al., 1990). Haenel (1986) a estimé que les petits sont sevrés vers l'âge de 1,0-1,5  à 2 ans. L'intervalle entre les mises bas est habituellement d'environ 5,2 ans pour les résidents du nord et de 6,2 ans pour les résidents du sud (données non publiées, PRC-MPO). Toutefois, l'intervalle est très variable et s'étend de 2 à 12 ans, et il augmente avec l'âge jusqu'à la ménopause (Olesiuk et al., 1990). En tout, les femelles ont une moyenne de 5,25 petits viables dans un cycle de vie reproductive de 25,2 ans (Olesiuk et al., 1990). Les naissances ont lieu à l'année longue dans la communauté d'épaulards résidents du nord, mais paraissent culminer entre l'automne et le printemps. Les résidents du sud ne semblent pas mettre bas durant l'été (données non publiées, CWR).

Comportement d'accouplement

Le comportement d'accouplement entre les épaulards mâles et femelles a rarement été observé dans la nature. Toutefois, des preuves génétiques ont révélé que les épaulards résidents avaient une propension à s'accoupler en dehors de leur lignée maternelle (et du clan, dans le cas des résidents du nord), mais à l'intérieur de leur communauté (Barrett-Lennard, 2000; Barrett-Lennard et Ellis, 2001). Ce comportement minimise très efficacement la possibilité de consanguinité, mais limite les options si la taille de la population devient très petite. Par exemple, dans la communauté d'épaulards résidents du sud, il est possible qu'il y ait une pénurie extrême de mâles sexuellement matures, en particulier pour les femelles du groupe L, dans l'hypothèse que les femelles choisissent un partenaire hors de leur groupe familial.

Survie et longévité

La survie des épaulards résidents varie selon l'âge. La mortalité néonatale (de la naissance à six mois) est élevée, se situant à 43 % environ pour tous les résidents (Olesiuk et al., 1990) et à 42 % pour les résidents du nord (Bain, 1990). En conséquence, la longévité moyenne est prise en compte pour un animal qui survit les six premiers mois et elle est estimée à 50,2 années pour les femelles et 29,2 années pour les mâles (Olesiuk et al, 1990). On estime que la longévité maximale pour les femelles est de 80 à 90 ans et pour les mâles, de 50 à 60 ans (Olesiuk et al, 1990). Même s'il s'agit d'un trait caractéristique chez la plupart des mammifères, l'espérance de vie plus courte des mâles pourrait être liée à la sélection sexuelle (Baird, 2000) ou à des concentrations plus élevées de polluants chimiques persistants, comme le BPC (Ross et al., 2000). La bioaccumulation de toxines est examinée plus en détail dans la section 2.2.1. La période post-reproductive prolongée des femelles, une caractéristique atypique, est examinée dans la section suivante. Selon des observations récentes, les déclins dans les populations d'épaulards résidents du nord et du sud (pour toutes les classes d'âge et de sexe) peuvent être attribués à une augmentation des taux de mortalité (Ford et al., 2005) ainsi qu'à une baisse de la fécondité des résidents du sud (Krahn et al., 2004). Les causes potentielles des déclins de population sont examinées dans la section 2.

Sénescence reproductive

La longévité moyenne des épaulards résidents femelles est d'à peu près 50 ans, mais en moyenne, elles donnent naissance à leur dernier petit à l'âge de 39 ans, et un nombre significatif d'entre elles vivent jusqu'à 70 ans ou plus (Olesiuk et al., 1990). Selon l'« hypothèse grand-mère », la présence de femelles plus âgées dans un groupe peut augmenter la survie de la progéniture et c'est peut-être en effet ce qui se produit chez les épaulards (voir les remarques qui suivent, dans la section Culture). Quoi qu'il en soit, lors de l'évaluation de la situation des populations d'épaulards, il importe de considérer la structure par âge de la population et de noter que les femelles adultes post-reproductives ne sont plus en mesure de contribuer directement à la croissance de la population. Dans une population d'épaulards migrateurs en voie de disparition dans le sud de l'Alaska (AT1), il n'y a eu aucune naissance depuis 1984. Puisque les femelles qui restent sont post-reproductives ou près de l'être, la population est au bord de l'extinction (Saulitis et al., 2002) et est pratiquement sans espoir de rétablissement, même si la population peut persister encore bon nombre d'années.

Culture

La culture englobe l'ensemble des informations et des caractéristiques comportementales qui sont transmises au sein d'une génération, de même qu'entre les générations, par l'apprentissage social. Jusqu'à récemment, on considérait en général la culture comme un trait distinctif des sociétés humaines. Dernièrement, le concept de culture a été élargi pour englober des mammifères non humains et des oiseaux (examiné dans Rendell et Whitehead, 2001). Or, il ne fait nul doute qu'une culture est présente chez les épaulards résidents du nord et du sud, ainsi que chez les épaulards résidents du sud de l'Alaska (Ford, 1991; Ford et al., 1998; Barrett-Lennard et al., 2001; Yurk et al., 2002). Il existe aussi des preuves de la présence d'une culture chez d'autres cétacés, comme les cachalots macrocéphales (Whitehead et Rendell, 2004), mais celle-ci ne se manifeste pas autant que chez les épaulards résidents (Rendell et Whitehead, 2001).

Les dialectes constituent la forme de culture la mieux étudiée chez les épaulards. Un baleineau apprend son dialecte de sa mère et d'autres adultes d'affiliation étroite, le retient toute la vie et le transmet à la prochaine génération avec peu de modifications (Ford, 1991; Deecke et al., 2000; Miller et Bain, 2000). Ces dialectes transmis culturellement jouent peut-être un rôle important dans l'évitement de la consanguinité, puisque les femelles semblent préférer les mâles provenant de groupes ayant un dialecte autre que le leur (Barrett-Lennard, 2000; Yurk et al., 2002). La culture semble également importante dans l'alimentation, les préférences alimentaires – et probablement les techniques et les aires d'alimentation – étant culturellement acquises (Ford et al., 1998). La culture peut aussi jouer un rôle dans la longévité des épaulards, car elle fournit aux individus plus âgés un mécanisme leur permettant, par un transfert de connaissances, d'améliorer la valeur adaptative de leur progéniture et des individus qui leur sont apparentés (Barrett-Lennard et al., 2001). Chez l'éléphant d'Afrique, les matriarches plus âgées sont plus en mesure que les jeunes de distinguer si une perturbation est menaçante ou non, et elles transmettent cette connaissance à d'autres membres de leur groupe (McComb et al., 2001).

La culture aiderait les animaux à s'adapter à des environnements changeants en leur permettant d'apprendre entre eux en plus d'apprendre par l'expérience. Ainsi, compte tenu des différences dans la façon dont des clans sympatriques de cachalots macrocéphales parviennent à trouver de la nourriture sous divers régimes climatiques, Whitehead et al. (2004) avancent que la diversité culturelle aiderait davantage les cachalots macrocéphales à s'adapter au climat océanique changeant que la diversité génétique. Même si on ignore si cette hypothèse s'applique de fait aux épaulards résidents, on sait cependant que ceux-ci répondent culturellement aux changements anthropiques qui surviennent dans leur milieu. Dans des zones de l'Alaska, les épaulards résidents ont réagi à la pêche à la palangre en apprenant à piller l'engin et ainsi à prendre le poisson, et ce comportement s'est répandu rapidement dans toute la population (Matkin et Saulitis, 1994).

Mortalité anticompensatoire

Les populations résidentes d'épaulards sont menacées simplement du fait que la taille de leur population est réduite. De manière générale, il est plus probable qu'une petite population affiche une consanguinité et un taux de reproduction inférieur, ce qui peut mener à une moindre variabilité génétique, à une résilience réduite contre les maladies et la pollution, à une diminution de la valeur adaptative de la population, ainsi qu'à des risques élevés d'extinction causée par des catastrophes. Les populations résidentes d'épaulards du Pacifique sont considérées comme petites, ne comptant en 2003 que 85 résidents du sud5 (données non publiées, CWR) et 205 résidents du nord (données non publiées, PRC-MPO). Si le déclin de l'une ou l'autre des populations résidentes se poursuit, elles pourraient se trouver devant une pénurie de partenaires. Parmi les résidents du sud, les femelles du groupe L peuvent être particulièrement vulnérables à ce scénario en raison du petit nombre de mâles en état de se reproduire dans les groupes J et K. Même dans des conditions idéales, le rétablissement de la population sera lent, car les mises bas sont relativement rares chez les épaulards.

Le risque de consanguinité semble plus faible chez les épaulards résidents que celui auquel on pourrait s'attendre en considérant la faible taille de leur population. Les épaulards résidents éviteraient la consanguinité et les risques qui y sont inhérents en sélectionnant leurs partenaires de façon non aléatoire. Comme les épaulards résidents choisissent leur partenaire à l'extérieur de leur groupe natal, de petites populations d'épaulards seraient plus viables sur le plan génétique que ce à quoi on s'attendrait en considérant seulement la taille de la population (Barrett-Lennard et Ellis, 2001).

Mortalité naturelle

À part les humains, les épaulards n'ont pas de prédateurs connus. Il y a plusieurs sources possibles de mort naturelle pour les épaulards : emprisonnement dans des lagunes côtières ou des passages restreints, échouement accidentel, maladie, parasitisme, contamination par des biotoxines et famine (Baird, 2001). Toutefois, il n'est pas exclu que des facteurs anthropiques rendent les épaulards plus vulnérables à des sources naturelles de mortalité. Ainsi, la perturbation causée par un bruit intense peut entraîner des échouements (Perrin et Geraci, 2002). La cause première de la mort, à savoir l'échouement, est une source naturelle de mortalité, mais l'origine de la mort est anthropique.

1.4.2 Autres facteurs naturels limitatifs

 Emprisonnement ou échouement accidentel

L'échouement accidentel et l'emprisonnement sont parfois des causes de mortalité pour les épaulards. Au moins quatre échouements massifs de plus de 36 individus se sont produits en C.-B. dans les années 1940 (Carl, 1946; Pike et MacAskie, 1969; Mitchell et Reeves, 1988; Cameron, 1941). Bien que les causes de ces échouements massifs d'odontocètes soient incertaines, la maladie, le parasitisme et la perturbation découlant d'un bruit sous-marin intense ont été avancés comme explications possibles (Perrin et Geraci, 2002). On a rapporté deux incidents au cours desquels des épaulards résidents du sud auraient été temporairement emprisonnés (Shore, 1995, 1998). En 1991, le groupe J est resté onze jours dans le passage Sechelt, hésitant apparemment à emprunter un passage restreint de rapides de marées. En 1997, 19 épaulards ont passé 30 jours dans le passage Dyes (détroit de Puget), peut-être parce qu'ils ne voulaient pas passer sous un pont bruyant (Shore, 1998).

Maladie et parasitisme

Les maladies affectant les épaulards captifs ont fait l'objet d'études détaillées, mais on en connaît peu sur les maladies qui touchent les épaulards dans la nature (Gaydos et al., 2004). Parmi les causes de mortalité des épaulards captifs, on compte la pneumonie, la mycose généralisée, d'autres types d'infections bactériennes et les abcès médiastinaux (Greenwood et Taylor, 1985). Des 16 agents pathogènes relevés chez les épaulards, trois ont été détectés chez des individus en nature : des formes de Brucella touchant les mammifères marins, Edwardsiella tarda et le poxvirus du cétacé (Gaydos et al., 2004). En 2000, une grave infection d'E. tarda a provoqué la mort d'un résident mâle du sud (Ford et al., 2000). Les formes de Brucella touchant les mammifères marins entraîneraient des avortements de même qu'une fécondité réduite chez les épaulards (Gaydos et al., 2004). Le poxvirus du cétacé peut causer la mort de baleineaux ainsi que des lésions cutanées chez les cétacés (Van Bressem et al., 1999). Vingt-sept autres agents pathogènes susceptibles d'être transmis aux épaulards ont été décelés chez des odontocètes sympatriques (Gaydos et al, 2004).

Au Mexique, on a rapporté la présence de parasites externes chez des épaulards (Black et al., 1997), mais aucun de ces parasites n'a été observé chez des épaulards en C.-B. (Baird, 2001). Parmi les parasites internes présents chez des épaulards, on note différents trématodes, cestodes et nématodes (Heyning et Dahlheim, 1988; Raverty et Gaydos, 2004). Ces endoparasites sont habituellement acquis par l'ingestion de nourriture infectée, mais l'étendue de l'infection et sa contribution à la mortalité des épaulards ne sont pas connues à ce jour.

Proliférations d'algues

Les proliférations d'algues nuisibles sont des floraisons qui produisent des biotoxines comme la phycotoxine paralysante, l'acide domoïque, la saxitoxine et la brevetoxine. De telles toxines peuvent s'accumuler dans les tissus des espèces qui les ingèrent et leurs effets s'amplifient dans la chaîne alimentaire. Les mortalités observées, en 1987, chez les rorquals à bosse (Megaptera novaeangliae), au large du Massachusetts et, en 1998, chez les otaries de Californie (Zalophus californianus), en Californie, ont été liées à une exposition à des biotoxines (Geraci et al., 1989; Scholin et al., 2000). Il a été démontré que plusieurs espèces de mammifères marins présentaient une vulnérabilité potentielle aux effets neurotoxiques des biotoxines (Trainer et Baden, 1999). Vu l'augmentation apparente de la fréquence des occurrences de proliférations d'algues et la possibilité d'un effet toxique chez les épaulards, il peut y avoir des risques d'exposition des épaulards résidents à des biotoxines produites par les proliférations d'algues, bien qu'on estime que ces risques soient minimes (Krahn et al., 2002).

Changement de régime

Dans le Pacifique Nord, d'importants changements surviennent dans les courants ainsi que dans les propriétés physiques de l'océan. Ces changements se produisent sur des échelles décennales et sont appelés « changements de régime » (voir les examens de Francis et al., 1998, et de Benson et Trites, 2002). De tels changements peuvent se produire assez rapidement et influer considérablement sur la répartition ou l'abondance de nombreuses espèces, allant du zooplancton aux poissons et, peut-être, aux mammifères et aux oiseaux marins. Si, par suite d'un changement de régime, la répartition ou l'abondance des proies des épaulards résidents est modifiée de façon marquée, il est possible que cela affecte les épaulards.


3 Il convient de noter que, dans la littérature, il existe aussi de faibles écarts dans les dénombrements de la population d'épaulards résidents du sud parce que les méthodes utilisées pour enregistrer le moment où l'on considère que les épaulards intègrent ou quittent la population diffèrent. Ainsi, Krahn et al., (2004) ont signalé 83 épaulards résidents du sud en 2003.
4 Cette estimation comprend L98 ou Luna (voir la section 3.2.2, Organisation sociale).
5 Y compris L98 ou Luna, dont il est question à la section 3.2.2, Organisation sociale.

6À la suite de la décision rendue par la Cour fédérale le 7 décembre 2010 en ce qui concerne les épaulards résidents et la protection de l’habitat essentiel (Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2010 FC 1233), des modifications mineures ont été apportées à la section de ce programme de rétablissement consacrée à l’habitat essentiel. Les modifications rendent explicite le fait que les attributs de l’habitat essentiel recensés dans le programme de rétablissement de 2008 font bel et bien partie de l’habitat essentiel. On examinera la possibilité d’affiner la description de l’habitat essentiel et d’autres zones susceptibles d’être désignées comme telles dans le cadre du processus d’établissement d’un plan d’action.

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